Monde TEMOIGNAGE Que la dissidence etait belle! Celui qui fut Tun des heros de la resistance tcheque au pouvoir communiste, puis president de son pays de 1989 a 2003, avait accorde au "Nouvel Observateur" a Prague, il y a quatre ans, un long entretien a l'occasion de la parution de ses Memoires, "A vrai dire. Livre de 1'apres-pouvoir". Extraits PAR VACLAV HAVEL La resistance Ä Avant la chute du Mur, il y a eu une periodě trěs extraordinaire oil tons les artistes et écrivains, dans un cli mat de semi-dictature, s'adressaient ä des spectateurs ou ä des lecterns qui savaient magnitiquemcnt com-prendre et lire entre les lígnes. Tout trouvait un echo. A cette époque, la culture jouait un role soeial essentiel Ce qui n'existe plus aujourd'hui dans notresociétédeliberté. Nousécrivions dans une zone qui se situait entre ce qui était autoriséetinterdit. Nousl'ap-pelions la « zone grise»Les temps de la dissidence étaient ä lafois sombres etlumineux. Meine lesannées lesplus noires, celles de prison, m'ont d'une ccrtaine maniěre enrichi. [...] Durant tont.es ces années de lutte contre le communisme, il était pour nous, Tehécoslovaques, trěs difficile ďavoir des relations suivies avec nos homologues dissidents de Hong lie, de Pologne ou d'ailleurs. [...] Je n'ai jamais raconté cette anecdote. En Í978, nous avions organise une rencontre clandestine entre dissidents ä la frontiěre tchéco-polonaise. Cette rencontre était biensůr trěs sui"veilléc par les polices secretes tchéque et polonaise. On ne savait jamais si ia police ne connaítrait pas k 1'avance ie lieu de nos reunions. On courait Ie risque d'etre arrété ou d'avoir ä se disperser im medialem ent. On avait done riiabitude de preparer ä l'avance une declaration et de lasigneravantmemc de commencer ä discuter pour étre surquerunďentrenous pourraitdis-paraitre avant une descente de police. Cette fois-ci, j'avaisete charge de rédi-gernotre future declaration quand la police débarqua chcz moi pour per-quisitionner. Si eile découvrait le texte antidaté, not re rencontre aurait čté Vaclav Havel, m'se en danger et les efforts de alors porte-parole dizaines de personnes auraient ete du mouvement vains. J'ai profile d'un instant d'inat-dissident tciieque tent ion des policiers pour froisser la Charie 77 en mai precieuse declaration dans ma main. 1978, dans sa maison Assistait a la perquisition un voisin deHragecek Que te ne connaissais pas. La police avait en eft'et l'habitude deconvoquer un« temoininclependant ^pourprou-verque la perquisition sc deroulait en bonne et due forme. J'ai alors glissele papier dans sa main avec le risque qu'il me denonce sur-le-champ. II est reste impassible. Un moment apres, il a pretexte une excuse pour regagner son domicile. Quelques hemes plus tard, la police m'a conduit jus que chez lui pour qu'il appose sa signature au proce s-verbal. II n'a pas eu un regard pour moi. En partant, je me suis retourne. II m'a fait alors unsignedis-cret de victoire. Cet homme qui nous a sauves, je ne l'ai (amais revu. [...1 La chute du communisme La dissolution en 1991, a Prague, du pacte de Varsovie a ete pour moi 1'eve-nement historique sans doute le plus important auquel j'tii participe, et dont les jeunes de 2QW ne peuvent mesurer i'ampleur. J'ai annonce en tant que representant de mon pays, qui presi-dait le dernier sommet du pacte, qu'il venait d'etre dissous. Je me suis retrouve liquidateur d'une des deux plus puissantes alliances militaires d u monde. Les armees sovietiques demeuraient sur les territoires des «pays freres». Cet evenement inou'i s'est passe a Prague, dans la ville meme qui avait ete envahie, attaquee par ce meme pacte vingt-trois ans plus tot. Goibatchev n'est pas venu assister ace sommet autodestructeur. u s'etait fait rem placer par son vice-president, lanai'ev, un triste sire alcooliquc qu'on aurait cm tire deDostoi'evski. [...] gOrbatchevest pour moi une figure tragique. II a essaye de soulever le cou-vercle sovietique. La marmite lui a explose au visage. Ses merites histo-riques sont cependant enormes. Sans lui, Ie communisme se serait sans doute cftbndre. Mais peut-etredixans plus tard, et Die u sail de q uelle maniere sauvage et sanglante. II avait reve de reformer ie systeme. II aentrouvert une porte sans imaginer que tout Ie monde allait syengoufirer...ettoutbousculer sur son passage. L'Occident Sous le communisme, nous savions que nous faisions panic intcgrante Lo Nülrvel Obi_ervnteur32 DÉCEmbre 2011 - n : £4$9&inKJ de la civilisation oce i de male, dont on nous avait arbitra i re ment séparés pendantplusieursdecennies.il nous fal 1 ait avec passion rattraperle retard historique accumulé pendant Tére soviétique, L'Otan, ['Union euro-péenne: en vrais cosmopolites, nous voulions tout. En 2007, nous appar-tenons complětement a l'Europe. Des generations nouvelles emergent qui n'ont jamais connu le commu-nisme. Aprěs la chute du Mur, nous étions tous, en Furope centrále libé-rée, éperdument intcrnationalistes. Et pourtant nous assistons aujour-ďhui, sunout en Pologne, au retour des demons du nationalisme, en reaction contre le cosmopolitisme antérieur. Mais il nc s'agit pas pour moi ďun phénoméne fatal. Nous allonspouvoirsurmontercettemau-vaise vague égolste, née de la erainte et du manque de clairvoyance. Mon principál sujet ďinquiétude n'est pas aujourďhul, cela pourrasur-prendre, le terrorisme. En téte de mes preoccupations, il y a la«dynamique» suicidaire de 1'cvolution de notre civilisation planétairc. Comme si on s'obstinait á ne se donner que des objectifs á court terme, alors que lc sort de la planete exige un sens de ['anticipation plus algu et volontaire. Pour la premiére f'ois dans 1'his-toire, nous assistons au développe-ment sans frein ďune civilisation délibérément athée. II faur s'en alar-mer. Quant a moi, je ne suis croyant qďá moitié, car je tťadhěre complé-tement ni á un Dieu unique ni á une religion révélée. J'ai pourtant la certitude que tout ce qui se passe dans le monde n'est pus I'effet du hasard, Je suis convaincu qu'il y a un étre et une force voiles sousun manteau de mystěre. Et e'est ce mystěre qui me fascine. Je trouve par exempie que l'Union européenne actuelleest trop materialisté et technocratique. S'occuper des tarifs douaniers n'est certes pas une táche inutile. Mais tellement insuffi-sante. II manque un souffle politique á l'Europe. Une vraie dimension spi-rituelle. Avez-vous lu la declaration commune récente publiée á 1'occas io n du cinquantieme anniversaire du traité de Rome? Elle est d'une indigence affligeante, indigne du plus mediocre éditorialiste pro-européen, Hfautréveillerl'Europe!99 v.H. Le Nnuvel Obsvrvn rcu t ] 1OECE W - h* 34SŮ