En langue orale: le metier de lire Ä i Bernard Pivot était un journaliste de la television trěs connu en France; il était ie specialisté des emissions littéraires. Pendant 40 ans, il a présenté chaque semaine dans des emissions aux noms divers des écrivains qu'il invitait sur le plateau pour venir parier de leurs livres. Cet essai, un peu different des precedents, se présenté sous forme d'interview dans un jeu de questions-réponses, trěs employe de nos jours. Pierre Nora: Et vous, dans tout cela ? Pour tout le monde, Pivot c'est Pivot de toute eternite. Mais avez-vous le sentiment de vou.s etre trouve tout de suite? De vous etre critique, d'avoir reflechi a vor. re technique? Bernard Pivot; Ai-je tine technique d'interview? Non. J'ai une maniere d'etre, d ecouter, de parier, de relancer, qui m'est naturelle, qui existait avant que je fasse de la television et qui continuera quand je n'en ferai plus. Beaucoup de gens pensent que questionncr, converser, devant des cameras, oblige le journaliste ä etre different de ce qu'il est lorsqu'il s'entrecient avec quelqu'un dans Tordinaire de la vie. Pour ce qui me concerne, je ne vois que des ressemblances, sauf, bien sür, qua la television le temps presse, qu'il faut aller plus vite que chez soi ou dans la rue, et que tout mot doit etre « utile». Mais dans le roule-boule de la conversation, comment etre autrement que ce qu'on est profondement ? Ä moins d'etre un formidable comedien et de composer sur les plateaux de television un personnage decale du vrai - mais alors quelle gymnastique! (...) Et pourtant ce fut au depart un peu mon idee. Quand, en 1973, Jacqueline Baudrier m'a demande de hire sur la Une1 de 1'epoque une emission litteraire, qui allait s'intituler Ouvrez lesguillemets, n'ayant aucune experience dc la television et devant me lancer dans le grand bain sans essai, sans repetition, sans preparation, je concus le projet d'etre different de ce que j etais dans ma maniere de parier. Je fis un rapide bilan : « Tu paries trap vite; tu manges les negations; tu emploies des formes interrogatives fautives; tu abuses des onomatopees et des chevilles, etc. » Accablant! Je m'efforcai done, dans les jours qui precederent la premiere emission, ä parier lentement, ä prononcer les ne ct les n'y, a poser des questions dans une forme interrogative impeccable, a expulser de ma bouche les mors inutiles et incongrus... La veille du grand soir, je m'apercus que j'etais grotesque. Je m'engueulai avec vigueur 96 1 Nom de la premiére chaine de television francaise. L'essai interview dans et je me dis ceci: «Mon pauvre Bernard, tu gagneras en etant toi-meme er non pas un autre, en tout cas pas ccltii que j'entends avec consternation parler com me s'il avait le larynx sur un portcmanteau... De deux choses l'une: ou ta maniere de t'exprimer. parfois un peu baroque, il est vrai, passe bien, est bien recue, et e'est tant mieux pour toi; ou elle deplait, irrite, parait incompatible avec la qualite d une emission litteraire, exemplaire en toutes choses, ct tu retourneras illico a la presse ecrite apres une experience ratee, cependant fort interessante... » Vous connaissez la suite, a savoir que e'est precisement cette maniere non universitaire - pardon, monsieur Nora -, non pedagogique, plutot convivialc, spontanee et populaire, de converser avec les ccrivains et les intellectuels, et de parler des livres, qui a, en partie, fait le succes de remission. Je me suis cependant donne quelques regies de bon sens, que d'ailleurs la plupart des journalisres de television appliquenr, consciemment ou non: 1) faire des questions courtes; 2) considerer que route reponse, mcrac decevame, est plus importante que la question (« Ma reponse est oui, dit Woody Allen. Mais quelle etait la question ? »; 3) ne jamais oublier que e'est aussi le telespectateur qui pose la question et que e'est aussi lui qui entend la reponse. Pierre Nora: Vous etes-vous ameliorc comme interviewer? Bernard Pivot: Je ne peux pas ne pas croire que je me suis ameliore au fil des annees et que, si je devais faire une emission de debat pendant vingt ans encore, je ferais encore des progres. Tout travail de longue haleine, repetitif et cependant chaque fois nouveau, suppose, si Ton nest pas foncierement pessimiste, fambition d'etre toujours meilleur qu'on a ere. Je crains toutefois que cela nc soit qu un vceu agreable ou une attitude confortable. Car, annee apres annee, il est probable qu'on evolue imperceptiblement ct qu'on parvient a une efficacite qui nest ni plus ni moins grande que l'efficacite precedente, mais qui est faite d'elements dont lc dosage varie avec l'age. Ce que j'ai gagne en experience, en metier, ne l'ai-je pas perdu en spontaneite? Ma naivete, narurelle ou feinte, n'a-t-elle pas decline au profir d'un realisme tranquille? Est-ce que je ne montre pas plus d'agacement qu'autrcfois devant les derobades ou les mensonees de certains invites? o Ce qui n'a pas varie, e'est la somme considerable de travail, essentiellement de lecture, que j'ai produitc pour conduire le mieux possible I'emission. Car, a la sept-centieme, j'etais aussi angoisse, avant