Pour la bio-bibliographie des auteurs et les indications de creation, voir : - www.lansman.be - www.bela.be - www.theatre-contemporain.net Remarque importante : La photocopie des textes pour usage scolaire ou professionnel tue l'edition theatrale. Merci de contacter l'editeur pour voir avec lui les modalites les plus appropriees d'eviter ce precede. (ľa vous dit ? d'Eric Durnez Theatre Les personnages : - Monsieur Lechat, responsable de ľécole - Monsieur Vermont, pere de Michael - Madame Vermont, mére de Michael - Madame Clerbois, mére de Tatiana - Tatiana - Michael - Docteur Delcroix, psy - Jim - Nora - Mustaph - Rajiv - Julie - Madame Barry, professeur de francais - Le journaliste - Monsieur Cadran, Inspecteur en chef de l'Education Remarque de l'auteur : Cette petite farce peut étre jouée uniquement par des "jeunes" qui trouveront certainement plaisir á interpreter, de maniěre plus ou moins caricaturée, des figures d'adultes. La piece pourrait également étre jouée par des adultes et des ados (des professeurs et des élěves ?) suscitant - pourquoi pas ? - quelques discussions échevelées... Piece publiée en 2004 chez Lansman Editeur dans l'ouvrage La scene aux ados 1 coproduit par Promotion Theatre. Lansman Editeuf Emile&Cie A SB L 1. 22 mars 2004. Le responsable de Věcole, Monsieur Lechat, Monsieur et Madame Vermont, parents de Michael, Madame Clerbois, mere de Tatiana. Monsieur Lechat: II ne faut surtout pas dramatiser. II n'y a rien de grave. Tatiana et Michael sont de bons élěves et forment un petit couple sympathique. Vous savez, nous essayons de ne jamais intervenir dans les histoires ďamour entre jeunes. Sauf si ca dégéněre bien entendu, mais lá... Cest un autre probléme. Je vous ai demandé de venir me voir pour que nous essayions ensemble de comprendre ce qui se passe. lis sont lá ? Madame Clerbois : lis attendent dans le couloir. Monsieur Lechat : Nous les ferons entrer dans un instant, mais d'abord j'aimerais connaitre votre sentiment sur cette affaire. Madame Vermont : Ca a commence il y a trois jours. Le matin, j'ai l'habitude de prendre le petit dejeuner avec Michael. II ne parle jamais beaucoup, il a du mal á émerger. Done au debut, je n'ai pas fait attention, je me suis dit qu'il était encore dans les limbes. II avait passé la soirée chez Tatiana et il était rentré assez tard... Madame Clerbois : II a dü quitter la maison vers minuit. Monsieur Lechat: Tout était normal ? Madame Clerbois : Je crois. J'etais déjá couchée quand je 1'ai entendu sortir. Madame Vermont : Quand méme, je me suis énervée parce qu'il ne répondait á aucune de mes questions. Sa reaction m'a surprise : il m'a regardée avec un doux sourire, s'est levé, m'a embrassée puis est parti pour l'ecole. Monsieur Lechat : Chez nous aussi, ca a commence ce matin-lá. II n'a pas ouvert la bouche de la journée. Et Tatiana ? Madame Clerbois : Méme scenario. Souvent á son réveil, eile me raconte ses réves, mais lá, eile n'a rien dit. J'ai pense : eile boudě, ca passera. Monsieur Lechat: Elle avait des raisons d'etre fáchée ? Madame Clerbois : Peut-étre... Mais je ne vois pas lesquelles. Monsieur Vermont : A cet áge-lá, ils ne sont pas faciles á comprendre. Vous qui étes un professionnel de 1'éducation, vous avez déjá connu des histoires pareilles ? Monsieur Lechat : Non, e'est une premiére... Mais je crois que ce n'est pas trěs grave. Les adolescents aiment bien explorer les limites. Monsieur Vermont: A quoi ca rime, je me le demande... Monsieur Lechat: Je vais les chercher. (II sort) Monsieur Vermont: Comme si on n'avait pas assez d'ennuis comme ca... Madame Vermont: Philippe, ca ne sert á rien de ťénerver... Monsieur Vermont: J'ai mieux á faire que de perdre mon temps á gérer les fantaisies de ton