AFFAIRE Ar« 6-64 — ARRET 1149 Dans ľaffaire 6-64 ayant pour objet une demande de decision préjudicielle, formée sur la base de l'article 177 du traité C.E.E. par le Giudice Conciliatore de Milan et tendant ä obtenir ['interpretation des articles 102, 93, 53 et 37 dudit traité dans le litige pendant devant ce juge : M. Flaminio Costa contre E.N.EX. (Ente nazionale energia elettrica, impresa giä delia Edison Volta) LA COUR composed de M. A. M. Donner, prdsident MM. Ch. L. Hammes et A. Trabucchi, presidents de chambre MM. L. Delvaux, R. Rossi, R. Lecourt {rapporteur) et W. Strauss, juges avocat giniral: M. M. Lagrange greffier: M. A. Van Houtte rend le present 1160 RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR ARRET POINTS DE FAIT ET DE DROIT I — Expose des fairs et de la procedure Attendu qu'aux termes de la loi n° 1643 du 6 decembre 1962 et de decrets posterieurs, la Republique italienne a proc&te & la nationalisation de la production et de la distribution de l'energie electrique et crge" une organisation dite E.N.E.L. a laquelle a 6t& transfers le patrimoine des entreprises electriques; attendu que, en conflit avec l'E.N.E.L. au sujet du paiement d'une facture pour consommation d'eJectricite\ M. Costa, en qualit6 de consommateur et d'actionnaire de la soci^te" Edison Volta, affectee par cette nationalisation, a demands incidemment au cours de la proc&iure devant le Giudice Conciliatore de Milan l'applica-tion de l'article 177 du traits de la C.E.E. aux fins d'obtenir Interpretation des articles 102, 93, 53 et 37 dudit traite qui auraient 6te" violas par la loi italienne sus-visee; attendu que, par ordonnance du 16 Janvier 1964, le Giudice Conciliatore, faisant droit a cette demande, a decide" ce qui suit : a Vu l'article 177 du traite* du 25 mars 1957 instituant la C.E.E., incorpore" dans la legislation italienne par la loi n° 1203 du 14 octobre 1957, et vu 1'allegation que la loi n° 1643 du 6 decembre 1962 et les decrets presidentiels pris en execution de cette loi, n° 1670 du 15 decembre 1962, n° 36 du 4 fevrier 1963, n° 138 du 25 fevrier 1963, n° 219 du 14 mars 1963 violent les articles 102, 93, 63 et 37 du traite- precitrf, surseoit a statuer et ordonne la transmission d'une copie conlorme du dossier a la Cour de justice de la Communaute' economique europeenne a Luxembourg attendu que, par les soins du grefner du Giudice Conciliatore, la Cour a £t£ saisie de cette question prejudicielle enregistree au grefie de la Cour le 20 fevrier 1964; attendu que, par m6moire enregistr^ le 16 mai 1964, M. Costa a produit ses observations et demande" a la Cour «l'interpretation du traite\ notamment des articles 102, 93, 53 et 37 »; AFFAIRE N° 6-64 — ARRET 1151 que, par memoire enregistre" le 23 mai 1964, le gouvernement italien a conclu ä 1' « irrecevabilite* absolue » de la question pr£judi-cielle et ä l'absence de fondement des demandes d'interprdtation; que, par memoire enregistre" le 23 mai 1964, l'E.N.E.L. a conclu au mal-fonde" des mßmes questions; que la Commission a, par memoire en date du 23 mai 1964, fait connaitre ses observations tant sur la pertinence des questions poshes que sur Interpretation des articles sus-vises; attendu que la Cour a en outre 6te* saisie d'une « requite en intervention » inscrite au greffe le 20 mai 1964, qui a ete declare irrecevable par ordonnance du 3 juin 1964. II — Observations presentees conformement ä Particle 20 du Statut de la Cour SUR LA REGULARITY DE LA QUESTION PREJUDICIELLE Attendu que le gouvernement italien fait grief au Giudice Conciliatore de ne s'fitre pas borne" ä demander ä la Cour d'interpre-ter le traite", mais de dire si la loi italienne litigieuse etait reguliere au regard de celui-ci; que, de ce fait, la question pre'judicielle serait irrecevable; qu'une juridiction nationale ne saurait recourir ä cette procedure lorsque, pour trancher un litige, eile doit appliquer, non pas une disposition du traite\ mais seulement une loi interne; que l'article 177 ne pourrait 6tre utilise comme moyen destine" ä permettre ä une juridiction nationale, sur l'initiative d'un ressor-tissant d'un £tat membre, de deferer une loi de cet fitat ä la procedure de la question prejudicielle pour violation des obligations du traits; que la seule procedure possible serait celle des articles 169 et 170 et qu'en consequence la