#BookTok : quand TikTok relance la fureur de lire chez les jeunes générations Le phénomène #BookTok prend une ampleur planétaire : 85 milliards de vues, 13 millions de vidéos et une explosion de 120 % du trafic depuis le début de 2022. En partageant leurs coups de cœur en vidéo sur TikTok, de jeunes influenceurs littéraires relancent les ventes des maisons d'édition. Le défi est relevé ! Un cri de joie accompagne l'ouverture du colis. Gallianne Goural déchire le carton avec la fébrilité d'une môme à Noël. Ses ongles roses manucurés sortent du papier bulle le trésor tant espéré. Une paire de sneakers ? Un sac collector ? Mieux que ça : un livre. «Je ne sais pas si j'ai le droit de vous le montrer !», jubile Gallianne dans sa vidéo sur TikTok. Impossible de résister : devant la caméra, la jolie blonde de 19 ans dévoile sur son compte (@urfrenchbookworm) la couverture de La Vie en vrai, la nouvelle romance d'Emma Green, qu'elle a reçue dédicacée et en exclusivité à quelques jours de sa parution. Un privilège de « booktokeuse ». Gallianne est influenceuse littéraire sur TikTok, l'appli de vidéos préférée des adolescents. «Quelque chose de fun et d'extraverti» Le compte de La Grande Librairie plafonne à 3 680 abonnés ? La jeune fille, installée près de Toulouse, en réunit près de 180 000. Férue de bluettes addictives, Gallianne est l'une des pionnières de ce club littéraire planétaire, où, depuis deux ans, elle partage ses conseils, ses «10 meilleures romances» et ses torrents de larmes clôturant la saga des Calloway Sisters. «Je transmets mon plaisir de lire en m'amusant, j'essaie de changer l'image des lecteurs, qui passent pour des timides, des sérieux, explique-t-elle. Sur TikTok, le livre a quelque chose de fun et d'extraverti, on peut en parler comme si on parlait de mode ou de football !» Ambassadrice pas barbante TikTok ne propose pas seulement des challenges qui cartonnent – cuisiner, danser, enfiler des chaussures à un enfant… –, l'appli fait bouquiner. Et réconcilie une jeunesse accro aux lives sur les écrans avec une passion vieille comme l'émission Apostrophes : le livre. Venu des États-Unis, le phénomène #BookTok prend une ampleur planétaire : 85 milliards de vues, 13 millions de vidéos et une explosion de 120 % du trafic depuis le début de 2022. Qui a dit que les jeunes ne lisaient plus ? Dans ce bookclub, en majorité féminin, ouvert à tous, on partage à haute voix ses extraits préférés, on se fixe dix titres à dévorer dans le mois, on recommande un Zola comme une saga sur les vampires. C'est génial si je peux donner envie de lire à un jeune À sa grand-mère, Zoé Espitallier (@ozeezoe), fan de Marguerite Duras, explique qu'elle est la «future François Busnel» de TikTok. Cette étudiante en communication de 23 ans, qui lit «beaucoup, souvent, tout le temps» depuis l'adolescence, fait partie de la première génération d'«ambassadeurs littéraires» sélectionnés par la plateforme en septembre 2022. Au pied de son lit s'empilent une trentaine d'ouvrages constituant sa «PAL», sa pile à lire dans le jargon du « booktokeur », où figurent À propos d'amour, de bell hooks, ou le Goncourt Vivre vite, de Brigitte Giraud… «Je partage les livres qui m'ont le plus touchée, dans un format court, pas plus d'une minute, en mettant de la musique pour éviter le côté barbant, explique Zoé. Ce qui plaît, c'est la créativité, l'humour, le ton catchy des conseils que l'on donne comme une liste de courses : les cinq livres qui me font pleurer, le livre que je ne cesserai jamais de recommander. C'est génial si je peux donner envie de lire à un jeune.» Un trait d'union générationnel Réinventant les codes de la critique littéraire, cette génération de chroniqueurs 2.0 exprime ses goûts face caméra. Pas besoin d'être normalien pour donner son avis. Tee-shirt de footeux et coupe afro, Tnzl93 (@tnzl93) entonne «Mitterrand, j'ai décidé de pardonner ton infidélité parce que ton histoire avec ta maîtresse Anne Pingeot est incroyable !», avant de décortiquer la correspondance enflammée de l'ancien président. Les apprentis critiques compartimentent les intrigues amoureuses selon des catégories que les plus de 20 ans ne peuvent pas connaître : «spicy» (sensuelle) , «rom'com» (romantique), «enemies to lovers» (de la haine à l'amour). S'affilier