Huon de Bordeaux I Prologue Troubadour : Oyez, oyez, seigneurs nobles, Tous, damoiseaux et compères Et vous aussi, mes belles dames sages Demoiselles de tous les âges. Venez suivre mon histoire Du brave Huon et de Gérard Qui étaient des frères différents. Je chanterai aussi de l’empereur, De Charles Le Grand de bon cœur Qui était parfois très cruel Comme dans notre histoire si belle. Une fois par an, le roi a fait Réunir une cour solennelle, Dresser une grande table parfaite Pour ses chevaliers fideles : Cent échansons servent les convives, Chacun y reçoit ce qu’il désire. Puis, Charlemagne, homme grand et fort, Fait silence et prend la parole : Charlemagne : Ecoutez-moi, nobles seigneurs, Il est trop vieux, votre empereur. Il ne peut plus conduire des guerres. Je suis vraiment trop vieux, mes frères. Troubadour : Cet homme est Naimes de Bavière, Le brave et fidèle conseiller : Naimes : Vous avez tort, mon cher empereur, Nous vous aiderons, n’ayez pas peur, A gouverner tout le pays, Même si vous restiez au lit. Nous vous respecterons toujours, Nous vous soutiendrons nuit et jour. Charlemagne : Je vous remercie, mes fidèles, Mais je voudrais que mon fils-même, Mon Charlot aimé qui est né, Quand j’avais cent ans, vous savez. Je l’aime malgré ses gestes mauvais, Bien que lui-même, il ait tué Baudoin, le fil d’Ogier, De l’un de mes chevaliers. II Plainte d’Amauri Troubadours : A ces paroles, Charlot arrive : C’est un jeune homme aux yeux très vifs, Son regard est ferme, expressif, Peut-être, un peu agressif, Il a des gestes persuasifs, Lui-même, il est d’une force impulsive. Son attitude est décisive. Charlemagne : Mon fils, une grande tâche t’attendra : Je te confie le royaume ! Sois toujours attentif et bon : Chasse tous les traitres et les lâches De n’importe quel état et âge, Ne suis que des bons chevaliers, Obéis aux bons guerriers. Honore les clercs et les moines, Protège les pauvres et les femmes. Troubadour : Hélas, il y a un grand traître, Amauri qui est un maître De perfidie et de mensonge. Amauri : Sire empereur, je plains des fils, Pas des miens, des fils de Seguin, Je me plains de ces deux coquins Qui refusent tant de vous servir. Je prendrai mes chevaliers Pour que je puisse vous les ramener. Naimes : Mon empereur, écoute-moi encore, Huon et Gérard sont peu forts ; Ils sont trop jeunes, sans protecteurs, Sans expériences, sans guetteurs. Convoquez ces jeunes hommes, mon roi, Il est sûr qu’ils viendront, à ma foi, Ce sont mes neveux, ma grande joie. Troubadour : L’empereur envoie deux messagers : Le premier s’appelle Enguerrand, Il est vaillant et courageux ; Son bon copain est Gautier, Il est gaillard et bien jugé. Charlemagne : Rendez-vous tout de suite à Bordeaux Et demandez à la duchesse D’envoyer ses fils et des cadeaux A Paris, dans la forteresse. S’ils viennent, ils seront mes amis. S’ils refusent, ils perdront leurs vies. III Arrivée à Bordeaux Troubadour : Nos messagers arrivent enfin, A la cour, près de la fontaine Où ils trouvent la duchesse charmante Et ses deux fils : Huon et Gérard. Messagers : Soit bien bénie, la belle duchesse, Charlemagne, l’empereur te demande D’envoyer tes fils-ci présents A Paris, dans sa forteresse. S’ils viennent, ils seront ses amis. S’ils refusent, ils perdront leurs vies. Troubadour : Les garçons