presente procedure devant la Cour serait frappee d'une «irrecevabilite absolue »; 1132 RECUE1L DE LA JCRISPRUDENCE DE LA COVR attendu que M. Costa soutient, au contraire, que le traite" subordonne la competence dc la Cour a la seule existence d'une demande au sens de l'article 177 et qu'il ressort de la question pos£e qu'elle comporte une interpretation du traits; que la Cour n'aurait pas a appr^cier les faits ni les considerations qui ont pu guider la juridiction nationale dans le choix de ses questions; attendu enfin que la Commission releve que l'examen de la Cour ne peut porter ni sur les raisons qui ont determine les questions du juge national, ni sur leur importance pour la solution du litige; qu'en l'espece leur libelie paraitrait se rapprocher du recours pour violation d'une obligation communautaire tel que prevu par les articles 169 et 170 et comme tel irrecevable; qu'il appartiendrait toutefois a la Cour de deceler, dans les questions qui lui sont soumises, celles relevant de la seule interpretation permise en vertu de l'article 177; qu'enfin un arret de la Cour constitutionnelle italienne, en date du 7 mars 1964, en evitant d'appliquer cet article dans une espece analogue, aurait pris ainsi une decision comportant des repercussions certaines pour l'avenir du droit communautaire tout entier : SUR L'INTERPRETATION DE L'ARTICLE 102 Attendu que, s'agissant d'interpreter l'article 102, M. Costa propose de considerer la consultation prealable de la Commission comme une obligation de l'fitat membre en cause, et non comme une simple faculte; que l'article 102 ne pourrait Stre interprete autrement sous peine de manquer son but; que la non-consultation de la Commission, devant l'existence d'un danger potentiel de distorsion, constituerait une irregularite; que l'fitat membre ne pourrait apprecier lui-m6me la possi-bilite de distorsion sans s'arroger unilateralement un pouvoir qui ne lui est pas attribue; AFFAIRE S° 6-64 — ARRET 1153 attendu que la Commission conteste l'existence d'une distor-sion; qu'elle semble dire cependant qu'en cas de doute sur cette existence, il y aurait eu lieu de proc^der ä une consultation de la Commission et que, lors de l'adoption de la loi de nationalisation en cause, la Republique italienne n'aurait pas respects la regle de procedure applicable ä l'espece; attendu que le gouvernement Italien expose que la Commission, inform de par une question ecrite posee par un depute" allemand, aurait admis la nationalisation litigieuse en se rdferant ä l'article 222; qu'il n'y aurait distorsion au sens de l'article 102, des lors qu'il s'agit d'instaurer un service public destine" ä atteindre les buts d'utilitd generate indiques ä l'article 43 de la Constitution italienne, et ne portant pas atteinte aux conditions de la concurrence; attendu que VE.N.E.L. invoque des arguments semblables et precise que l'instauration d'un service public place tous les admi-nistr£s sur un pied d'£galite\ SUR VINTERPRETATION DE L'ARTICLE 93 Attendu que, s'agissant d'interprdter l'article 93, M. Costa estime que la nationalisation d'une activite* dconomique a comme consequence automatique la creation d'un regime d'aides cachees au benefice du secteur nationalise; que la Commission devrait, dans ce cas, intervenir selon la procedure prdvue ä l'article 93; attendu que la Commission estime que les Stats membres qui ne respectent pas les dispositions de l'article 93, paragraphe 3, commettent une violation de procedure qui suffit en soi ä habiliter la Commission ä former un recours au titre de l'article 169; que la Commission se reserve toutefois la faculty de saisir la Cour de justice au cas ou l'incompatibilite" au fond de l'aide litigieuse s'accompagnerait de la violation de la regle de procedure considered; 11A4 RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR que la Commission a pris connaissance du pro jet de loi incri-mine* sans conclure a son incompatibility avec le marche" commun; que, selon la Commission, il ne se pose de question que sur le plan formel du dgfaut de notification; que la Commission se reserve de poursuivre au cas ou l'aide concernee s'avererait incompatible avec le traits; Attendu que le gouvernement italien et YE.N.E.L. exposent que les faits d&nontrent l'absence d'incompatibilite' entre la lot de nationalisation et l'article 93; que