à une communauté de lecteurs, rejoindre l'univers narratif d'un écrivain donne confiance en soi : on expérimente ses goûts entre pairs d'une même génération Et rangent leurs livres par couleur, conférant à leur bibliothèque la beauté d'un arc-en-ciel. «Ce besoin d'esthétiser leur quotidien s'explique par deux ans de Covid. Le confinement a déconfiné BookTok : pour transfigurer l'ennui, les moments creux, les jeunes se sont filmés en train de danser, de se maquiller et même de lire», décrypte Laurence Allard, sociologue des usages numériques à l'université de Lille. «S'affilier à une communauté de lecteurs, rejoindre l'univers narratif d'un écrivain donne confiance en soi : on expérimente ses goûts entre pairs d'une même génération.» Le feeling d'abord Sur TikTok, il n'y a ni petite ni grande littérature. La fantasy comme les classiques y ont leurs lettres de noblesse. Ponctués d'un playback de Miss France ou d'un air de Lana Del Rey, les conseils du Café de Jeanne (@lecafedejeanne, 33 400 abonnés) ne tournent jamais à l'injonction snobinarde ou à la prescription scolaire. Chacun est libre d'aimer ou pas, de lire ou pas. «J'ai 20 ans, je suis une jeune qui parle à un jeune, cela décomplexe le rapport à la lecture, relève Jeanne Feydel, diplômée d'une école de commerce. Je choisis l'extrait qui me touche, la phrase qui percute. Quelqu'un qui n'a jamais ouvert Hugo peut se dire : “Ah oui, si c'est ça Les Misérables, je veux bien le lire !”» La passion pour la littérature sur Internet n'a rien de nouveau, elle s'inscrit dans la généalogie d'Instagram ou de YouTube. Ce qui est inédit, ce sont les retombées sur les ventes. La lubie du «booktokeur » ? Exhumer des romans oubliés. À l'été 2021, il suffit du hashtag #millebaiserspourungarçon sur le compte @nous_les_lecteurs pour déclencher la rupture de stock de cette tragédie d'amour signée Tillie Cole, passée inaperçue à sa sortie en 2016 (Éd. Hachette). «Je me suis filmée en train de pleurer toutes les larmes de mon corps en disant : “Vous allez pleurer comme moi !” Les personnages confrontés à la maladie, harcelés, en surpoids… ont quelque chose de réconfortant», explique Victoire Ducluzeaud, 18 ans, brunette à frange et à lunettes, créatrice de ce compte qui flirte avec les 160 000 abonnés. Les éditeurs s'adaptent Les « booktokeurs » influents sont désormais repérés, courtisés, chouchoutés par les éditeurs, parfois rémunérés : 1 000 euros la vidéo d'une minute, voire beaucoup plus. S'emparant de ce nouvel outil de communication, Hachette Romans a créé son propre compte et liste, par exemple, «les trois romans qui montrent que c'est pas facile d'oublier son ex ». «Le pouvoir de prescription est plus fort sur TikTok que sur n'importe quel réseau, cela permet de toucher des jeunes qui ne lisent jamais», relève Cécile Térouanne, directrice du département Hachette Romans, Le Livre de Poche Jeunesse et Hachette Lab. L'esprit BookTok ne consiste pas juste à filmer du mascara qui coule, la promesse véhiculée est extrêmement puissante, les ados parlent aux ados : «cette émotion que j'ai ressentie, tu vas la ressentir.» Un bouche-à-oreille numérisé qui a poussé Gallimard Jeunesse à rejoindre l'appli. L'un de ses titres, Nous les menteurs, d'E. Lockhart, a vu ses ventes multipliées par cinq après sa reprise sur TikTok. «Le phénomène dépasse la romance et la fantasy : depuis quelques mois tous les genres sont concernés, précise Cécile Petitbon, responsable du marketing digital chez Gallimard Jeunesse. Communiquer sur TikTok, apologie du divertissement, ne signifie pas trahir notre ADN. On s'adapte à nos lecteurs en parlant du livre d'une manière plus créative, plus naturelle, plus sincère.» L'un des derniers challenges lancés par @gallimardjeunesseromans pour gagner un exemplaire de l'album 101 Façons de lire tout le temps (de Timothée de Fombelle): partager en vidéo ses trois positions de lecture préférées ou lieux de lecture de prédilection. «Sous la couette», a proposé Riku, 18 ans, qui n'aimait pas lire, mais vient pourtant de commencer le troisième Harry Potter. https://madame.lefigaro.fr/celebrites/culture/booktok-quand-tiktok-relance-la-fureur-de-lire-chez-l es-jeunes-generations-20221214 Obsah obrázku text, stůl, pracovní stůl Popis byl vytvořen automaticky