s’apprêtent à partir Pour voir l’empereur, pour le servir. La dame, la mère est très touchée, Elle pleure, elle est trop affligée. Elle offre à ses fils de l’argent, De l’or, des étoffes et des gens Qui tous les accompagneront : Cinq chevaliers et cinq barons, Des écuyers et des valets Sortent avec nos jeunes chevaliers. Un peu plus loin, ils rejoignent Le brave père abbé de Cluny Qui marche avec quatre-vingt moines Tous ensemble soient bénis ! Et le père des jeunes gens, Séguin Et l’abbé sont de bons cousins. IV Le piège d’Amauri Troubadour : Entre temps, Amauri jure de se venger, Il est furieux, enragé : Amauri : Ah, Charlot, mon ami gentil, Ecoutez-moi, venez ici, Huon et Gérard sont sortis De Bordeaux et j’ai des soucis : Ils vous prendront tous les pays, Que vous avez déjà bien pris. Et leur père, Séguin, m’a volé L’une de mes forteresses aimées. Aidez-moi à me venger d’eux, Nous les vaincrons si nous sommes deux Avec nos fidèles compagnons. Nous serons forts comme des lions ! Charlot Mon sire, mon chevalier fidèle, Je prendrai ma lance, mon haubert Et nous partirons tout de suite En silence, calmement, sans bruit. Amauri Oui, Charlot, mon ami si brave, Nous attendrons ces deux esclaves, Ces deux vauriens sans valeur, Dans un bois touffu, de bonne heure, Dans quelques heures, dans un moment. En route, mon chevalier vaillant ! Troubadour Charlot approuve ce stratagème, Mais Charlemagne n’en sait rien ! Si Dieu ne veille sur nos deux frères. Aujourd’hui, ils ne vivraient guère ! Amauri Fais mourir maintenant ces jeunes gens ! Sois un grand guerrier brillant ! Et vous tous, laissez-le courir ! Puisse-t-il trouve la mort si utile ! Si Charlot est tué, c’est moi, Amauri, qui gouvernerai Tout le d’un grand empereur Que j’assassine et puis, enfin, Je deviendrai un roi puissant. Au combat, mon Charlot vaillant ! Charlot Arrêtez-vous, dites-moi vos noms ! Gérard Nous, nous sommes Gérard et Huon ! Charlot C’est bien vous deux que je cherchais ! Il me faut maintenant me venger A cause de mes trois forteresses, Prises par votre père. Quelle tristesse C’était pour mes parents et moi. Vous ne pouvez plus m’échapper. Je suis prêt de vous frapper. Huon Mais qui es-tu ? Quel est ton nom ? Je ne sais rien de cette affaire ! Dis-nous alors, quel est ton nom Pour défendre bien notre père ! Charlot Je suis Thierry de Normandie Et vous, Huon, soyez maudits ! (bataille) Amauri Charlot est mort, Dieu soit béni ! Mon bonheur est grand, infini ! La France est sans héritier ! Et moi, j’aurai assassiné Notre empereur, Charles Le Grand ! Huon Mon frère, montre-moi ta grande plaie ; Je te la banderai et après, Je t’emmènerai à Paris Pour que tu puisses être guéri. Charlemagne, nous a si trahi ! Peut-être, je ne lui crois plus ! Que Dieu, le roi de paradis, Nous protège maintenant et toujours ! V A la cour de Charlemagne Huon Charles Le Grand, Charles l’empereur, Vous êtes roi fourbe et sans honneur ! Comme vous nous avez convoqués, Mais vos gens nous ont attaqués ! Charlemagne Prends garde à tes propos, Huon ! Je ne fais pas de trahison ! Tu dois prouver ce que tu avances, Profite bien de ma bienveillance ! Ah ! cet homme est à demi mort, Appelez mon médecin brave et fort ! Mais de la traîtrise, mes amis, Je n’en sais rien ! Quelle infamie ! Quelle méchanceté et quel