PROLOGUE Un splendide vendredi d’avril, Quand les prés étaient verdoyants, Quand les arbres brûlaient de désir, J’ai entendu un vieux beau chant Sur les maintes aventures de Berthe. Cette belle et noble Berthe au grand pied Qui a longtemps vécu sans crainte Avec ses parents, chevaliers. Son père est roi de Hongrie, Floire, Sa mère, Blanchefleur, la belle dame sage. Leur Berthe a atteint une grande gloire Parce qu’elle était pure comme un ange. Seigneurs, dames, pour trouver la clef Du chant, écoutez bien comment Berthe, la femme de Pépin le Bref La mère de l’empereur Charles le Grand A surmonté tous les dangers, Tous les périls et les douleurs. Il ne nous reste plus qu’à songer A la fin heureuse, au bonheur. Ecoutez tous, les bons seigneurs, L’histoire chantée par les jongleurs. I L’AMBASSADE Le roi Pépin, le fils vaillant Du courageux père Charles Martel, Revient du tournoi en gagnant La victoire, la gloire éternelle. Regardez, comme il est hardi, Du corps solide, fort et costaud ! Oui, j’avoue, Pépin est petit, Mais il ne connaît pas de repos ! La fête finit, les vins sont bus, Le gibier, gâteaux mangés, Les harpes, les vielles, les rotes se taisent, Toutes ces belles affaires qui vous plaisent. Une grande bougie blanche dans notre salle Brille entre les murs de pierres ornés De tableaux, de fleurs, de cristal. En ce beau moment de silence, Nous venons, nous, les ménestrels, Nous vous demandons la clémence Pour nous, notre histoire la plus belle. O roi, vivent ton faste, ta richesse, Tes exquis, ton claré divin. Pour tout jongleur quérant or, liesse Ce n’est que la cour de Pépin. S’il advient parfois sur ton front L’on voit passer lourde, dolente peine, Evidente en est la raison : Le roi franc ne peut vivre sans reine. Sire, je connais une belle pucelle Aux grands yeux bleus et aux tresses d’or ; Sur terre il n’y pas d’être plus belle, De bonté son cœur est trésor. Simple détail je l’ai oublié : Qui est de ce portrait l’ébauche : La belle a nom Berthe au grand pied, Car elle a plus grand son pied gauche. Seize ans en çà la reine Blanchefleur Comme fille l’a donnée au roi Floire. Pour Berthe et son futur seigneur Lors négromants prédirent grande gloire. « D’eux il naîtra le vaillant roi, Fleur de noblesse, de chevalerie, Qui exaltera la divine loi, Détruira la vile gent haïe. » Des tortils, je vois fondre la cire : Encore un mot et je me tais : Fais ce que tu dois et longtemps, Sire, Puisses-tu vivre en amour, en paix ! Sire, la chanson des jongleurs dit Ce que nous tous, nous voulons tant. Comme notre roi vaillant, hardi, Tu ne peux plus vivre sans ta femme. Si tu ne remariais pas, Si tu n’avais pas de successeur, Les ennemis feraient des pas, Qui nous causeront des malheurs. Pépin Jongleurs, vous avez bien chanté, Vos vers de la belle me plaisent fort. Si son cœur est plein de bonté, Nous vivrons gais jusqu’à la mort. Voici de riches robes de samit Qui viennent des pays de Syrie, Encore celles de soie d’Orient, Des joyeux, des palefrois brillants. Tous ces cadeaux emportez à Berthe Et l’invitez dans mon château Entouré des fleurs, des parcs verts. L’accompagnez chez moi bientôt Pour que nous soyons calmes, heureux. Pour la Hongrie, partez demain, Soyez vaillants et valeureux, Vous, jongleurs, chantez vos refrains ! Xxx Dès le lendemain, les barons Revêtus de leurs armures d’or Passent par les paysages riches et bons A Strigon où sonnent les grands cors. Floire Soyez les bienvenus, chers sieurs ! Quelle nouvelle nous apportez-vous ? ☼☼☼ Sois béni, sire roi à cette heure ! Nous tous qui sommes venus au bout De notre long et célèbre voyage, Nous t’apportons, du roi des Francs, Ce noble et généreux message : Pépin le Bref veut prendre pour femme Ta fille, la