l'institution de l'E.N.E.L. n'aurait aucun rapport avec le droit communautaire. SUR L'INTERPRET A TION DE L'ARTICLE S3 Attendu que, s'agissant d'interprtter l'article 53 interdisant aux litats l'introduction de nouvelles restrictions au droit d'£tablis-sement sur leur territoire, M, Costa propose de voir dans la nationalisation d'un secteur £conomique une mesure incompatible avec ce texte; que l'article 222 ne saurait justifier la legality de n'importe quel regime de propri&e* et que l'abolition de la proprtete* priv^e serait contraire a cet article; qu'aucune regie n'exempterait de l'application de l'article 63 un secteur nationalise, la nationalisation constituant la negation d'un systeme communautaire et le moyen le plus apte a empechei la liberte* d'£tablissement protegee par ledit article a 1'egard des ressortissants tant des autres litats membres que de l'lstat natio-nalisateur; que l'article 55 ne pourrait enfin fitre consider comme d£roga-toire a l'article 63, s'agissant exclusivement de faire e*chapper aux regies de ce dernier les pouvoirs publics de I'fitat et non le pouvoir de poursuivre une activity economique; attendu que le gouvernement italien s'oppose a cette interpretation, motif pris de ce que l'article 53 ne trouverait pas application AFFAIRE N° 6-64 — ARRET 1105 au cas ou l'£tat interesse laisserait k la libre initiative priv£e, sans aucune distinction de nationality la partie d'activite non reservee ä la puissance publique; attendu que YE.N.E.L., k l'appui de la meme interpretation, propose de considerer l'article 53 comme visant k mettre sur un pied d'egalite' les ressortissants strangers avec les ressortissants natio-naux pour l'exercice d'une activate de production; que ce principe n'est pas viole* si une loi organisant un service public reserve ä l'£tat le secteur d'activite qui en releve, privant au meme titre de cette activity les ressortissants de la Communaute, autochtones ou non; attendu que la Commission estime que, consid^ree sous Tangle de l'article 222, la nationalisation ne serait pas contraire au traite"; que les articles 5 et 90 tendraient ä attdnuer les consequences du processus de nationalisation des secteurs economiques; que, cependant, l'article 53 pourrait s'appliquer k regard des restrictions eventuelles k l'etablissement des ressortissants strangers, qui pourraient r^sulter d'une nationalisation sauf exigences techniques du secteur en cause. s UR L'INTERPRETATION DE L'ARTICLE 37 Attendu que, s'agissant de l'obligation faite aux Iitats par l'article 37 d'amenager progressivement les monopoles nationaux Präsentant un caractere commercial de facon k eviter toute discrimination entre ressortissants des £tats membres dans les conditions d'approvisionnement et de debouches, M. Costa demande ä la Cour d'interpreter cette disposition comme un texte de grande ampleur permettant de viser toute mesure par laquelle un £tat attribue soit ä lui-meme, soit k un organisme dependant de lui, un monopole commercial par sa nature meme; que ledit article s'appliquerait rion seulement aux discriminations actuelles, mais aussi aux discriminations potentielles et qu'il serait prive d'efficacite s'il tendait seulement a eiiminer les discriminations existantes tout en permettant l'institution de nouvelles; 11S6 RECUEIL DE LA JURJSPRL'DEXCE DE LA COLR qu'une nationalisation aurait des effets identiques ä ceux d'un monopole legal, c'est-ä-dire pouvoir de gestion exclusif, autorite1 et ineluctabilite" des decisions, adoption pour celles-ci de entires extra-economiques, exclusion de la concurrence, le rdsultat dudit monopole consistant ä rendre difficile sinon impossible l'importa-tion de produits similaires en provenance d'entrepreneurs Grangers; qu'en creant un monopole commercial, une nationalisation aurait sur les importations le meme effet restrictif que les droits protecteurs ou les limitations quantitatives; attendu qu'ä cette interpretation le gouvernement Halten oppose que l'article 37 ne saurait concerner l'exploitation d'un service public, ni d'ailleurs d'un bien dont la production dependrait de sources naturelles limitees soumises ä une concession publique, utilisables par un nombre necessairement restreint de producteurs; que les regies du traits, sauvegardant la liberty du marches ne sauraient concerner le regime des services