RONSARD RONSARD Reponse de P. de Ronsard aux injures et calomnies de je ne sais quels predicantereaux et ministreaux de Geneve. ... M'eveillant au matin, devant que faire rien, J'invoque l'Eternel, le pere de tout bien, Le priant humblement de me donner sa grace, Et que le jour naissant sans l'offenser se passe; Qu'il chasse toute secte et toute erreur de moi, Qu'il me veuille garder en ma premiere foi, Sans entreprendre rien qui blesse ma province, Tres humble observateur des lois et de mon Prince. Apres je sors du lit, et, quand je suis vetu, Je me range a l'etude et apprends la vertu, Composant et lisant suivant ma destinee, Qui s'est des mon enfance aux Muses enclinee; Quatre ou cinq heures seul je m'arrete enferme; Puis, sentant mon esprit de trop lire assomme, J'abandonne le livre et m'en vais a l'eglise; Au retour, pour plaisir, une heure je devise; De la je viens diner, faisant sobre repas, Je rends graces a Dieu; au reste je m'ebats. Car, si l'apres-dinee est plaisante et sereine, Je m'en vais promener tantot parmi la plaine, Tantot en un village, et tantot en un bois, Et tantot par les lieux solitaires et cois : J'aime fort les jardins qui sentent le sauvage, J'aime le flot de l'eau qui gazouille au rivage. La, devisant sur l'herbe avec un mien ami, Je me suis par les fleurs bien souvent endormi A l'ombrage d'un saule, ou, lisant dans un livre, J'ai cherche le moyen de me faire revivre, Tout pur d'ambition et des soucis cuisants, Miserables bourreaux d'un tas de medisants Qui font, comme ravis, les prophetes en France, Pipant les grands seigneurs d'une belle apparence. Mais quand le ciel est triste et tout noir d'epaisseur, Et qu'il ne fait aux champs ni plaisant ni bien seur, Je cherche compagnie, ou je joue a la prime, Je voltige ou je saute, ou je lutte ou j'escrime, Je dis le mot pour rire, et a la verite Je ne loge chez moi trop de severite. Puis, quand la nuit brunette a range les etoiles, Encourtinant le ciel et la terre de voiles, Sans souci je me couche, et la, levant les yeux Et la bouche et le cceur vers la voute des cieux, Je fais mon oraison, priant la Bonte haute De vouloir pardonner doucement a ma faute... Sonnets pour Helene Te regardant assise aupres de ta cousine, Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil, Je pensai voir deux fleurs d'un meme teint pareil, Croissantes en beaute, 1'une a l'autre voisine. La chaste, sainte, belle et unique Angevine, Vite comme un eclair sur moi jeta son ceil. Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil, D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne. Tu t'entretenais seule au visage abaisse, Pensive toute a toi, n'aimant rien que toi-meme, Dedaignant un chacun d'un sourcil ramasse. Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on 1'aime. J'eus peur de ton silence et m'en allai tout bJ.eme, Craignant que mon salut n'eut ton ceil offense. 54 55 RONSARD RONSARD WWW Je plante en ta faveur cet arbre de Cybele, Ce pin, oil tes honneurs se liront tous les jours : J'ai grave sur le tronc nos noms et nos amours, Qui croitront a l'envi de l'ecorce nouvelle. Faunes qui habitez ma terre paternelle, Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours, Favorisez la plante et lui donnez secours, Que l'Ete ne la brule, et l'Hiver ne la gele. Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau, Flageolant une Eglogue en ton tuyau d'aveine, Attache tous les ans a cet arbre un tableau, Qui temoigne aux passants mes amours et ma peine; Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau, Dis : « Ce pin est sacre, c'est la plante d'Helene. » WWW Quand vous serez bien vieille, au soir a la chandelle, Assise aupres du feu, devidant et filant, Direz chantant mes vers, en vous emerveillant : « Ronsard me cele'brait du temps que j'etais belle. » Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Deja sous le labeur a demi sommeillant, Qui au bruit de mon nom ne s'aille reveillant, Benissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantome sans os Par les ombres myrteux je prendrai mon repos; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dedain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez a demain : Gueillez des aujourd'hui les roses de la vie. Elegie contre les bücherons de la foret de Gätine Foret, haute maison des oiseaux bocagers, Plus le cerf solitaire et les chevreuils legers Ne paitront sous ton ombre, et ta verte criniere Plus du soleil d'ete ne rompra la lumiere. Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adosse, Enfiant son flageolet a quatre trous perce, Son matin a ses pieds, a son flanc la houlette, Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette; Tout deviendra muet, ficho sera sans voix, Tu deviendras campagne et, en lieu de tes bois, Dont l'ombrage incertain lentement se remue, Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue. Tu perdras ton silence, et, haletants d'effroi, Ni Satyres, ni Pans ne viendront plus chez toi. Adieu, vieille foret, le jouet de Zephire, Ou premier j'accordai les langues de ma lyre, Oil premier j'entendis les fleches resonner D'Apollon, qui me vint tout le cceur etonner; Oil premier admirant la belle Calliope, Je devins amoureux de sa neuvaine trope, Quand sa main sur le front cent roses me jeta, Et de son propre lait Euterpe m'allaita. Adieu, vieille foret, adieu, tetes sacrees, De tableaux et de fleurs autrefois honorees, Maintenant le dedain des passants alteres, Qui briiles en l'ete des rayons etheres, Sans plus trouver le frais de tes douces verdures, Accusent vos meurtriers, et leur disent injures. RONSARD Adieu, chenes, couronne aux vaillants citoyens, Arbres de Jupiter, germes Dodoneens, Qui premiers aux humains donnates a repaitre, Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaitre Les biens recus de vous, peuples vraiment grossiers, De massacrer ainsi nos peres nourriciers. Que l'homme est malheureux qui au monde se fie! O dieux, que veritable est la philosophic, Qui dit que toute chose a la fin perira, Et qu'en changeant de forme une autre vetira! De Tempe la vallee un jour sera montagne, Et la cime d'Athos une large campagne : Neptune quelquefois de ble sera couvert. La matiere demeure et la forme se perd. Sonnets posthumes Je n'ai plus que les os, un squelette je semble, Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé, Que le trait de la Mort sans pardon a frappé : Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble. Apollon et son fils, deux grands maitres ensemble, Ne me sauraient guérir; leur metier m'a trompe, Adieu, plaisant Soleil! mon ceil est étoupé, Mon corps s'en va descendre oú tout se désassemble. Quel ami me voyant á ce point dépouillé Ne remporte au logis un ceil triste et mouillé, Me consolant au lit et me baisant la face, RONSARD WWW II faut laisser maisons et vergers et jardins, Vaisselles et vaisseaux que Partisan burine, Et chanter son obseque en la facon du Cygne, Qui chante son trepas sur les bords Meandrins. G'est fait, j'ai devide le cours de mes destins, J'ai vecu, j'ai rendu mon nom assez insigne, Ma plume vole au ciel pour etre quelque signe, Loin des appas mondains qui trompent les plus fins. Heureux qui ne fut one, plus heureux qui retourne En rien, comme il etait, plus heureux qui sejourne, D'homme, fait nouvel ange, aupres de Jesus-Christ, Laissant pourrir ca-bas sa depouille de boue, Dont le Sort, la Fortune, et le Destin se joue, Franc des liens du corps pour n'etre qu'un esprit. 58 En essuyant mes yeux par la Mort endormis? Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis, Je m'en vais le premier vous preparer la place. Í 59