Texte 1 LA JOURNÉE DE LOUIS XIV A huit heures, le premier valet de chambre qui avait couché seul dans la chambre du roi et qui s'était habillé l´éveillait. Le premier médecin, le premier chirurgien et sa nourrice, tant qu'elle a vécu, entraient en meme temps. Elle allait 1'embrasser; les autres le frottaient et souvent lui changeaient de chemise, parce qu'il était sujet `a suer. Au quart, on appelait le grand chambellan, en son absence le premier gentilhomme de la chambre d´année, avec eux les grandes entrées. L'un de ces deux ouvrait le rideau qui était refermé, et présentait 1'eau bénite du bénitier du chevet du lit. Ces messieurs étaient l`a un moment, et c'en était un de parler au roi s'ils avaient quelque chose `a lui dire ou `a lui demander, et alors les autres s'éloignaient... Puis le roi s´habillait. Il était toujours vetu de couleur plus ou moins brune avec une légere broderie, jamais sur les tailles, quelquefois rien qu'un bouton ďor, quelquefois du velours noir. Toujours une veste de drap ou de satin rouge, ou bleue, ou verte, fort brodée. Jamais de bague, et jamais de pierreries qu'`a ses boucles de souliers, de jarretieres et de chapeau toujours bordé de point d´Espagne avec un plumet blanc. Toujours le cordon bleu dessous, excepté des noces ou autres fetes pareilles qu'il le portait par-dessus, fort long avec huit ou dix millions de pierreries... Saint-Simon, Mémoires sur le siecle de Louis XIV… Texte 2 QU'EST-CE QU'UNE NATION? Ce droit national, sur quel critérium le fonder? `a quel signe le reconnaître? de quel fait tangible le faire dériver? De la race, disent plusieurs avec assurance... La vérité est qu'il n' y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur 1'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimere. Les plus nobles pays sont ceux ou le sang est le plus melé. L'Allemagne fait-elle `a cet égard exception? Est-elle un pays germanique pur? Quelle illusion! Tout le Sud a été gaulois. Tout l'Est, `a partir de l'Elbe, est slave... Le fait de la race, capital `a 1'origine, va donc toujours perdant de son importance. L'histoire humaine differe essentiellement de la zoologie. La race n' y est pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n'a pas le droit d´aller par le monde tâter le crâne des gens, puis de les prendre `a la gorge en leur disant: Tu es de notre sang, tu nous appartient!... Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue. La langue invite `a se réunir; elle n' y force pas. Les États-Unis et 1'Angleterre, 1'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la meme langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu 'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur `a la langue: c'est la volonté. Ernest Renan, Discours et Conférences, 1887 Texte 3 LE REQUIEM DE MOZART Un jour que Mozart était plongé dans une profonde reverie, il entendit un carrosse s'arreter `a sa porte. On lui annonce un inconnu qui demande `a lui parler; on le fait entrer, il voit un homme ďun certain âge, fort bien mis, les manieres les plus nobles et meme quelque chose ďimposant: « Je suis chargé, monsieur, par un homme tres considérable, de venir vous trouver. - Quel est cet homme? interrompit Mozart. - Il ne veut pas etre connu. - A la bonne heure! Et que désire-t-il? - Il vient de perdre une personne qui lui était bien chere et dont la mémoire lui sera éternellement précieuse; il veut célébrer tous les ans sa mort par un service solennel, et il vous demande de composer un Requiem pour ce service. » Mozart se sentit frappé de ce discours, du ton grave dont il était prononcé, de l'air mystérieux qui semblait répandu sur toute cette aventure. Il promit de faire Requiem. L´inconnu continua: « Mettez `a cet ouvrage tout votre génie : vous travaillez pour un connaisseur en musique. - Tant mieux. - Combien de temps demandez-vous? - Quatre semaines. - Eh bien! je reviendrai dans quatre semaines. Quel prix mettez-vous `a votre travail? - Cent ducats. » L'inconnu les compte sur la table et disparaît. Stendhal Texte 4 Les Français sont plus sceptiques `a l’égard de la science et de la technologie Le rationalisme du XVIII^e siecle et le scientisme du XIX^e siecle, qui plaçaient dans la science tous les espoirs de l’humanité, ont fait place aujourd’hui au doute. Les citoyens ont compris que la science est ambivalente ; ses effets dépendent avant tout de l’utilisation qui en est faite. Contrairement `a ce que l’on a longtemps cru, il n’y a pas d’indépendance de la science, car les enjeux économiques de la recherche sont considérables. Chacun lui est certes reconnaissant d’avoir combattu l’obscurantisme, l’ignorance et, plus récemment, amélioré les conditions de vie et de travail, vaincu certaines maladies. Mais les Français sont aussi de plus en plus conscients des risques qu’elle fait peser sur les hommes et les menaces qu’elle représente pour leur avenir : pollution de l’environnement, risques climatiques, utilisation du clonage humain, généralisation des aliments transgéniques, développement des armes bactériologiques... Dans de nombreux domaines, la recherche a franchi un nouveau pas, qui la situe désormais au-del`a de ce qu’était il y a peu la science-fiction. L’alimentation, la santé, la communication, le transport, le logement, les loisirs sont progressivement gagnés par ces technologies aux possibilités `a la fois fascinantes et angoissantes. Texte 5 Les nouvelles formes du travail Philippe Flichy est directeur de Betterway, une société de conception et d’édition de programmes interactifs. Quand sa société était installée `a Paris, ses collaborateurs et lui n’arrivaient `a accorder ni leur calendrier ; ni leurs humeurs, ni leurs horaires. Alors, il a installé Betterway loin de Paris, dans un petit village. Aujourd’hui, il ne travaille plus, il télétravaille ! Ses collaborateurs échangent constamment des données graphiques avec son ordinateur central et viennent sur place de temps `a autre. Résultat : pour Philippe, une meilleure productivité, un cadre de vie idyllique, un pouvoir d’achat accru ; pour la région parisienne, moins de pollution, moins d’encombrements ; pour les commerçants, artisans de son village - qui sont venus en juin visiter « la soucoupe volante » au cours d’une journée portes ouvertes - un client de plus. L’exemple de Philippe donne un avant-gout de ce que sera le travail au XXI^e siecle ; nomade, éclatée et autonome... Les technologies de l’information vont transformer l’ensemble de notre modele économique et social : les modes de production et de consommation, l’organisation de l’entreprise et des services publics. Bref, notre vie.