Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par l'Institut National de la Langue Française (INaLF) Discours préliminaire de l'Encyclopédie [Document électronique] / Jean Le Rond d'Alembert[1] Pour peu qu' on ait réfléchi sur la liaison que les découvertes ont entr' elles, il est facile de s' appercevoir que les sciences et les arts se prêtent mutuellement des secours, et qu' il y a par conséquent une chaîne qui les unit. Mais s' il est souvent difficile de réduire à un petit nombre de regles ou de notions générales, chaque science ou chaque art en particulier, il ne l' est pas moins de renfermer en un système qui soit un, les branches infiniment variées de la science humaine. Le premier pas que nous ayons à faire dans cette recherche, est d' examiner, qu' on nous permette ce terme, la généalogie et la filiation de nos connoissances, les causes qui ont dû les faire naître, et les caracteres qui les distinguent ; en un mot, de remonter jusqu' à l' origine et � la génération de nos idées. Indépendamment des secours que nous tirerons de cet examen pour l' énumération encyclopédique des sciences et des arts, il ne sauroit être déplacé à la tête d' un ouvrage tel que celui-ci. On peut diviser toutes nos connoissances en directes et en réfléchies. Les directes sont celles que nous recevons immédiatement sans aucune opération de notre volonté ; qui trouvant ouvertes, si on peut parler ainsi, toutes les portes de notre ame, y entrent sans p11 résistance et sans effort. Les connoissances réfléchies sont celles que l' esprit acquiert en opérant sur les directes, en les unissant et en les combinant. Toutes nos connoissances directes se réduisent � celles que nous recevons par les sens ; d' où il s' ensuit que c' est à nos sensations que nous devons toutes nos idées. Ce principe des premiers philosophes a été long-tems regardé comme un axiome par les scholastiques ; pour qu' ils lui fissent cet honneur, il suffisoit qu' il fût ancien, et ils auroient défendu avec la même chaleur les formes substantielles ou les qualités occultes. Aussi cette vérité fut-elle traitée � la renaissance de la philosophie, comme les opinions absurdes dont on auroit dû la distinguer ; on la proscrivit avec elles, parce que rien n' est si dangereux pour le vrai, et ne l' expose tant à être méconnu, que l' alliage ou le voisinage de l' erreur. Le système des idées innées, séduisant à plusieurs égards, et plus frappant peut-être, parce qu' il étoit moins connu, a succédé à l' axiome des scholastiques ; et après avoir long-tems régné, il conserve encore quelques partisans ; tant la vérité a de peine � reprendre sa place, quand les préjugés ou le sophisme l' en ont chassée. Enfin depuis assez peu de tems on convient presque généralement que les anciens avoient raison ; et ce n' est pas la seule question sur laquelle nous commençons � nous rapprocher d' eux. ________________________________ [1] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k87305v