crime ! Celui, qui l’a fait, n’est pas digne De ma pitié, de ma clémence ! Huon Mon empereur, c’est vrai j’ai fait Un combat avec l’homme étrange, Nous attaquant comme avalanche Et en criant toujours qu’il venge Son père et ses biens. En revanche, J’ai dû défendre, stupéfait, Nos propres vies et notre droit De venir sur ta cour, chez toi ! J’ai commis un meurtre, en somme, En ignorant le nom de l’homme Qui nous a attaqués soudain. J’étais en légitime défense Et j’ai agi avec prudence Contre cet étrange paladin. Charlemagne Mais j’entends prononcer toujours Par tous les gens par toute la cour Le nom de Charlot, de mon fils cher. Mon cœur souffre de grande douleur. J’entends dire le nom de mon fils ! Qu’est-ce qui se passe, Qu’est-ce qu’il ya de plus ? Amauri Juste, empereur, c’est votre enfant, Charlot que vous aimiez tant ! (on apporte le Charlot mort ; la douleur de Charlemagne ; puis sa colère, il veut tuer Huon, Naimes lui arrache l’arme des mains) Naimes L’empereur ne peut ôter la vie A celui, à qui il a promis D’accueillir sur sa cour royale. Il faut être prudent, loyal ! Huon J’ai tué cet homme qui est mort Mais je ne savais pas que ce corps Que c’était votre fils aimé. Si je l’avais su, puis jamais, Je ne me mettrais au combat Et je ne viendrais plus, mon roi, Sur votre cour. Je m’enfuirais. Amauri Ecoutez-moi, je vous dirais Tout ce qui s’est passé. C’est vrai ! Charlot chassait dans la forêt Quand une dispute a éclaté Avec les frères – Gérard, Huon ; Huon a pris le beau faucon De votre fils, Charlot le jeune En lui manifestant sa haine ; Et il ne lui a pas rendu Le faucon rare. Puis, il gradue La querelle et ensuite, il tue Charlot, votre fils si aimé ! Huon Sainte Marie, quel mensonge stupide ! A quoi bon de faire ce geste rude ?! Amauri Toi, tu es menteur, défends-toi ! Huon Moi, Huon, je jure sur la croix Que je suis innocent, mon roi ! Je me défendrai, à ma foi ! (duel, ensuite la mort d’Amauri) Charlemagne Comme Amauri est maintenant mort, Je ne sais guère quel était sort De mon pauvre fils mort, tué. Je ne sais plus ce qui est vrai (il réfléchit) Huon, désirez-vous la paix ? Vous êtes toujours un grand suspect. Huon Sire, je suis prêt à supporter N’importe quelle épreuve pour calmer Votre douleur, votre souffrance. Je ferai n’importe quoi, je pense. Charlemagne Tu te mettras à Babylone, Toi et tes fidèles, mon bonhomme, Où tu te présenteras à Gaudisse, Pour accomplir quelques services : Tu couperas la tête au premier Que tu trouveras, soit chevalier, Soit baron, si puissant qu’il soit. Tu embrasseras une fille trois fois Dans la salle, devant tout le monde. Cette fille doit être Esclarmonde. Tu présenteras mes exigences : Je lui demande mille chiens de chasse, Mille autours, mille éperviers, Mille jeunes filles, mille jeunes chevaliers. En plus, pour couronner le tout, Je veux de toi un grand atout : Ses moustaches et quatre molaires De la bouche de Gaudisse l’empereur ! (tous sont étonnés...) Huon Mon empereur, je me mets en route ; Mes terres, je les confie sans doute, A mon cher frère qui rentrera A Bordeaux et y règnera Jusqu’à mon retour réussi. Soyez tous bénis ! Dieu merci De nous protéger dans nos vies. En route, mes fidèles ! Mes amis ! VI L’expédition outre-mer Huon D’abord, je me mettrai à Rome Pour voir le pape, ce