LE VAIR PALEFROI I Prologue Bonjour, mes dames, soyez les bienvenues ! Et les hommes ? Ceux, s’ils sont venus Avec nos dames, qu’ils restent ici ! Que leurs cœurs s’adoucissent aussi Grâce à notre histoire si belle D’une jeune fille, d’une demoiselle ; De sa douceur, de sa noblesse, De sa douleur et sa tendresse. On va parler des hommes méchants, Qui ont l’âme fourbe et pêchant. Aussi des hommes très courageux, Gentils, vaillants et bien jugés. Dans notre lai du Vair Palefroi, Vous entendrez Huon le Roi Manifester sa grande sagesse Grâce à une belle dame, une duchesse. II Présentations Voilà notre chevalier, Courageux, courtois et valeureux ; Riche de cœur, mais pauvre de biens, Venu d’un pays lointain. Lui, il possède intelligence, Honneur, noblesse et grande vaillance. Vous ne trouverez plus son égal : Il est très beau, mais aussi pâle. Les gens le couvrent de grands éloges, Dans les villes, sur les pâturages. Mais écoutez : en plein hiver, Il porte des vêtements de couleurs Vives et gaies de même que son cœur Est plein de bonté et de valeurs. L’amour profond occupe son cœur Pour une très noble demoiselle, Gentille, gracieuse et très belle. Elle est une fille d’un prince puissant, Opulent et riche, peu vaillant. La fille noble s’appelle Ermengarde Et elle attire tous les regards Des hommes, des femmes, de tous les gens, Grâce à ses manières vivantes. En plus, elle a vécu longtemps Sur la cour d’un émir vaillant Pour apprendre les autres langues. A cette belle, noble dame rien ne manque, Sauf l’amour de son bel amant. III Guillaume demande la main d’Ermengarde Guillaume Soyez béni, seigneur noble, Soyez gentil et aimable : Je viens vous demander votre fille Dont la beauté merveilleuse brille Comme le soleil à l’aube naissant, Comme la lune dans les eaux dormantes. Prince Sois béni, messire Guillaume, Mon jeune chevalier, mon bonhomme. Dis-moi, as-tu assez de terres Pour y amener ma fille meilleure ? Guillaume Mes terres rapportent mille livres par an Ce qui est assez pour ma dame. Et surtout, je suis riche de cœur, Mon palais est plein de couleurs ; J’aime la musique et la beauté, De bons poèmes que j’aime chanter. Prince Mon cher Guillaume, ton petit palais Se trouve au milieu des forêts, Tu n’as pas assez de valets Pour ma belle fillette adorée. Guillaume Seigneur noble, mon amour fort Vaut plus que deux cents châteaux forts. Nous vivrons ensemble toujours Grâce à notre amour, nuit et jour. Prince C’est trop peu, mon pauvre chevalier, Tu as besoin d’or, de deniers. Tu ne réussiras jamais Sans argent ; tu ne peux aimer Ma fille, ma belle, chère demoiselle. IV Ermengarde donne des conseils à Guillaume Ermengarde Mon ami, mon Guillaume aimé, Ne sois pas triste ; chaque matinée, Tu peux venir dans le jardin Où nous pouvons parler sans crainte. Mon vieux père dort toujours longtemps ; Je mourrais sans te voir souvent. Guillaume Oui ! Demain matin, de bonne heure, Je reviendrai te voir, mon cœur ! Avec mon cheval gris pommelé, Nous traverserons les vallées, La forêt profonde et le lac Cachés dans le brouillard opaque. (à son cheval) Mon cheval, mon ami fidèle, Avec toi, toute la pauvre misère Passe à une chanson sans souci ? Je t’en ai et je remercie Dieu, Sainte Vierge et Jésus, son fils. Que nous vivions à l’oasis ! Personne n’a un cheval si beau, Dont les sabots claquent, dont la peau Est d’une belle couleur magnifique : Vous ne trouvez point identique ! Allons-y, mon vieux, mon ami ! Par ma dame, nous serons accueillis ! (pantomime – les rencontres) Si je pouvais vous embrasser, Ma chère amie, je serais ravi ! Ermengarde Si je pouvais vous embrasser, Quelle douceur ce serait, mon ami ! Guillaume L’amour me brûle de toute sa force Et je ne peux rien faire, ma douce ! Ermengarde Il faut attendre, mon chéri, Pour pouvoir, un jour, réussir. (pantomime) Guillaume Ma chérie, la vie que je mène, Je ne l’aime plus. La semaine qui vient, Je reviens voir ton père sévère Pour adoucir