I'emission, qu'a la sepcieme. C^ombien il est rassurant, alors, de me dire que j'ai consacre a sa preparation tout le temps qu'elle exigeait, quelle meritait, et dont, ne serait-ce que par politesse, j'etais redevable aux ecrivains qui avaient accepte mon invitation et aux telespectateurs qui etaienr au rendez-vous. Pierre Nora: D'accord, mais vous noycz quand meme tin peu le poisson. Pour tout le monde, ce qui fait votre principale qualite d'interviewer - en dehors d'avoir vraiment lu et compris les livres — e'est de poser aux auteurs les questions que tout un chacun leur poserait a votre place, independamment de ce que, vous, I 97 j1 Lectures ďauteurs vous savez ďeux ou pourriez avoir, vous, envie de leur poser. Le role ďinterprěte de la curiosité publiquc, Pavez-vous travaillé, mis au point, ou vous a-t-il cté vrai-menr une premiere nature? Bernard Pivot: Votre formule « interprete de la curiosité publique» me paraít étre une exccllcnte definition de la profession de journaliste. Et si j'ai travaillé ce «róle», c'est ďabord au Centre de formation des journalistes et dans mes premieres années au Figaro littéraire ou mes ainés m'ont appris que les bonnes questions sont celles qui donnent aux lecteurs ou aux audiceurs la vivifiante impression qua votre place ils les auraient aussi posées. Qu'il y ait aussi lá-dcdans quelque don, c'est sůr. Pour chaquc emission je pars de ce postulát: Ic public ne sait rien, moi non plus, et les intellectuels et écrivains savent beaucoup de choses. Mais, ayant lu leurs livres, j'en sais assez pout étre le médiateur entre l'ignorance des uns - qui ne demandent qua apprendre - et laconnaissance des autres - qui ne demandent quá transmettre leur savoir. Une emission $ Apostrophes réussie est celle oú les téléspectateurs étant mieux informés, plus cultivés, moins ignorants qu'ils ne 1'étaient avant 1'émission, éprouvent l'irrcsistiblc envie d en savoir plus et, pour cela, achétent et lisenr les livres sur lesquels on a discouru pendant soixante-quinze minutes. Bernard Pivot, Le metier de lire © Editions Gallimard, 2001 Comprehension du texte 1. Bernard Pivot a-r-il une technique particuliére ďinterview ? 2. Lorsque Jacqueline Baudrier lui a demandé ďanimer sa premiére emission littéraire, qu'a-t-il essayé de faire en ce qui concernc son elocution ? Conner des exemples. 3. Pourquoi a-t-il refuse de s'exprimcr avec une elocution impeccable? It. A partir de ce moment-la, quel choix a-t-il fait? 5. Pourquoi cette facon de parler non universitaire a-t-elle fait le suecés de remission ? 6. Quelles sont cependant les regies de bon sens qu'il a voulu se donner lorsqu'U interroge des écrivains ? 7. Pourquoi considerc-r-il que route réponse est plus imporrantc que la question? 8. Qu'est-ce qui n'a pas varié depuis la premiére emission jusqu'a la derniére et qu'il a considéré comme une marque de politesse vis-á-vis de l'ecrivain invite. 9. II se delink comme un médiateur entre le public et les écrivains. Que doit-il hurt en tant que médiateur? 10. Quel ctair le nora de sa cclebre emission littéraire qu'il a animée pendant des années? Et qu'etait-ce pour lui une emission réussie? Ľessai Enrichissement lexical Expliquez les mots ou les expressions suivantcs: le roulé-boulé de la conversation ; se lancer dans 1c grand bain; des onomatopées; des mots incongrus; le larynx sur un portemanteau ; illico; noyer le poisson ; vivifiante impression; un postulát. Sensibilisation grammatical IL EST PROBABLE, IL EST POSSIBLE... Dans le texte, on releve : • Car annee apres annee, il est probable qu'on evolue imperceptiblcmeru et qu'on parvient ä une efficacite... On peut dire aussi: • Car annee apres annee, il cm possible qu'on evolue imperceptiblement er qu'on parvienne ä une efficacite... Trouvez la regie grammaticale qui commande les verbes en italiques, puis rerminez les phrases suivantes; II est probable que mon frere (venir)..................vous voir. 11 est possible qu il (prendre)..................avec lui ses skis et que vous (aller)..................tons les jours sur les pistes. 11 est probable que je (venir)..................egalement passer quelques jours avec vous. II est tout ä fait possible que mon ami Vincent (obtenir) ..................quelques jours de vacances. Ä ce moment-la il est probable qu il nous (rejoindre)..................rapidement. Malheureusement, il est impossible qu'il (pouvoir) .................. rester plus d'une semaine. Travail oral Expose Preparez a la maison un expose sur voire pays ou sur une ville de France. Presenter cette recherche devant la classe. Le reste du groupe, apres avoir ecoute 1'expose en entier devra preparer trois ä quatre questions par personne, puis chacun posera ä tour de role ses questions. Discussion a) La lecture est-elle pour vous un plaisir? Dires pourquoi. Chacun parle ä tour de role. b) Parlez d'un livre que vous avez lu recemment. Dites pourquoi il vous a plu (ou deplu). c) Quels sont les conseils donnes par Bernard Pivot pour fexpression orale? Relevez-les dans le texte et montrez ä 1'aide d'exemples, comment vous pouvez vous entrainer ä les appliquer. 99