2 Le jeu : un outil précieux en classe de FLE « Le jeu est la joie. L’apprentissage par le jeu est un apprentissage joyeux. » Comenius 2.1 Le rôle du jeu dans l’apprentissage Gilles Brougère a intitulé son ouvrage concernant les jeux dans le contexte pédagogique Jouer/Apprendre. Il justifie le choix de ce titre par l’effort de penser les relations complexes entre jeu et apprentissage. « Il s’agissait, d’où le titre, de refuser autant l’évidence d’une association (jouer et apprendre), que celle de l’opposition (jouer ou apprendre). »*31] François Weiss prône les jeux comme un outil idéal pour l’acquisition de la compétence de communication, tant préconisée par des approches communicatives. Il est persuadé qu’« il est indispensable de créer en classe un contexte favorable à un entrainement valable et motivant pour communiquer et réemployer de façon personnelle et nouvelle les moyens linguistiques et sociolinguistiques appris » et que les jeux présentent un moyen idéal.[32] La question du rôle des jeux est mentionnée brièvement aussi dans le Cadre européen commun de référence, d’après lequel « l’utilisation de la langue pour le jeu ou la créativité joue souvent un rôle important dans l’apprentissage (...). En milieu scolaire, on pourrait penser à une liste différente ou complémentaire d’activités pédagogiques incluant les aspects ludiques de la langue, notamment à l’école primaire ».[33] Hélène Vanthier rappelle que l’enfant découvre naturellement le monde à travers le jeu. Ce dernier sollicite l’attention, l’activité et la concentration tant de l’enfant que de l’apprenant.[34] Par ailleurs, le rôle du jeu dépend de sa place dans une séquence d’apprentissage. Nous adoptons le schéma méthodologique d’une unité d’apprentissage de François Weiss qui comporte six phases : 1. sensibilisation, 2. apprentissage des moyens linguistiques et sociolinguistiques, 3. exercices d’application, du réemploi et de la fixation des éléments nouveaux, 4. exercices de transfert, d’exploitation, de personnalisation, 5. résolution des problèmes nouveaux, 6. évaluation.[35] Nous développerons et commenterons les phases les plus intéressantes du point de vue de l’exploitation ludique. 2.1.1 La sensibilisation par un jeu La sensibilisation équivaut à l’initiation, l’intérêt des élèves. Il s’agit du début d’une séquence nouvelle. Pendant cette phase, l’enseignant rappelle les compétences et connaissances apprises dans une séquence antérieure et les met en relation avec celles qui sont à acquérir. Il définit les objectifs visés, il tente de susciter l’intérêt des élèves. Un jeu bien choisi et présenté, peut mobiliser leurs connaissances acquises et ébaucher de nouvelles qu’ils vont découvrir. Il peut idéalement apporter le besoin et le goût de découvrir certaines informations. Chaque pourquoi ? ou comment ? qui résonnent dans la tête des élèves au cours du jeu vont les approcher de la leçon suivante. La pédagogie oublie souvent ce qui est sacré en économie : la demande doit précéder l’offre. Le client qui manque le produit que nous tentons de lui vendre est le client que nous cherchons. Or, s’il ne se rend pas compte qu’il a besoin de notre produit, nous devons le lui d’abord montrer, présenter, expliquer. Analogiquement, si l’élève demande ce que nous avons à lui offrir, notre marché aura les meilleures chances. 2.1.2 Le jeu au lieu des drills Il y a peu d’élèves qui aiment les drills (exercices d’application, du réemploi et de la fixation des éléments nouveaux). Ces types d’activités sont monotones, ennuyants, dépourvus du contexte, coupés de la réalité. Cependant, il est indispensable de travailler soigneusement et de répéter et réutiliser certaines formules autant que possible pour acquérir de la spontanéité. Surtout en ce qui concerne l’expression orale. C’est ce que Nicole Décuré prononce du jeu qui : peut servir constamment pour la pratique et le renforcement (acquisition des structures et du vocabulaire, création d’automatismes) remplaçant ainsi les drills de laboratoire tombés à tort en désuétude, et surtout pour améliorer l’aisance dans le maniement de la langue, l’expression libre et spontanée, ce but vers lequel tendent idéalement la plupart des cours de langues.