La Charité Ce jeune dieu... I A la Marguerite et unique perle de France, la reine de Navarre. 1 Ce jeune Dieu, qui aux plus vieux commande, Qui par le Ciel, qui par la terre court, Voyant un jour les Dames de la Cour, Remonte aux Cieux, et Venus lui demande: 5 Dis-moi, mon fils, volant de place en place Comme tu fais, sans foi, sans loyauté, As tu point vu là-bas quelque beauté (Ton oeil voit tout) que la mienne surpasse? Amour répond: Prends, ma mère, assurance, 10 Rien ne saurait surpasser ton honneur Fors une Reine, en qui tout le bonheur Du plus beau Ciel se versa dès l'enfance. Elle rougit: les Dames sont dépitées. Quand leur renom en beauté n'est parfait 15 Et pour savoir la vérité du fait, Elle choisit l'une de ses Charités. Mon coeur, mes yeux, mon âme et ma pensée, Si j'ai de toi quelque bien mérité, Descends en France, et me dis vérité 20 Si ma beauté d'une autre est surpassée. Pour obéir la jeune Pasithée Toute divine abandonna les Cieux: L'air lui fait place, et les vents et les Dieux, En quelque part que la belle est portée. 25 D'un vol soudain elle fit sa descente, Fendant le Ciel ainsi qu'on voit la nuit Couler de loin une étoile qui luit. Entre deux airs d'une trace glissante. Beauté, vigueur, jeunesse et courtoisie, 30 Le jeu, l'attrait, les délices, l'amour, Ainsi qu'oiseaux volaient tout à l'entour De ce beau corps, leur demeure choisie. Son chef divin, miracle de nature, Était couvert de cheveux ondulés, 35 Noués, retors, recrêpés, annulés, Un peu plus noirs que de blonde teinture. Son front était une table garnie De marbre blanc, siège de majesté, Net et poli, comme souvent l'Été 40 On voit la mer sans ondes toute unie. Les sourcils noirs faits en arche d'Ebène, De l'arc d'Amour la forme et le portrait, D'un beau Croissant contrefaisant le trait, Quand au tiers jour le mois il nous ramène. 45 Les yeux étaient d'une force contraire, L'un gracieux, et l'autre furieux, Deux yeux (je faux, mais deux Astrées des Cieux) L'un pour chasser, et l'autre pour attraire. En ses yeux bruns toute délicatesse, 50 Traits, hameçons, servages et prisons, Qui des plus fins affinent la raison, Servaient d'escorte à si belle Déesse. Toutes beautés en ses yeux sont coulées: Amour n'avait d'autre logis trouvé: 55 Son nez semblait hautement relevé, Un petit tertre enclos en deux vallées. Sa tendre, ronde, et délicate oreille, Blanche, polie, au bout s'enrichissait D'un beau ruban, qui clair embellissait 60 De ses rayons son visage à merveille. De vif cinabre était faite sa joue, Pareille au teint d'un rougissant oeillet, Ou d'une fraise alors que dans du lait Dessus le haut de la crème se joue. 65 Toutes les fleurs du sang des Princes nés Narcisse, Ajax, n'eurent le teint pareil Au sien, mêlé de brun et de vermeil, Qui rend d'amour les âmes étonnées. Telle couleur à la nuit est commune, 70 D'un peu de noir sa face embellissant, Quand peu à peu le jour est finissant, Et déjà le soir tire devers la brune. Sa bouche était de mille roses pleine, De lis, d'oeillets; où blanchissaient dedans 75 A doubles rangs des perles pour des dents, Qui embaumaient le ciel de leur haleine. De là sortaient les ris et les paroles Fortes assez pour les hommes charmés, Et qui pouvaient les roches de la mer, 80 En les oyant, rendre douces et molles. Un rond menton finissait son visage, Un peu fendu d'assez bonne épaisseur, Gras, en-bon-point, dont la blanche épaisseur De l'autre enfleure est certain témoignage. 