Quand la rue parisienne s'uniformise, se banalise... V V Les mémes commerces, chaines de restaurants et decors se retrouvent un peu partout ♦ Des la fin des annees 50, ceux qui avaient vecu 1' « age d'or » de Saint-Germain-des-Pres, annoncaient dejä la fin du quartier parisien. Dans les annees 60, le glas de Saint-Germain fut sonne ä plusieurs reprises: Sartre se repliait sur Montparnasse, le Royal Saint-Germain se transformait en Drugstore, le Bar Bac, frontiere nocturne du territoire, changeait de proprietaire, le Mephisto fermait ses portes. Sans doute la brasserie Lipp avait-elle encore les honneurs de l'actualite: le vrai-faux attentat de rObservatoire s'y tramait en presence de Francois Mitterrand, Valery Giscard d'Estaing et Georges Pompidou y celebraient d'ostentatoires retrouvailles, Ben Barka manquait tragiquement son rendez-vous. Mais les politiques remplacaient les artistes. Et les touristes, du Vermont ou de Maine-et-Loire, de plus en plus nombreux, venaient humer le paifum d'une Rose rouge depuis longtemps evanouie. ♦ Plus tard encore, en enterra Saint-Germain avec Roger Cazes, le patron de Lipp qui faisait regner dans son etablis-sement une etiquette et des preseances aussi rigoureuses que Celles de la Cour de Louis XIV. Autre signal funebre: les editions Plön - « la veuve Garanciere » de Bernanos -, puis les editions Laffont ont deserte les tours de Saint-Sulpice. Toujours plus nombreuses, boutiques de mode ct restaurants remplacent les commerces traditionnels, les librairies comme les boulangeries. L'arrivee de Dior dans les murs du Divan signe-t-elle l'arret de mort de la vie intellectuelle du quartier ou se signale-t-elle simplement que Saint-Germain n'est dejä plus? Une agonie est souvcnt longue: les historiens debattront pour indiquer la date exacte du trepas. POINT DE PASSAGE ♦ Une evidence: les quartiers sont mortels. Ce n'est pas la premiere fois qu'ä Paris un pole intellectuel se deplace: depuis la fin du xixe siecle, il s'est retrouve tour ä tour, ou simultanement, aux Batignolles, sur les Grands Boulevards, ä Montmartre, ä Montparnasse ou ä Saint-Germain-des-Pres. De telles cristallisations se constatent; elles s'expliquent mal. Pourquoi, ä la fin des annees 20, un vieux quartier bourgeois qui vivait avec ses libraires, ses antiquaires et ses marchands de tableaux anciens s'est-il transforms jusqu'ä deve-nir le point de passage oblige de toute une jeunesse intellectuelle? Lipp n'etait encore que la Brasserie des bords du Rhin. Et le Cafe de Flore, le rendezvous des militants de l'Action franchise. ♦ Sans doute la proximite de quelques prestigieuses maisons d'edition - Gallimard, Grasset, Fasquelle - a-t-elle joue un role. i Comme le relatif voisinage de Montparnasse, en dépit du no man's land de la rue de Rennes. ou celui du Quartier latin, méme si l'Universitc ne frayait guěre, ä 1'époque, avec les artistes et les éditeurs. Rien n'indique clai-rement pourquoi la mayonnaise a pris. En cffet, si les ingredients sont connus - des cafés ou 1'on peut se retrouver pour refaire le monde, des logemenls et des lieux de travail ä proximité, quelques « locomotives » - la recede de la réussite reste incon-nue. Sinon eile serait appliquée plus souvent. Par Jacques Ralite, sénateur, maire (PC) d'Aubervilliers qui réve de faire de sä commune « un Montparnasse du xxie siécle », ou par André Santini, député, maire (UDF) ďlssy-Ies-Moulineaux, dont les ambitions, moins avouées, sont assez proches. ♦ Ou se trouve done lc nouveau póle culturel parisien? Du cóté de Beaubourg et des Halles? La presence du centre Pompidou n'est pas süffisante, et la jonction de trois lignes de RER en a surtout fait une annexe animée de la banlieue. Dans le Marais, alors ? Arraché aux artisans, livré aux professions liberales, le