dame Berthe au grand pied. Floire C’est une belle nouvelle, chevaliers ! Attendez, je vais la trouver. Ma fille, où es-tu ? que fais-tu ? Berthe Je file la laine, papa, j’y vais ! Une chanson de toile, la veux-tu ? Floire Ma fille, le roi Pépin te veut ! Le roi désire te prendre pour femme ! Berthe Le roi des Francs ? Lui le meilleur Des renommés ? Qui a son âme Vaillante, noble, brave et généreuse ? Il doit être beau et valeureux ! Floire Ma fille, il est petit et laid ! Berthe Mais il est sage et courageux. Floire Il est brave, tout le monde le sait. Un jour, sa mère, les dames, les jeunes Jouaient sur l’herbe quand un lion Echappé d’une cage, apparut ! Et Pépin, sans hésitation Avec une forte lance, est venu ! Il a transpercé d’un coup sur La bête féroce ! Ô, quelle lutte dure ! Voilà ce que j’avais à te dire, Ma fille gentille qui sait sourire Comme le soleil d’or matin, Comme la chanson douce aux refrains. Blanchefleur Fille, avant de prendre la décision, Réfléchis bien sur cette question. Pépin est un roi brave, vaillant, Et tu es une pucelle ayant Foison de terres, d’argent, de biens. Tu es chez toi, avec les tiens. Berthe Pépin est le roi le plus sage, Il est magnifique comme un ange. Il est petit, son âme immense. Devenir sa femme est une grande chance. Blachefleur Mais si tu ne l’as jamais vu… Pour toi il est presque inconnu. Berthe Le roi de France me veut comme femme. Il me donne une couronne brillante. Pépin, je suis sûre de l’aimer Et de ne le quitter jamais ! Blanchefleur En toi, je reconnais mon sang. Tu es vraie fille de tes parents. (aux messagers) Seigneurs, ma Berthe au clair visage Répond par moi à votre message : Vous pouvez l’amener en douce France, Chez votre roi, dans sa résidence ! II DEPART DE BERTHE AU GRAND PIED (cortège, gens, cadeaux…) Blanchefleur Ma fille ne pense qu’au grand amour Pour ton époux et pour ta cour. Sois gentille aux pauvres et aux nobles, Observe la clarté et les ombres. Montre toujours à petits, à grands Ta courtoisie et ta bonne âme. Berthe Ainsi, en sera-t-il, ma mère ! Et toi, ne sois triste, mon bon père. Floire Ma douce fille, Berthe au clair visage, Ne sois pas dolente, mais sois sage ! Sois heureuse de devenir la reine Du beau paysage sans crainte, sans peine. ☼☼☼ Ils ont tous chevauché longtemps A travers des vals, des montagnes. Ils s’arrêtent au bord d’une prairie Où l’alouette chante, la rose fleurit. Une grande ville se dresse, Une ville aux cent tours grosses et minces ; Des barques enguirlandées des roses Font sourire les visages moroses ; Les gens chantent et dansent, les cloches, Tous les sons s’unissent en un ton Si solennel et joyeux. C’est Paris, le Paris heureux ! (chanson ; le peuple salue Berthe, Berthe et son cortège saluent le peuple de Paris) ☼☼☼ La princesse, sois la bienvenue ! Devienne le soleil qui admit Toute la bonté de notre pays ! Devienne la lune qui accueillit, Qui calme et berce, qui est amie ! Nous serons les branches qui te cachent Devant tous les ennemis lâches ! Nous serons le bois attendri Qui te fera un calme abri. Sois la bienvenue, notre princesse ! Vive la reine ! Vive la belle duchesse ! ☼☼☼ Berthe, voyant des âmes tellement bonnes, Sent son cœur se fondre d’émotions. Pépin voit entrer la pucelle Qui est la plus tendre, la plus belle. Il se lève, il saisit sa main Avec douceur et dit enfin : Pépin Bienvenue à toi, la belle dame ! Nous passerons, dans ce port calme, Dans ce palais aux mille lumières La vie heureuse et le bonheur ! (Berthe s’assied avec nonchalance, il fait voir légèrement ses pieds.) Pépin C’est un rêve ou une illusion ? Ils sont les mêmes, j’ai l’impression. Ou le jongleur a-t-il menti ? La jalousie, il l’a sentie ? (à Berthe) Comme je t’ai