fils. Je lui dis quoi á Van Dijk ? "Excusez-moi, Monsieur Van Dijk, je suis en retard parce que j'ai été convoqué par la direction de l'ecole pour le fiston qui fait grěve de la parole", j'aurai pas Fair con. (Monsieur Lechat ventre, suivi de Tatiana et Michael, souriants et paraissant assez détendus) Monsieur Lechat: Asseyez-vous. Je suppose que vous vous doutez de la raison de cette petite reunion ? Monsieur Vermont: Michael ! Monsieur Lechat : Laissez, Monsieur Vermont. Tatiana et Michael, vos parents et moi-méme cherchons á comprendre ce qui motive votre attitude. Je vous donne ma parole que rien de ce que vous exprimerez ici n'aura de consequence en terme de sanction scolaire. Nous avons toujours été satisfaits de votre travail et de votre comportement... Alors ? Que se passe-t-il au juste ? II y a sans doute quelque chose d'important qui vous aměne á ce... ce silence, mais nous ne savons pas quoi. Nous sommes la pour vous aider et vous soutenir, cependant il faut nous expliquer ce qui a déclenché votre refus de parler. Je vous écoute. Madame Clerbois : Tatiana, si tu as quelque chose á me reprocher, je suis préte á l'entendre, mais se taire n'a jamais rien arrange. Madame Vermont : Michael, ton pere et moi sommes souvent stresses, peu disponibles, c'est vrai... Peut-étre n'avons-nous pas vu... Monsieur Vermont : Ecoute Michael, tu as beaucoup de chance d'etre tombé sur un directeur tolerant et des parents compréhensifs, mais il ne faut pas pousser le bouchon. II n'y a objectivement aucune raison á votre mutisme. Puisque tu m'y obliges, je te rappelle que tu es mineur et que tu dois nous obéir. Alors tu arrétes tes simagrées, tu laisses tomber ce petit sourire et tu nous dis ce qui ne va pas. Tu as compris ? Je compte jusqu'a trois. Un, deux, trois... Téte de mule ! Monsieur Lechat : Tatiana et Michael... Quels que soient les motifs qui vous ont conduits á ce comportement pour le moins étrange, je pense que vous faites fausse route. L'etre humain, par essence, est un étre qui communique. Vous avez la chance de vivre dans une société libre, ou chacun a le droit et je dirais méme le devoir de s'exprimer et de communiquer... Je sais trěs bien que vous me comprenez et je sens que vous avez envie de parler. Je ne sais pas quel serment vous avez fait entre vous, mais je crois qu'il faut le briser et avoir le courage de nous dire les raisons de votre malaise. Madame Vermont : Tu ne dois pas avoir peur, Michael. Nous sommes préts á tout entendre sans juger. Madame Clerbois : Tatiana, s'il te plait... Je te connais, ce n'est pas dans ta nature... Monsieur Vermont : Dites tout de suite que c'est Michael qui l'a poussée... Madame Clerbois : Je ne dis pas ca... Monsieur Vermont : En tout cas, depuis que mon fils fréquente votre fille, il a change du tout au tout. Madame Vermont: Philippe, ce n'est pas le moment de parler de ca... Monsieur Lechat : Vous voyez, Tatiana et Michael, ce que risque de provoquer votre entétement ? Vous croyez que cela en vaut la peine ? Je sais que vous étes amoureux l'un de l'autre, mais si vous persistez, vos parents et moi-méme pourrions étre amenés á ne plus étre aussi permissifs á votre égard... Me suis-je exprimé clairement ? Je trouverais dommage den arriver lá. Qu'en pensez-vous ? Trěs bien. A vous de peser le pour et le contre. Nous allons vous laisser un peu de temps pour réfléchir et je vous reverrai demain matin. A present, retournez en classe. 2. 