[36] 2.1.3 Le jeu pour résoudre des problèmes nouveaux Selon François Weiss, la phase de résolution des problèmes nouveaux est la plus importante. Les activités ludiques permettent aux apprenants surtout d’utiliser librement et de façon personnelle le vocabulaire et les structures appris (…). En effet, l’expression quasi spontanée au cours d’un jeu (…) permet à l’élève de montrer qu’il est capable de mobiliser le vocabulaire et les structures de la méthode utilisée en classe d’une façon différente, nouvelle et créative.[37] 2.1.4 Le jeu au lieu des tests Il est nécessaire d’abord de bien distinguer l’évaluation sommative et l’évaluation formative. Nous soutenons l’avis de Haydée Silva qu’il ne faut jamais associer le jeu et l’évaluation sommative.[38] Ainsi, afin de maintenir le caractère ludique, nous ne pouvons pas distribuer des notes après un jeu. Nous ne devrions même pas distribuer des points qui seraient plus tard comptés et qui auraient constitué une note. Pour récompenser les gagnants ou pour pénaliser les vaincus ou bien les tricheurs, il y a toute une variété des gages et récompenses. Nous citons une sélection des gages dans l’Annexe 1. Si la performance au cours d’un jeu était notée, l’élève ressentirait de la pression. Par contre, l’enseignant peut délivrer l’élève du stress en remplaçant l’évaluation formative par un jeu avec cet objectif. Lorsqu’on impose à l’élève un test, il attend une note. Or, l’enseignant n’a pas vraiment besoin de cette note. Il n’est pas nécessaire de distribuer des notes pour révéler les points forts et les points faibles des élèves. Ceux-ci ne doivent même pas savoir que cette évaluation a lieu. L’enseignant observe attentivement la performance des élèves au cours du jeu. Après le jeu, il peut la commenter de façon à orienter et à faire progresser ses élèves. N’est-ce pas le but de l’évaluation formative ? Très utile pour l’enseignant luimême, le jeu sert du feed-back de son travail. Il voit si les élèves ont bien compris le contenu, s’ils le maîtrisent suffisamment ou s’il faut encore le travailler en classe. 2.2 Le jeu au centre Les jeux sont encore très sous-estimés, souvent vus comme des « bouche-trous » pour passer le temps de dernières leçons avant les vacances, pour occuper les élèves qui n’ont pas encore obtenu le manuel, etc. Nicole Décuré constate que le jeu n’est pas une activité périphérique, or, il devrait être central dans une classe de langue comme il met l’apprenant en situation de communication, ce qui est primordial.[39] François Weiss consente que « les activités ludiques présentent peut-être la situation la plus "authentique" d’utilisation de la langue dans la salle de classe et elles permettent aux élèves de franchir un pas important dans le processus d’apprentissage. »[40] Hélène Vanthier plaide pour les jeux en définissant triple dimension du jeu : Premièrement, la dimension ludique qui se manifeste par un enjeu (quelque chose à gagner, un obstacle à surmonter) et par une part d’inconnu (hasard, imprévisibilité). « À la différence de l’exercice, le jeu implique la personne, alors que dans l’exercice l’élève ne met en "jeu" que sa compétence linguistique. »[41] Deuxièmement, le jeu mène à « parler pour agir » et il possède donc une dimension langagière et cognitive. Il contribue à l’acquisition des compétences communicatives et métalinguistiques. Finalement, le jeu favorise simultanément les compétences pragmatique, sociale et culturelle, d’où sa dimension socialisante. L’auteur explique que le jeu nécessite « la prise en compte de l’autre et le respect de règles valables pour tous permettant le savoir-jouer/savoir-vivre ensemble. »[42] La dimension socialisante du jeu en classe de langue est due au travail collectif des apprenants au cours du jeu, c’est-à-dire le travail de groupe. 2.3 Le travail de groupe Les interactions dans la classe varient selon le mode d’organisation du travail qui peut se dérouler en ensemble de la classe, individuellement ou dans les groupes. Les jeux offrent un outil idéal et naturel pour le travail de groupe. Ce type est prôné par les approches communicatives et il pénètre de plus en plus dans les classes scolaires. François Weiss souligne que le travail de groupe intronise un climat de confiance et facilite la communication en classe. Il juge que le temps de communication à la disposition de chaque élève augmente proportionnellement au nombre de groupes dans la classe. De plus, il s’agit de la communication authentique, tant rare et courue. Parmi d’autres avantages, il cite l’effet : pragmalinguistique : ce type de travail a la fonction de replacer le discours de l’élève dans une interaction sociale en vue d’une tâche à réaliser ou d’un but à atteindre, psychologique : l’incitation mutuelle et feed-back, dynamisant et synergique : on résout volontiers à plusieurs une tâche pur laquelle on est moins armé et moins motivé si on est seul.