Pierre de Ronsard – Sonnets pour Hélene XXIV Quand vous serez bien vieille, au soir `a la chandelle, Assise aupres du feu, devidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant, Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Desja sous le labeur `a demy sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s'aille resveillant, Benissant vostre nom de louange immortelle. Je seray sous la terre, et fantaume sans os: Par les ombres Myrtheux je prendray mon repos. Vous serez au fouyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour, et vostre fier desdain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez `a demain: Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie. La Charite Ce jeune dieu... I A la Marguerite et unique perle de France, la royne de Navarre. Ce jeune Dieu, qui aux plus vieux commande, Qui par le Ciel, qui par la terre court, Voyant un jour les Dames de la Court, Remonte aux Cieux, et Venus luy demande: Dy-moy, mon fils, volant de place en place Comme tu fais, sans foy, sans loyauté, As tu point veu l`a bas quelque beauté (Ton oeil voit tout) qui la mienne surpasse? Amour respond: Pren, ma mere, asseurance, Rien ne sçauroit surpasser ton honneur Fors une Royne, en qui tout le bon-heur Du plus beau Ciel se versa dés l'enfance. Elle rougist: les Dames sont despites. Quand leur renom en beauté n'est parfait Et pour sçavoir la verité du fait, Elle choisit l'une de ses Charites. Mon coeur, mes yeux, mon ame et ma pensee, Si j'ay de toy quelque bien merité, Descens en France, et me dis verité Si ma beauté d'une autre est surpassee. Pour obeyr la jeune Pasithee Toute divine abandonna les Cieux: L'air luy fait place, et les vents et les Dieux, En quelque part que la belle est portee. D'un vol soudain elle fist sa descente, Fendant le Ciel ainsi qu'on voit la nuit Couler de loin une estoile qui luit. Entre deux airs d'une trace glissante. Beauté, vigueur, jeunesse et courtoisie, Le jeu, l'attraict, les delices, l'amour, Ainsi qu'oiseaux voloient tout `a l'entour De ce beau corps, leur demeure choisie. Son chef divin, miracle de nature, Estoit couvert de cheveux ondelez, Noüez, retors, rescrepez, annelez, Un peu plus noirs que de blonde teinture. Son front estoit une table garnie De marbre blanc, siege de majesté, Net et poly, comme souvent l'Esté On voit la mer sans ondes toute unie. Les sourcis noirs faits en arche d'Ebene, De l'arc d'Amour la forme et le portraict, D'un beau Croissant contrefaisant le traict, Quand au tiers jour le mois il nous rameine. Les yeux estoient d'une force contraire, L'un gracieux, et l'autre furieux, Deux yeux (je faux, mais deux Astres des Cieux) L'un pour chasser, et l'autre pour attraire. En ses yeux bruns toute delicatesse, Traicts, hameçons, servages et prison, Qui des plus fins affinent la raison, Servoient d'escorte `a si belle Deesse. Toutes beautez en ses yeux sont coulees: Amour n'avoit d'autre logis trouvé: Son nez sembloit hautement relevé, Un petit tertre enclos en deux vallees. Sa tendre, ronde, et delicate oreille, Blanche, polie, au bout s'enrichissoit D'un beau ruby, qui clair embellissoit Des ses rayons son visage `a merveille. De vif cinabre estoit faicte sa jouë, Pareille au teint d'un rougissant oeillet, Ou d'une fraize alors que dans du laict Dessus le hault de la cresme se jouë. Toutes les fleurs du sang des Princes nees Narcisse, Ajax, n'eurent le teint pareil Au sien, meslé de brun et de vermeil, Qui rend d'amour les ames estonnees. Telle couleur `a la nuict est commune, D'un peu de noir sa face embellissant, Quand peu `a peu le jour est finissant, Et ja le soir tire devers la brune. Sa bouche estoit de mille roses pleine, De lis, d'oeillets; ou blanchissoient dedans A doubles rangs des perles pour des dents, Qui embasmoient le ciel de leur haleine. De l`a sortoient les ris et les parolles Fortes assez pour les hommes charmer, Et qui pouvoient les roches de la mer, En les oyant, rendre douces et molles. Un rond menton finissoit son visage, Un peu fendu d'assez bonne espesseur, Gras, en-bon-poinct, dont la blanche espesseur De l'autre