« Parents, ayez confiance! » Elisabeth Gouslan. Madame Figaro. Photo : Stockbyte/PR Deux enseignants auteurs de témoignages décapants mettent en lumière de vraies crispations : des parents très exigeants avec les profs, qui eux dénoncent leur manque d'investissement . « Madame Figaro ». – Dans « Bienvenue en salle des profs ! », vous décrivez avec ironie les débuts d’un professeur dans l’univers du collège. Vous avez pris le parti d’en rire, est-ce pour dédramatiser l’éternel conflit scolaire ? Christian Muzyk. – Oui, l’humour est un moyen de défense! J’enseigne depuis vingt ans, mais si l’on veut survivre dans cet univers impitoyable, prendre un peu de recul fait beaucoup de bien. « Madame Figaro ». – Avec vous, France Doppia, on est dans le domaine de la charge. Vous en avez gros sur le coeur... France Doppia. – J’ai travaillé onze ans en école maternelle. Ce lieu ouvert accueille les parents cinq ou six par jour. Réfléchissons à ceci : l’institutrice leur ouvre toujours la porte de la classe, et cela devient très envahissant. – Il y a quelque chose de l’ordre de l’intrusion ? F. D. – Indéniablement. Les parents s’immiscent dans notre façon de travailler, nous donnent des conseils, nous demandent de pallier leurs insuffisances. En même temps, ils pensent savoir apprendre la lecture, l’écriture, le calcul. Tout en nous voulant, nous, polyvalentes. En maternelle, on est enseignante mais aussi médecin, orthophoniste, éducatrice, psychologue, assistante sociale, formations que nous n’avons pas reçues! C. M. – Avec cette particularité que les parents ne comprennent pas l’échec. L’échec est toujours imputable au professeur. – Quels sont les principaux manques que vous observez ? C. M. – Il existe un réel manque d’accompagnement. Aujourd’hui, dans la plupart des familles, les deux parents travaillent, donc ils ne sont pas beaucoup à la maison. Or ce n’est pas rien que de demander à un enfant entre onze et quinze ans d’être responsable, tout seul, même si le grand mot en vogue, de la maternelle à l’université, c’est l’«autonomie». En fait, on veut qu’ils soient autonomes pour avoir la paix, non? F. D. – Les élèves réclament de la présence. Il n’y a pas assez de chaleur à la maison. Ils se confient à nous. C. M. – Si l’on demande aux parents de rester assis à côté de l’enfant pendant le week-end, à le faire lire ou écrire, ils n’en ont pas envie, ils préfèrent lui faire faire du tennis, de la musique. – Vous relevez les aberrations des consignes de l’Académie. En ce moment, la mode est au ludique. En primaire, les dictées, les devoirs écrits et les verbes du troisième groupe, entre autres, ne sont plus obligatoires. C. M. – Depuis vingt ans, j’assiste à l’explosion d’une bombe à retardement. On ne doit plus dire d’un enfant qu’il ne travaille pas mais qu’« il doit faire des efforts ». Tous ces euphémismes ne servent qu’à masquer une réalité qui gêne : on a progressivement gommé l’impératif de travail. Il faut revenir d’urgence aux fondamentaux scolaires : savoir lire, écrire et compter parfaitement en entrant en troisième. – Que suggérez-vous pour en finir avec ce qui peut devenir un dialogue de sourds parents-école ? F. D. – Il faut que l’Éducation nationale nous facilite les choses. Ne pas être plus de vingt élèves par classe en primaire, disposer de locaux salubres et de surveillants en nombre suffisant dans les collèges et lycées. Aux parents, il est bon de répéter qu’ils peuvent avoir confiance en nous, mais qu’en retour nous leur demandons de ne pas déposer leurs enfants à l’école comme à la nursery. C. M. – J’ajouterai un mot sur les enfants, qui sont nos interlocuteurs directs. Les parents doivent les impliquer sans les terroriser. Leur faire passer le message suivant : nous allons t’aider à réussir ton parcours scolaire, mais il faut que tu réalises que c’est toi qui es en jeu. C’est à cette condition que nous tous, enseignants et parents réunis, pourrons faire l’éloge du travail et du courage! * «Maternelles à la dérive », de France Doppia, éd. Fayard. ** «Bienvenue en salle des profs ! », de Christian Muzyk, éd. Albin Michel. http://archives.madame.lefigaro.fr/enfants/20061004.MAD0006.html