attendue longtemps, Je te propose, ma chère belle dame, De partir tout de suite pour l’église Pour que le curé nous bénisse. Je veux enfin voir sur ton chef La couronne d’or brillante, et en bref, J’ai un grand faim et un festin Nous attend soir dans le jardin. Berthe Seigneur, je me sens un peu lasse, Mais je sais que toute la paroisse Nous attend et je ne veux pas, C’est sûr, retarder ton repas. Mon bonheur, ma chance unique, C’est notre mariage magnifique. Mon seigneur, mon empereur béni, Que notre bonheur soit infini ! (les noces) ☼☼☼ Dans le jardin, le festin dure. Le soleil empourpre les mures, La soie du pavillon de noces, La blancheur des pierres et des roses. Pépin et Berthe avec les gens, Barons et rois les plus puissants Célèbrent ce grand événement. Et au clair des bougies luisantes Berthe dit à son époux royal, Après la première danse du bal : Berthe Seigneur, mon long voyage cher toi, M’a pris tant de forces que je crois Tomber de fatigue, d’épuisement. Cette salle splendide, ce soir brillant, Je les quitte pour quelques moments, Pour me reposer, pour dormir. Pépin Bien sûr, Berthe, je te laisse partir. Repose-toi bien, ma belle épouse, La belle reine des Francs tellement douce. III TRAHISON ☼☼☼ Mais écoutez maintenant, seigneurs, Notre histoire du plus grand malheur Qui puisse rencontrer la jeune reine ; Margiste, servante, entre sur la scène : Margiste Dame reine, tu sais combien je t’aime. Dame douce, tu connais bien mes liens, Toutes mes affections pour toi-même. Berthe Qu’est-qui se passe, ma bonne amie, Ma bonne Margiste, fidèle, chérie ? Ta voix m’emplit d’angoisse, de peur. Y a-t-il un mystère, un malheur ? Margiste Dame reine, sache donc ce qui t’attend : La première nuit, il est connu, Pépin est tellement violent Que son amante meurt de douleur, De souffrance, de chagrin, d’horreur. Berthe Il ne peut pas être si cruel ! Il n’abîme pas nos lunes de miel ! Après ses suaves paroles d’amour, Après tous les merveilles du jour… Pépin ne sera pas si cruel ! Margiste Un des hauts barons m’a dit Qu’il a une forte crainte cette nuit Pour toi, dame reine, et pour ta vie. Mais moi, je peux garder ton lit. Ecoute, comment nous le ferons : Nuit, Aliste te remplacera, or, Elle a plus grande chance De se défendre avec succès. Et demain, tu pourras danser De nouveau avec ton époux. Comme vous êtes l’une comme l’autre, pareilles, Comme vous êtes comme deux beaux soleils, Vous pouvez échanger vos place ; C’est ton grand bonheur, c’est ta grande chance ! Berthe Quelle histoire folle ! Quel destin fou ! Quelles aventures en quelques semaines ! Je sais, ses paroles sont certaines ! Je me sens fatiguée et faible, Je me passe d’une nuit horrible. Et demain, je pourrai dormir Dans les bras du roi sans péril. Pépin Que je sois heureux, cette journée ! Sans Berthe, je ne le serais jamais ! En amour, elle n’a pas pareille, Elle est un miracle, une merveille Que bon Dieu m’a donnée à temps Pour être heureux depuis maintenant. Margiste Demain, je serai mère de la reine ! Berthe ne sera plus rien qu’une chienne ! Que je sois maligne, audacieuse ! Que je sois perfide, courageuse ! Aliste Demain, je serai la reine de France ! J’aurai de l’or et de l’argent ! J’aurai du pouvoir, des valets, Des dames d’honneur, tout le palais ! Tibert Demain, je serai maître des barons, Ils obéiront à ma chanson ! C’est moi qui aurais du pouvoir Dans ce palais, dans ce manoir ! ☼☼☼ Puis, Margiste, cette servante perfide, Appelle Tibert, son cousin rude. Les deux tirent Berthe, la pauvre pucelle, Ils lui lient les mains, très cruel ! Berthe Mon Seigneur, viens à mon secours ! Il n’y a personne dans ce bourg Qui puisse me sauver et m’aider ? Margiste Nous allons maintenant posséder