Pourquoi les couche-tôt ont tout compris Par Valérie de Saint-Pierre | Le 02 janvier 2017 Il serait temps de se réveiller : pour être au goût du jour, mieux vaut soigner ses nuits. La tendance appartient à ceux qui se couchent tôt, qui passent en mode veille, pour mieux recharger les batteries. Il n’aura échappé à personne que le nouveau président des États-Unis n’est pas le roi de la tendance. Nous ne reparlerons pas de son brushing jaune ni de son teint orange. Il y a bien pire comme offense aux bonnes mœurs trendy ! Par exemple, son obstination à se vanter virilement de ne dormir - depuis toujours - que quatre heures par nuit ! Ce mépris affiché des charmes de Morphée n’est guère branché… Au contraire, jamais le sommeil n’a été aussi à la mode. Exit la mythologie des battants drogués au café (ou à autre chose !), si créatifs après une sieste flash ! Et vive les jeunes gens éclairés qui savent qu’il faut éteindre la lumière (et les écrans) avant trois heures du matin… Il n’est pas neutre que le numéro de novembre du magazine Néon, destiné aux 25-35 ans dans le vent, affiche en une « le tuto qui va te faire dormir comme un bébé », avec huit pages de conseils (le bon matelas, le bon pyjama, etc.), que n’aurait pas reniés la presse senior il y a seulement quatre ou cinq ans ! Morphée connecté Dormir n’est plus un truc de papy rassis Dormir n’est visiblement plus un truc de papy rassis. La preuve ? Toutes sortes de start-up se bousculent désormais au portillon techno pour nous aider à vivre des nuits plus belles que nos jours. Du Dodow - petit boîtier qui aide à synchroniser sa respiration sur celle d’un moine bouddhiste - au pyjama Lunya - qui permet au corps d’atteindre la température idéale du repos -, en passant par Dreem - bandeau qui améliore le sommeil profond -, on est assez loin de l’huile de lavande ou de la camomille à la papa. Qui eût cru que « marchand de sommeil » deviendrait un job acceptable ? Quant aux jeunes chefs d’entreprise lancés, ils détaillent désormais plutôt leurs rituels de coucher - en anglais, « bedtime manners » - que leurs astuces pour tenir avec des nuits courtes. Ils le font volontiers sur des sites spécialisés, comme hillhousehome.com, inventeur du concept de « bedding » (prétexte, il est vrai, à vendre toutes sortes de draps et couettes luxueux). Endormir les trentenaires ? Comment en est-on arrivé à valoriser ainsi le gros dodo comme ultime geste de révolte contre la pression productiviste et l’aliénation - pour reprendre les propos du philosophe Jonathan Crary dans le Capitalisme à l’assaut du sommeil (éd. La Découverte) ? Tout simplement parce que le sommeil contemporain est une denrée rare. Et que ce qui est rare nous devient cher… La fameuse génération « zombie » a vu ses nuits saccagées par les nouvelles technologies. En dix ans, les moins de 30 ans ont perdu une heure de sommeil, et un tiers d’entre eux ne dormiraient plus en moyenne que six heures par nuit (alors qu’il faudrait entre huit et dix heures de repos). Selon les professionnels, ils « oublient » purement et simplement de dormir : merci le streaming, les jeux, les chats, les réseaux sociaux, etc. Les adultes, et tout particulièrement les femmes qui cumulent les impératifs travail et famille, ne sont pas en reste, travaillant ou surfant sur leurs tablettes jusqu’à des heures indues, avant de sombrer dans une nuit peu réparatrice, émaillée de soucis et d’insomnie. La nuit américaine Arianna Huffington s'est muée en égérie de la reconquête du sommeil Le cas d’Arianna Huffington, la célèbre fondatrice du Huffington Post, est à cet égard emblématique. De « burn-outée » célèbre - en 2007, ses dix-huit heures de boulot quotidiennes l’ont conduite à l’hôpital -, elle s’est en effet muée en égérie de la reconquête du sommeil. Il s’agirait selon elle d’une urgence sanitaire majeure. Et de la vraie clé du succès personnel et professionnel. Dans le best-seller sorti en avril dernier The Sleep Revolution (éd. Harmony), elle fustige en effet « le peu de prix que l’on accorde au sommeil, dans une société encore dominée par les valeurs masculines, où il est de bon ton de se vanter d’être claqué, rincé, vanné ». Sous-entendu : « Je bosse moi, madame ! » Pour la chef d’entreprise, qui a démissionné du Huffington Post en août dernier pour se consacrer à Thrive Global, start-up dédiée à la lutte contre la fatigue, nous avons tout faux ! Nous ne sommes pas des petits soldats au front. Le culte contemporain de l’épuisement permanent ruine la capacité à se concentrer, il a un vrai coût social et économique. Bref, il est temps que nous nous réveillions : il FAUT dormir ! Le credo dodo Et Arianna de dispenser moult conseils de sanctuarisation de la chambre à coucher, parfois surréalistes (le stylo lumineux pour noter un rêve et se rendormir illico ?) mais captivants (un oreiller farci à l’orge et au houblon, vraiment !). Son « Sleep Revolution Tour » sur les campus des élites américaines est aussi allé dispenser, au printemps dernier, la bonne parole pro-dodo aux « winners » de demain. Dommage qu’il ne soit pas encore passé par le lycée de nos enfants, de la chambre desquels on voit toujours sourdre une petite lumière bleue suspecte, vers minuit…