publics; que d'ailleurs l'article 222 ne prdjugeant en rien le regime de propria dans les £tats membres, il serait possible au regime constitutionnel de chacun d'eux de prevoir les biens et services pouvant etre considered comme propriety publique et devant, en raison de choix objectifs, demeurer en dehors de toute regie sur la concurrence que, des lors, l'exclusion de l'importation et de l'expor-tation dans un tel secteur doit Stre envisagee en fonction non d'une activity commerciale, mais de l'exercice d'un service public; attendu que YE.N.E.L., appuyant cette interpretation et observant la place de l'article 37 dans le traits propose de consid£-rer les « monopoles commerciaux » vised audit article comme des organisations publiques ou privees visant institutionnellement k concentrer les importations et exportations et de nature ä perturber la libre circulation des marchandises; que tel ne saurait etre le but d'un service public et que d'ailleurs un bien dont le commerce international depend d'accords interna-tionaux et de procedures administratives complexes, echappe par AFFAIRE .V» — ARRET 1157 sa nature meme aux regies de l'art. 37 et a toute disposition en matiere de concurrence; attendu en fin que la Commission propose d'appliquer l'ar-ticle 37 toutes les fois qu'un £tat 6tablit un droit exclusif d'impor-tation ou d'exportation; que pour tomber sous les prohibitions de l'article 37, la mesure incriminde devrait etre destined a agir dans le domaine de la circulation des marchandises ou des services; que si l'article 222 permet de consideYer la nationalisation comme permise, la creation d'un nouveau monopole ne le serait pas; que, cependant, il ne saurait etre fait abstraction de l'apprecia-tion concrete des ^changes entre les Etats membres en ce qui concerne la marchandise considered; qu'enfin on pourrait se dispenser de constater si la creation d'un monopole a caractere commercial est contraire a l'article 37, paragraphe 2, lorsque 1'importation et 1'exportation de ladite marchandise ne dependent pas du pouvoir discr&ionnaire de l'orga-nisme gestionnaire. Motifs Attendu que, par ordonnance du 16 Janvier 1964, regulierement transmise a la Cour, le Giudice Conciliatore de Milan, « vu l'article 177 du traits du 25 mars 1957 instituant la Q.E.E., incorpore" dans la legislation italienne par la loi n° 1203 du 14 octobre 1957 et, vu l'allegation que la loi n° 1643 du 6 decembre 1962 et les decrets pr£sidentiels pris en execution de cette loi... violent les articles 102, 93, 53 et 37 du traits », a sursis a statuer et ordonne" la transmission du dossier a la Cour. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 177 Moyen tire du libelle de la question Attendu qu'il est fait grief a la question dont s'agit de tendre a faire juger, par le moyen de l'article 177, la conformity d'une loi avec le traits; 1158 RECVEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR attendu cependant qu'aux termes de cet article les juridictions nationales dont les decisions sont, comme en l'espece, sans recours, doivent saisir la Cour pour statuer ä titre préjudiciel sur«l'interpre-tation du traité» lorsqu'une telle question est soulevée devant elles; que, par la voie de cette disposition, la Cour ne peut, ni appli-quer le traité ä une espěce déterminée, ni statuer sur la validité d'une mesure de droit interne au regard de celui-ci, comme il lui serait possible de le faire dans le cadre de l'article 169; qu'elle peut toutefois dégager du libellé imparfaitement formule par la juridiction nationale les seules questions relevant de l'interpretation du traité; qu'il y a done lieu, pour eile, non de statuer sur la validité d'une loi italienne par rapport au traité, mais seulement ^'interpreter les articles sus-vises eu égard aux données juridiques exposées par le Giudice Conciliatore. Moyen tiré de I'absence de nécessité ďune interpretation Attendu qu'il est fait grief ä la juridiction de Milan d'avoir demandé une interpretation du traité qui ne serait pas nécessaire ä la solution du litige porte devant elle; attendu cependant que l'article 177, base sur une nette separation de fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, ne permet ä celle-cřni de connaítre des faits de 1'espěce, ni de censurer les motifs et objectifs de la demande ďinterprétation. Moyen tiré de l'obligation