hommage Vingt ans apres sa mort, retrospective ä la Maison européenne de la Photographie dans Pintimité de l'ecrivain. Hervé Guibert, forte intérieurs Par FREDERIQUE FANCHETTE D ans le Seul Visage, son premier livre de photographies au sens strict - si on excepte le «ro-man-photo» sur ses grand-tantes Suzanne et Louise -, Herve Gui-bert ecrivait: «Je nefais qu'une chose - et c'est une chose enormeje crois, c'est en tout cas le but de toute mon activite, de toute ma pretention creatrice - temoigner de mon amour.» Vingt ans apres sa mort, a 1'age de 36 ans, la charge affective, a travers ses textes et cliches, reste intacte et la cohesion de l'oeuvre photogra-phique - toujours en noir et blanc - in-deniable. Portes, cadres, fenetres, miroirs, voiles: ces elements, constants dans les images, pourraient constituer un sesame pour entrer dans ce territoire de l'in-time, celui de l'ecriture, du devoile-ment de soi que Guibert a explore jus-qu'au bout. Jusqu'a ce film realise avec un grand courage, la Pudeur etl'Impu-deur sur sa vie de malade du sida et sa marche vers la mort. AMOUREUX. Rue de Vaugirard, rue du Moulin-Vert, Villa Medicis, rue Ray-mond-Losserand, Santa Catarina, la maison de Tile d'Elbe... Herve Guibert habite, les lieux a Paris et ailleurs, d'une facjon qui lui est totalement singuliere, d'ombres, de rais de lumieres, de souffles d'air. Emmenagement rue du Mouhn-Vert montre le bas d'une porte d'appar-tement vue de l'interieur, avec verrou et barre de securite, un parquet ancien sur lequel se projette une fenetre, un tableau ä terre qui represente un jeune homme qui lui ressemble, d'une facture qui fait songer au celebre portrait des trois sceurs Bronte peint par leur frere. Cette image est un parfait exemple de la capacite de l'ecrivain ä etre au plus pres de l'essence de la Photographie, de sa capacite ä nous faire apprehender emotionnellement ce qu'est le temps, ce present que le declic de l'appareil en-voie dans le passe, avec toute la nostal- gic que le regard futur portera. En haut: Dans ces intérieurs s' inscrivent - pris Sienne, 7979 sur le vif ou dans une mise en scene - d'Herve Guibert. les amis hommes et femmes, dont Isa- Ci-dessus: belle Adjani, periodě Nosferatu, ou Mi- Autoportrait, chel Foucault, les amants, et avant tout 7986. le grand amour de sa vie, Thierry, le photos T. des romans. Des visages, des corps Christine guibert nus, beaux de leur jeunesse, qui habi- mep. Paris tent les lieux, méme aprěs les avoir quittés. Des chambres vides, des cham- bres ďéchos, ou «chambres d'amour» pour reprendre le terme central dans l'oeuvre du photographe Bernard Fau- con, autre proche. Si les images se comprennent mieux á la lumiěre des écrits - une vingtaine de LIBERATION LUNDI14 MARS 2011 romans, chez Minuit et Gallimard-, qu'on rattacherait aujourd'hui, en par-tie, ä l'autofiction, elles s'inscrivent aussi dans une reflexion sur ce qu'est la photographic A 21 ans, Hervé Guibert devient critique au Monde. II écrit avec une grande liberté, sans une once de dogmatisme, sur les expositions photo, pas aussi nombreuses qu'aujourd'hui. II rencontre les maitres du noir et blanc, André Kertész, Henri Cartier-Bresson. Son premier article est consacré au Bri-tannique Bill Brandt. A l'ombre des grands, Guibert continue d'utiliser le petit Rollei 35 que lui a donné son pere. Mais, précise-t-il dans le Seid Visage: «JePhotographie relative-mentpeu, commeunamateur. [...JJecrois que mon cas, dans la Photographie, n'a d 'intérět que dans ma resistance ä la pho -tographie, dans cette fagon revive, pru-dente, soupconneuse de la pratiquer.» Son livre! 'Image /cmtöme raconte cette approche, cette intrication de l'image et de Técriture. Guibert invente la photo écrite, ou fantasme photogra- phique. II imagine qu'il pourrait prendre une photo de ceci ou de cela, une mise en scene impossible. Alors il l'ecrit et fait naitre comme des souvenirs d'images apres que Ton s'en est detourne. L'image fantdme est aussi un tres beau livre sur le desir photogra-phique se confondant avec le desir amoureux. «BELLE FILLE». L'amour et la mort. Guibert, tout jeune homme, qui encore a le temps devant lui, est fascine par ce qui est funebre. II pho tographie des ecorches, des figures de cire au musee Guimet, dont une tete de Jeanne d'Arc qui le suivra partout, des monstres dans du formol. Dans cette premiere partie de ^exposition, des pages manuscrites sont presentees, travail preparatoire de romans, des lettres, et une reponse a un questionnaire de Proust. A «Qu'aime-riez-vous etre?», Herve Guibert re-pond : «Une bellefille tres appetissante, qui fait bander a mort les jeunes gar-cons. » HERVE GUIBERT PHOTOGRAPHE Maison europeenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004. Jusqu'au 10 avril. Catalogue avec un texte de Jean-Baptiste Del Amo, 224pp., 35€. Rens.: 0144787500. «Je crois que mon cas, dans la photographie, n'a ďintérét que dans cette facon rétive, prudente, soupconneuse de la pratiquer.» Hervé Guibert