[43] Barbora Kováčová élève encore les fonctions spécifiques des jeux de groupe, en accentuant l’acceptation et l’inclusion. Elle explique que les jeux permettent de : découvrir et d’admettre la différence et l’unicité des participants, apprendre à estimer et accepter l’autrui, savoir soutenir et de faire confiance en groupe et en ses membres, percevoir soi-même à travers les yeux du groupe, pratiquer la coopération et l’empathie. [44] Les deux admettent les exigences que le travail de groupe met sur l’enseignant. Celui-ci doit assurer l’adhésion de la classe à ce genre de travail et l’encadrer rigoureusement. Avec l’intention de souligner une fois de plus l’importance d’utilisation des jeux en classe de langue, nous allons résumer les arguments de ce chapitre en formant une liste des avantages potentiels du jeu. 2.4 Les avantages des jeux en classe de langue Nous rappelons ici que les jeux pédagogiques sont aptes de : créer l’espace pour la communication authentique dans la classe ; briser la monotonie des séances, la rigidité de la relation pédagogique traditionnelle ; laisser les apprenants éprouver des rôles divers (partenaire, leader, adversaire) ; mener à parler pour agir ; présenter un moyen naturel de l’éducation et de la socialisation ; solliciter l’attention, la concentration et l’activité ; éveiller l’intérêt, la curiosité, le sentiment du besoin d’apprendre ; servir pour la pratique et le renforcement ; tendre vers l’expression libre et spontanée ; mobiliser le vocabulaire et les structures acquise d’une façon nouvelle et créative ; développer la capacité d’improvisation ; apporter un feed-back à l’enseignant et aux apprenants ; impliquer la personne de l’apprenant et non seulement sa compétence linguistique ; favoriser simultanément les compétences pragmatique, sociale et culturelle. Or, ces avantages ne sont ni évidents, ni garantis. Le jeu n’est pas tout puissant et son succès ou l’échec dépendent dans une grande mesure de l’enseignant. L’exploitation du potentiel d’une activité ludique et son utilisation consciente est une tâche de l’enseignant. Un savoir-faire qu’il a besoin d’acquérir et de pratiquer. ANNEXE 1 : Liste des gages Cite 10 verbes du premier/deuxième/troisième groupe. Cite trois dates historiques importantes. Conjugue à voix haute un verbe du troisième groupe. Dis très chaleureusement au groupe : « Je vous aime ! » Dis un chiffre de 5 à 10 et cligne des yeux autant de fois. Dis un virelangue 5 fois sans te tromper. Énumère 5 objets que tu mettrais dans ta valise si tu partais à la plage. Épelle ton nom et ton prénom. Essaye de faire rire quelqu’un, sans le toucher. Fais 10 génuflexions. Fais d’horribles grimaces pendant 10 secondes. Fais le tour de la pièce sur la pointe des pieds. Fais le tour de la salle en marchant à reculons. Garde les bras en l’air jusqu’au prochain tour. Imite un animal désigné par la classe/un lapin mangeant une carotte/un singe… Imite un robot/un danseur de disco… Imite un téléphone qui sonne/une porte qui grince… Indique la date, l’heure et le lieu actuels. Invente un gage original pour le prochain perdant. Nomme autant d’objets dans la pièce qu’il y a des lettres dans ton prénom. Regarde derrière toi par dessous tes jambes. Répète très vite « piano panier » au moins 10 fois sans te tromper. Reste jambes croisées jusqu’à la fin de la partie. Saute à cloche-pied pendant 10 secondes. Tiens le plus longtemps possible sur un seul pied. Trouve 5 mots commençant par l’initiale de ton prénom SILVA, Haydée. (2010-2014), disponible sur : http://lewebpedagogique.com/jeulangue/files/2011/01/MJGages.pdf. Auteur du texte : Mgr. Dana Chrapanová Références bibliographiques : 31 BROUGÈRE, Gilles. (2012), p. 117, *en ligne+. 32 WEISS, François. (2002), p. 8. 33 Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence, (2008), p. 47. 34 VANTHIER, Hélène. (2009), p. 57. 35 Voir WEISS, François. (2002), p. 8-9. 36 DÉCURÉ, Nicole. (1994), p. 16. 37 WEISS, François. (2002), p. 9. 38 SILVA, Haydée. (2008), p. 32. 38 SILVA, Haydée. (2008), p. 32. 39 Voir DÉCURÉ, Nicole. (1994), p. 16-24. 40 WEISS, François. (2002), p. 9. 41 VANTHIER, Hélène. (2009), p. 57. 42 Idem. 43 WEISS, François. (2002), p. 12-13. 44 Voir KOVÁČOVÁ, Barbora. (2012), p. 23.