pour le juge d'appliquer la loi interne Attendu que le gouvernement italien soulěve « Tirrecevabilité absolue » de la demande du Giudice Conciliatore, au motif que la juridiction nationale, tenue d'appliquer une loi interne ne peut faire usage de l'article 177; attendu qu'ä la difference des traités internationaux ordinaires, le traité de la C.E.E. a institué un ordre juridique propre, integre au systéme juridique des Etats membres lors de 1'entrée en vigueur du traité et qui s'impose ä leurs juridictions; AFFAIRE No 6-64 — ARRET 1159 qu'en effet, en instituant une Communaute* de duree illimitee, dotee d'institutions propres, de la personnalite, de la capacity juridique, d'une capacity de representation internationale et plus particulierement de pouvoir reels issus d'une limitation de compel tence ou d'un transfert d'attributions des Etats ä la Communaute, ceux-ci ont limits, bien que dans des domaines restreints, lews droits souverains et cri6 ainsi un corps de droit applicable ä leurs ressortissants et ä eux-mlmes; attendu que cette integration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus gdneralement les termes et l'esprit du traits, ont pour corollaire l'impossibilite pour les fitats de faire pr^valoir, contre un ordre juridique accepts par eux sur une base de reciprocity une mesure unilaterale ulterieure qui ne saurait ainsi lui etre opposable; que la force executive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un Etat k l'autre ä la faveur des legislations internes ulterieures, sans mettre en peril la realisation des buts du traite visöe ä l'article 5 (2), ni provoquer une discrimination interdite par l'article 7; que les obligations contract&s dans le traite instituant la Communaute ne seraient pas inconditionnelles mais seulement eventuelles, si elles pouvaient etre mises en cause par les actes legislatifs futurs des signataires; que, lorsque le droit d'agir unilateralement est reconnu aux Etats, c'est en vertu d'une clause speciale precise (articles 15, 93-3, 223 ä 225 par exemple); que, d'autre part, les demandes de derogation des Etats sont soumises ä des procedures d'autorisation (articles 8-4, 17-4, 25, 26, 73, 93-2, 3e alinea, et 226 par exemple) qui seraient sans objet s'ils avaient la possibilite de se soustraire k leurs obligations au moyen d'une simple loi; attendu que la preeminence du droit communautaire est confirmee par l'article 189 aux termes duquel les reglements ont valeur «obligatoire n et sont «directement applicables dans tout £tat membre »; 1160 RECVEIL DE LA JIRISPRUDESCE DE LA COUR que cette disposition, qui n'est assortie d'aucune reserve, serait sans portee si un fitat pouvait unilateralement en annihiler les effets par un acte legislatif opposable aux textes commu-nautaires; attendu qu'il requite de l'ensemble de ces elements, qu'issu d'une source autonome, le droit ne* du traite ne pourrait done, en raison de sa nature sp^cifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractere communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communaute elle-meme; que le transfert opere* par les Etats, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traite, entraine done une limitation definitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait preValoir un acte unilateral ulterieur incompatible avec la notion de Communaute; qu'en consequence il y a lieu de faire application de l'article 177, nonobstant toute loi nationale, au cas oil se pose une question d'interpretation du traits; attendu que les questions posees par le Giudice Conciliatore au sujet des articles 102, 93, 53 et 37 tendent ä savoir en premier lieu si ces dispositions produisent des effets irnmediats et engendrent dans le chef des justiciables des droits que les juridictions internes doivent sauvegarder et, dans l'afnrmative, quel est le sens de ceux-ci. SUR ^INTERPRETATION DE L'ARTICLE 102 Attendu qu'aux termes de l'article 102, lorsqu' « il y a lieu de craindre » que l'intervention d'une disposition legislative provoque une « distorsion », l'fitat membre qui veut y proceder « consulte la Commission », celle-ci pouvant ensuite recommander aux lstats les mesures propres ä eviter la distorsion redoutee; attendu que cet article, relevant du chapitre consacre au « rapprochement des legislations », tend ä eviter que soient aggra-v6es