bonhomme, Pour réclamer l’absolution, Pour demander sa protection. (arrivée chez le pape) Pape Huon, mon cher cousin hardi, Le traitre qui vous a trahi Est déjà mort. Et pardonnez maintenant Votre empereur Charles Le Grand. (Huon manifeste qu’il lui a déjà pardonné) Moi, je vous donne l’absolution Parce que vous êtes pur, innocent ; Partez sans crainte avec vos gens. Voilà mes recommandations Pour brave Garin de Saint-Omer Qui garde le port et la mer Dans la belle ville de Brindisi ; Et partez chez lui juste d’ici. (adieux, départ, arrivée chez Garin) Garin Cher Huon, je suis plein de joie Que je puisse vous voir chez moi. Je suis ravi de vous aider. J’ai quatre navires hollandais Dont nous pouvons profiter ; Sur la mer, je vous piloterai. (Garin prend congé avec sa famille) Ma chère épouse, mes chers enfants, Soyez calmes et bienveillants. Un jour, moi, je retournerai Pour vivre tout gai et heureux. Huon, au public Mesdames, messieurs, beaucoup de terres Nous avons connu sur la mer. Garin Il y a d’abord la Femenie, Un pays sans soleil brillant Où les femmes ne portent pas d’enfant. Huon Puis la terre de Coumanie Où les gens mangent de la viande crue. De plus, les gens dorment tous dehors Exposés au vent ; et leurs corps Sont couverts de poils grands et noirs Garin Leurs oreilles, on a pu les voir, Peuvent leur servir de couverture ! Ensuite, la terre étrange de Foi, Où la loyauté est une loi Tellement respectée ! Et après... Huon, regarde, dans la forêt, Je vois un homme âgé sans barbe ! Garin et Huon Sois béni, l’ami sous les arbres ! Gériaume Soyez bénis, chers chrétiens ! Mon Dieu ! Quel bon ange gardien Vous a amenés dans ce pays Où il n’y a pas d’abbaye, Où je n’ai pas vu un chrétien Depuis trente ans ! Et c’est très bien Que je puisse parler avec vous ! Je connais la terre sarrasine, D’où peu de gens peuvent revenir S’ils ne sont pas des musulmans. Suivez-moi, je vous accompagne ! Garin Cher ami, connais-tu le chemin A Babylone, où les païens Vivent dans le royaume de Gaudisse ? Gériaume Oui ! son jardin est plein d’iris, De lys blancs et de tamaris ; C’est un beau palais, je vous dis. Mais l’émir est cruel, maudit ! Je connais deux chemins différents L’un est périlleux et gênant ; Il est le plus court, dangereux, Aventureux et malheureux ! Il ne prend que quinze jours. L’autre chemin calme traverse des bourgs Et demande une année entière ! Huon Je n’ai peur d’aucune barrière ! Mettons en route par le plus court Et connaissons tous ses détours ! Gériaume Mais dans la forêt, un nain vit ; Dont la beauté brille comme la lune ; Il chante comme la mer sur les dunes Quand le soleil se lève et luit. Personne n’échappe à Auberon Sans danger. Si tu lui réponds, Il ne te quittera jamais plus. Sans réponse, tout se dramatise : Il brise les arbres, les met en pièces A cause de cette impolitesse ! Huon Je suis prêt à braver ce nain ! Toi aussi, Garin, mon copain ? Garin En route, Huon, je n’ai pas peur ! Nous, nous vaincrons tous les malheurs ! (ils entrent dans une forêt) Huon Quel bois très bizarre ! Mais très beau ! Garin Le soleil dessine un château De tous ces arbres merveilleux ! VII La rencontre d’Aubéron Gériaume Enfin, Aubéron apparaît ! Garin Il est vraiment lumineux Que le soleil en plein été ! Huon Son vêtement est brodé De mille fils en or, en