L E S M O T S D U C E R C L E N ° 3 4 / D O S S I E R T H É M A T I Q U E © G A L L I M A R D - 4 DOSSIER THÉMATIQUE LES RÉÉCRITURES EXERCICESE • On peut par exemple, sous la forme d’un jeu de piste, proposer de retrouver les textes-sources d’une œuvre donnée. En prenant l’exemple de l’Avare, il pourrait être intéressant de voir comment Molière a agencé différentes sources pour les sublimer et pour aboutir à son texte. Un même texte est ainsi composé d’éléments de textes plus anciens, mais on peut aussi chercher à suivre une même source tout au long de ses diverses réécritures. Ainsi, le personnage-type du soldat fanfaron, inventé par Plaute, se retrouve aussi bien chez Corneille, dans l’Illusion comique, que chez Desmarets de Saint-Sorlin, à l’ouverture des Visionnaires, que sous une forme altérée chez le Cyrano de Bergerac de Rostand. Les variations de ton, de style, d’image, de visée permettent aussi de se demander ce que chaque dramaturgie et chaque époque a voulu dire d’un tel personnage. Aux élèves d’inventer un personnage de Matamore moderne. De quels types d’exploits héroïques et amoureux pourrait-il se vanter ? Quelles guerres, quelles conquêtes symboliques ou réelles prétendra-t-il faire ? Que cherchera-t-on à dénoncer en ressuscitant un tel personnage ? • On peut aussi choisir un même mythe et étudier son passage de récit au théâtre par exemple. On peut citer ici, parmi les innombrables exemples, l’adaptation d’un passage de l’Odyssée par Euripide, le Cyclope. En étudiant minutieusement ce que suppose le passage du récit au drame (isolement et reprise du discours direct, transcription des descriptions et des actions dans les didascalies, coupes parmi les épisodes, choix du vers ou de la prose), on pourrait ensuite s’emparer d’un récit mythologique non encore adapté, ou d’un conte, pour en faire une scène, ou une pièce entière, en répartissant le travail dans l’ensemble de la classe. Pourquoi ne pas imaginer ensuite l’exercice inverse, transcrire une scène en récit, en mettant l’accent sur les paroles rapportées, l’analyse psychologique que permet un point de vue omniscient, pour faire mesurer l’importance de l’angle de vision des personnages dans chacun des genres. • La réécriture d’un mythe repose souvent sur une forme d’actualisation. On pourrait ainsi proposer de moderniser un mythe antique : quels seraient aujourd’hui les métiers d’Œdipe ou de Médée ? Ulysse serait-il marchand, voyagerait-il en avion ? Quelle forme contemporaine pourrait prendre un oracle ? Par quoi remplacer la fatalité ? Par le conditionnement social ou celui de l’hérédité, comme semble le suggérer Zola dans le cycle des Rougon-Macquart ? Quels seraient aujourd’hui les grands questionnements sociaux susceptibles d’être évoqués dans un mythe moderne : les excès de la recherche scientifique ? la lutte contre le vieillissement ? • Les transpositions génériques peuvent aussi être l’occasion de travailler sur le genre poétique : on peut ainsi partir du modèle de La Fontaine, c’est-à-dire l’adaptation d’un court apologue en prose. Les fables d’Ésope, du fait de leur brièveté, offrent un terrain d’expérimentation idéal. Après avoir identifié les enjeux de l’une de ses fables, on s’efforcerait de la versifier, en conservant ses personnages et son intrigue, en tenant compte de la structure du récit, mais aussi de son rythme que « traduirait » l’alternance des mètres. Il faudrait recourir à des « ruses », c’est-à-dire des modifications du texte de départ pour obtenir des vers d’une longueur satisfaisante, mais aussi pour obtenir les bons termes à la rime. • La pratique de la parodie peut là encore être un moyen de mettre au jour les procédés littéraires et ainsi d’en étudier les mécanismes : on pourrait ainsi demander aux élèves de reprendre un texte appartenant nettement à un certain registre (pathétique ou comique) ou à un certain genre (le roman policier, le récit réaliste ou fantastique) et d’en modifier ces données sans pour autant toucher à l’intrigue et à la lettre du passage. Sur quoi se porteront alors les modifications ? Certains termes (le « Hélas ! » pathétique), la ponctuation, l’usage des paroles rapportées, les métaphores, le rôle de la description, le cadre spatio-temporel, la classe sociale des personnages, les interventions du narrateur, la focalisation etc. ? • La pratique du commentaire composé invite les élèves à proposer une description et interprétation structurées d’un texte donné. On pourrait à l’inverse, approchant en cela de l’exercice de l’écriture d’invention, leur demander d’écrire un texte littéraire à partir d’un faux commentaire composé. Ils devraient intégrer à leur texte l’ensemble des citations proposées en exemples, et tenir compte des indications de procédés d’écriture, de genre et de registre. Ce travail en miroir leur permettrait non seulement d’étudier la méthode et la rhétorique du commentaire, mais aussi de mesurer ce qu’est une écriture consciente de ses techniques. • Les exercices oulipiens offrent enfin un nombre quasiment illimité de travaux sur des textes-sources. Qu’il s’agisse de jeux de substitution ou encore de réécritures à contrainte (suppression d’une lettre, d’une classe grammaticale, nécessité de faire apparaître tel ou tel mot, écriture avec un nombre limité de lettres), la transformation des œuvres classiques est l’une des activités fétiches du groupe. Ce jeu sur les textes peut-être pour les élèves un moyen de prendre conscience de la partie minutieuse et laborieuse de la création littéraire. Dominik Manns La réécriture étant en elle-même une forme d’exercice littéraire, et les programmes scolaires lui donnant du collège au bac une place centrale dans la pratique des lettres, les exercices proposés ici ne pourront constituer qu’une modeste amorce à des pratiques en classe.