Marie de France Les Lais de Marie de France est un recueil de douze courts récits en vers écrits en anglo-normand. En général, ce sont des aventures d'origine bretonne qui glorifient l'amour courtois dans un milieu chevaleresque. On sait très peu de choses au sujet de l'auteur, Marie, mais on suppose qu'elle est Marie de France. Elle aurait vécu en Angleterre où elle écrivait les lais, vers la fin du xii^e siècle. http://passerelles.bnf.fr/faits/pas_2118.php Marie de France (poétesse) — Wikipédia Lais du Moyen Âge" en Pléiade : quand la chevalerie s'enchante https://manuelnumeriquemax.belin.education/francais-seconde/topics/simple/francais2-poesie-c1-153-0 2 Lai du Chèvrefeuille C'est mon bon plaisir que je veuille Dire « Le Lai du chèvrefeuille » Et vous conter en vérité Comme il fut fait, d'où il est né. Plusieurs m'ont rapporté jadis, Et je l'ai vu aussi écrit, Le dit de la reine et Tristan Qui s'aimèrent si bellement, D'un amour de douleur si lourd Qu'ils moururent au même jour. Le roi Marc était furieux, Encontre Tristan, son neveu Qui aimait la reine d'amour, Et l'avait chassé de sa cour. Dans son pays est-il allé. En Galles où il était né Un an il est resté souffrir Sans jamais pouvoir revenir, Puis il s'est livré à son sort, À sa perdition, à sa mort. N'en ayez pas d'étonnement Car qui aime loyalement Est bien dolent, bien malheureux De n'avoir ce que son cœur veut. Tristan est dolent et marri Et lors il quitte son pays. En Cornouaille il va tout droit : La reine vit en cet endroit. Et, là, tout seul, dans la forêt, Fuyant quiconque le verrait, Il attend le soir pour sortir Chercher qui veuille l'accueillir. Des paysans, des pauvres gens, Lui ont donné hébergement. Près d'eux il s'enquiert aussitôt : Que fait le roi, quoi de nouveau ? Ils ont entendu rapporter Que les barons sont tous mandés : Ils vont venir à Tintagel Pour la Pentecôte nouvelle Car grand-fête va s'y tenir, Il y aura joie et plaisir Et la reine y sera aussi. Tristan l'apprend et se réjouit. Elle n'y pourra pas aller Sans qu'il puisse la voir passer. Au jour dit du départ du roi Tristan est revenu au bois Près du chemin de la forêt Que le cortège emprunterait. Occupant en deux un coudrier Puis l'ouvrant en quatre quartiers Dans l'écorce de ce bâton Au couteau il grave son nom. Si la reine en passant le voir À ce signe comme autrefois Elle saura que son ami Pour elle seule l'y a mis, Car jadis il est advenu Qu'ainsi l'ait-elle reconnu. Ce que dit d'un mot cet écrit Ce qu'il mande et qu'il lui dit, C'est que longtemps il est resté Attendre et patiemment guetter Jusqu'à parvenir à savoir Le moyen de pouvoir la voir, Car sans elle il n'a pas de vie. Et lors tous deux sont-ils unis Tel le chèvrefeuille enlacé Avec le tendre coudrier : Tant qu'il est étroitement pris Autour du fût où il se lie, Ensemble peuvent-ils durer, Mais qu'on vienne à les séparer, Le coudrier mourra bientôt Et le chèvrefeuille aussitôt. Or, belle amie, ainsi de nous : Ni vous sans moi ni moi sans vous ! La reine s'en vint chevauchant Et, regardant vers le versant, Voit le bâton, sait le connaître Et bien en distinguer les lettres. Aux chevaliers qui la menaient, Et avec elle cheminaient, Elle ordonne de s'arrêter Car elle veut se reposer. Ils font à son commandement. Elle, s'éloignant de ses gens, Appelle à elle sa suivante, Braingain, fidèle et bien veillante. S'écartant un peu de la voie, Elle retrouve dans le bois Celui qu'elle aime plus que tout Et joie ont-ils, bonheur très doux. Il lui parle tout à loisir, Elle lui dit tout son plaisir, Puis lui montre en quelle façon Il obtiendra du roi pardon Car, dit-elle, il a regretté De l'avoir ainsi congédié Sur délation et calomnie. Lors, elle laisse son ami. Mais au moment de se quitter, Tous deux se mettent à pleurer. Et Tristan s'en retourne en Galles Attendre un mandement royal. Et pour la joie qu'il avait eue De son amie qu'il avait vue Et pour ce qu'il avait écrit Comme la reine l'avait dit, Pour que les mots soient mémoriés, Tristan qui savait bien harper En fit jadis un nouveau lai. D'un seul mot je le nommerai : « Goatleaf » l'appellent les Anglais Et « Chèvrefeuille » les Français. Telle est l'histoire en vérité Du lai que je vous ai conté. Marie de France, « Lai du Chèvrefeuille », Lais [vers 1170], trad. de l'ancien français par L. Kaempfer, Flammarion, 2005.