Texte 6B Guy de Maupassant La femme de Paul (1881) [...] Aux abords de la Grenouillere, une foule de promeneurs circulait sous les arbres geants qui font de ce coin d'Tle le plus delicieux pare du monde. Des femmes, des filles aux cheveux jaunes, aux seins demesurement rebondis, a la croupe exageree, au teint platre de fard, aux yeux charbonnes, aux levres sanguinolentes, lacees, sanglees en des robes extravagantes, trainaient sur les frais gazons le mauvais gout criard de leurs toilettes; tandis qu'a cote d'elles des jeunes gens posaient en leurs accoutrements de gravures de modes, avec des gants clairs, des bottes vernies, des badines grosses comme un fil et des monocles ponctuant la niaiserie de leur sourire. L'Tle est etranglee juste a la Grenouillere, et sur l'autre bord, ou un bac aussi fonctionne amenant sans cesse les gens de Croissy, le bras rapide, plein de tourbillons, de remous, d'ecume, roule avec des allures de torrent. Un detachement de pontonniers, en uniforme d'artilleurs, est campe sur cette berge, et les soldats, assis en ligne sur une longue poutre, regardaient couler l'eau. Dans l'etablissement flottant, e'etait une cohue furieuse et hurlante. Les tables de bois, ou les consommations repandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, etaient couvertes de verres a moitie vides et entourees de gens a moitie pris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arriere, la face rougie, avec des yeux luisants d'ivrognes, s'agitaient en vociferant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer a boire en attendant; et, dans l'espace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle. Un d'eux se demenait au piano et semblait jouer des pieds et des mains; quatre couples bondissaient un quadrille; et des jeunes gens les regardaient, elegants, corrects, qui auraient semble comme il faut si la tare, malgre tout, n'eut apparu. Car on sent la, a pleines narines, toute l'ecume du monde, toute la crapulerie distinguee, toute la moisissure de la societe parisienne: melange de calicots, de cabotins, d'infimes journalistes, de gentilshommes en curatelle, de boursicotiers vereux, de noceurs tares, de vieux viveurs pourris; cohue interlope de tous les etres suspects, a moitie connus, a moitie perdus, a moitie salues, a moitie deshonores, filous, fripons, procureurs de femmes, chevaliers d'industrie a failure digne, a fair matamore qui semble dire: "Le premier qui me traite de gredin, je le creve." Ce lieu sue la betise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Males et femelles s'y valent. II y flotte une odeur d'amour, et Ton s'y bat pour un oui ou pour un non, afin de soutenir des reputations vermoulues que les coups d'epee et les balles de pistolet ne font que crever davantage. [...] Maupassant. La femme de Paule. (2022, fevrier 5). ClicNet. Page consultee le 17:08, fevrier 5, 2022 a partir de http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/classique/maupassant/fdp.html Le Dejeuner des canotiers. (2022, Janvier 5). Wikipedia, I'encyclopedie libre. Page consultee le 17:30, Janvier 5, 2022 a partir de http://fr.wiMpedia.org/w/index.php?title=Le D%C3%A9ieuner des canotiers&oldid= 189590052.