son âme, son cœur Ermengarde ! Mon cher Guillaume, mon cher seigneur, Cherchons ensemble notre bonheur ; Comme mon amour n’est pas volage, Pour être heureux, soyons sages : Par les mots, vous n’obtiendrez rien. J’ai une idée, écoutez bien : Si mon père avait comparé Votre richesse à votre cœur, A votre vaillance et bonté, Il vous aurait manifesté Depuis longtemps son affection. Comme la richesse est sa passion, Il désire voir des coffres-forts Pleins de bijoux, d’argent et d’or. Guillaume Ma tendre amie, ma belle amie, Vous savez bien que je n’ai rien De ces trésors énormes et fous. J’ai quelques objets d’acajou, D’ivoire, d’argent et quelques sous. Ermengarde Mon chéri, vous n’êtes pas sans savoir Que votre oncle a un pouvoir, Qu’il possède un puissant château, Des grands trésors et des bateaux Sur la grande mer et dans le port. Et il n’a ni enfant ni femme, Il vit seul sans frère, sœur et dame. Rendez-lui donc votre visite ; Allez chez lui, allez très vite. Il peut vous protéger très bien, Il peur vous léguer tous ses biens. Guillaume Ma tendre amie, ma sage dame, Vous êtes mon trésor, ma chère âme. Il pourrait dire à votre père : Mon neveu recevra mes terres, S’il épouse votre belle fille unique ! Quel grand mariage magnifique Nous célébrerons ensemble ! Cela peut aller, il me semble. Je m’en vais immédiatement En parler avec mon parent, Avec mon oncle qui est riche. Merci pour votre idée, ma biche ! (il se met en route ; arrivée chez l’oncle) V Guillaume rend visite à son oncle Guillaume Mon sire, mon oncle estimé, Je vous souhaite une bonne santé ; Mon cœur et mon âme sont pleins de joie De vous parler et de vous voir ! Oncle Mon ami, mon très cher neveu, Moi aussi, je suis heureux De te voir dans mon château. Quel bon vent, quel joli bateau T’ont apporté près de ma porte ?! Viens, raconte-moi de ton sort. Guillaume Mon oncle, je vous prie d’aller Chez votre ami, le riche comte Vivant dans son splendide palais En Champagne, baigné par les ondes D’une belle rivière qui traverse Les près, les forêts, les vallées. Je vous prie de parler au prince, Au père de ma belle amie mince. Oncle Bien sûr, mon cher neveu gentil. Dis-moi, à quoi je prends partie. Guillaume Mon oncle, promettez au comte De me confiez la terre bonne Pour que je puisse tôt épouser Celle qu’on vient de me refuser. Et vous retrouveriez après, Toute votre belle grande terre sacrée Et aussi ma reconnaissance Qui est si grande que ma vaillance. Oncle Volontiers, mon très cher neveu, Votre beau projet, tout à fait, Me plaît et me convient beaucoup. La fille du prince, ce grand bijou, Est une fille courtoise, noble ; D’une beauté admirable. Guillaume Je vous remercie, mon oncle, Pour moi et mon Ermengarde. Je dois partir au tournoi, Pour y assister, selon la loi. Réaliser donc sans tarder Mon grand projet, mon grand bonheur ! Oncle Volontiers, mon cher Guillaume ! N’hésite pas, va à Gallardon Pour être à ce grand tournoi, Organisé même par le roi ! VI Oncle demande la main d’Ermengarde (Ils prennent congé, Guillaume part. Son oncle réfléchit, il est de plus en plus content de lui-même ; il prend son cheval, avec des difficultés, il est trop vieux, et se met en route. Il arrive chez son ami, le prince, père d’Ermengarde.) Père Mon cher ami, égal en âge, Egal en richesse, en sagesse ! Faites très attention, soyez sage Pour ne pas perdre la souplesse ! Il faut être prudent, on le sais, Pour ne plus rien briser, casser. Oncle Mon cher ami riche et puissant, Soyez béni, bienveillant. Je suis très ravi de vous voir ! Je veux tant vous parler ce soir ! Père Mais d’abord, on va bien manger, J’ai déjà fait tout arranger. Oncle Mon Dieu ! Quel repas plantureux ! Je suis ravi, je suis heureux ! (les deux vieillards mangent) Oncle Je vous ai rendu ma visite Parce que la vie passe vraiment vite. J’ai un grand désir à vous dire ; Ecoutez-moi bien, mon cher sire. Père Pourquoi ces discours ? Cher bonhomme ! Vous êtes sérieux et