31 mars 2004. Monsieur Lechat, Docteur Delcroix. Docteur Delcroix : Je veux bien les voir, mais je ne crois pas qu'il s'agisse de cas relevant de la médecine, méme si á la longue, leur obstination doit avoir des effets déstabilisateurs sur leur psychisme. Monsieur Lechat : En tout cas, il en a sur 1'établissement. J'ai dú faire face á une manifestation ďélěves quand je les ai menaces de renvoi. Docteur Delcroix : Vous y songez sérieusement ? Monsieur Lechat: Je n'ai pas le choix. Les autres parents commencent á réclamer et mes professeurs ne savent pas quoi faire. Docteur Delcroix : Pourtant, que je sache, aucun rěglement n'interdit de se taire... Monsieur Lechat: Refuser de parler est une indiscipline. Docteur Delcroix : lis rendent leurs devoirs ? Monsieur Lechat: Pour 1'écrit, il n'y a aucun probléme. lis sont presents, ils écoutent, ils notent... mais ils ne prononcent pas un seul mot. Docteur Delcroix : Interrogez-les par écrit sur les raisons de leur mutisme. Monsieur Lechat : Le professeur de francais leur a donné á faire une dissertation sur la liberté ďexpression. Docteur Delcroix : Alors ? Monsieur Lechat: lis ont écrit tout ce qu'un prof normal attend d'un bon éléve... Rien que du "scolairement correct"... Docteur Delcroix : Quelle est votre opinion personnelle á propos de cette histoire ? Monsieur Lechat : Je ne sais pas. Au debut, j'éprouvais une sorte de Sympathie devant ce que je croyais étre une bouderie, une petite rebellion ďadolescents... Aujourd'hui... Docteur Delcroix : Oui ? Monsieur Lechat : Je n'arrive pas á comprendre de quoi se nourrit leur determination. Une chose est sure, elle impressionne leurs camarades. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'en viendrai peut-étre á les écarter de ľétablissement. Mais nous n'en sommes pas lá. II ne faut surtout pas dramatiser. Docteur Delcroix : C'est une idée qui vous est chére... 3. Jim, Nora, Mustaph, Rajiv, Tatiana, Michael. Jim : Les voilá. Nora : Comment tu vas faire ? Jim : Je ne sais pas. Harcélement, chantage, menace, seduction... Mustaph : Seduction... Je réve ! Rajiv : Je tiens le chrono. Tu n'y arriveras jamais. (Entrent Michael et Tatiana) Jim : Salut. J'ai dit : salut. Ca vous ferait mal de repondre ? Tatiana, tu as parle á Michael ? Bon... Michael... Ca m'ennuie de te dire ca... mais... Enfin voilá... Tatiana et moi... Ca ne te fait rien ? Tu ne me crois pas ? Demande á Tatiana. On sort ensemble. Depuis des semaines. Elle ne voulait pas que tu le saches, mais moi je préfére la vérité... Nora : Trés convaincant. Jim : Je la rejoins la nuit aprés que tu sois parti. Rajiv : Encore deux minutes. Jim : Tu ne dis rien ? Done euh... Tatiana et toi, c'est fini. Fini, tu comprends ? Je te pique ta copine et tu ne réagis pas ? Mustaph : Quel seducteur, ce Jim... Jim : Tatiana, on se voit ce soir ? Qui ne dit mot consent... Rajiv : Une minute. Nora : Jim, arrete, c'est pas drole. Excusez-nous... Jim a parie qu'il arriverait a vous faire parler. Jim : Eh ! Attends ! Le temps n'est pas ecoule. Nora : Ca suffit. Tatiana, Michael... Je ne sais pas pourquoi vous avez decide ca. Je ne sais pas... Mais je sais que j'y pense, de plus en plus souvent. Votre silence, je commence a l'entendre... Je l'entends meme de mieux en mieux. Je ne sais pas encore a qui il s'adresse ni ce qu'il crie, mais... Mustaph : On est avec vous. Rajiv : Dans mon pays, il y avait un homme qui refusait la violence. Jim : La violence, c'est une chose qu'on a tous en soi. Rajiv : On peut la dompter. Jim : C'est ca ! Si je t'attaque, tu ne vas pas te defendre peut-etre ?! Rajiv : Pourquoi tu m'attaquerais ? Jim : Pour voir comment tu reagis. Rajiv : Je ne reagirais pas. Vas-y, essaye. Donne-moi un coup. Jim : Mais... Euh... Je n'ai aucune raison de t'attaquer. Rajiv : C'est ce que je disais. Mustaph (a Tatiana et Michael) : Mon pere pretend que je ne dois pas vous parler. Nora : Pourquoi ? Mustaph : Je ne sais pas. II ne sait pas non plus, je crois. II dit qu'il vaut mieux se tenir loin des ennuis. Nora : Quels ennuis ? Jim : Faut reconnaitre que ca fout la pagaille. Les profs prevoient toujours tout, ils ne s'etonneraient meme plus qu'on leur braque un revolver sous le nez, mais votre silence, ils ne savent pas quoi en faire. (Tatiana et Michael s'eloignent) Nous non plus d'ailleurs... Nora : Quoi en faire ? Peut-etre... Peut-etre... Oui... c'est 5a... Ca doit etre ca. (Nora s'eloigne a son tour, sous Tceil interloque de ses camarades) 4. 