La Modification 1957 Leon Delmont, le narrateur qui s'adresse á lui-méme en se anéantirait son « réve romain ». Delmont reprendra sa vie disant« vous », prend a Pans 1 express qui doit le conduire avec sa femme. á Rome Marie, pere de quatre enfants, directeur de la L'analyse'des problěmes de ľespace et du temps succursale pansienne d une firme italienne de machines á constitue ľintérét majeur du roman. Durant ce traiet ecnre il effectue touš les mou k merne voyage. Mais, cette Paris-Rome qui materialise le déroulement linéaire de tois, Leon Delmont ne se deplace pas pour ses affaires. A ľespace et du temps, le narrateur effectue en effet par la Rome, il a en effet noue depuis deux ans une liaison avec pensée de perpétuels va-et-vient du present au passe et á Cecile, secretaire a 1 ambassade de France, et il part dans ľavenir. Retours en arriěre et anticipations forment ainsi la terme intention de ramener Cecile á Pans et d'y refaire un temps et une géographie psychiques qui, tous ensemble sa vie avec eile Au cours du voyage, lion Delmont dependent du temps et de ľespace reels, les enrichissent et « modifie » toutefois son projet. Vivre avec Cecile á Paris en infiuencent la perception. «II était comme le talisman...» Apres avoir discrětement dévisagé ses compagnons de voyage, Leon Delmont songe ä son passe avec lequel U entend rompre, ä la monotonie de sa vie conjugale, ä «toute cette existence larvaire, crépusculaire » qui était la sienne. Pour se donner le courage de la supporter et pour preparer sa fuite vers Rome, Léon Delmont s'est procure ľindicateur Chaix dont les colonnes d'horaires sont devenues pour lui le symbole de la liberté et de ľamour. O1 était comme le talisman, la clé, le gage de votre2 issue, ďune arrivée dans une Rome lumineuse de cette cure de jouvence dont le caractěre clandestin accentue ľaspect magique, de ce trajet qui vá depuis ce cadavre de femme continuant illusoirement des gestes utiles, depuis ce cadavre inquisiteur3 que vous n'avez si longtemps hésité ä quitter que parce qu'il y a les enfants dont chaque jour une s ------- vague de plus vous sépare, de telle sorte qu'ils sont lá comme des statues de cire ďeux-mémes, cachant de plus en plus leur vie que vous avez de moins en moins envie de connaitre et de partager' depuis cette Henriette avec laqueUe ü vous est impossible de divorcer parce qu'elle ne s'y résoudrait jamais, parce que, avec votre position, vous voulez éviter tout scandale (la maison Scabelli4, italienne, calottine , tartufe , verrait la chose d'un tires mauvais oeü), depuis ce boulot auquel vous ětes enchainé lo ------- et qui vous entrainerait aux fonds asphyxies de cet ocean d'ennui, de demission, de routines usantes et ennuageantes, ďinconsciencě oú eile se traine, si vous n'aviez pas ce salut, Cecile, si vous n'aviez pas cette gorgée ďair, ce surcroit de forces, cette main secourable qui se tend vers vous messagěre 1. L indicateur Chaix qui renferme les horaires officiels de la S.N.C.F. 5. Feminin du « calotin », bigot et clerical. 2. Le narrateur s adresse a lui-méme en se disant« vous ». 6. Tarťufe ou tartuffe : les deux écritures sont possibles, quand le mot 3. Hennette, la femme de Leon Delmont que celui-ci compare á un designe non pas la comédie de Moliěre (Tartuffe), mais une personne « cadavre » parce qu u ne 1 aime plus et qu eile represente le passé. hypocrite. 4. La firme italienne qui emploie Delmont. i c^ des regions heureuses et claires, depuis cette lourde ombre tracassiěre dont vous allez pouvoir enfin vous séparer de fait, jusqu'á cette magicienne qui par la gräce ďun seul de ses regards vous délivre de toute cette horrible caricature ďexistence, vous rend á vous-méme dans un bienfaisant oubli de ces meubles, de ces repas, de ce corps tôt fané, de cette famille harassante, le gage de cette decision enfin prise de rompre, de vous libérer de tout ce harnais de vains scrupules, de toute cette lächeté paralysante, ďenseigner á vos enfants aussi cette liberté cette audace de cette decision qui a illumine de son reflet, qui vous a permis de traverser sans y succomber, sans renoncer á tout, sans vous perdre á jamais, toute cette semaine1 de pluie, de cris et de malentendus, le gage de ce voyage secret pour Henriette, parce que, si vous lui aviez bien dit á eUe que vous alhez á Rome, vous lui aviez cache vos raisons véritables, secret pour Henriette qui ne salt que trop bien pourtant qu il y a derriěre ce changementd'horaire un secret, votre secret, dont eile sait bien qu ú a nom Cécile, de telle sorte que ľon ne peut pas dire vraiment que vous la trompiez sur ce point de telle sorte que vos mensonges á son égard ne sont pas complement des mensonges, ne pouvaient etre complement des mensonges puisqu'ils sont malgré tout (on a le droit de les considérer sous cet angle) une etape necessaire vers la clarification de vos rapports, vers la sincérité entre vous si profondément obscurcie pour ľinstant, vers sa délivrance á eUe aussi dans sa separation ďavec vous vers sa liberation ä eile aussi dans une certaine faible mesure, secret parce que ľon ignore, avenue de ľOpéra2, votre destination, parce que nul courrier ne pourra vous y rejomdre, alors que ďhabitude, lorsque vous arriviez á ľhôtel Ouirina3, dějá des lettres et des télégrammes vous y attendent, si bien que, pour la premiere fois depuis des années ces quelques jours de vacances seront une veritable detente comme au temps oú vous n'aviez pas encore vos responsabilités actuelles, oú vous n'aviez pas encore vraiment réussi, secret parce que chez Scabelli, sur le Corso4, personne ne sait que vous serez á Rome de samedi matin á lundi soir, et que personne ne doit s'en apercevoir quand vous y serez, ce qui vous obligera á prendre quelques precautions de peur de risquer d'etre reconnu par quelqu'un de ces employes si complaisants, si empresses, si familiers, secret méme pour Cécile en ce moment puisque vous ne ľavez pas prévenue de votre arrivée voulantjouir de sa surprise. ' Michel Butor, La Modiňcation (1957), éd. de Minuit.