Tout le pouvoir et toutes les lois ; Dans nos mains se trouvera ton roi. Il restera sans toi, ton bon roi. Aliste s’occupera de ton roi A son bon gré, à sa foi ! Tu trouveras la mort dans un bois. Tout est bien préparé, sans toi ! Sans ton roi, sans toi, dans un moi, Nous régnons dans ce pays ! « A Berthe alors la vieille donne par les yeux un fort grand coup de poing qui lui trouble complètement la vue. […] Tibert la saisit et la tire avec telle violence qu’il lui déchire son manteau. » Margiste Si tant soit peu tu vas bouger, Je deviendrai si enragée Que tu puisses perdre ta vie royale ! Nous ne sommes plus au carnaval ! Tibert, surveille-la bien maintenant, Je vais dans la salle attenante Où notre roi Pépin se réveille. (elle frappe doucement à la porte) Ma fille, la nuit a bien fini ? Aliste Une merveille ! J’ai même rajeuni ! Sois calme, ma chère mère, continue ! Occupe-toi bien de Berthe bénie ! Et moi aussi, je continue … Tibert Morant, Godefroi, tenez cette dame ! Nous écrirons un nouveau drame ! Mettons-nous en route tout de suite Avec cette fleur, cette marguerite Qui est déjà maudite, fanée, Qui restera abandonnée ! IV DANS LA FORET DU MANS Tibert, Morant, Godefroi et Berthe chevauchent longtemps, leur voyage est de plus en plus pénible, surtout pour Berthe.) Tibert Seigneurs, notre long voyage finit Dans cette forêt noire, infinie. Vous allez juger mon adresse Avec laquelle je tue cette déesse ! D’un seul coup je lui tranche le chef Et je finis sa vie en bref ! Morant Arrête ! Sinon, je vais cracher Sur tes yeux ! Si tu la touchais, Moi-même, je te couperais la tête ! Tibert Arrière ! Laisse-moi le finir ! Morant Plus que la pierre ton cœur est dur ! Si tu lui fais le moindre mal, Je te tue comme un animal ! Godefroi, tiens ce monstre repoussant ! Je vais aider la belle dame souffrante. Dame, prends ton manteau et fuis vite ! Essaie de trouver une abrite Et que la douce bonté de Dieu Te conduise sur ton chemin. Adieu ! Berthe Signeur Morant, mes grands mercis Pour ton aide, ton cœur adouci ! Et puisse Dieu me permettre un jour De te payer ta bravoure ! (Berthe disparaît) Tibert Tu as fait une vile félonie ! Tu seras torturé, puni ! Morant Las, de deuil mon cœur se resserre. Parmi des ours, des loups, elle erre ! Cette forêt est pleine des dangers De sorte que rien ne peut changer Son étoile prédestinée ! Tibert C’est vrai ! Mais j’ai promis son cœur, Ses yeux à ma cousine Margiste ! Comment résoudre ce grand malheur ?! Elle n’est aucune idéaliste ! Morant Ecoute-moi, le cœur d’un pourceau, Nous le présenterons à dame. En même temps, les yeux du pourceau Serviront très bien dans ce drame ! Si tu refuses d’agir ainsi, Nous te tuerons sans merci ! Tibert Non ! Tes conseils sont bons et forts ! Je ne voudrais pas devenir mort ! ☼☼☼ Après quelques jours de retour, Les hommes sont revenus à la cour Où Margiste atroce, infidèle, Attend le résultat cruel. Voilà Tibert qui lui transmet Les yeux, le cœur ; elle les tenait Dans ses mains en sautant de joie ; Elle est la plus heureuse cette fois ! ☼☼☼ Mais cette femme mauvaise et méchante, Cette servante cruelle, répugnante Obtient un jour sa récompense Pour ses services, actes, malséances ! V ERRANCE DANS LA FORET ☼☼☼ Dans la forêt, Berthe erre en vain. Elle ne peut pas trouver de chemin Qui la mènerait chez les gens. L’orage se lève, il fait du vent. Les éclairs illuminent le ciel Effrayant les merles, les hirondelles. Maints bruits se mêlent dans la forêt, Qui sont dehors, sont malheureux ! Berthe Mon Dieu, à torrents la pluie tombe ! Où trouver le chemin dans ses ombres ?! Mon Dieu, aie pitié de moi ! Sainte Vierge, Jésus-Christ, sauvez-moi ! La cruauté de la servante, De cette hideuse femme si