Philippine Dolbeau, la start-upeuse de 16 ans qui veut révolutionner l'école Par Lucile Quillet | Le 16 mars 2016 La jeune lycéenne a développé l'application New School qui permet aux professeurs de faire l'appel de classe en ligne. Le ministère de l'Éducation nationale, Apple, Alain Juppé et Clara Gaymard ont été séduits. · Remportez un cours de pâtisserie avec Philippe Conticini Philippine n'a pas la fibre scientifique. D'après elle. À 16 ans, la jeune lycéenne en classe littéraire est pourtant à l'origine d'une application qui a suscité l'intérêt d'Apple, d'Alain Juppé et de l'Éducation nationale. Baptisée « New School », elle permet aux professeurs de faire l'appel en classe sans le faire. Autrement dit : le professeur télécharge l'application sur son téléphone ou sa tablette, rentre les noms de ses élèves, qui sont chacun équipés d'un boîtier porte-clé avec une puce. Une fois activée, l'application détecte les boîtiers présents dans le périmètre. L'appel est fait. Quant aux élèves qui n'ont pas été « détectés », un SMS est automatiquement envoyé au bout de 10 minutes à leurs parents. Certains la taxent de « fliquer » les élèves, comme une sorte d'indic' rêvé de tous les pères et mères qui craignent de voir leur progéniture sécher les cours. Philippine Dolbeau s'en défend. « Environ 90% des enseignants disent qu'ils n'ont pas de quoi faire l'appel. Ça prend 2 minutes 30 par heure de cours, soit 28 heures de perdues dans l'année, a calculé la jeune fille. Ces heures pourraient être utilisées pour du soutien scolaire ou de l'accompagnement ». En plus d'aider le système éducatif, Philippine est persuadée que l'appli permettra d'assurer la sécurité des élèves. Comme celle du petit Charles, 9 ans, qui, en octobre 2014, s'était endormi dans le bus de Bordeaux qui le menait à l'école. Le chauffeur ne l'avait pas vu, avait garé le bus au terminus. Charles était resté huit heures enfermé, sans eau, sans portable, sans rien. « Ses professeurs n'ont pas fait l'appel. Les parents n'ont pas été prévenus, rappelle Philippine. Je me fiche que des jeunes sèchent les cours, je veux juste assurer la sécurité des élèves pour que l'histoire du petit Charles ne se répète pas ». Une littéraire qui répare des ordinateurs J'étais nulle en sciences Philippine découvre le fait divers à la télévision, après être rentrée d'une banale journée de cours. L'adolescente est alors encore une jeune fille ordinaire. Aînée d'une fratrie de trois enfants, elle vit depuis toujours dans les Yvelines, fréquente le même établissement scolaire depuis sa petite enfance. Maman est professeure de langues dans un lycée anglais de Paris. Papa travaille dans l'innovation. Philippine est bonne élève et fait ses devoirs du week-end dès le vendredi soir. Elle aime les langues et va s'orienter en filière L. « S, c'est l'horreur, je suis trop mauvaise en maths, explique-t-elle. Je me suis dit qu'il valait mieux faire un très bon bac L qu'un bac ES moyen ». En parallèle, la jeune stratège suit des cours de prépa privée pour préparer le concours d'entrée de Sciences Po l'an prochain. Philippine rêve de devenir journaliste. Pourtant tout le monde l'appelle « geekette ». Elle qui voit le jour en 1999 grandit au fil des innovations technologiques. « J'ai toujours eu un appareil électronique entre les mains. Je suis née au bon moment : les premiers smartphones venaient de sortir, les ordinateurs étaient modernes, mais mes parents ne savaient pas toujours les utiliser. Je suis devenue fan de technologies mais je n'ai jamais considéré une carrière professionnelle, j'étais tellement nulle en sciences ». Laborieuse en physique-chimie, Philippine répare pourtant les ordinateurs et téléphones de la famille et des amis. Elle met sur pied des sites web pour un opticien de la ville, puis un guitariste avant de monter sa propre plateforme pour mettre en ligne ses photographies. Vient alors ce jour où il faut créer une mini entreprise pour le cours d'économie. « C'était un peu le Koh-Lanta del'entrepreneuriat », se souvient-elle. Philippine n'a pas d'idée. Puis elle allume la télé et tombe sur l'histoire du petit Charles. Créée avec les deniers familiaux, New School décolle, rapidement. En mai 2015, Philippine gagne l'un des prix « espoir » du concours de jeunes start-up de digiSchool. Un ingénieur la repère et file en toucher deux mots à Apple, qui contacte la jeune fille deux mois plus tard. « Pour moi qui suis une grande fan de la marque, c'était impressionnant. Ils m'ont donné des conseils pour développer l'appli. Nous n'avons pas fait de partenariat, New School doit rester le plus indépendant possible pour ne pas se restreindre ». Le projet avance. Au repas de Noël, la famille Dolbeau délire à table en imaginant à quelle chaîne de télévision Philippine pourrait écrire pour profiter de la lumière des médias. « On a choisi en riant BFM TV puis on a envoyé un mail en disant qu'ils pouvaient venir faire un reportage s'ils le souhaitaient. C'était la grosse blague ». Période de creux médiatique oblige : son mail parvient à Stéphane Soumier, présentateur de BFM Business. Le 5 janvier, le téléphone de Philippine sonne : elle sera à l'écran dans deux jours. « Je suis passée le 7 janvier à 7h30 du matin, je pensais que personne ne regardait à cette heure-ci. Mais ça a fait un buzz pas possible, je n'ai rien compris ». Le mail envoyé BFM TV est parti d'une blague Des professeurs hurlent à la destruction du lien prof-élève. D'autres imaginent le début d'un trafic de puces. Alain Juppé et Laurence Parisot, eux, la félicitent sur Twitter. Début mars, Philippine est conviée au ministère de l'Éducation nationale, intéressé. De son côté, le cabinet de Valérie Pécresselui fait savoir qu'ils aimeraient utiliser l'application pour toute la région Île-de-France. Pour le moment, New School n'est testée que dans le lycée privé de Philippine, au sein de trois classes de 12, 15 et 17 ans. Sept autres établissements se sont manifestés. La jeune entrepreneuse fait sensation et récolte de jolies cartes de visite au passage. Invitée à la Journée de la femme digitale à Paris le 10 mars, elle s'entretient devant plusieurs centaines de personnes sur la scène des Folies Bergères face à Clara Gaymard. « C'est passé tout seul, comme si je parlais avec ma meilleure amie » s'étonne Philippine. La présidente du Women's Forum et elle s'échangent des mails depuis. La lycéenne imagine déjà intégrer sur la puce de présence la carte de cantine, la carte de bibliothèque... Un vrai kit de digitalisation de l'école. Reste à avoir les moyens de ses ambitions. Et la famille Dolbeau n'a pas des fonds illimités pour supporter la pépite de leur petite. « Le problème est qu'on ne peut pas vendre l'appli aujourd'hui car il faudrait la développer pour supporter une plus grande échelle et inclure de nouvelles fonctionnalités ». Philippine en appelera donc au bon vouloir des particuliers, avec une première levée de fonds qui sera lancée à la fin du mois de mars sur le site Kisskissbankbank. Objectif : 60.000 euros. Les projets ne manquent pas. La lycéenne a déjà en tête de nouvelles applicationsdans le domaine du sport, de la communication. « J'adorerai continuer à développer des choses mais je dois aussi me concentrer sur mes études. Faut d'abord que je passe mon bac ».