les divergences des legislations nationales entre elles, au regard des objectifs du traite; AFFAIRE N° 6-64 — ARRET 1101 que, par cette disposition, les fitats membres ont limite* leur liberty d'initiative en acceptant de se soumettre ä une procedure de consultation appropriee; qu'en s'obligeant eux-m6mes sans ambiguity ä consulter pr6-ventivement la Commission en tousles cas ou leurs projets legislatifs pourraient susciter un risque, m6me faible, d'eventuelle distorsion, les £tats ont done contracts envers la Communaute un engagement qui les lie en tant qu'fitats, mais n'engendre pas dans le chef des justiciables des droits que les juridictions internes doivent sauve-garder; attendu que la Commission est, de son cöte, tenue de faire respecter les prescriptions de cet article, mais que cette obligation ne confere aux particuliers la possibility d'exciper, dans le cadre du droit communautaire et par l'article 177, ni du manquement de l'fitat concerns, ni de la defaillance de la Commission. SUR ^INTERPRETATION DE L'ARTICLE 93 Attendu qu'aux termes des paragraphes 1 et 2 de l'article 93, la Commission procede avec les £tats membres ä «l'examen permanent des regimes d'aides existant dans ces fitats » en vue de la mise en ceuvre des mesures utiles exig^es par le fonctionnement du mar-che commun; qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 93 la Commission doit 6tre informed, en temps utile, des projets tendant ä instituer, ou a modifier des aides, l'fitat membre int^resse* ne pouvant mettre ä execution les mesures projete"es avant l'achevement de la procedure communautaire et, le cas Schmant, de la procedure devant la Cour; attendu que ces dispositions, relevant d'une section du traite" consacröe aux « aides accord6es par les fitats » tendent, d'une part, ä r^sorber progressivement les aides existantes et, d'autre part, ä eviter que, dans la conduite des affaires interieures desdits fitats, des aides nouvelles, susceptibles de favoriser directement, ou indi-rectement, de facon appreciable, des entreprises, ou des produits, soient instituees « sous quelque forme que ce soit » et menacent, mßme eventuellement, de fausser la concurrence; 1161 RBCUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR que, par 1'article 92, les £tats ont reconnu incompatible^ avec le marche commun les aides dont s'agit et se sont ainsi implicite-ment engages a n'en pas instituer en dehors des derogations prevues par le traite, mais que, par 1'article 93, ils ont settlement convenu de se soumettre a des procedures appropriees, tant pour supprimer les aides existantes, que pour en instituer de nouvelles; qu'en s'obligeant eux-memes aussi formellement a informer la Commission a en temps utile»de leurs projets d'aides, en acceptant de se soumettre aux procedures prevues par 1'article 93, les £tats ont done contracts, envers la Communaute, un engagement qui les He en tant qu'fitats, mais n'engendre pas de droits dans le chef des justiciables, sauf dans la derniere disposition de l'alinea 3 dudit article, hors de cause en l'espece; attendu que la Commission est, de son c6te, tenue de faire respecter les prescriptions de cet article, celui-ci l'obligeant meme a proceder avec les £tats a un examen permanent des regimes d'aides existants, mais que cette obligation ne confere aux parti-culiers la possibilite d'exciper, dans le cadre du droit communau-taire et par 1'article 177, ni du manquement de l'fitat concerne, ni de la defaillance de la Commission. SUR ^INTERPRETATION DE VARTICLE 53 Attendu qu'aux termes de 1'article 53 les £tats membres s'engagent, sous reserve des dispositions prevues au traite, a ne pas introduire de nouvelles restrictions a l'etablissement sur leur territoire des ressortissants des autres £tats membres; que l'obligation ainsi souscrite par les £tats se resout juridi-quement en celle d'une simple abstention; qu'elle n'est assortie d'aucune condition, ni subordonnee, dans son execution, ou ses effets, a 1'intervention d'aucun acte, ni des fitats, ni de la Commission; qu'elle est done complete, juridiquement parfaite et, en consequence, susceptible de produire des effets directs dans les relations entre les £tats membres et leurs justiciables; T AFFAIRE iVo 9-94 — ARRET 1103 attendu qu'une prohibition aussi formellement exprimée, entrée en vigueur avec le