2 avril 2004. Monsieur Vermont, Monsieur Lechat. Monsieur Vermont : J'ai decide de changer Michael ďétablissement. Je crois que ce sera mieux pour tout le monde. II faut l'eloigner de son amie et l'aider á repartir á zero. Dans son nouveau college, personne ne le connaitra, il ne se sentira plus oblige de tenir ce role de héros silencieux dans lequel il se confine, sans doute encourage par ses camarades. Je dois vous dire que je ne suis pas du tout satisfait de la maniěre dont vous avez traité ce probléme et que j'ai écrit á l'inspection. Vous avez voulu jouer la tolerance et la comprehension, on voit le résultat. Les jeunes n'ont plus aucun repěre, plus aucune limite. On dira ce qu'on veut, mais le service militaire, ca vous forgeait des hommes dune autre trempe. Ici, on fait plus de theatre et ďéducation sexuelle que de maths et de sport. Aprěs, il ne faut pas s'etonner de voir tant ďhomos ou de poětes, incapables du moindre effort. Et á mon avis, la mixité, ca n'arrange rien. Un garcon de cet age a besoin de vivre avec d'autres garcons. Je n'ai jamais apprécié cette Tatiana, mais puisqu'il parait que méme les parents n'ont plus le droit de dire quelque chose, j'ai laissé faire. A present, c'est fini, croyez-moi. Je vais reprendre les choses en mains et tant pis si Michael se plaint d'avoir un pere autoritaire. Plus tard, il me remerciera. Monsieur Lechat : Monsieur Vermont... Je comprends votre agacement et vos inquietudes, mais quelque chose me dit que la situation est en train ďévoluer. Je vous propose de patienter encore quelques jours avant de prendre une decision definitive. Malgré les problěmes particuliers qu'il nous pose, Michael est un élěve remarquable auquel nous tenons beaucoup... Monsieur Vermont: II y a trois jours vous pensiez le renvoyer. Monsieur Lechat: J'ai réfléchi et... Monsieur Vermont: Moi aussi j'ai réfléchi, Monsieur Lechat. Je suis son pere et je crois savoir ce qui convient á mon fils. Monsieur Lechat : Puis-je me permettre une question, Monsieur Vermont ? Monsieur Vermont: Allez-y. Monsieur Lechat : Que signifie pour vous le silence de Michael et Tatiana ? Monsieur Vermont: Je n'en sais fichtre rien. Monsieur Lechat : Mais je suppose que vous y avez réfléchi avec Madame Vermont ? Monsieur Vermont : Nous en discutons sans arret. Ma femme n'en dort plus. J'ai essayé de forcer Michael á parler... Je l'ai... Je l'ai méme frappé, si vous voulez le savoir, mais je n'ai rien pu en tirer. II est... II est incroyablement calme. Monsieur Lechat: Croyez-vous qu'il va mal ? Monsieur Vermont : Je ne dirais pas ca... Mais quand je le vois... J'ai peur. J'ai peur qu'il ne parle plus jamais. Monsieur Lechat: II parle, Monsieur Vermont, Michael parle... Monsieur Vermont : C'est ca. Et je suppose que je suis incapable de l'entendre. Monsieur Lechat: Je ne le crois pas. Monsieur Vermont: Hmm... Bon... Si dans quinze jours, rien n'a change, il quittera votre etablissement. Monsieur Lechat: Merci, Monsieur Vermont. 