modestes terrasses et de petits jardins limites par des murets de pierres seches. Comment trouver la residence d'un roi parmi ces banales maisons? Heureusement, la comete est la, fidele au rendez-vous, enfin immobile, comme une veilleuse au-dessus d'un sanctuaire, et, lorsque le cortege des rois est parvenu au centre du village, une coulee de lumiere eii descend et tombe sw une miserable bergerie. Les compagnons de Balthazar s'arretent stupefaits. Non seulement il n'y a ni palais ni demeure royale a Bethleem, mais voici que la comete designe de son doigt de feu la plus mis6rable masure. II y amalen-tendu... ou derision. Seul Balthazar commence a com-prendre. Quant a Assour, son sourire veut dire sans doute qu'il a, lui, tout a fait compris. lis mettent pied a terre et poussent la porte de planches vermoulues de ce qui doit etre une bergerie, une stable ou une ecurie. Cequ'ils vpient en premier dans la chaude penombre interieure, c'est un rayon de lumiere qui traverse la toiture de chaume et tombe sur un petit enfant niche dans la paille. Ce rayon de lumiere vient sans doute de la comete, mais il a aussi vaguement forme humaine. On dirait un geant lumi-neux debout et qui accomplirait des gestes lents et majestueux. Un g6ant ou un ange peut-gtre... Mais il y a aussi des silhouettes, tout humames, une femme tres jeune, presque une adolescente, un homme plus Sge, aux allures d'artisan, des villageois^ des servantes, des bergers aussi, tout un menu peuple mysterieusement attire par cette naissance d'une pauvrete presque sau- 58 vage, Et il ne manque merne pas, dans ce r6duit sen-tant le foin et le euir des harnais, la haute et rassurante silhouette d'un bceuf et d'un fine qui abaissent leur lourde tSte vers le berceau de paille. Balthazar s'agenouille le premier a la fois par devotion et pour voir de plus pres le h&e>€ qui tend ses petits bras vers lui. I! depose en offrande le bloc de myrrhe, cette resine odorante qui confere l'immortalite au corps des papillons eta celui des.Egyptiens. Mais voici qu'a c6te de lui s'agenouille a son tour Gaspard, le roi noir, qui porte une cassolette remplie de charbons ardents. Avec une cuiller d'or, il verse sur les braises un peu de poudre d'encens, et des volutes de fumee bleue montent et se tordent dans la colonne de lumiere toujours debout et mouvante au centre de l'etable. Pujslesrois reculent dans rombrepour laisser place que Assour, reste volontairement en retrait, et qui adore lui aussi, mais ä sa maniere, c'est-ä-dire une feuille de parchemin et un fusain ä la main. lis échangent quelques mots - le roi de Nipour et le petit dessinateur babylonien - mais il est bien difficile de savoir auquel revient telle ou telle phrase dont ľécho est arrive jus-qu'änous. - Ce n'est qu'un petit enfant né dans la paille entre un boeuf et un äne, dit ľun, pourtant une colonne de lumiére veille sur lui et ätteste sa majesté. - Oui, dit ľ autre, car cette étable est un temple, et si 59 le pere al'air d'un artisancharpentier et la mere toutes les apparences d'une petite servantě, cet homme est un patriarche et cette femme une vierge immaculée. . - Nous assistons á cette heur e á la naissance d'un ait nouveau qu'on appelle Fart chrétien. Cette maman clocharde penchée sur son petit clochardot manifeste á nos yeirx la descente de Diětfau plus épais de notre' miserable humanitě. .. - Nous allons retourner á Nipour afin ďy porter la bonne nouvelle. Nous convaincrons les peuples, mais aussi les prétres, et mšme ce vieux Cheddád tout racorni dans son fanatisme: l'image est sauvée, 1'art n'est plus maudit. Le visage et le corps de 1'homme peuvent ětre célébréš sans idolátrie, puisque Dieu a pris ce visage et ce corps. - Je vais reconstruire le Baíthazareum, mais non plus pour ý collectionner des statues grecques et égyp-tiennes. Je vais y faire travailler des artistes d'aujour-d'hui qui créeront les premiers chefs-d'oeuvre de 1' art chrétien. Cest alors que Balthazar se penche sur le dessin '^j qu'Assour est en train d'achever á traits rápides. N'est-ce pas justement le tout premier de ces chefs-d'ceuvre, et comme leur matrice ? Tournant le parchemin vers la colonne de lumiere pour voir ce qui s'y trouve figure, Balthazar voit des personnages charges d'or et de pourpre, venus d'un Orient fabuleux, qui se proster-nent dans une étable miserable devant un petit enfant. Or če simple dessin ne ressemble á rien de ce que Balthazar - pourtant grand connaisseur d'art - a pu ' ■■ '60 voir dansles nombreux pays ouila voyage. Ily a la des . ombres, des parties, au contraire, vivement 6clairees, un jeusubtil d'dppositions entre le clair et l'obscur qui donnent une profondeur et un mystere admirables a toute la scene. -Forcement, dit Assour, comme pour excuser l'au-dace de son ceuvre, cette etable tenebreuse, avec ces eclairs de lumiere, ces silhouettes noires, ces visages Wanes.... - Forcement, dit Balthazar emerveill6 par la prodi-gieuse nouveaute de ce dessin, taht de pauvrete melee -a tant de splendeur, la grandeur divine incarnie dans la misere humaine... C'est la premiere image sacree, celle qui va f econder des siecles et des siecles de pein-ture. Et Assour, eperdu de joie, regarde devant lui, droit dans la colonne de lumiere, etil y voit rayemVcomme unejttnmg^galerie de ^^j^LsoigQM&, chaque foisselon l'esplrt^une""epoque differente, la meme . scene reconnaissable: 1'Adoration des Mages.