« En Afrique, les périls ont davantage fragilisé les États » ENTRETIEN. Colonnes vertébrales des États, les armées sont structurellement faibles sur le continent, explique Oswald Padonou, spécialiste des questions de défense. Oswald Padonou, directeur de programme a l'Ecole nationale superieure des armees et president de l'Association beninoise d'etudes strategiques et de securite. Oswald Padonou, directeur de programme à l’École nationale supérieure des armées et président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité.© ABESS Propos recueillis par Malick Diawara Publié le 21/06/2022 à 09h30 - Modifié le 06/07/2022 à 17h02 L'Afrique est aux prises avec toutes les formes contemporaines de conflits ; elle est le seul continent à n'avoir aucune industrie militaire, accusant ainsi une dépendance totale pour l'acquisition d'armes ; de surcroît, elle a le potentiel humain, matériel et technologique le plus faible de tous. Détentrice importante de matières premières, l'Afrique subsaharienne disposerait, par ailleurs, des surfaces de terres arables les plus importantes du monde. Au moment où se pose la question de la sécurité, alimentaire, industrielle, technologique, sanitaire, pharmaceutique et médicale, il n'est pas superflu de s'interroger sur la place de l'Afrique dans le curseur militaire, tactique et stratégique du monde. Directeur de programme à l'École nationale supérieure des armées (Ensa) au Bénin et président de l'Association béninoise d'études stratégiques et de sécurité (Abess), Oswald Padonou répond. Le Point : Dans un monde où les périls sont en expansion, qu'en est-il des forces de défense des pays africains ? Oswald Padonou : L'Afrique a précédé le monde dans la logique de réarmement. La tendance globale actuelle, qui se traduit par la hausse des dépenses militaires partout, constitue une réponse aux périls de toutes sortes et au retour de la confrontation armée entre les États. En Afrique ces périls, liés aux rébellions, au grand banditisme, à la criminalité transfrontalière, à la piraterie maritime et au terrorisme islamiste, entre autres, ne se sont pas atténués ces trente dernières années. Ils ont davantage fragilisé des États qui peinaient déjà à contrôler leurs territoires et à satisfaire les attentes de leurs populations. C'est dire que les armées, qui sont les colonnes vertébrales des États, sont structurellement faibles en Afrique et que la logique de renforcement des équipements doit aller de pair avec la consolidation de la gouvernance pour espérer la stabilité sur le continent. Comment se matérialise la coopération en matière militaire et sécuritaire entre pays africains d'une part, entre pays africains et partenaires extérieurs d'autre part ? La coopération militaire entre pays africains est faible, en tout cas insuffisante. La confiance qui fonde la coopération entre États voisins n'est pas toujours effective. Il existe peu d'accords de défense et de coopération militaire intra-africains en dehors des échanges de stagiaires dans les écoles et centres de formation, sans doute parce que l'architecture de sécurité collective de l'Union africaine prévoit des mécanismes de coopération régionale mais, bien souvent, ils sont obsolètes, complexes, voire inefficaces pour prévenir et résoudre les crises. Par contre, l'extraversion et l'attrait stratégiques sont remarquables. L'Europe, les États-Unis et les pays émergents rivalisent de compétition pour définir, conserver, étendre leurs accords militaires avec les pays africains qui constituent un marché en progression dans le secteur de l'armement. La construction d'une Communauté africaine de défense est-elle possible ? C'est une gageure à court et moyen terme. Elle ne peut se réaliser sans intégration politique et sans vision commune à l'échelle du continent. L'Agenda 2063 de l'Union africaine aspire à construire cette perspective de défense commune mais il y a loin de la coupe aux lèvres. L'échelle qui me semble la plus réaliste est celle des cinq sous-régions africaines à partir desquelles les États peuvent structurer un mécanisme de sécurité collective souple et efficace fondé sur la recherche de la performance et privilégiant donc la professionnalisation et la dépolitisation des armées africaines. https://www.lepoint.fr/dossiers/hors-series/guerre-menaces-analyse-conflit-armes/en-afrique-les-per ils-ont-davantage-fragilise-les-etats-21-06-2022-2480396_4558.php