5. Madame Clerbois, Julie. Madame Clerbois : Julie, tu es toujours l'amie de Tatiana ? Julie : Je crois. Madame Clerbois : Tu n'en es pas sure ? Julie : Vous voulez savoir quelque chose ? Madame Clerbois : Non non... Je ne te demande surtout pas de me reveler vos petits secrets... Mais... Enfin tu sais bien ce qui arrive. Julie : Oui. Madame Clerbois : Au debut, tout le monde a pense que ca ne durerait pas. C'est ce que tu as pense, toi aussi ? Julie : Non. Madame Clerbois : Ah. Julie : Je ne vois pas pourquoi cela se serait arrete. Madame Clerbois : Mais... Quand vous etes entre vous, je veux dire sans adulte, je suppose que Tatiana parle. Julie : Non. Madame Clerbois : Elle ne parle pas ? Julie : Elle ne parle pas. Madame Clerbois : Pourquoi ? Tu dois le savoir, toi... Je n'ai pas merite 5a. Je n'ai pas merite que ma fille unique, qui est la personne au monde que j'aime le plus, m'impose cette epreuve. Julie : A mon avis, ce n'est pas dirige contre vous. Madame Clerbois : Tu sais quelque chose. Julie : Je sais dans quel monde je vis. Madame Clerbois : Ce n'est pas une reponse. Julie : C'est la mienne. Madame Clerbois : Je n'en peux plus, tu comprends ca ? Je n'en peux plus ! Toute l'annee, je me coupe en quatre pour Tatiana et voila ce qu'elle me fait ! Julie : Ne le prenez pas comme ca. Madame Clerbois : Petite dinde ! Je t'interdis de me faire la lecon ! On vous apprend beaucoup de choses á 1'école, beaucoup de choses inutiles, mais ce qu'on ne vous apprend plus, c'est le respect. Je te demande simplement de me dire ce que tu sais. Julie : Ce que je sais, c'est que Tatiana et Michael ne parlent plus. Madame Clerbois : Merci du renseignement. Tu es une arrogante. Julie : Non. Je suis trěs sincere. Si vous preniez le temps de réfléchir á ce silence au lieu de chercher á le briser... Madame Clerbois : Non mais je réve ! Elle me donne des conseils á present... Julie : Je m'en vais. Madame Clerbois : Je t'interdis de remettre les pieds ici. Julie : Dommage. Je vous aime bien. Madame Clerbois : Va-t'en. 6. 7 avril 2004. Docteur Delcroix, Michael et Tatiana. Docteur Delcroix : En general le client parle et je me tais. J'ai accepté de vous voir á la demande de Monsieur Lechat et de vos parents. Je suis sceptique quant á l'effet que pourra avoir sur vous cette consultation d'un genre nouveau... Je tiens tout d'abord á vous dire que je ne vais pas comme les autres chercher á vous faire parler. Votre silence m'interesse. Je suis convaincu que vous ne perdez aucune des reactions qu'il provoque. J'ai rencontre quelquefois des cas de mutisme soudain, de "sideration" comme on dit parfois, ou des formes d'aphasie... Mais ces phénoměnes sont incontrólés, accidentels, des sortes de rupture de courant... Elles peuvent résulter d'un traumatisme... Un traumatisme... Je me demande si votre silence, qui est manifestement le résultat d'une decision que vous avez prise ensemble et que vous maintenez par la seule force de votre volonté, je me demande si ce silence est né malgré tout d'une sorte de traumatisme et si oui, lequel ? Ce qui est sur, c'est que vous amenez vos proches, les parents, les copains, les professeurs, á... comment dirais-je ? A s'interroger d'une maniěre inhabituelle, aiguě, douloureuse pour certains, sur la relation qu'ils ont avec vous. Je ne pense pas que cela soit votre objectif. II s'agirait plutót d'une sorte d'effet secondaire. II y a autre chose. Vous avez reussi, par un moyen ultrasimple á vrai dire, á devenir le centre des preoccupations de notre petite communauté et en méme temps, á vous mettre en situation ďobservateurs privilégiés des ondes de choc... Parmi les mesures qui risquent d'etre prises a votre egard, il y aura sans doute la separation forcee. Ceux qui prendront cette responsabilite risquent de le regretter, car si vous avez pris la decision ensemble, separement vous refuserez d'en changer. Bien. Je n'ai rien d'autre a vous dire pour le moment. Si vous souhaitez revenir me voir, faites-le moi savoir. 