quartier a beau vivre des nuits intenses grace ä la proliferation de ses bars gays, le cocktail reste imparfait. LES ARTISTES DISPERSES ♦ Vers la Bastille peut-ětre? On l'a cru un moment, avant l'installation du nouvel Opera. Le pittoresque du quartier le suggerait, mais aussi ses multiples possibilites: bistrots, possibilite d'ateliers dans les arriere-cours, logements ä bon marche. Des galeries se sont ouvertes. L'immobilier a fait un bond. Le quartier est devenu « brauche », mais pas le cceur battant d'une nouvclle generation intellectuelle. Les artistes, d'une maniere generale, se sont disperses dans les arrondisse-ments peripheriques. Certains occupent collectivement des des Hots: le 10e autour du canal Saint-Martin, les franges épar-gnées de Belleville de Ménilmontant, certains coins du 1 le ou du 12e, les confins du 13e et du 14e, lá oú subsiste un báti ancien, souvent en mauvais état, encore peu onéreux. ♦ Cct émiettement inlerdit la revendication d'une quelconque hegemonie. Par ailleurs. cette diffusion du milieu artistique dans l'ensemble de la capitale a lieu au moment ou la rue parisienne s'uniformise, se banalise. Les mémes commerces de věte- par les moyens modernes de communication - moyens ô combien solitaires - et la tyrannic de ľéconomie, condamne-t-il définitivement la renaissance ďun tel pole? Peut-étre. Mais rien n'est moins sur. Cette renaissance surgira alors lä oil on l'attend le moins. Car, pas plus qu'on ne peut intervenir par voie legale ou réglementaire sur revolution profonde d'un quartier, ľéclosion d'un nouveau Saint-Germain-des-Prés ne se décréte pas. Le pittoresque du quartier le suggerait, mais aussi ses multiples possibilites: bislrots, possibilite d'ateliers dans les arriere-cours. logements ä bon marche. Des galeries se sont ouvertes. L'immobilier a fait un bond. Le quartier est devcnu « brauche », mais pas le cocur battant d'une nouvelle generation intcl-lectuelle. Les artistes, d'une maniere generale, se sont disperses dans les arrondisse-ments peripheriques. Certains occupcnt collectivement des friches industrielles: höpital ephemere dans le 18e, entrepots frigorifiques dans le 13e. D'autres se concentrent dans des ilols: le 10e autour du canal Saint-Martin, les franges épar-gnées de Belleville de Ménilmontant, certains coins du 1le ou du 12e, les confins du 13e et du 14e, lá oú subsiste un báti ancien, sou\'ent en mauvais état, encore peu onéreux. ♦ Cet émietteinent interdit la revindication d'une quelconque hegemonie. Par ailleurs, cette diffusion du milieu artistique dans 1'ensemble de la capitale a lieu an moment ou la rue pari-sienne s'uniformise, se banalise. Les mcmes commerces de véte-ments, les měmes chalnes de restaurant, les mémes decors se retrouvent un peu partout. L'individualisme, démultiplié par les moyens modernes de communication - moyens 6 combien solitaires - et la tyran-nie de l'economie, condamne-t-il definitivement la renaissance d'un tel pole? Peut-etre. Mais rien n'est moins sür. Cette renaissance surgira alors la ou on 1'attend le moins. Car, pas plus qu'on ne peut intervenir par voie legale ou reglementairc sur revolution profonde d'un quartier, l'eclosion d'un nouveau Saint-Germain-des-Pres ne se decrete pas. Emmanuel de lioux Le Monde 23 novembre 1996 I. TeRIMES EXplÍQUÉS §1 L'äge d'or de Saint-Germain des Pres = la periodě oü le quartier de Saint-Germain-des-Prés était trěs ä la mode et réunissait tous les jeunes artistes, écrivains, musiciens, etc. Le glas = son de cloche dans les églises qui annonce la mort ou les obsěques de quelqu'un. Sartre se repliait sur Montparnasse- Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe existen-tialiste (1905-1980), aprěs avoir longtemps fréquenté les cafés de Saint-Germain, le Flore en particulier, a ensuite