argent ! Gériaume Il porte un bel arc magnifique, Créé par une merveilleuse technique ! Ses flèches ne manquent jamais leurs buts ! Il a encore un cor splendide : C’est l’œuvre de quatre belle fées Qui lui on jadis conféré Des pouvoirs magiques. Quelle beauté ! Aubéron Que les trois compagnons passant, Traversant ma forêt puissante, Soient salués au nom du roi De l’Univers, aussi de moi ! Je vous adjure, trois amis, De répondre à mon salut ! (Huon, Gérard, Gériaume continuent à passer sans saluer ; Aubéron se met en colère et il provoque une tempête) Aubéron Vous, tous les trois, écoutez-moi : Jésus qui était sur la croix Est aussi mon grand protecteur ! Saluez-moi, n’ayez pas peur ! Huon Je vous dis, je n’ai jamais vu Un homme aussi beau que celui ! S’il nous salue au nom de Dieu, Il ne peut pas être dangereux ! Garin Ne le fais pas, mon cher Huon ! Il est méchant, cet Aubéron. Gériaume Il est né avant Jésus-Christ ; Sois prudent et ne lui crois plus ! Aubéron Huon, as-tu bien réfléchi ? Je viens au nom de Jésus-Christ. Je te conjure de répondre A mes paroles bonnes et tendres ! Huon, je te connais très bien ! Tu ne réussiras à rien Sans mon aide ni sans mon service. N’écoute plus Gériaume ; Huon, Adresse-moi ta parole, sois bon ! Huon Seigneur, soyez le bienvenu ! Aubéron Toi aussi qui es venu Dans ma forêt aussi splendide ! Ton bon salut intrépide Sera très bien récompensé. (Il s’approche de Huon) Tu vois ce beau hanap d’or vide ? Il sera plein de bon liquide Si tu fais le signe de la croix. Il y a maintenant du vin, tu vois ? (tous boivent, Huon fait plusieurs fois le signe de la croix ; G. et G. sont stupéfaits) Huon Quel miracle, cher Aubéron ! Aubéron Je te le confie ; c’est mon don Parce que tu es pur, innocent. Mais si tu disais un mensonge, Mon don perdrait, à ce moment, Son pouvoir magique. Ton voyage Sera difficile, cher ami. Tu n’éviteras pas d’infamie. Pour cela, je te donnerai ce cor, Il est fait d’ivoire, de bel or. Et n’importe où tu te trouveras, De ce beau cor, quand tu sonneras, Je t’entendrai depuis Monmur Et je viendrai, je te le jure, Avec mes cent mille guerriers. Mais si tu sonnais sans raison, Tu serais privé, de cette façon, De tout ma grande amitié. Huon Je t’obéis et obéirai ! Cher Aubéron, mon cher ami, Après avoir été admis, De façon magnifique par toi, Nous partons au nom du Saint Roi, Au nom de Jésus-Christ aimé ! Merci, je suis ensorcelé. (adieux) VIII Epreuve de Huon Huon Quand je retournerai en France, Je donnerai avec bienveillance Ce hanap à Charles Le Grand. A ce moment, je serai content, Parce que l’empereur ne parvient pas A y boire ! Mais je ne peux pas Croire au pouvoir de ce beau cor ! Non, je ne crois pas qu’Aubéron Entendra le son de ce cor De n’importe quel lieu. Il a tort ! Je vais faire un petit essai ! Garin Ne le fais pas, Huon ! Tu sais Qu’Aubéron serait très fâché S’il avait dû se dépêcher De te porter secours inutile ! Huon Garin, mon ami, sois tranquille ! Un petit essai, rien de plus. Je serai plus content que je puisse Le faire. Je vais sonner un peu. (il sonne) Aubéron Cher Huon, dis, quel est ton vœux ? Qui t’attaque, qui te fait du mal ? Où sont les lâches ennemis sales ? Huon Pitié pour l’amour de Dieu ! Je voulais seulement éprouver Le pouvoir de votre cor rare. Je suis pécheur, je suis