Article réservé aux abonnés Des étudiants manifestent, vendredi 15 mars, à Paris, lors de la marche pour le climat. GONZALO FUENTES / REUTERS En cet après-midi ensoleillé de février, la foule se fait dense sur la place de l’Opéra, à Paris. Des centaines de lycéens se sont réunis pour défiler en faveur du climat. « Où est-elle, où est-elle ? » Les badauds se pressent, des étudiants jouent des coudes pour l’apercevoir. Visage poupin encadré de longues nattes brunes, Greta Thunberg prend la parole : « Nous, les jeunes, ne devrions pas avoir à faire cela. Mais comme les adultes ne prennent pas leurs responsabilités, nous agissons. » En quelques semaines, la Suédoise de 16 ans est devenue le symbole d’une jeunesse européenne qui, comme dans 120 pays dans le monde, bat le pavé pour sommer les dirigeants d’agir enfin pour l’environnement. Cette mobilisation en dit long sur le fossé entre les moins de 25 ans et la classe politique. « Le climat est un sujet majeur pour beaucoup de jeunes », note Vincent Cocquebert, auteur de Millennial burn-out (Arkhê, 216 pages, 17,90 euros), un essai sur la génération née entre 1980 et 2000. Avant de nuancer : « Mais il serait problématique d’oublier que ceux-ci constituent un groupe hétérogène et éclaté, aux aspirations très différentes. » Comment cerner, malgré tout, ce à quoi rêvent les jeunes des 28 pays membres ? Les idéaux des pères fondateurs de l’Europe les inspirent-ils encore ? Quel regard portent-ils sur l’Union européenne (UE) ? Les résultats des élections européennes de 2014, ainsi que les enquêtes menées par la Commission depuis, apportent quelques éléments de réponse : dans l’ensemble, ils se sentent plus européens que leurs aînés mais croient moins à la politique. Il y a cinq ans, seuls 28 % des électeurs de moins de 25 ans sont allés voter, contre 42,5 % pour l’ensemble de la population. Malgré tout, les moins de 25 ans tiennent à l’Europe : d’après l’Eurobaromètre de mars 2018, 61 % se définissent comme attachés à l’Union européenne, contre 56 % pour l’ensemble de la population, et ils sont plus nombreux à penser que l’UE est une bonne chose pour leur pays. « La rejoindre a ÉCONOMIE Les jeunes Européens entre espoir et réalisme Fractures européennes 3|5. Touchés de plein fouet par la crise de 2008, les jeunes ont le sentiment que leurs aspirations ne sont pas assez prises en compte par le monde politique. Par Marie Charrel, Marina Rafenberg, Blaise Gauquelin et Anne-Françoise Hivert • Publié hier à 02h47, mis à jour hier à 15h45 Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 1 sur 7 05/04/2019 à 14:29 transformé la Slovénie : désormais, nous sommes libres de traverser les frontières et d’étudier à l’étranger », témoigne ainsi Patrik Bole, 22 ans, étudiant en sciences sociales à Ljubljana. Mais les institutions ne sont pas assez démocratiques, et cela alimente la défiance des citoyens. » « Des mesures inhumaines » Comme lui, ils sont nombreux à Paris, Bucarest et Lisbonne, à regretter le manque de transparence de la Commission, du Parlement ou du Conseil. A vrai dire, leur fonctionnement ne les passionne guère. Ce que déplore Rosaline Marbinah, présidente du Conseil national des organisations de la jeunesse suédoise. « On manque d’information et d’éducation sur l’Europe. A l’école, on passe très vite sur le sujet et encore, souvent ce n’est que pour aborder les questions institutionnelles, ce qui est loin d’être suffisant. » Les politiques, ajoute-t-elle, sont également responsables : « Quand ils parlent de l’UE, c’est de Bruxelles et non de l’Europe présente dans notre vie de tous les jours. Il y a une mise à distance. » Pourtant, les jeunes Suédois, largement anglophones, sont tournés vers l’international. Ils voyagent, étudient à l’étranger. « Mais finalement, nous sommes plus américanisés que concentrés sur l’Europe », remarque Rosaline Marbinah. Après le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’Australie sont les deux destinations