enfleure est certain tesmoignage. Son col estoit un pilier de Porphire En longs rameaux de veines separé, D'oeillets, de nege et de roses paré, Entre-poussé d'un gracieux Zephire. Deux monts de laict qu'un vent presse et represse, Qui sur le sein sans bouger s'esbranloient Comme deux coings, enflez se pommeloient En deux tetins messagers de jeunesse. Du reste, helas! de parler je n'ay garde, Dont le regard aux hommes est osté, Sacré sejour, qu'Honneur et Chasteté Ainsi qu'Archers ont en soigneuse garde. Ses mains estoient blanches, longues, douillettes, Qui tressailloient en veines et rameaux, Puis se fendoient en cinq freres jumeaux Environnez de cinq bords de perlettes. De marbre long taillé par artifice Sa jambe estoit, ses pieds estoient petits, Tels qu'on les feint `a la belle Thetis, Seur fondement d'un si bel edifice. Comme un esclair la Nymphe qui s'eslance, Dans le palais de Charles arriva: Puis tout d'un coup invisible s'en-va Trouver la salle ou se faisoit la dance. Il estoit nuict; et les humides voiles L'air espoissy de toutes parts avoient, Quand pour baller les Dames arrivoient, Qui de clarté paroissoient des estoilles. Robes d'argent et d'or laborieuses Comme `a l'envy flambantes esclattoient: Vives en l'air les lumieres montoient, A traicts brillans, des pierres precieuses L`a mon grand Prince et noz Seigneurs ses freres Estoient venus ornez de majesté, Pour compaignie ayant `a leur costé Les loix qui sont plus douces que severes. L`a Marguerite, ornement de nostre âge, Apparoissoit en sa double valeur, Et tantost perle, et tantost une fleur Un beau Printemps naissant de son visage. Si tost qu'au bal la Nymphe bien-aimee Se presenta, ses deux astres jumeaux Feirent au double esclairer les flambeaux, Et d'un beau jour la nuict fut allumee. Dedans la salle une odoreuse nuë Pleine de musc et d'ambre s'espandit: Par tel miracle un chacun entendit Qu'une Deesse au bal estoit venue Comme un Soleil, sans rompre la verriere, Passe en la chambre ondoyant et pointu, Sans que l'object empesche la vertu De sa divine et persante lumiere: Ainsi la belle invisible Charite Comme un esclair la salle penetra, Et toute entiere en se cachant entra Dedans le corps de nostre Marguerite. Si bien son ame en son ame est enclose, Si bien sa vie en l'autre elle logea, Si bien son sang au sang d'elle changea, Que les deux corps n'estoient plus qu'une chose. Si que mon Roy d'un jugement extreme Bien clair-voyant, germe des Dieux conceu, Y fut premier en la voyant deceu, Pensant au vray que ce fust sa soeur mesme. Serrant sa main la conduit `a la dance: Comme une femme elle ne marchoit pas, Mais en roulant divinement le pas, D'un pied glissant couloit `a la cadance. L'homme pesant marche dessus la place, Mais un Dieu vole, et ne sçauroit aller: Aux Dieux legers appartient le voler, Comme engendrez d'une eternelle race. Le Roy dansant la volte Provençalle Faisoit sauter la Charite sa soeur: Elle suivant d'une grave douceur, A bonds legers voloit parmy la salle. Ainsi qu'on voit aux grasses nuicts d'Automne Un prompt Ardent sur les eaux esclairant, Tantost deça, tantost del`a courant De place en place, et repos ne se donne: Elle changeoit en cent metamorphoses Le coeur de ceux qui son front regardoient: Maints traicts de feu de ses yeux descendoient, Et sous ses pieds faisoient naistre des roses. Au devant d'elle alloient pour seures guides Aveq' l'honneur, la grace, majesté, Et la vertu, qui gardoient sa beauté, Comme un Dragon le fruict des Hesperides. Incontinent que la douce harmonie Des violons en l'air plus ne s'ouyt, Ceste Charite au Ciel s'esvanouyt, Abandonnant l'humaine compagnie. Ainsi de nuict la paupiere fermee D'un doux sommeil, en songeant recognoist Quelque Demon qui soudain apparoist, Puis tout soudain se perd comme fumee. Adieu Charite, adieu Nymphe bien-nee, Ou monte au Ciel, ou vole ou tu voudras, En ceste Court bien tost tu reviendras Dessous le joug du nopcier Hymenee. Lors moy remply d'un plus ardent courage Je doubleray la force de ma vois, Pour faire aller jusqu'aux champs Navarrois L'accord heureux du sacré mariage.