7. Monsieur Lechat et Madame Barry, professeur de frangais. Madame Barry : C'est a propos de Nora Lesieur et Mustapha Benguettaf. Monsieur Lechat: Que se passe-t-il ? Madame Barry : Un phenomene de contagion. Monsieur Lechat: Contagion ? Madame Barry : lis refusent de parler depuis ce matin. Monsieur Lechat: Ah bon... Interessant... Madame Barry : Les eleves qui continuent a parler prennent la defense de leurs camarades. Monsieur Lechat: Avec quels arguments ? Quelles raisons donnent-ils a cette "conspiration du silence" ? Madame Barry : Rien de concret. lis sortent des banalites : "c'est leur droit", "c'est leur liberie"... Monsieur Lechat: Des banalites. Madame Barry : Trente ans de carriere. J'en ai vu des chahuts, des petites rebellions, des crises d'acne... J'ai passe mon temps a leur dire "un peu de silence". Maintenant, je n'ose plus, vous comprenez ? Le jeune Rajiv a releve le fait que l'ecole ne voulait ni que les eleves parlent, ni qu'ils se taisent... Monsieur Lechat : ...mais seulement qu'ils disent ce que nous attendons qu'ils disent. Madame Barry : C'est 5a. J'ai tente de poursuivre la discussion avec Rajiv... Impossible. Maintenant, il se tait lui aussi. Monsieur Lechat: Cela ne nous explique toujours pas ce qui a declenche cette... cette action. Elle ne vise pas uniquement l'ecole. Ou qu'ils se trouvent, Michael et Tatiana refusent de parler... depuis plus de quinze jours. Madame Barry : J'ai les nerfs en pelote. Le medecin veut me mettre en conge. (Le telephone) Monsieur Lechat : Oui ? Comment ? Un journaliste ? Je n'ai rien a declarer. Dites-lui que je n'ai pas le temps et que je ne souhaite pas qu'il rencontre les eleves. (II raccroche) Ce silence commence a faire trop de bruit. Prevenez vos eleves que je les verrai vendredi matin. Je vais d'ailleurs faire venir les autres classes et aussi les parents. Madame Barry : Vous allez leur dire quoi ? Monsieur Lechat : Je ne sais pas. Disons qu'il faut tenter d'enrayer l'epidemie. Je vais devoir jouer la dramatisation collective et je repugne a cela. Pour etre franc, je crois que nous nous trompons sur tout... Mais enfin, je suis oblige de faire quelque chose... Les plus recemment convertis craqueront peut-etre les premiers. Et s'il y en a un seul qui rompt le pacte, les autres devraient suivre. Madame Barry : Et pour mes nerfs ? Monsieur Lechat : Eh bien vous ferez comme chaque annee, Madame Barry, vous prendrez vos six semaines de conge de maladie. 8. Jim, Michael, Madame Vermont. Jim : Ta mere tire une de ces tranches. Elle espere que j'arriverai a te faire parler. C'est vrai qu'elle ne veut plus que tu voies Tatiana ? Eh !? A moi tu peux repondre, non ? ... Je suis serieux, je ne fais plus de pari... Desole pour l'autre jour, c'etait pas tres malin. Je ne comprends rien a vos histoires. Tu es en colere sur quelque chose ? Dis-le alors... Qu'est-ce ca te ramene de la boucler ? Vendredi, Lechat va nous reunir. A mon avis, ce sera punition collective, suppression du voyage a Londres ou un true comme ca. J'ai pas specialement envie de payer pour vos conneries. (Madame Vermont surgit) Madame Vermont : Les jeunes ? Vous voulez des crepes ? Excusez-moi... Je vous derange en pleine discussion ? Jim : En plein monologue. Madame Vermont: Michael, tu n'es pas gentil. II serait temps de passer a autre chose, mon ami. Tu sais ce qui t'attend si tu t'obstines. Ton pere n'est pas du genre a reculer. Et a l'internat plus question de voir ta petite amie... Alors ? Tu ne veux pas enfin te montrer raisonnable ? Jim, tu pourrais lui dire, toi. Je suppose qu'il ecoute davantage ses copains que ses parents. Jim : Ca reste a prouver. Madame Vermont : Michael... Nous avons toujours bien communique toi et moi. Quand il y a eu des problemes, nous les avons regies, non ? Tu ne vois pas que tu es en train