barbare ! Aubéron Tu as raison, mon cher Huon ; Cette fois encore, je te pardonne. Ecoute-moi : tu dois surmonter Le Tormont, un pays révolté Où réside Eude, traître méchant. Evite ce païen répugnant ! Prends un autre chemin, je te dis ! Huon Le monstre que tu m’as décrit Doit être tué. C’est bien clair. Soit tranquille, Aubéron. Mes chers, En route, mettons-nous tous maintenant ! Et je promets solennellement De ne plus sonner sans raison. En route, mes fidèles compagnons ! IX A Tormont Gériaume Voyez-vous ? Une ville devant nous ! Huon, n’est-tu pas vraiment fou De vouloir entrer à Tormont ? Huon N’aie pas peur, mon cher Gériaume. Entrons dans cette belle ville païenne. Ecoutez, Gériaume, Garin. Trouvez un marché et achetez Tous les poissons et toute la viande, Des légumes et de la salade. Invitez puis tous les pauvres Et toute la ville qu’elle découvre Nos tables pleines de bon repas ! Garin Quelle idée folle de notre ami ! (au public) Regarde, ils sont comme des fourmis, Tous ces pauvres, les mendiants ! Gériaume Laisse-les passer en souriant ; Un jour, toi, tu pourras devenir Aussi pauvre, malheureux. Mais ne pense pas à ton avenir ; Regarde-les, comme ils sont heureux. Eude (Petra) Parbleu ! J’ai une très grande faim, moi ! Il n’y a plus de viande ni d’oie, Ni même le moindre poisson ! Ni petit pois même ni oignon ! Mes valets, ceux, ne sont à rien. Il faut que j’aille dans la ville ! Bien ! Ah ! Les mendiants ! Les chrétiens ! Huon Seigneurs, soyez le bienvenu Au nom de bon Dieu parmi nous ! Eude Tu es donc chrétien ! Et bien ! Et tu as toutes mes denrées ! Tiens ! Je ferai massacrer vous tous ! Huon Quel orgueil, haine ou mal te pousse ! Et pourquoi tu nous veux du mal ? Eude C’est clair ! Votre crime principal C’est que vous êtes tous chrétiens ! Gériaume Seigneur, soyez un bon païen ! Venez ici, venez, mangez, Ne soyez plus si affligé. Regardez : un très bon repas, Une très bonne boisson sont à deux pas. N’hésitez plus ; venez, mangez ; Ici, vous êtes bien protégé. (Eude hésite un peu, puis, il accepte) Huon Je vous sers du vin, cher seigneur : Ce hanap est vide, regardez ; Mais grâce à notre protecteur Il est plein de vin, vous le videz. (Comme Eude est païen, le vin disparaît ce qui le met en grande colère) Eude (très furieux) Mais vous êtes un grand sorcier ! Parbleu ! Il n’y a plus rien ! Garin C’est le péché qui est en vous. Venez et buvez avec nous ! Gériaume, à part, à Gériaume J’ai appris que dans la prison Il y a cent quarante bonhommes, Cent quarante pauvres chrétiens. Utilisons tous les moyens Pour les libérer, faire sortir. Eude, à part Ce chrétien bizarre, étrange, Bien qu’il soit le fils de mon frère, Est venu comme une avalanche ! Il me met en très grande colère ! Je me débarrasserai de lui ! Mes chevaliers, frappez Huon ! Massacrez-le, tuez-le, puis, Jetez son corps à mes lions ! Garin et Gériaume Au combat, nos chers amis ! Battons tous cette grande infamie ! (bataille) Garin Huon, cette bataille est très dure ! Prends ton cor ! Appelle Aubéron ! Gériaume Huon, les remparts, tous les murs Et les ruelles sont pleins de morts ! Sonne du cor ! Appelle Aubéron ! (Huon sonne) Aubéron Je suis ici, mes chers copains ! Je vous aiderai, soyez sans crainte ! (bataille, après, Garin et Gériaume emportent les morts) Aubéron