85 Son col était un pilier de Porphire En longs rameaux de veines séparé, D'oeillets, de neige et de roses paré, Entre-poussé d'un gracieux Zéphire. Deux monts de lait qu'un vent presse et represse, 90 Qui sur le sein sans bouger s'ébranlaient Comme deux coins, enflés se pommelaient En deux tétins messagers de jeunesse. Du reste, hélas! de parler je n'ai gardé, Dont le regard aux hommes est ôté, 95 Sacré séjour, qu'Honneur et Chasteté Ainsi qu'Archers ont en soigneuse garde. Ses mains étaient blanches, longues, douillettes, Qui tressaillaient en veines et rameaux, Puis se fendaient en cinq frères jumeaux 100 Environnés de cinq bords de perlettes. De marbre long taillé par artifice Sa jambe était, ses pieds étaient petits, Tels qu'on les feint à la belle Thetis, Seul fondement d'un si bel édifice. 105 Comme un éclair la Nymphe qui s'élance, Dans le palais de Charles arriva: Puis tout d'un coup invisible s'en va Trouver la salle où se faisait la danse. Il était nuit; et les humides voiles 110 L'air épaissi de toutes parts avaient, Quand pour baller les Dames arrivaient, Qui de clarté paraissaient des étoiles. Robes d'argent et d'or laborieuses Comme à l'envie flambantes éclataient: 115 Vives en l'air les lumières montaient, A traits brillants, des pierres précieuses Là mon grand Prince et nos Seigneurs ses frères Étaient venus ornés de majesté, Pour compagnie ayant à leur côté 120 Les lois qui sont plus douces que sévères. Là Marguerite, ornement de notre âge, Apparaissait en sa double valeur, Et tantôt perle, et tantôt une fleur Un beau Printemps naissant de son visage. 125 Si tôt qu'au bal la Nymphe bien-aimée Se présenta, ses deux astres jumeaux Faisant au double éclairer les flambeaux, Et d'un beau jour la nuit fut allumée. Dedans la salle une odoreuse nue 130 Pleine de musc et d'ambre s'épandit: Par tel miracle un chacun entendit Qu'une Déesse au bal était venue Comme un Soleil, sans rompre la verrière, Passe en la chambre ondoyant et pointu, 135 Sans que l'objet empêche la vertu De sa divine et perçante lumière: Ainsi la belle invisible Charité Comme un éclair la salle pénétra, Et toute entière en se cachant entra 140 Dedans le corps de notre Marguerite. Si bien son âme en son âme est enclose, Si bien sa vie en l'autre elle logea, Si bien son sang au sang d'elle changea, Que les deux corps n'étaient plus qu'une chose. 145 Si que mon Roi d'un jugement extrême Bien clairvoyant, germe des Dieux conçu, Y fut premier en la voyant déçu, Pensant au vrai que ce fut sa soeur même. Serrant sa main la conduit à la danse: 150 Comme une femme elle ne marchait pas, Mais en roulant divinement le pas, D'un pied glissant coulait à la cadence. L'homme pesant marche dessus la place, Mais un Dieu vole, et ne saurait aller: 155 Aux Dieux légers appartient le voler, Comme engendrés d'une éternelle race. Le Roi dansant la volte Provençale Faisait sauter la Charité sa soeur: Elle suivant d'une grave douceur, 160 A bonds légers volait parmi la salle. Ainsi qu'on voit aux grasses nuits d'Automne Un prompt Ardent sur les eaux éclairant, Tantôt deça, tantôt delà courant De place en place, et repos ne se donne: 165 Elle changeait en cent métamorphoses Le coeur de ceux qui son front regardaient: Maints traits de feu de ses yeux descendaient, Et sous ses pieds faisaient naître des roses. Au devant d'elle allaient pour sûres guides 170 Avec l'honneur, la grâce, majesté, Et la vertu, qui gardaient sa beauté, Comme un Dragon le fruit des Hesperides. Incontinent que la douce harmonie Des violons en l'air plus ne s'ouit, 175 Cette Charité au Ciel s'évanouit, Abandonnant l'humaine compagnie. Ainsi de nuit la paupière fermée D'un doux sommeil, en songeant reconnaît Quelque Démon qui soudain apparaît, 180 Puis tout soudain se perd comme fumée. Adieu Charité, adieu Nymphe bien-née, Ou monte au Ciel, ou vole où tu voudras, En cette Cour bien tôt tu reviendras Dessous le joug du nocier Hymenée. 185 Lors moi rempli d'un plus ardent courage Je doublerai la force de ma voix, Pour faire aller jusqu'aux champs Navarrois L'accord heureux du sacré mariage. Source : http://gallica.bnf.fr (texte modifié, V.B.)