de tout gacher avec ces... ces... excuse-moi, je ne trouve pas d'autre terme, avec ces gamineries. Jim : Je ne dirais pas ca, Madame... Madame Vermont: Ah bon ? Et tu dirais quoi ? Jim : Je ne sais pas mais... Ce n'est pas un simple amusement ou un caprice... Madame Vermont: En somme, tu es d'accord avec Michael ? Jim : Non... Madame Vermont: Je pensais que tu avais un peu plus de maturite, Jim. Jim : Ben la, vous faites erreur, Madame. La maturite, ca ne m'inspire pas trop... Parce que voyez-vous, c'est comme pour les fruits, ils arrivent a maturite et puis tres vite, ils deviennent pourris. Madame Vermont : Tu n'as rien compris. Je pensais que tu etais un garcon un peu plus avance... Jim : Surtout pas, Madame... Etre avance on dit 5a d'une viande quand elle n'est plus tres fraiche... Madame Vermont: Tes metaphores alimentaires sont tres droles. Je crois qu'il vaut mieux que tu rentres chez toi. Jim : J'ai dit quelque chose de mal ? Madame Vermont : Je crois que tu as perdu une bonne occasion de te taire, effectivement. Jim : Done, vous preferez que je ne dise plus rien comme Michael... Madame Vermont: Sors. 9. 8 avril 2004. Monsieur Lechat, le (ou la) journaliste. Monsieur Lechat : C'est tres bien de forcer ma porte, mais je vous previens : je n'ai rien á declarer et je n'ai pas de temps á vous consacrer. Journaliste : Je n'en ai pas pour longtemps. Monsieur Lechat: Lá-dessus, nous sommes d'accord. Journaliste : II nous est revenu qu'un certain nombre de vos élěves ont entamé une action un peu particuliěre. Monsieur Lechat: Vous devriez les interroger. Journaliste : J'aimerais le faire, mais il parait que vous le défendez. Monsieur Lechat: Pas du tout, je vous ai méme fait venir les principaux intéressés. Michael, Tatiana, entrez. Je vous les laisse. Je lirai votre article. (II sort) Journaliste : Bien... Je travaille pour "La voix de l'echo"... Je suis correspondant local... Ma cousině est cantiniěre ici. Elle m'a dit qu'il se passait de droles de choses, une espěce de... grěve... C'est ca ? Pouvez-vous me donner les raisons de votre action ? C'est pour informer les gens, je ne citerai pas vos noms. Et je n'ai pas le droit de vous photographier sans l'accord de vos parents. Alors... De quoi s'agit-il ? Vous etes intimides ? Ne vous en faites pas, je reproduirai fidelement vos propos. Vous avez avale votre langue ? Ecoutez les jeunes, moi je fais mon travail, rien d'autre... Ce serait sympa de me faciliter la täche. Vous devriez etre contents qu'on parle de vous, non ? C'est bien ca que vous cherchez... C'est quoi votre machin ? Vous n'etes pas marrants, les gars et je n'ai pas de temps ä perdre, je dois encore aller ä l'assemblee generale du club de philatelie et au repas de l'amicale des anciens cheminots... Si vous croyez que c'est dröle la vie de journaliste... Bördel ! Vous vous foutez de ma gueule, especes de petits cons !? Tres bien, je vais le faire tout seul cet article et vous allez voir ce qu'elle va prendre votre ecole debile ! Salut ! 10. 11 avril 2004. Monsieur Cadran, Inspecteur en chef de l'Education. Tous les autres personnages. Monsieur Cadran : Asseyez-vous. Je suis Monsieur Cadran, Inspecteur en chef du Ministere de l'Education. Monsieur Lechat, votre directeur, a voulu vous reunir ce matin et il a eu raison. Je lui ai demande de me laisser introduire la seance. Monsieur Lechat a eu raison, car la situation est plus grave que vous ne le pensez. Un premier courrier m'avait alerte. J'ai cru alors que tout rentrerait dans l'ordre, mais il semble que ces petits incidents font tache d'huile... Recemment cette affaire est arrivee aux oreilles du Ministre et suscite ä present des remous dans d'autres etablissements. Nous avons tous lu dans le journal les