Rencontre avec Maryše Condé « Usez-moi t» A 76 ans, la romanciěre guadeloupéenne, qui publie son vingtiěme livre, se plaint de netře toujours pas connue en France. Histoire ďune vie engagée En attendant la montée des eaux, par Maryše Condé, Jean-Claude Lattěs, 370 p., 19 euros. F u-rieuse. La grande figure des lettres guadeloupéennes, regard de velours et verbe charmeur, contient mal son amertume, dans 1'appartement du Marais oú elle vit six mois par an. « Pourquoi suis-je á ce point ignorée dans mon propre pays ?J'écris pourtant depuis 1976. Unjour, j'ai rencontre une trentaine de libraires. Aucun ne connaissait mon travail. Cest incroyable.» Son parcours est en effet passionnant á plus dun titre. 1934. Maryše Condé nait á Pointe-á-Pitre, derniěre ďune famille de 10 enfants. Brillants sujets : 1'un de ses fréres, Auguste, est le premier agrégé de lettres guadeloupéen (promotion Césaire). Maryše s'installe en France á 16 ans. Studieuse, obéissante, rangée, elle découvre alors les écrits du grand manitou de la négritude, et ressent une emotion si forte que sa vie en sera chan-gée pour toujours.« Cest avec Césaire que j'ai découvert qu'on m'avait menti. Qu'on avait oublié, dans mon education, quelque chose denorme : I'Afrique.» L'esclavage, sa vie, son ceuvre. Tandis quelle dévore ce noir chapitre de l'histoire hu-maine, Maryše Condé s'accommode de moins Editions Amalthée Vous écrivez? Les Editions Amalthee recherchent de nouveaux auteurs Pour vos envois de manuscrifs : Editions Amalthee 2 rue Crucy - 44005 Nantes cedex 1 Tel. 02 40 75 60 78 www.ed/fions-ama/fhee.com Née en Guadeloupe, Maryše Condé a enseigné ä Harvard, en Virginie, ä Columbia surtout. Elle vit ä New York et á Paris. en moins des discours officiels. On la renvoie du lycée Fénelon pour insubordination et impertinence. Elle poursuit alors ses études á la fac, et rencontre un acteur guinéen qui lui fait découvrir le continent africain. Elle y passera douze ans. Mais son manage, motive, dit-elle, par d'autres raisons que Famour, prend Feau. Surtout, I'Afrique n'est pas cet éden quelle croyait, le jardin de roses de la négritude. « Quand je suis arrivée en Guinée, je pensais que tous les Noirs étaient fréres Et void que je découvrais la dictature, la vrak réalité du pouvoir africain. Je voyais Sekou Touré, ma-gnifique, défiler dans une voiture décapotée sous les applaudissements du peuple etj'ap-prenais le lendemain I'existence du camp Boiro, les gens executes, á commencer par le mari de ma sazur qui était ambassadeur. Tout cela me préoccupait, m 'habitait.» Maryše Condé revient en France, travaille dans les bureaux de « Presence africaine », le fief de Césaire. «Evenait tous les samedis. H était sauvage et timide. Pas causant. Je n'au-rais pas ose lui parier de mon ceuvre ni de la sienne J'aurais eu un peu lionte. Quoi lui dire ? Je vous admire ? Cest běte. On ne parlait de rien.» Maryše Condé, en tout cas, se fait connaítre avec des livres comme « Ségou » ou «Desirada». Succěs populaires, ďestime aussi. Mais la reconnaissance officielle tarde ä venir. «Apres "Ségou", je suis restée trois ans au chómage. Jusqu 'á ce qu 'une universitě américaine me propose un poste.» Les EtatsUnis, au temps de la premiére guerre du Golfe et de l'encore populaire George Bush, ne font réver ni Maryše Condé ni son mari. Mais ils partent s'y installer, et découvrent un pays plus accueillant qu'ils ne 1'auraient cru. La romanciěre enseignera plus de dix ans ä Columbia University, á New York. Elle y passe encore les hivers, préférant les ciels bleus, éclatants et froids de Manhattan á la grisaille parisienne. Et puis, aux Etats-Unis, eile est au moins reconnue. «En attendant la montée des eaux », son dernier livre, réveillera-t-il la curiosité des lecteurs francais ? Savam-ment orchestrée, ponctuée ďexpressions qu'elle a su, entre Guadeloupe, Guinée, France et Etats-Unis, tisser dans un entrelacs linguistique image et personnel, cette fresque polyphonique se nourrit des thěmes qui la hantent : misěre du tiers-monde (le roman se déroule en partie en Haiti, et Maryše Condé confie que cest en découvrant la haine des Guadeloupeens pour les nombreux immigrés haitiens dans 1'íle qu'elle a eu envie ďécrire le livre), indigence des pouvoirs politiques en Afrique, influence néfaste des nations coloni-satrices. On voit que la romanciěre antillaise, pour ne plus militer comme autrefois aux cotés des indépendantistes, n'a pas enterré la hache de guerre. Surtout quand eile parle de son désespoir de voir la Guadeloupe demeurer cette ile sans avenir qu'elle aimerait voir un jour voler de ses propres ailes :« La Guadeloupe est intrin-sequement vieillotte. Elle ne produit rien. On vient en Guadeloupe á cause du systéme francais, des allocs, mais iln'y a aucune créativité, rien de novateur, beaucoup de conformisme et une grande peur de I'autre.» DIDIER JACOB 4-10 NOVEMBRE 2010 • 55