méchante M’a éloigné de mon bonheur ! Je vous supplie tant à cette heure De me conduire, de me sauver ! Arbres Princesse, ton chemin n’est pas mauvais. Viens, tu es sous notre protection. Sois calme, sois tranquille, patiente. Nous sommes tes amis, ton bastion Devant les lueurs éclatantes ! Nous te protégerons toute la nuit. Repose-toi maintenant, chère princesse, Notre chanson te berce, notre tendresse. Sois calme, sois tranquille, patiente, Nous sommes tes amis, ton bastion Devant les lueurs éclatantes ! Nous te protégerons toute la nuit. Repose-toi maintenant, chère princesse, Notre chanson te berce, notre tendresse… (la musique, les lumières s’atteignent, le soleil se lève, les oiseaux chantent, les fleurs fleurissent…) VI RENCONTRE AVEC SIMON ET CONSTANCE Constance Simon, je te prie d’arriver. Regarde, cette pauvre fille épuisée ! Elle est belle cette dame accusée ! Viens, viens, aide-moi à la sauver ! Simon Elle semble être chassée d’une cour riche. Attend, j’ai avec moi une miche De bon pain fait la nuit. De plus, J’ai un peu de vin pour ce lys. Constance Où vas-tu, belle dame, qui es-tu ? En tout cas, sois la bienvenue ! Berthe Dans la forêt, je suis perdue ! Mais comment je suis descendue Dans cette vallée, je n’en sais rien ! Simon Nous ne te voulons que le bien. Tu es gelée et affamée ; Viens chez nous, tu seras aimée Dans notre maison calme et heureuse Où règnent le bonheur et les muses. Constance Tu peux y lire pour oublier, Tu peux broder ou essayer De jouer de la bonne vielle. Il y a du bonheur sous ce ciel ! Berthe Dame, Sire, je suis d’une ville lointaine, Où mon père a perdu ses biens. J’avais une marâtre très cruelle Et j’ai fui de la citadelle Où elle m’a traitée sans pitié. Maintenant, je suis émerveillée Par votre gentillesse et clémence ! Simon Crois donc à notre bienveillance. La vie chez nous est sans souffrance. Constance Berthe, ta marâtre est sans amour ; Elle sera punie un beau jour Comme elle le mérite. Oublie-la Et tes souffrances de ce temps-là ! Simon N’en parlez plus, mes chères dames nobles. Revenons en demeure ensemble. (ils s’en vont) ☼☼☼ Par ses bontés, douceur et grâce, Berthe a gagné la confiance, L’affection, l’amour de ses hôtes. Simon et dame Constance l’adoptent Comme nièce, même comme leur propre fille. Ils vivent tous contents en famille. Berthe (triste) Ces gens, ils sont très gentils et bons, Mais je souffre de cet abandon De mon mari chéri, aimé, De mon peuple enthousiasmé. J’espère les revoir tous un jour ; Je crois en justice, en amour. VII DANS LE PALAIS DE PEPIN ☼☼☼ Entre temps, les gens sont mécontents De fausse Berthe, Aliste et souvent Ils maudissent leur souveraine méchante Qui influence depuis longtemps Leur brave roi Pépin attristé, Déçu par Berthe, ses qualités. Son épouse n’est plus celle des noces. Lui, il ne connaît pas la cause. ☼☼☼ Mais attendez : un beau matin, Un messager étranger vient D’un pays, d’un royaume lointain, A la cour royale de Pépin. Baron : Le roi Pépin, je vous présente Le vœu de Blanchefleur influente De venir voir sa fille aimée Qui est partie au mois de mai, Depuis longtemps, il y a neuf ans. La reine veut voir sa fille autant Qu’elle est partie ce matin-ci Pour venir le plus tôt ici, Dans ton palais, Pépin puissant. (Le confus s’empare de tous, Pépin inclus ; Margiste et Aliste sont effrayées.) VIII DEPART DE LA REINE BLANCHEFLEUR (Floire et Blanchefleur se rencontrent le matin.) Blanchefleur : Mon cher époux, écoute-moi, Floire, Au cours de cette nuit, un rêve noir M’est venu : une grande ourse sauvage S’est approchée ; puis, elle me mange Le bras droit, le flanc et la cuisse ! J’ai eu une grande peur ! Et de plus, Un aigle s’assied sur mon visage Pour le déchirer ; son