REFLEXIONS LANGUE FRANgAISE : VIE ET MORT DES MOTS L'opinion d'Alain Rey, lexicologue, DIRECTEUR LITTÉRAIRE DES DICTIONNAIRES LE ROBERT. Y a-t-il des elements positifs dans la maniere dont notre langue évolue ? A. Rey. - Le fait méme qu'elle évolue en est un. Si I'on refuse les changements, on se prepare une agónie ä la maniere latine, un embaumement. Le francais deviendra une langue morte de culture. Étre une langue en danger, c'est étre une langue vivante. La masse des emprunts ne vous géne done pas ? A. Rey. - Ce sont des échanges naturels et normaux. Si I'on parle de ľamérica-nisme dans la langue francaise, je suis ďaccord avec les gens qui le dénoncent sur un point essentiel: il n'est pas sain que ces emprunts viennent ďune source unique. J'aimerais beaucoup mieux que ľon ait en francais 30 % d'emprunts aux langues germaniques, 30 % aux langues slaves, 30 % aux langues romanes. Cest une vue de ľesprit, mais qu'il y ait un peu plus d'emprunts ä ľitalien et ä ľespagnol ne serait certes pas mauvais. Le mot nouveau doit étre jugé en fonetion de ce qu'il exprime. Si ce qu'il expnme est parfaitement exprimé par un mot francais antérieur, on a raison de se jeter sur ľintrus et de lui faire la peau", mais, s'il s'agit d'une realite nouvelle ou méme d'un emprunt de snobisme qui amuse, pourquoi pas ? Ce qui a change, ce n'est pas tant les mécanismes de la langue que la diffusion des nouveautés. Au xvif siěcle, pour qu'un mot se répande de Paris dans toute la France, il fallait trente ans. Au xixc siěcle, avec la presse quotidienne, il ne fallait plus qu'un semaine ou méme deux jours, aujourd'hui, il faut cinq minutes. Évidemment, le développement des anglicismes nous parait monstrueux parce que, dans la perception des evolutions, il n'y a plus qu'eux. Si I'on fait des statistiques, on s'apercoit que e'est trop excessif. II y a des dérapages, des exces, des phéno-měnes de saturation, mais la société insensiblement trie, construit, débloque. Propos reeueillis par Marie-Fran? oise Leclěre, Le Point, n° 1049, 24.10.1992. VOCABULAIRE lui faire la peau : (populaire) S'INFORMER 1. Quel danger court une langue qui n'évolue pas ? 2. Que pense Alain Rey de ľaméricanisation de la langue francaise? 3. Ä quelles conditions peut-on, d'apres lui, accepter l'usage d'un mot nouveau ? 4. Qu'est-ce qui distingue revolution de la langue franchise dans le passe et aujourd'hui ? ANALYSER COMPARER 5. Pouvez-vous citer des mots francais empruntés ä votre langue maternelie ou ä d'autres langues étrangeres ? Pour quelques exemples, vérifiez, ä l'aide d'un dictionnaire, si l'adoption de ce mot a bien répondu ä l'une des conditions posées par Alain Rey. 6.« Étre une langue en danger, e'est étre une langue vivante » : cette affirmation s'applique-t-elle ä votre langue matemelle ? 10