traité dans l'ensemble de la Communauté et, de ce fait, intégrée au systéme juridique des Etats membres, constitue la loi méme de ceux-ci et concerne directement leurs ressortissants, au profit desquels eile a engendré des droits indi-viduels que les juridictions internes doivent sauvegarder; attendu que 1'interprétation sollicitée de l'article 63 commande de le considérer dans le contexte du chapitre relatif au droit ďéta-blissement oü il est situé; qu'apres avoir, ä l'article 52, édicté la suppression progressive des « restrictions ä la liberie ďétablissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre État membre », le chapitre dont s'agit a prévu, á l'article 53, que ces Etats n'intro-duisent pas de « nouvelles restrictions á 1'établissement sur leur territoire des ressortissants des autres Etats membres »; qu'il s'agit, děs lors, de savoir dans quelles conditions les ressortissants des autres Etats membres disposent de la liberté ďétablissement; que l'article 52 (2) precise ce point en stipulant qu'elle comporte 1'accěs aux activités non salariées, á la constitution et ä 4a gestion d'entreprises « dans les conditions définies par la legislation du pays ďétablissement pour ses propres ressortissants »; qu'il suffit done, pour respecter l'article 53, qu'aucune mesure nouvelle ne soumette l'etablissement des ressortissants des autres Etats membres ä une réglementation plus severe que celle réservée aux nationaux et ce, quel que soit le regime juridique des entre-prise, SUR VINTERPRETATION DE L'ARTICLE 37 Attendu qu'aux termes de l'article 37 (1), les Etats membres aménagent progressivement leurs « monopoles nationaux présentant un caractěre commercial»afin ďassurej dans les conditions d'appro-visionnement et de debouches, ^'exclusion de toute discrimination entre ressortissants des Etats membres; qu'il prévoit, en outre, au paragraphe 2, l'obligation pour ceux- 1164 RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR ci de s'abstenir de toute mesure nouvelle contraire ä cette disposition ; attendu que les Etats ont ainsi contracté une double obligation : Tune, active, destinée ä aménager leurs monopoles nationaux, I'autre, passive, destinée á éviter toute mesure nouvelle; que c'est de cette demiěre obligation que 1'interprétation est demandée ainsi que des elements de la premiére nécessaires ä cette interpretation; attendu que l'article 37 (2) énonce une interdiction incondition-nelle qui constitue une obligation non pas de faire, mais de ne pas faire; que cette obligation n'est assortie d'aucune reserve de subor-donner sa mise en ceuvre ä un acte positif de droit interne; que cette prohibition, par sa nature méme, est susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables; attendu qu'une prohibition aussi formellement exprimée, entrée en vigueur avec le traité dans l'ensemble de la Commu-naute" et, de ce fait, intégrée au systéme juridique des Etats membres, constitue la loi méme de ceux~ci et concerne directement leurs ressortissants au profit desquels eile a engendré des droits indivir duels que les juxidictions nationales doivent sauvegarder; attendu que Interpretation sollicitée de 'article 37 commande, en raison de la complexité du texte et des interferences entre les paragraphes X et 2, de considérer ceux-ci dans l'ensemble du chapitre dont ils relěvent; que ce chapitre est consacré ä 1' « elimination des restrictions quantitatives entre les Etats membres »; attendu que le renvoi par l'article 37 (2) aux«principes énoncés au paragraphe l » a ainsi pour but ďempécher 1'étabUssement de toute nouvelle « discrimination entre les ressortissants des Etats membres » dans les « conditions d'approvisionnement et de débou-, chés »; AFFAIRE N" G-C4 — ARRET 1165 que, le but £tant ainsi precise, l'article 37 (1) decrit, pour les prohiber, les moyens par lesquels il risque d'etre contraries que sont alors interdits, par le renvoi de l'article 37 (2), pour autant qu'ils tendent a introduire de nouvelles discriminations dans les conditions d'approvisionnement et de ddbouchee, tous nouveaux monopoles ou organismes vises par l'article 37 (1); qu'il convient done au juge du fond de rechercher d'abord si ce but se trouve effectivement entrave\ e'est-a-dire si une discrimination nouvelle entre les ressortissants des Stats membres dans les conditions