plumage Est partout. J’ai vraiment bien peur ! Floire : Ce n’est qu’un songe, douce dame, Blanchefleur. Depuis le départ de notre fille Tu n’es plus tranquille. Sois gentille, Calme-toi, ma chérie, douce Blanchefleur. Blanchefleur Sire, j’ai décidé à cette heure De partir pour la France, chez Berthe, Pour voir comment elle vit et certes L’assurer bien de notre amour. Floire : Que ton désir soit obéit ! Demain, tu pars dans ce pays. En cette lointaine contrée de France, A Paris, dans la résidence De Berthe, cent chevaliers vaillants T’accompagneront, ma chère dame. ☼☼☼ Blanchefleur poursuit déjà sa route. En Fr ance, elle regarde, elle écoute ; Partout, elle parle aux gens divers, Mais elle voit des visages sévères, Les poings fermés qui la menacent. En avançant, elle sent l’angoisse. Blanchefleur : Qui es-tu, cher bonhomme, dis-moi. Homme 1 : Dame reine, je suis un pauvre bourgeois ; De la reine Berthe tu es la mère, De tous ta fille peut avoir peur ! Les corvées de fatigue, de faim Font crever les gens qui sont pleins D’amertume, qui haïssent ta fille ! Que soient maudites elle et sa famille ! Blanchefleur : Et toi, te plaindras-tu aussi ? Homme 2 : Moi, dame reine, j’ai les même soucis ; Sur toutes choses en France, elle met charge ! Comme avant, ici, rien ne marche. Tout, les épices, le blé, le vin Sont déjà passés dans ses mains ! La colère et le désespoir, Les larmes amères, tu peux les voir ! Blanchefleur : Dieu ! Berthe, la fille du meilleur homme, D’une mère pleine de modération, A-t-elle pu devenir une harpie ? Quel diable et pourquoi l’apprise ? Toi, qui es prêtre, que dis-tu d’elle ? Prêtre : Elle est damnée à l’éternel ! Si elle entre dans les abbayes, Elle y vole leurs trésors bénis ! Blanchefleur : Dieu, d’où vient telle diablerie ? Je prie la Bienheureuse Marie, Je prie tous les saints que ma fille Berthe soit de nouveau bonne, gentille ! Homme 3 : Dame, au nom de Dieu, je te prie ! Je me plains de ta fille, je crie : Je la proclame cruelle, hideuse ! Avec mes enfants, mon épouse, Nous vivons en misère, en faim. Pour casser ce malheur enfin, Je cherchais de vendre notre cheval. Ta fille a vu cet animal ; Elle nous l’a pris sans pitié ! Blanchefleur : Ami, pour ton cheval perdu, Prends ces pièces d’or que je te donne ; Par ton sort, je suis très émue ! De la mère de Berthe c’est le don ! Homme 3 : Noble dame, que Dieu te récompense ! De bonheur, de joie mon cœur danse ! Plus jamais, je ne dirai rien De mauvais de ta fille, ton lien ! IX CONSEILS DE MARGISTE Aliste : Douce mère, viens vite, viens vite, ma mère ! Et toi aussi, cousin Tibert ! Margiste : Qu’est-ce qu’il y a, Aliste, mon enfant ? Tu es très bouleversée, vraiment ! Aliste : Une seule dame dont nous avons peur, Qui nous apporte un grand malheur, Arrivera demain sur notre cour ! Demain sera notre dernier jour ! Tibert : Quoi, cousine ? La reine de Hongrie ? Ô, quel malheur ! Quelle perfidie ! Aliste : Oui, Tibert, nous sommes tous perdus ! Margiste : Non, seulement notre destin gradue ! (Ils sont assis, soucieux, les mains tremblantes, ils discutent à voix basse.) Tibert : En quoi nous nous sommes confondus ! Margiste : Ecoutez l’avis qui est bon : Je dirai que tu as raison De rester bien à la maison A cause d’une très grave maladie Qui t’attaque, envahi Et que tu ne peux plus mouvoir. Nous gagnons le temps, on va voir ! Tibert : Merci, dame Margiste, sois bénie ! Toi, Aliste, feins la maladie ! Aliste : Douce mère, j’aime laisser mes deux fils Au roi Pépin ; ne restons plus ! Partons avec notre grande richesse ! Quittons maintenant toute la noblesse, Quittons mes fils Heudri, Rainfroi ! Quittons enfin Paris, le roi ! Margiste : Par Dieu, mon Aliste, reste tranquille ! Suis mes