ÉPOQUElLIEU Ah ces Parisiens qui hesitent a franchir le periph' ! Periph ou p£rif, l'abreviation de boulevard peYiphdrique. Un collier de goudron de 35 kilometres qui entoure la capitale. Une frontiere tant physique que psychologique, entre les habitants de Paris et de la banlieue. Une demarcation symbo-lisee par les panneaux « Paris », ce perif avec ses 38 portes, 148 ponts, 23 tunnels et ses monuments. Cette autoroute urbaine est la plus empruntie d'Europe ! Les embou-teillages y sont frequents. II faut dire qu'en moyenne chaque vehicule y transporte seulement 1,1 personne. C'est aussi un symbole utilise lors d"'opdrations escargot" menees par des chauffeurs de taxi ou des agri-culteurs mecontents. Le boulevard pdripherique a dte construit de 1956 a 1973 - en plu-sieurs trongons - a ['emplacement des anciennes fortifications voulues par Adolphe Thiers en 1840 pour proteger la capitale des Prussiens. La « muraille sainte », comme l'ap-pelle alors Victor Hugo, n'empeche pas la capitulation de Paris en 1871, apres de nombreux bombardements et 135 jours de siege. Les Parisiens, enferm^s derriere cette enceinte, mouraient de faim. C'est pourquoi elle est declassee en 1919, puis ddtruite durant plusieurs annees, laissant un grand vide d'environ 500 metres de large tout autour de Paris. La zone Paris souffre dejä d'un manque criant de logements. Sa population frole les 3 millions d'habitants dans les annees 1920, contre seulement 2 millions aujourd'hui. De facon souvent illegale, des logements de fortune, des bidonvilles ou des roulottes (photographies par Eugene Atget) s'ins-tallent dans cet espace. Leur population inquiete les Parisiens, ce sont les zoniers, les apaches ou les biffins. Des Habitations ä Bon Marche ^ (HBM) sont construites aux portes • de Paris, on les reconnait encore aujourd'hui ä leurs briques rouges. Mais aussi des cimetieres, des Stades, des höpitaux, des jardins ou de grands projets comme le Pare des Expositions ä la Porte de Versailles ou la Cite internationale universitaire entre les portes de Gentiüy et d'Arcueil. Le boulevard p^ripherique est des-sine des 1943, sous l'Occupation al-Iemande, alors que les autoroutes se construisent dans l'Allemagne nazie et dans l'Italie fasciste. II est édifié ä partir de 1956 afin de faciliter les trajets en automobile, de plus en plus populaire. Le nombre de voies, d'abord 2x2 files, a par endroits été élargi ä 2 x 4 files pour absorber un trafic en perpétuelle expansion. Des nuisances en debat André Lortie, professeur ä 1'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville, coauteur avec Jean-Louis Cohen de l'ouvrage « Des fortifs au périf », explique:« Les tron-consouest ontété les derniers realises, leurs coneepteurs ont tire des ensei-gnements des premiers chantiers, et ont tenu compte de l'opposition de certains riverains de l'ouest, notamment en enterrant certaines portions. » La boucle est bouclée en 1973. Ses nuisances sonores ou la pollution aux particules fines sont déjá décriées. Le périf a pour-tant des atouts, selon André Lortie: « Compare ä d'autres autoroutes urbaines, le boulevard périphérique parisien est assez exceptionnel par sa proximité avec le centre de la viüe. Mais plus on offre d'espace ä la voi- . ture, plus elle l'occupe. » Ii ajoute: « Le périphérique a été pense comme un Heu de rencontre, de convergence entre Paris et la banlieue. » Mais ce n'est pas vraiment le cas. Comme cette porte de Bagnolet, un dnorme et moche noeud autoroutier, symbole de l'epoque oü il fallait« adapter la ville ä la voiture», selon la celebre formule du president de la Ripublique Georges Pompidou, dans les annees 1970. La ville de Paris tente de transformer les portes du p^rif voire de le couvrir ä certains endroits. Elle a progressivement baisse' la vitesse maximale autoris^e, de 90 ä 70, puis 50 km/h depuis octobre 2024. Ce qui fait enrager bon nombre d'automobilistes. Nathalie Roseau, professeure d'urbanisme ä l'Ecole nationale des Ponts et Chaussdes, se dit« perplexe devant l'inanite des debats. Le contexte actuel de baisse de la vitesse n'est pas nouveau. Une voie reservee ä l'autopartage est une autre etape pour riduire l'emprise de la voiture dans nos villes et dans nos societes. Les impacts en termes depol-lution, de bruit et de sante mentale sont reels. Ily a des exemples reussis comme ä Seoul en Coree du Sud, oü un viaduc autoroutier a ete demonte et le canal qu'il recouvrait aminage pour les pietons. » En France, la voiture et le perif ont encore de beaux jours devant eux. ■ 16 Le francais dans le monde | n° 455 I novembre-décembre 2024