LJ ARTICLE DU * Í ícs ideolaeies>>. ruire ENTRETIEN. Yves Bonnefoy explicite ie rapport entre art et pens.ee dans son ceuvre. Y a-t-il une limite entre voire oeuvre pqétique et ce que vous en dites dans les nombreuxtextes (essais, entrétiens)publiés ? Quel est le statiitde ces échappées du champ poétique ? Une limite, vous voulez dire un cloisonnement ? J'espere bien que non. ce serait trahir la poesie. Car son travail se doit d'etre écriture et ■ pensee dans le méme élan, L'ecriture déborde l'approche conceptuelle des choses mais tout aussitóť la pensée observe la situation, pour degager des voies dans cet espace entre representations transgres-sees et presences jamais pleinement vécues. Et cela dans ce que les poemes ont de tout á fait personnel, puisqiie c'est toujours dans le rapport a soi le plus singulier que l'universel a le plus de chance de se remventer. de se ressaisir. La poesie est une pensée. Nón par des f ormules qu'elle offrirait dans des.textes. mats'par sa reflexion, au moment méme oú elle prend forme. Et ll faut entendre cette pensée lá dú elle est, dans les ceuvres. Ecnre sur Giacometti, sur Goya, sur bien d'autres, je ne l'ai voulu, pour ma part, qu afin de retroiiver posés peut-étre autrement, par ces poetes. les problěrries que la poesie nous demande de decider. Non. pas dechappees du champ poétique! Plutót suggérer quetoutes les pensees dune société devraient prendre place dans celui-ci, méme: les conseils de la science, méme le debat politique. Ce .que cherche la.poesie. c'est a decoňstruire les ideologies, et celles-ci sont actives; autant quelles sont nocives dans toutesles relationshumaines. Contrairement a une modernitě pour qui le reel fut du cdté de « l'lmpossible » {Georges Bataille) ou á fuir en toute urgence (le surrealisme), vous défendez une poesie accessible au monde. Comment en ětes-voús arrive la? En passant par ceux mémes que vous citez! )'ai grande sympathie, en effet pour 1'ápre intensitě avec laquelle Bataille a percu - comme deja Goya lavaitfait dans ce qďonanommé ses « pemturesnoires » -le dehors du lieu humain, cette nuit des vies qui s'entre-devorent pour rien. dans 1 abime dé la matiěre, ce néant. Mais s'effrayer de ce ', dehors, et aussi bien dans la per soíiné qu'on est, ou que Ton croit étré, nest-ce pas que la consequence de cet emploi des mots qui, Cher-chant a connaitre les choses par leurs aspects quantifiables, en fait aussitot autant d emgmes ?Mipixvautreconnaitre dans la parole cet evenement qui 1 institiia, le besoin ďétablir avec ďautres étres, ainsi reconnus des proches, un champ de projets et de pártages. A.bord de la barque dans la tempéte mieux vaut ne pas s'inquieter de 1'horreur deshautes vagues. decider plutot que cette barque, c'est 1'étre méme,: qu il importe de-preserver. Ce que le surrealisme, c'est-a-dire André Breton, qui fut a peuprěs le seul qui aura cófnpté dans ce groupe, en tout cas pour la pensée, savait bien. Je meťonne de vous entendre . dire que le surreahsme a ěté une fuite « en toute urgence ». Jamais Breton n a cesse de vbuloir intervenir dans le dévenir de.la société. Et il hrneme fait sur le plan le plus imrnédiatement politique, et avec beaucoup de luciditě, dans une epoque'de toutes les illusions. Simplement rappelait-ii qu'on ya droit au désastré si on ne préte .póbftgiJoioiTAR-ricLE? Nul autre počte contémporain n'ilhistre mieux qu'Yves Boh-- -nefoyTidée que la langue poétique est unmoyen dc « fcdč- ' coúvfirlémonde >>. En 2010, dans unent'reti en'avec le jbuma-liste Am aury da Cunha, le poete exprime la profonde unite de ses poemes etde ses essais sur l'art. II rend hommagé ' á André Breton, r'appelant 1'apport du surrealisme dans la ■ renovation- de la parole poétique. II rčaffirme sa .cjoyance :. 'en- une poesie libératiice : « Ce que cherche la poesie, c'est a déconstruire les ideologies, et celles-ci sont actives, autant qu'elles sont;nocivěs dans toutes les relations humaines. » De ce « chant qui régéněré".les mots »11 elit aUssi'W la poesie; - n'esl que la preservation de ce sentiment de presence de tout ' átout quifaisaiťlé bonheur, 'et'aussii'l'ang'bisse,'des'"jour- ' neesenfantes".». Beaux sujets dé dissertation pour le.bac ! - pas attention á des besoins de la vie doht le savoir conceptualise,. rationalise, ne saitplus que.le dehors. Alors.que, croyait-il, le reve en"' garde mcmoire. Comment étés-vous parvenu á preserver vótre regard d'enfant ? Cette question, oui, c'est bien ce qu'appelle tout de suite ce que je viens de vous dire, car cetté idee de la chose comme uh iňterlocu-teur, c'est rappeler Texpériencéďe l'enfant avant que peu a peu il ne se laisse convaincre, par l'exemple et l'enseignement des adultes, d'apprehender le monde comme une donnée passive, manipulable : comme du réifié et non du vivant. Je crois que la poesie n'est que la preservation de.ee sentiment dě presence de tout á tout qui faisait le bonheur, et áussi l'angoisse, des «jourhées enfantes». La.měmoirede ce fait, aussi fondamental qu'oublie en ce siěcle obsédé de technologie, épris de. savoirs quantifiables, que nous ne vivons pas parmi des choses mais des étres. Et comment . preserver cette experience premiere, cela peutétre, c'est řnéme á mon sens la principále facon, par la perception dans les vocables de leur son, leur son comme tel, qui est au dela, dans chacun, des signifies par les quels la pensée conceptualisée voile en eux Sa presence possible de ce qu'ils nomment, On écoute ce sonlointain, echo dans le langage de I'unitede ce qui est, on Taccueille dans notre esprit par des rythmes qui montent du corps, c'est-a-dire du besoin, nonde posséder, mais d'etre ; et c'est alors ce chant par lequel le fait humain s'est établi sur la terre, děs les premiers pas du langage. Ce chant qui régéněré les mots; et qui, je l'espefe bien, n'a pas cessé et ně tessera jamaiíš de hanter les instants anxieux de nos grandes decisions. H Propos recueillis.par Amaury da Cunha, Le Mandě da té du " ." '" 12.11.2010 .aituii. poeaque et quěíe dů sens, du Moyen Age á nos jours