si bon ! Je ne vous refuserai rien. Je vous écouterai très bien ! Oncle Cher Seigneur, je suis arrivé A cause de votre fille aimée. Je veux vous demander sa main ; Ermangarde est la sagesse même. Je la doterai de tous mes biens Je suis très riche, mon grand ami, Et tous mes trésors seront unis Pour un héritier futur. Toutes mes terres, mon or, mes fourrures, Mes beaux chevaux et mes châteaux, Toutes mes pierreries et mes bateaux Attendent leur seigneur estimé. Comme je n’ai ni épouse aimée Ni fils ni filles même ni nièce, Je donnerais tout à la princesse, Si elle devenait la maîtresse De tous mes biens, de toutes mes terres. Et vous, cher ami, vous êtes père De cette dame qui pourrait vivre Avec moi, qui pourrait suivre Selon la loi, le reste de ma vie. Je vous demande, mon ami, La main de votre fille aimée, De la plus belle que je connais ! Qu’elle devienne ma femme légitime, Que maintenant sa vie fait des rimes Avec la mienne jusqu’à la mort. Père Je suis complètement d’accord, Mon très cher ami, mon seigneur ! Soit béni cette grande bonne heure ! Avec plaisir je vous donnerai Ermengarde que vous épouserez Dans deux jours si vous voulez. Préparez dans votre palais Tout pour les grandes noces solennelles ! Je prépare ma fille, la belle Pour le départ dans la chapelle Où se déroulera sans délai Votre mariage qui me plaît. Que je veux danser sans finir ! Et je vous embrasse tout de suite ! Que Dieu bénit votre conduite ! (il appelle Ermengarde) VII La déception d’Ermengarde Père Ermengarde, ma douce fille tendre ! Viens, ne nous laisse pas attendre ! J’ai une belle nouvelle pour toi Qui te fera une grande joie ! Viens, approche-toi encore, ma belle, J’ai pour toi ton mari fidèle. Ermengarde Où est, mon cher papa, celui Qui est si cher à mon cœur, qui Dont l’âme est sublime, généreux ; Qui est courageux, valeureux ? Père Voilà, ton fiancé préféré ! Ermengarde Ah ! Celui-ci ?! Ce n’est pas vrai ! (elle s’évanouie plusieurs fois) Père C’est du bonheur, mon cher ami ! Oncle Je ne m’en doute pas, mon ami ! Ermengarde Papa, seigneur, permettez-moi De m’éloigner maintenant, je dois Réfléchir de cette grande nouvelle. Père Oui, bien sûr, mon enfant, ma belle ! (Ermengarde s’éloigne) Ermengarde Moi, qui je suis infortunée ! Malheureuse, trahie, condamnée ! Quelle trahison ce vieux a fait ! Il a bien trompé son neveu ! Que Dieu le lui fasse bien payer ! Mais quelle amère souffrance j’en ai ! Et je sais bien que je mourrais, Si Dieu n’intervient pas à temps, Quel grand poids accable mon âme ! (elle s’en va) VIII Les préparations Père Soyez béni, mon grand ami ! Est-ce que vous avez bien dormi ? Oncle Comme aujourd’hui il y a des noces, Je n’ai pas dormi, sauf une pause Et j’ai rêvé de mon épouse, Jeune, belle, douce qui plaira à tous. Père Regardez, mon très cher ami, Comme je vous ai déjà promis, J’ai invité les ducs, les princes, Les grands, les petits, les gros, les minces De tous les pays voisins, De ces pays proches et lointains. Oncle Mais certains seigneurs, comme je vois, Ont des problèmes avec leurs poids ! Les pauvres chevaux qui les portent ! Père Vous avez raison, mon seigneur ! Il y a vraiment un grand mystère, De quelle façon ils sont venus ! Mais certains barons sont munis De grandes qualités et richesse ! Et j’ai trouvé pour cette noblesse Les plus beaux chevaux calmes, prudents, Pour nos invités influents ! Oncle Vous êtes vraiment sage et vaillant ! Mes grands mercis et compliments ! Père Regardez, mon ami si cher, J’ai fait amener un très beau vair Que votre jeune neveu possède. Ce vair palefroi est une grande aide : Il apportera Ermengarde Suivie de nous et de nos gardes, Dans la forêt, dans une chapelle Où seront vos noces solennelles. IX Les plaintes (chacun dans son château, parallèlement) Guillaume Après mon retour du tournoi, L’écuyer est venu chez moi Pour demander mon vair palefroi ! Mon cheval qui est devenu roi De toutes les grandes compétitions ! Pour un