conseils ! Je vais agir ! Aliste : D’accord, il me faut t’obéir ! X BLANCHEFLEUR ET MONTMARTRE Pépin : Les garçons, venez, suivez-moi ; Votre grand-maman, reine, hongroise ; Va bientôt s’approcher de nous, Regardez bien, restez debout. (les gens sont fâchés contre Blanchefleur) Pépin (à Blanchefleur) : Dame, en France, sois la bienvenue ! Dame reine, voilà tes petits-fils émus ! Blanchefleur : Je te remercie, roi des Francs ! Ce sont tes fils ? Ces garçons blancs ? Ils sont très curieux pourtant ! Mais où est Berthe, ma fille chérie Pour laquelle je souffre et je prie ? Pépin : Dame, son cœur s’est tellement empli De joie, de bonheur, de liesse, Qu’elle fut frappée par la faiblesse, Par une maladie difficile ! Blanchefleur : Dieu ! Sainte Marie ! Pourquoi faut-il Que tout respire deuil et tristesse Dans ce pays plein de richesse, Plein de bons gens, de bonnes coutumes ?! Qu’enfin le grand soleil allume Toutes les âmes et tous les visages ! J’aimerais voir Berthe, ma fille belle, sage ! (les gens font les gestes de moquerie, ils sourient malicieusement ; Blanchefleur et Pépin avec les autres arrivent sur la cour royale) XI BLANCHEFLEUR DANS LE PALAIS Blanchefleur : Ma bonne Margiste, où est ma fille ? Berthe vit encore ? Ses yeux brillent ? Margiste : Dame Blanchefleur, ta fille dort maintenant. Blanchefleur : Je garde depuis un si long temps Les plus doux baisers de ma part ! Mais il y a toujours un rempart, Un mur qui m’empêche de le faire. Non, je n’attends plus ! J’ai mon cœur Plein d’envie, de hâte de la voir ! Je vais chasser les idées noires ! (Blanchefleur se précipite dans la chambre de Berthe) Blanchefleur : Ma fille, ma chérie, m’entends-tu ? Aliste : Oui, maman, sois la bienvenue ! Et mon père est aussi venu ? Blanchefleur : Berthe, seul le souci du pouvoir Lui a empêché de te voir. Aliste : Je me sens prête à défaillir ! Maman, je te prie de partir ! Que Dieu, Jésus puissent te bénir ! Blanchefleur (à part) Où suis-je et qu’ai-je au lit ? C’est l’hostilité ou l’oubli Qui me surprennent et qui m’attristent ? Mettons-nous maintenant sur cette piste… (Blanchefleur caresse vite les pieds de la fille, puis, elle se lève immédiatement, elle se précipite vers la porte et crie) Blanchefleur : A moi, Pépin, roi du pays ! A moi, mes barons de Hongrie ! (tous les trois traîtres tremblent ; Pépin et les barons arrivent) Blanchefleur : Regardez tous, roi et seigneurs ! Regardez tous ce grand mystère ! Les pieds de cette fille sont les mêmes ! Comme ces souliers de satin ! (B. lève des souliers) Ce n’est pas ma fille, c’est Aliste, La fille de la perfide Margiste ! Où est ma fille, Berthe au grand pied ? Qu’on la trouve, qu’on la cherche, mon Dieu ! Pépin : Quelle cruelle douleur m’a envahi ! Qui a régné dans ce pays ? Berthe, douce amie au clair visage ! Ma belle rose, ma lune, mon doux ange ! (Bl. s’évanoui, Pépin a la tête dans les mains ; Tibert, Margiste et Aliste allaient s’enfuire, mais 3 gardiens le leur empêchent) XII JUSTICE DU ROI PEPIN Gens : Hideuse vieille, quel crime as-tu fait ! Où est la reine ? L’as-tu tuée ? Dame Aliste, quel crime as-tu fait ! Où est la reine ? L’as-tu tuée ? Tibert, félon, quel crime tu fais ! Où est la reine ? L’as-tu tuée ? Pépin : Tibert, Margiste et toi, Aliste, Vous êtes de la race d’Antichriste ! Je vous condamne tous au bûcher Pour vos calomnies, vos péchés ! Tibert : Seigneur, je n’ai pas tué Berthe, Morant ne voulait pas qu’elle perde Sa vie dans la forêt du Mans. N’est-ce pas, Morant, fidèle sergent ? Aliste : Seigneur, au nom de nos enfants Que je t’ai donnés, sois clément ! De moi aie une grande pitié ! Au nom de notre amitié, Aux nuits pleines de suaves caresses Je demande : où sont tes tendresses ? Morant :