declarations scandaleuses de certains eleves qui n'ont meme pas eu le courage de donner leur identite au journaliste. Je crois qu'il est temps de remettre les pendules ä l'heure. Je voudrais tout d'abord rappeler ä ceux parmi vous qui sont les meneurs de cette action - que je trouve personnellement assez lache et stupide - quelques elements fondamentaux. Aller ä l'ecole et beneficier d'un enseignement de qualite est un immense privilege que des millions de jeunes dans le monde vous envient. Toute la societe, ä commencer par vos parents, travaille et paye des impöts pour que l'Etat puisse assumer l'education de chaque enfant depuis son plus jeune äge, lui transmettre le savoir, le former ä un futur metier, l'aider ä trouver sa place dans la societe, en faire un individu responsable. Vos enseignants et tout le personnel des etablissements scolaires font un travail admirable, souvent ingrat, un travail porte par un ideal de democratic et de liberté, pour que demain vous soyez des citoyens actifs et deveniez á votre tour les moteurs de notre civilisation... Certains ďentre vous semblent avoir choisi, pour des raisons obscures, de saboter 1'édifice. A ceux-lá, je dirai une chose : reprenez vos esprits tant qu'il est encore temps. Votre attitude infantile est une negation du sens méme de 1'école et vous měne tout droit dans une impasse. Dois-je vous rappeler que si l'Etat vous offre le droit á 1'éducation, en contrepartie, il attend de vous le respect et la discipline. La vie dun homme est partagée entre droits et devoirs. Nous ne sommes plus en 1968. Nous sommes en 2004. Et en 2004, on ne se revoltě pas, on construit. En 2004, on ne perd pas son temps, on participe. En 2004, on ne s'egare plus dans l'utopie, on collabore, jour aprěs jour, á 1'amélioration de la société. Face aux dangers qui menacent notre civilisation et ses valeurs ancestrales, nous devons faire preuve de la plus grande fermeté et refuser de tolérer la moindre tentative de rebellion sterile. Si notre systéme ne vous convient pas, allez done voir comment ca se passe ailleurs dans le monde, allez gouter aux charmes des tyrannies, de la malnutrition, de l'obscurantisme, du sida, du fanatisme religieux, de la luxure, de la decadence, de la corruption, de l'avortement, des animaux sauvages, des pacifistes, des verts, des délinquants, du cannabis, du desert, de la jungle, des communistes, des chiapas, des marginaux, des misereux, des creve-la-faim, des chauffards, des alcooliques, des pedophiles, des méchants, des... des... des... Vous verrez alors ou se tient le bien et ou grouille le mal ! Et vous comprendrez ce qu'est la veritable liberie, une liberie responsable, encadrée, réglementée, organisée et domestiquée ! Et si votre silence doit persister, que ce soit au moins pour que nous priions ensemble. Voilá ce que je tenais á vous dire. Je passe á present la parole á Monsieur Lechat. Monsieur Lechat ? Cest á vous. Monsieur Lechat ? Vous n'avez rien á rajouter ? Mais enfin... Monsieur Lechat ? Que se passe-t-il ? Monsieur Lechat, nous attendons tous d'entendre ce que vous avez á nous dire... Monsieur Lechat ? Je vous ordonne de parler. Vous m'entendez ? Je vous ordonne de parler ! Je vous ordonne de parler ! Fin Lansman Editeur Apartir du ler Janvier 2012 : Emile&Cie 63-65, rue Royale B-7141 Carnieres-Morlanwelz (Belgique) Telephone (32-64) 23 78 40 - Fax/Telecopie (32-64) 23 78 49 info@lansman.org www. lansman. org Qa vous dit ? a ete publiee en 2004 dans le 43 0e ouvrage paru chez Lansman Editeur sous le titre La scene aux ados 1 Collection "Printemps theatral" Lansman Editeur beneficie du soutien permanent de la Communaute Fran5aise de Belgique (Direction du Livre et des Lettres) et de l'Asbl Promotion Theatre