UFR LETTRES ET LANGUES Paris Le 13/10//2013 Christophe Cusimano, La sémantiqm contemporaine. Du seme au theme, Paris, PUPS, 2012, 204 pages. L'ouvrage de Christophe Cusimano (dorénavant CC), La sémantiqm contemporaine, qui vient de paraitre aux presses de l'Universite Paris-Sorbonne se présente comme un panorama des theories sémantiques actuelles qui vise ä réorienter l'analyse du sens vers la prise en compte de la variation individuelle. II s'agit done d'une synthase théorique dont l'objectif est d'explorer le champ de la sémantique sur la base des acquis de la sémantique cognitive, la sémantique interpretative et la sémantique lexicale, et, de facon plus generale, de jeter un pont entre sémantique et littérature. D'autre part, il s'agit d'une étude détaillée d'un corpus de textes de Kafka et de Harms que l'auteur analyse á partir du theme de l'absurde. Ce travail, on l'a compris, ne se contente pas de dresser les concepts phares de chaque théorie sémantique, mais constitue une veritable reflexion sur les fondements épistémologique et sur la portée heuristique des trois theories sémantiques : « D'une maniere plus generale, cet ouvrage tente done de relier l'analyse sémantique aux sciences de la culture et ainsi de renouer avec une philologie en danger dans l'univers francophone » (p. 10). L'ouvrage comporte cinq chapitres : les trois premiers problématisent des questions théoriques, les deux derniers relěvent de l'analyse empirique. Le premier chapitre, intitule «Objections post-structuralistes en sémantique», est centre essentiellement sur la notion de polysémie, déja présente dans les travaux antérieurs de l'auteur, qu'il aborde ici dans une visée théorique pour dessiner ses contours linguistiques allant du signifié saussurien ä ce qu'il appelle la « parole effective ». Mais entre ces deux póles, ďautres problěmes liés á la « virtualisation », ä la « non « actualisation » et a 1' « actualisation » des sěmes en contexte (Rastier, Nolke, Coseriu) sont abordés dans ce chapitre pour défendre un compromis bien precis : « sauver la structure en admettant l'existence d'un virtuel qui explique de nouveaux emplois et justifier la pertinence de la pragmatique en montrant comment le virtuel, 1'insignifié, participent de son objet ďétude » (p.30). Ainsi le probléme qui fera l'objet du deuxiěme chapitre,«Dire le synesthésique», est indissolublement noué au precedent. En ce point, on voit immédiatement surgir le cas de la « synesthésie » examinee d'un point de vue cognitif et linguistique pour expliquer les conditions sémantiques des emplois synesthésiques lorsqu'on recourt au virtuel dans l'analyse des observables. CC le résumé ainsi : «pour dire les choses plus clairement, pourquoi certains lexemes, certains adjectifs notamment, sont-ils sujets plus que ďautres á entrer dans un emploi synesthésique ? » (p. 31). Reste a étudier les modalités selon lesquelles s'institue ce lien entre la perception de la synesthésie et les propriétés physiologiques du lecteur. Cest ici qu'intervient UNIVERSITE DE LORRAINE 34 COURS LEOPOLD CS 25233 54052 NANCY CEDEX WWW.UNIV-LORRAINE.FR UFR LETTRES ET LANGUES ILE DU SAULCY 57045 METZ CEDEX 1 driss.ablali@univ-lorraine.fr v* l'impact des travaux en sciences cognitives (Merriam, Cytowic, Eagleman, Zimmer) sur la reflexion de CC dans l'etude la synesthesia Mais d'autre part se fait jour une autre conception linguistique de la synesthésie que CC développe pour mettre en garde contre le silence de certains travaux (Legallois, Vaillant, Rastier et Holz) á 1'égard de l'emploi sémantique et pragmatique des lexies synesthésiques. Et c'est dans cette perspective que CC essaie de combler ce vide en développant une reflexion articulant constamment niveau local et dimension discursive globále pour comprendre les contraintes qui pěsent sur l'emploi synesthésique des adjectifs. C'est dans le troisiěme chapitre, intitule « Sémantique cognidve, images schématiques et articles en francais », qu'une nouvelle catégorie grammaticale, l'article défini et indéfini, est soumise á l'analyse pour « montrer en quoi les images schématiques peuvent réduire de solides difficultés sémantiques » (p.61). L'idee de CC consiste á partir des travaux de M. Johnson, appuyée parfois par Culioli, Victorri, Langacker, Lakoff, Hjelmslev et Wullner, pour expliquer que l'emploi des elements grammaticaux dans une langue est soumis á une combinaison de conditions mentales. II convient, avant de poursuivre, de mentionner ici l'appui que fournissent les travaux de la linguistique «Folk» pour comprendre Fidentité conceptuelle et sémantique des articles en francais. Le passage au quatriěme chapitre, «Visée interpretative», correspond non seulement á un changement de paradigme, en passant de la sémantique cognitive et de la linguistique « Folk » á la sémantique interpretative, mais aussi un changement au niveau des observables : le passage des lexies aux isotopies. Cet intérét pour les isotopies dans les textes de Kafka a pour