préférées des étudiants pour les programmes d’échanges. Dans la zone euro, la distance à l’égard de l’Europe s’est creusée lors de la crise de 2008. « Elle a rendu les jeunes bien plus critiques sur le projet européen », analyse Joao Pinto, Portugais et président du Réseau des étudiants en Erasmus (Erasmus Student Network, ESN). Il faut dire qu’ils ont été les premières victimes de l’effondrement de l’emploi durant la récession, et des politiques d’austérité qui ont suivi. Le taux de chômage des moins de 25 ans a ainsi culminé à près de 25 % dans l’union monétaire début 2013, selon Eurostat, contre 10,8 % pour les plus de 25 ans. Aujourd’hui encore, l’écart est de neuf points. Lire aussi | En Europe, le marché de l’emploi porte encore les stigmates de la crise de 2008 Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 2 sur 7 05/04/2019 à 14:29 Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 3 sur 7 05/04/2019 à 14:29 INFOGRAPHIE LE MONDE Alors que l’Europe du Nord a quasiment renoué avec le plein-emploi, les séquelles de la récession sont encore prégnantes en Europe du Sud. En Grèce, en Italie, en Espagne, près d’un jeune actif sur trois est encore au chômage. Plus des deux tiers des jeunes Espagnols, Portugais et Italiens occupent des jobs temporaires (contre respectivement 26 %, 21,5 % 15 % pour les plus de 25 ans). « Ceux arrivés sur le marché du travail pendant la crise en payeront le prix tout au long de leur carrière, souligne Zsolt Darvas, économiste au centre de réflexion Bruegel, à Bruxelles. La période de chômage à la sortie des études pèsera longtemps sur leur progression de salaire et de poste. » INFOGRAPHIE LE MONDE INFOGRAPHIE LE MONDE C’est encore plus vrai pour ceux quittant l’école sans diplôme. Ainsi, la part des jeunes sans emploi, ni en formation, ni en études (les NEET en anglais, pour not in education, employment or training) est notoirement plus élevée au sud, où le système scolaire échoue à offrir une alternative aux élèves en difficulté : elle dépasse les 20 % en Grèce et en Italie pour les 15-29 ans, contre 13,9 % en France et 13,4 % dans l’UE. En dépit de ces difficultés, 57 % des jeunes Grecs se déclarent toujours profondément attachés à l’UE, d’après l’Eurobaromètre de mars 2018. C’est plus que les Français du même âge (52 %). « Nous ne pouvons pas toujours rejeter la faute sur l’Europe, la Grèce a pâti de gouvernements incompétents qui ont mené le pays à la faillite », reconnaît Vassilis Karydas, 24 ans, parti à Berlin pour suivre un master en finance. Yannis Lappas, lui, se montre plus dur à l’égard de l’Union et de l’austérité imposée à la Grèce pendant la crise. « Des mesures inhumaines, et contre-productives, n’encourageant aucunement la croissance durable ont été prises », estime cet étudiant en physique à l’Ecole polytechnique d’Athènes. Lui compte voter aux élections de mai. Il aimerait rester en Grèce. Mais confie : « Je ne suis pas sûr de trouver un emploi correct ici : les salaires restent très bas. Alors, je me fais de plus en plus à l’idée d’aller dans un autre pays. » Selon les estimations, de 300 000 à 400 000 jeunes ont déjà fait leurs valises depuis 2010. Lire aussi | Salaires, retraites, dette... dans quel état est la Grèce après 8 ans d’aide ? Partir pour une vie meilleure. A l’Est aussi, les jeunes sont nombreux à quitter leur pays pour rejoindre les métropoles allemandes ou britanniques, dans l’espoir de décrocher un emploi mieux rémunéré. Le phénomène s’est accéléré lorsque les pays de l’ex-bloc soviétique ont rejoint l’UE, permettant la libre circulation des personnes. Aujourd’hui, les étudiants partent de plus en plus tôt. Une fuite des cerveaux qui inquiète « Une grande proportion des élèves ayant décroché leur baccalauréat dans des lycées d’excellence quittent désormais le pays pour entamer leurs études, s’alarme Gabor Zoltan Szücs, politiste du Centre de recherche en sciences sociales de Budapest, en Hongrie. Dans certaines