traître, pour un couillon, Qui n’est plus mon oncle aimé ! Par lui, je suis trahi, trompé ! Ermengarde Mon Guillaume, je deviendrai folle ! Sans vous, mon petit rossignol, Sans vous, je ne serai plus heureuse, Sans vous, il n’y a plus tendresse ! Guillaume Quelle douleur ! La plus grande du monde Que j’éprouve ! Sans mon Ermengarde Il n’y a plus de joie, plus de beauté ! A cause de ce vieillard sacré ! Ermengarde Ce vieillard moche afflige mon cœur, Il est lâche, trop vieux, sans honneur ! Guillaume Ce vieillard moche navre mon cœur, Il est traître et sans honneur ! X La rencontre (le chant du coq) Père Debout seigneurs ! Voici le jour ! En route, vous tous ! Quittons ma cour ! Partons, nous tous, pour la chapelle, Partons pour les noces solennelles ! (ils montent aux chevaux, pas à pas, les vieux s’endorment, le vair emporte Ermengarde) Ermengarde Mon cher beau palefroi, où vas-tu ? Moi, j’ai peur, nous nous sommes perdus ! Mais je préfèrerais mourir Ici, plutôt que de subir Un mariage déshonorant ! Mon vair palefroi galopant, Vas où tu veux, je te confie Mon sort, mon âme, vas, mon ami. Guillaume Qui chevauche maintenant sur ce pont ? Mon Dieu ! C’est ma princesse si bonne ! Ermengarde Mon Guillaume ! Votre bon cheval M’a emmenée de votre rival. Grâce à Dieu, il connaît son chemin, Et ma tristesse devient soudain La grande joie, le suprême bonheur ! Guillaume Venons, ma chère, dans la chapelle, Ma chère, aimée damoiselle ! Ne perdons plus le temps passant, Devenez mon épouse, ma femme ! (il s’adresse au public) Et vous tous, mes valets fidèles, Servantes, gardes et jardiniers, Ecuyers et cuisiniers, Entrez tous dans ma citadelle, Et suivez-nous dans la chapelle ! Moi et ma tendre hirondelle ! Célébrerons tous la fête si belle ! XI Perte d’Ermengarde Oncle Je suis vraiment très épuisé, Mais je veux être épousé Avec la belle princesse tendre ! Moi, je ne peux plus attendre ! Mon neveu Guillaume rentrera Et cette nouvelle le surprendra/ C’est sûr ; je le connais très bien ! Où est la belle jeune fille ? Qu’elle vienne ! Je ne la voie pas ! Père Moi non plus ! Où est-elle ? Qui l’a vue ? (au public) Tu sais où elle est ? Dis-le-moi ! Où est-elle et son vair palefroi ? Et toi ? Dis, où sont-ils cachés ? Je suis triste, je suis affligé ! Mettons, maintenant, toute notre ardeur A la trouver, elle, mon bonheur ! (ils se mettent à la chercher) Oncle Arrêtez, mon cher ami sage. Il faut passer ce marécage Où le cheval a dû passer. Il a porté ma fiancée Dans la nuit, dans la forêt noire. Cherchons un palais, un manoir. Père Regardez : un petit château ! Quel beau lieu entouré d’eaux ! Oncle Je le connais bien, mon ami, Ce château, ce manoir joli, Appartient à mon jeune neveu, A Guillaume, ce jeune homme qui veut Votre fille, la belle Ermengarde. Père Ah ! C’est vrai ! Regardez ! Regarde ! Ils se sont déjà mariés ! Mon vieux, il nous faut avouer Qu’ils sont très beaux et si mignons ! Tu leur donnes une part des trésors Que tu as dans ton château fort. Oncle Je suis déçu, mais il est vrai, Qu’ils sont très beaux et fortunés ! D’accord ! Qu’il passe ce que tu dis. Soyons sages et non étourdis, Ni par nos biens, ni par nos vœux. Soyons sages, soyons généreux ! XII Epilogue Ermengarde Messire Guillaume était courtois, Mon époux aimant qui mille fois A prouvé sa grande affection ; Il est brave et fort comme un lion Et il est gentil comme une rose ; Mon Guillaume poète, virtuose. Guillaume Quels mots tendres, doux et gentils ! Je me sens être très petit A côté de ma belle épouse, Ma chère Ermengarde, ma muse. Oncle Trois ans ont seulement passé Et moi, je suis mort, j’ai laissé Tous mes grands biens à mon neveu Qui est toujours bon et heureux. Père Ensuite, la mort s’est attaquée A moi-même, et j’ai indiqué Ermengarde comme mon héritier. La mort s’empare sans pitié De tous les gens sans différence, Pour cela, ayez assez de clémence ! Pour cela, soyez bons et généreux, Vivez en paix, soyez heureux !