vocation de traiter des «virtualités qui entourent les textes et, de facon plus originále, le montrer en pratique ». (p.l 17). Pour résumer les grandes lignes des analyses de CC, on peut dire que son objectif ici ne consiste pas, comme le fait F. Rastier á interpreter un texte dans un genre, lui-méme relié á un discours, mais á montrer le « dialogisme » qui s'opere entre plusieurs extraits analogues ďun méme texte. Le debat autour des notions de « terme marqué vs «terme non-marqué », de Y « abduction » est l'echafaudage que CC met en place pour montrer que c'est Tangle de lecture qui fait le texte. «La sémantique des themes » est le titre du dernier chapitre qui se limite á une acception restreinte du signifié pour explorer le theme de l'absurde dans un court texte de Kafka, tiré de la Murailk de Chine. Aprěs plusieurs analyses qui passent par les «isotopies génériques», les «isotopies spécifiques », 1' « espace » et le « danger », CC arrive á la conclusion selon laquelle «l'absurde est une couche de lecture, une interpretation, plus qu'une theme convaincant». (pi49). C'est le méme theme, l'absurde, dans un texte de Harms, que l'on lit dans le dernier chapitre dont les analyses ont permis á l'auteur d'affirmer que c'est bien par abduction que les thémes emplissent les textes. Le livre s'acheve par une série d'exercices, accompagnés de corrigés, qui pointent tous la méme question : c'est la place du locuteur dans l'interpretation du sens, comme le montre toute la reflexion de CC, autour des virtualités des signifies, des images schématiques, du ressenti synesthésique et de la contextualité des articles, qui 1'aměne á alléguer que ^interpretation est non seulement en rapport direct avec l'encyclopedie du locuteur, mais aussi et surtout avec la maitrise des rouages la langue. On peut regretter que les études exhaustives réalisées ici se soient appuyées toujours sur des textes de petite taille. On aurait sans doute aimé également que les analyses de l'auteur, ancrés UNIVERSITĚ DE LORRAINE 34 COURS LEOPOLD CS 25233 KAnco ma Mrv rrncY UFR LETTRES ET LANGUES ILE DU SAULCY STn/m MET7 rrncv 1 VL7 souvent dans les travaux de F. Rastier, soit pour emettre quelques critiques a l'egard de son appareillage conceptuel, soit pour corroborer certaines de ses analyses, lient davantage la question du sujet parlant a l'analyse des grands corpus. Lorsque CC affirme a la derniere page de son opus que « 1'environnement de la lexie est le texte » (p.171), il fait completement abstraction du grand debat qui agite aujourd'hui les sciences humaines sur la place des corpus comme observatoire des pratiques langagieres, car lorsqu'on travaille sur des corpus 1'environnement d'une lexie deborde le texte, et son sens n'est pas que dans le contexte linguistique naturel immediat, il est dans tous les co-occurrents qui l'entourent dans differents textes du corpus. La notion de « passage », telle qu'elle a ete theorisee par Rastier (2007), et les differents travaux de D. Mayaffre sur la cooccurrence dans les corpus politiques montrent clairement que les mises en reseaux doivent privilegier les co-occurrences sur les occurrences, le corpus dans son ensemble sur le texte. On aurait aime savoir plus de choses sur le rapport entre le local et le global, entre le seme, le theme du texte et le genre et les discours qui les englobent. Car come le dit Schleiermacher, « Toute comprehension du detail est conditionnee par une comprehension du tout». Or le tout dans la reflexion de CC ne franchit pas les limites du texte. Qu'en est-il, par exemple, a cet egard, du rapport entre variation individuelle et genres de texte ? Cette variation est-elle condidonnee par l'appartenance de tel texte a tel genre ou pas ? et sur la question des isotopies : est-ce que c'est la variable « auteur », Kafka par exemple, qui a un impact sur les connexions entre les isotopies, ou c'est rinscription des isotopies dans une telle ou telle praxis (litteraire, politique, journalistique) qui conditionne ces liens ? Mais ces quelques remarques, en montrant que la question de la variation individuelle est loin d'avoir livre tous ses secrets, ne legitiment que plus pleinement le projet de CC et la pertinence de son propos, car ce qui rend l'ouvrage de CC remarquable, c'est la copresence de deux volontes complementaires, c'est une de ses forces et une de ses originates, l'une est liee a la reflexion theorique et a la conceptualisation, l'autre proche de la vulgarisation sciendfique et de l'application, et les deux permettent la tracabilite du raisonnement et de la demonstration. On ne peut pour terminer que conseiller la lecture de ce bel ouvrage comme un fort bel exemple d'un travail coherent en semantique qui permet d'allier, de rnaniere methodique, des postulats theoriques a la demonstration argumentee et exemplifiee. The habilitations thesis meets the standard requirements placed on habilitations theses in the field UNTVERSITK E>E LORRAINE UFR LETTRliS ET LANGUES 11«?