écoles, plus de la moitié d’entre eux choisissent de s’exiler, et de plus en plus de sociétés sont montées pour aider les jeunes à intégrer des facultés étrangères. » Cette fuite des cerveaux commence à inquiéter les pouvoirs dans la partie orientale de l’Union, quelle que soit leur couleur politique, car elle accentue dangereusement le déclin démographique de la région. INFOGRAPHIE LE MONDE La fragilité des jeunes face à l’emploi, leurs aspirations à des salaires corrects ou à un meilleur cadre de vie sont pourtant peu prises en compte par la classe politique, estiment beaucoup d’entre eux. « Les marches sur le climat l’illustrent également : nos voix et nos besoins sont trop peu entendus par les partis, et c’est un problème pour la démocratie », regrette l’Autrichienne Carina Autengruber, présidente du Forum européen de la jeunesse, une plate-forme regroupant une centaine d’organisations de jeunesse du continent. « Ils ne prennent pas notre expertise au sérieux », ajoute Julia Reda, 32 ans. A 16 ans, cette Allemande a rejoint le Parti social-démocrate (SPD) dans son pays. Convaincue de l’importance à venir de la révolution numérique pour l’emploi et la démocratie, elle désirait y faire avancer ses idées. En vain. « Rien ne bougeait : le SPD est prisonnier de son électorat vieillissant », Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 4 sur 7 05/04/2019 à 14:29 regrette-t-elle. En 2009, elle l’a quitté pour rejoindre le Parti des pirates allemand, créé trois ans plus tôt : « Là, ma voix a tout de suite compté. » En 2014, à 28 ans, elle est entrée au Parlement européen (elle est l’unique représentante des pirates), où elle s’est attaquée à l’épineux dossier des droits d’auteurs. Aujourd’hui, elle espère que son exemple aura inspiré des vocations. Et contribuera à rajeunir le prochain Parlement européen, afin qu’il représente plus fidèlement la société. « Ce n’est pas uniquement une question de symbole, explique-t-elle. Au-delà de la poussée populiste, c’est aussi l’un des grands enjeux de ces élections. » Tout comme, conclut-elle, la prise en compte de l’urgence climatique. Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 5 sur 7 05/04/2019 à 14:29 Revenus, emplois, industries... les fractures européennes A quelques semaines des prochaines élections européennes, qui auront lieu le 26 mai en France, « Le Monde » publie une série en cinq volets sur les grandes fractures qui marquent le Vieux Continent. 1/5 L’Europe à l’épreuve des inégalités 2/5 L’Europe et les mutations de l’emploi 3/5 L’Europe et la jeunesse 4/5 L’industrie européenne en ordre dispersé Inégalités : les écarts de revenus ont augmenté partout en Europe • Pourquoi l’Europe avance à tout petits pas sur le social• Les Scandinaves, vrais faux champions de l’égalité• Les paradoxes du modèle français• Précarité, automatisation... Face aux mutations de l’emploi, l’Europe en ordre dispersé • Une mobilité des travailleurs relative et toujours contestée• Dans le Bade-Wurtemberg, les entreprises s’organisent face au plein-emploi • « En France, on ne se dit pas qu’il vaut mieux tout plutôt que le chômage » • Les jeunes Européens entre espoir et réalisme• Hormis Erasmus, des avancées bien timides• « Je me suis résolu à partir » : les Italiens émigrent en masse• La France mise sur l’apprentissage comme arme antichômage• Face à la Chine et aux Etats-Unis, l’industrie européenne vacille• InvestEU succède au « plan Juncker », qui a démontré son utilité • A Figeac, le succès méconnu de la « Mecanic Vallée »• En Espagne, l’industrie n’a pas dit son dernier mot• Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 6 sur 7 05/04/2019 à 14:29 Marie Charrel , Marina Rafenberg (Athènes, intérim) , Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant) et Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale) Les jeunes Européens entre espoir et réalisme https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/0... 7 sur 7 05/04/2019 à 14:29