d'approvisionnement et de debouches resulte de la mesure litigieuse elle-mSme, ou en sera la consequence; attendu qu'il y a lieu en outre de considerer les moyens vises par l'article 37 (1); que cet article interdit l'institution, non de tous monopoles nationaux, mais de ceux qui presentent « un caractere commercial» et ce, pour autant qu'ils tendent et introduire les discriminations susvisees; que, pour tomber sous les prohibitions de ce texte, les mono-poles nationaux et organismes dont il s'agit doivent, d'une part, avoir pour objet des transactions sur un produit commercial susceptible d'etre l'objet de concurrence et d'echanges entre les Stats membres, d'autre part, jouer un role effectif dans ces echanges; qu'il appartient au juge du fond d'apprecier en chaque espece si l'activit6 £conomique concerned porte sur un tel produit pouvant, par sa nature et les imperatifs techniques ou internationaux aux-quels il est assujetti, etre l'objet d'un rdle effectif dans les importations ou exportations entre ressortissants des Stats membres. Quant aux depens Attendu que les frais exposes par la Commission de la Commu-naute economique europeenne et le gouvernement italien, qui ont soumis leurs observations a la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement; 1166 RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR qu'en l'espcce la procedure revtt, a 1'egard des parties au litige pendant devant le Giudice Conciliatore de Milan, le caractere d'un incident souleve devant ce juge; par ces motifs, vu les actes de procedure; le juge rapporteur entendu en son rapport; les parties au litige originel, la Commission de la Communaute economique europeenne et le gouvernement it alien, entendus en leurs observations; l'avocat general entendu en ses conclusions; vu les articles 37, 53, 93, 102, 177 du traite instituant la Communaute economique europeenne; yu le protocole sur le statut de la Cour de justice de la Communaute economique europeenne; vu le r^glement de procedure de la Cour de justice des Commu^ nautes europeennes, LA COUR statuant sur l'exception d'irrecevabilite basee sur l'article 177, decide et arrete : Les questions posses par le Giudice Conciliators de Milan en vertu de l'article 177 sont recevables en taut qu'elles portent, en l'eepece, bur ftnterprttatlon de dispositions du traite C.E.B., aucun acte unilateral posterleur n*etant opposable aux regies communautalree; dit pour droit : 1« L'article 102 ne coinporte pas de dispositions euscep-tiblea d'engendrer dans le chef des justiclables dee droits que lee jutidlcttons Internee dotveat eauve-garder; AFFAIRE N» 8-64 — ARRET 1187 2° Les prescriptions de 1'artlcle 93, qui relevent de la question posed, ne comportent pas non plus de telles dispositions; 3° L'article 53 constitue une regie communautaire susceptible d'engendrer dans le chef des justiciable^ des droits que les juridictions internes dolvent sauve-garder; Ges dispositions prohibent toute mesure nouvelle ayant pour objet de soumettre l'etablissement des ressortissants des autres Etats membres ä une r£gle-mentation plus severe que celle reserved aux natlonaux et ce quel que soit le regime jurldlque des entreprises. 4° L'article 37 (2) constitue en toutes ses dispositions une regie communautaire susceptible d'engendrer, dans le chef des justlciables, des droits que les juridictions Internes dofvent sauvegarder. Dans le cadre de la question posee, ces dispositions ont pour objet d'Inter dire toute mesure nouvelle contraire aux prlnclpes de l'article 37 (1), c'est-a-dire toute mesure ayant pour objet, ou pour consequence, une discrimination nouvelle entre les ressortissants des Etats membres dans les conditions d'approvi-sionnement et de debouched, par le moyen de mono-poles, ou organismes, devant, d*une part, avoir pour objet des transactions sur un prodult commercial susceptible de concurrence et d'echanges entre les Etats membres, d'autre part, jouer un role effectif dans ces echanges; et decide : II ftppartient au Giudlce Conciliatore de Milan de statuer sur les depens de la presents instance. UM RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR Ainsi juge* ä Luxembourg le 18 juillet 1961 Donner Hammes Trabucchi Delvaux Rossi Lecourt Strauss Lu en seance publique ä Luxembourg le 15 juillet 1964. gnßcr Le president A, Van Houtte A. M. Donner