Maintenant, ne dirige pas ton chemin Vers le château d’un mauvais chien, D’un ogre, géant qui est fou ! Il est méchant, ce grand vieux loup ! Ce géant s’appelle Orgueilleux. Il m’a volé, un jour, jadis, Mon haubert mettant à l’abri De toutes les blessures, toutes les plaies ! Je te prie, Huon, s’il te plaît, Au nom de notre amitié : N’y va pas ! Aie la pitié Avec des hommes et avec toi ! Huon Non ! Par Dieu en qui je crois, Je veux ce haubert d’Orgueilleux ! Sinon, je deviens malheureux ! De plus, si je suis en danger, Tu peux m’aider à me venger. Aubéron Mais Huon, tu sonneras en vain ! Contre ce vaurien, ce chien, Je ne pourrais faire vraiment rien ! (adieux) X Devant le château d’Orgueilleux Gériaume Mon Huon, sois raisonnable ! Reste méfiant et sois noble ! Là, c’est le palais du géant, D’Orgueilleux qui est très puissant ! Garin N’y va pas, mon cher chevalier ! C’est trop dangereux, tu sais bien ! Huon Pourquoi ces plaintes et ces soucis ? Je cherche des aventures ici ! J’irais là-bas, dans le palais, Trouver le géant monstrueux. Et vous, restez dans cette prairie Et attendez-moi, mes hardis ! (il part seul, après avoir pris congé avec Garin et Gériaume) Ah, voilà ! C’est la citadelle Du géant. Mais je vois une belle Sur les remparts de ce palais. C’est le soleil qui se reflète ? Ou est-ce une hirondelle si belle Qui a quitté l’île des merveilles ? Dis-moi, qui es-tu, la rose blanche ? D’où viens-tu, la princesse des anges ? Sibille (Lenka) Merci pour tes beaux compliments. Je suis captivée par géant. Je suis Sibille, née en douce France, D’où je suis sortie en enfance Avec mes chers parents aimés Qui furent attaqués et tués Par Orgueilleux, l’ogre cruel. J’ai été épargnée, moi, seule Pour le servir et divertir ! D’ici, je voudrais tant sortir ! Huon Montre-moi, chère Sibille, la salle, Où dort l’ogre, ce monstre sale ! (ils partent ensemble ; après, Huon regarde derrière le rideau et montre, indique sa surprise : le géant est très très grand) Huon Il est très laid et terrible ! Il est bien grand et horrible ! Pourquoi il dort, cet Orgueilleux ? Pourquoi il n’ouvre pas ses yeux ? Holà, seigneur, réveillez-vous ! Grand seigneur, enfin, levez-vous ! Orgueilleux, Anezka Qui es-tu ? D’où es-tu venu ? En tout cas, sois le bienvenu ! Huon Je suis Huon, duc de Bordeaux. Je suis venu dans ton château Pour t’inviter à un combat. Orgueilleux Mais avant lutter, écoute-moi : J’ai vaincu Aubéron le fée Et j’ai son haubert précieux Qui est trop grand mais qui protège Contre les maux, les sortilèges. Si tu veux l’essayer, tu peux. Huon Je suis d’accord pour cette épreuve. (il met le haubert) Orgueilleux Quel miracle ! Il te va très bien ! Je ne le croirais jamais ! Tiens ! Mais, Huon, rends-le-moi maintenant ! Huon Jamais de la vie, l’ogre Satan ! Orgueilleux Rends-moi mon haubert, cher Huon ; Je te donnerai un anneau d’or Que m’a offert l’émir Gaudisse. L’anneau ouvre les édifices : Si tu le montres à l’émir, Il accomplira tes désirs Et n’importe quoi ce que tu lui dises. Il t’obéira, ce Gaudisse. Huon Mettons-nous au combat, enfin ! Tais-toi et lutte, l’ogre païen ! (bataille, dans laquelle Huon vaincra ; puis il appelle ses compagnons) Huon Mes chers Garin et Gériaume, J’ai tué le géant bonhomme. Venez ici, n’ayez pas peur ! Et toi, Sibille, devient ma sœur !