change de quartier; il allait déjeuner fréquemment ä La Coupole ä Montparnasse. Un drugstore = un grand magasin compose de nombreux commerces. Le Royal Saint-Germain, le Bar Bac, la Brasserie Lipp, le Mephisto: noms de cafés célěbres du quartier Saint-Germain fréquentés par les intellectuels. Le Vermont = un Etat au nord-est des États-Unis, en Nouvelle-Angleterre. §2 Le vraifaux attentat de I'Observatoire- allusion ä un attentat organise contre Francois Mitterrand pres de l'Observatoire, ä Paris, mais dont les auteurs s'etaient entendus avec la «victime». V Ostentatoires-faits avec ostentation = mise en valeur excessive et indiscrete d'un avan-tage. Ben Barka manquait de l'opposition maroc ces spéciaux de son p; Rose rouge: célěbre ca Une etiquette - un cé Des préséances = des ] Les editions Laifont c grande maison ďédit Saint-Sulpice (célěbn quartier des éditeurs Le Divan, ä Fangle d trěs longtemps une d< tes tenaient des réun par une luxueuse bo Action francaise= p; §4 Le no man's land de une zone neutře sé] etle Quartier latin ( de Saint-Germain-' §f Le Marais = un des la Seine. Des friches - des Iii Le cocktail reste iin Marais, le résultat La jonetion de tre = metro rapide av et en font un des ■ §7 Une hégémonie = II. Preparation /. Le titre Que signifie le ti t-on des points > 78 modernes de - moyens 6 5 - et 1 a tyran- condamne-t-il a renaissance jut-etre. Mais is sür. Cette ra alors lä oü □ins. Car, pas t intervenir par ;lementaire sur nde d'un quar-i'un nouveau les-Pres ne se tmtel de Roux LeMonde ovembre 1996 nt-Germain-s, musiciens, obseques de >phe existen--Germain, le smment ä La 3ms de cafes re. ntre Francois :ntendus avec te d'un avan- §4 §5 Ben Barka manquait tragiquement son rendez-vous = Ben Barka, homme politique de l'opposition marocaine avait ete enleve ä Paris et assassine en 1965 par les services speciaux de son pays. Rose rouge: celebre cabaret-theätre des annees 1945-1960. Une etiquette = un ceremonial en usage ä la cour des rois. Des preseances = des privileges dus ä la notoriete ou au rang social. * Les editions Laffont desertaient les tours de Saint-Sulpice: les editions Laffont, une grande maison d'edition, a eu son siege pendant longtemps dans le quartier de l'eglise Saint-Sulpice (celebre depuis par le roman Da Vinci code).Ce quartier etait appele «le quartier des editeurs ». Le Divan, ä Tangle de la rue Bonaparte et de la place Saint-Germain-des-Pres, a ete tres longtemps une des librairies les plus celebres de Paris oü les intellectuels et les artistes tenaient des reunions et se rencontraient. Cette librairie est remplacee maintenant par une luxueuse boutique de Christian Dior. Action jrancaise - parti d'extreme droite des annees 30. Le no man's land de la rue deRennes ou celui du Quartier latin = un no mans land est une zone neutre separant deux armees ennemies. La rue de Rennes (commercante) et le Quartier latin (etudiants) separent les artistes de Montparnasse et les intellectuels de Saint-Germain-des-Pres. Le Marais= un des quartiers les plus anciens au centre de Paris, sur la rive droite de la Seine. Des friches= des lieux provisoirement non cultives ou non bätis. Le cocktail reste imparfait = malgre le melange des differentes activites du quartier du Marais, le resultat n'est pas satisfaisant. Le Marais n'est pas un pole culturel. La junction de trots lignes de RER = trois lignes de RER (Reseau express regional = metro rapide avec un reseau tres etendu) passent au Chätelet ä proximite des Halles et en font un des quartiers les plus animes de Paris. §7 Une hegemonie = une Suprematie, une superiorite. II. Preparation ä Ia coivipREriENsioi\ /. Le TiTRE Que signifie le titre? Par quel mot commence-t-il? Est-ce frequent? Pourquoi utilise-t-on des points de suspension ä la fin ? 79