TECHNOLOGIE LES NOUVEAUX DEFIS Toujours plus sophistiquées et plus compliquées, les machines - conges pour pallier lMnsuffisance humaine - peuvent devenir source de frustrations et d'accidents graves. Faut-il regretter «le bon vieux temps» et renoncer en bloc aux retombées de la science ? HOMME/MACHINE : LE DIALOGUE DE SOURDS A u cours de sa descente sur ľaéroport de Strasbourg, l'Airbus* A 320 d'Air Inter* s'écrase soudain sur les flancs du mont-Saint-Odile. 87 morts. [...] Ľhomme chargé de piloter la machine a perdu le contrôle de cette demiěre, faute de savoir lui communiquer ses ordres. Pourtant, l'A 320 est un petit bijou de ľaéronautique, l'avion de ligne le plus sophistiqué actuellement en service. Dans son cockpit", rien n'a 6té laissé au hasard Toutes les commandes sont gérées par des logiciels" impitoyables : aucune erreur n'est possible. Á tel point que sur ses A 320, Air Inter avail supprimé ses dispositifs d'alarme de proximité du sol, désormais inutiles. Justement: l'avion est trop parfait. Les pilotes regrettent de ne plus sentir dans son manche ä balai* (íl n'y en a pas) les vibrations de l'appareil. lis se sentent dépossédés de leur metier. Et leur vigilance se reläche... Cette maladie provoquée chez l'homme par le contact avec les machines, et par les frustrations que provoque notre dialogue avec ces engins de plus en plus complexes, porte désormais un nom : la « technopathie ». La technopathie se traduit souvent par une peur de la machine, une paralysie devant ses reactions. D'oü des blocages, une perte de confiance en soi face ä ces claviers, écrans, boutons, et une inhibition des possibilités d'apprentissage. [...] Cela peut surtout s'avérer dangereux quand on est responsable de la sécunté de quelques centaines de passagers ou de la population voisine d'une centrale. Ce n'est done pas par hasard que ľaéronautique et le nucléaire sont les deux secteurs ou les rapports de ľhomme avec la machine sont le plus étudiés par de nombreux spécialistes : médecins, psychologues, ergonomes", sociologues, etc. [...] N'allons pas croire pour autant qu'on est ä ľabri de la technopathie quand on ne pilote ni un avion ni une centrale nucléaire : aujourďhui, la machine est partout, et de plus en plus complexe (done intimidante). Dans touš les secteurs ďactivités, des millions de gens travaillent désormais devant un ordinateur. Dans la vie quo-tidienne, qu'il s'agisse de payer son parking, de retirer de ľargent, d'aeheter un billet de train, d'innombrablcs transactions* passent par un automate plus ou moins capricieux. De plus, de trfes nombreuses industries, mémes banales - la chimie, la pharmacie ou le pétrole - font appel a des dispositifs électroniques dont la com-plexité n'a parfois rien ä envier aux tableaux de bord des Airbus. [...] Pour nous permettre de vivre en harmonie avec des machines de plus en plus complexes, les spécialistes aeeeptent désormais de considérer que les hommes ne sont pas seulement des étres rationnels. Qu'ils sont aussi, pour une grande part, et contrairement aux machines, sentimentaux, affectifs, bourrés de manies, attaches ä leurs souvenirs. Nouvelles venues dans cette grande aventure de la technique, les sciences humaines vont permettre ä ľergonomie de ne plus se contenter d'une optimisation technique des "objets, ou de l'art de placer les boutons-poussoirs au bon endroit. Destines ä dialoguer avec les humains, les objets, ä défaut ďavoir une äme*, doivcnt au moins nous rappeler la nôtre. Fabien Gruhier, Phosphore. décembrc 1992. VOCABULAIRE un cockpit: (angl.) la cabine de pilotage d'un avion un logiciel: un programme informatique un manche a balai: (aviation) la commande du gouvernail d'un avion un ergonome : un specialisté qui étudie scientifiquement les relations de travail entre ľhomme et la machine REPÉRES Airbus : voir ci-dessus p. 21. Air Inter : voir ci-dessus p. 24. une transaction: une operation impliquant la circulation d'argent ou d'information « Ä défaut ďavoir une äme » : reference aux célěbres vers de Lamartine: « Objets inanimés, Avez-vous done une äme Qui s'attache á notre ôme Et nous force d'aimer ? »