ETRETAT L'arche et l'aiguille d'Aval, celebre enigme d'Arsene Lupin, illustrent le decor grandiose des falaises d'Etretat (Seine-Maritime). Ces murs de craie pouvant atteindre jusqu'a 110 metres de hauteur s'etalent ainsi sur 140 kilometres le long de la cote d'Albatre, en Haute-Normandie. Certaines d'entre-elles sont creusees de tunnels aujourd'hui inaccessibles, et auraient etc utilisees par certains (Jules Cesar, Talleyrand...) pour rejoindre secretement l'Angleterre. DE kli a moindre promenade sur le terroir fran-gais nous amene ä croiser le chemin d'une liegende, souvent materialised par un nom qui nous laisse reveurs. Ici, un de ces nom-breux « Pont-du-diable », que le Prince des Enters construisit en une nuit; lä, une « Roche-aux-fees »temoignant de I'ancien habitat de ces Dames ou encore la « Marmite-des-Farfadets », roche en forme de cuvette ou les lutins vendeens cuisaient leur soupe du mardi gras. Les peregrinations de Gargantua ont laisse des traces partout en France. Les palets qui servaient ä ses jeux sont ä l'origine de nombre de menhirs et, tout comme le diable, le geant nous offre, ici et lä, les empreintes de ses mains, de ses pas ou des sabots de son cheval. La tradition orale a peuple chaque source, chaque lac, chaque etang, de sirenes; chaque montagne, de geants. Les bois four-millent de personnages et d'animaux fantas- MYTHES, de legendes et ďautres choseŽ^tonnantes encore... naturels ou aux mégalithes témoigne de la fragilitě et de 1'humilité des hommes face au monde qui les entourait. Tout n'etait que mys-těre et incertitude. Devins et sorciers res-taient les seuls porteurs ďespoir. Les premiers parce qu'ils communiquaient avec les forces divines, les seconds car Ms connaissaient les secrets de la nature. Ainsi, il devenait possible de maTtriser un peu son destin et d'agir sur les choses et les gens. De toutes ces croyances naquirent une myriade de superstitions, de gestes, de rites et de signes, fastes ou néfastes, qui se sont per-pétués. La peur, éternelle compagne de D'ou nous viennent tous ces mysteres qui ont fait trembler tant de generations et donnent encore quelques frissons a nos contemporains ? tiques souvent peu bienveillants avec les voyageurs. Les chateaux en ruine sont hantes de fantomes, penitents qui expient leurs fautes, damnes qui continuent a nuire par-dela la mort, ou Dames blanches annonciatrices d'eve-nements a venir. Et lorsque tombe la nuit, tous ces etres s'animent sous I'ceil complice de la lune, tandis que la Mort rode en souveraine a la recherche de vies a faucher. D'ou nous vient ce peuple mysterieux qui fit trembler tant de generations et donne encore quelques frissons a nos contemporains ? II serait vain de vouloir dresser I'arbre genea-logique des innombrables divinites de la nature qui, au fil des temps et des civilisations, ont feconde notre terroir. II faudrait probablement pour cela remonter a la prehistoire. Plus pres de nous, le culte que les Celtes et les Romains vouaient aux pierres, aux eaux, mortes ou vives, aux arbres et aux plantes, aux rochers I'homme, ne fit que changer de masque. L'Eglise, qui entreprit de christianiser les hommes et le terroir, lutta contre les survi-vances du paganisme. Les croix se mirent a fleurir sur les anciens lieux sacres, trans-formes en calvaires, les saintes prirent la place des fees des fontaines et on diabolisa les lutins dont on fit autant de demons. Les fetes chre-tiennes furent placees sur celles des anciens cultes, les eglises baties sur les temples antiques, les cures remplacerent les sorciers, et Satan devint le grand croquemitaine des nouveaux temps. Malgre la guerre sans merci que I'Eglise livra aux anciennes croyances, elle ne parvint pas a les exterminer. Les traditions collectees par les folkloristes du XIXe siecle montrent a quel point les superstitions populaires sont encore vivaces a cette epoque. Les paysans croient de moins en moins aux fees, mais ils conti- nuent a craindre les lutins. Fantomes et ani-maux fantastiques regnent toujours en maTtre a la nuit tombee. Rites pai'ens et Chretiens se melangent dans les actes magiques et les buchers de la Renaissance, sur lesquels peri-rent des milliers de sorcieres en Europe, n'ont pas tue la sorcellerie. Les grimoires sont rem-plis de recettes magiques destinees a soigner, a punir ou a pactiser avec le diable. Un diable que les cures n'ont pas reussi a rendre mons trueux. Un diable rustique qui, au travers des contes populaires, reste un gros balourd qu'il est aise de berner, une fois qu'il a rendu le service demande. De generation en generation, les savoirs et les gestes se sont transmis au travers des veillees et des livrets diffuses par les colporteurs. Ou'en est-il aujourd'hui de ces croyances ? Toutes ces superstitions ont-elles vraiment disparu ? II est certain que la science et ('urbanisation ont reussi la ou la religion avait echoue. La fee electrique s'est emparee des ombres de la nuit, les divinites de I'eau se sont evanouies dans les robinets, et les genies du terroir ont fui devant les bulldozers. Cependant, ne reste-t-il pas, au fond de chacun de nous, cet espace de fragilite, ce jardin secret dans lequel poussent les croyances, fertilise par les mysteres qui demeurent et par notre eternel espoir en I'existence d'une autre realite ? TEXTE MARIE-CHARLOTTE DELMAS Marie-Charlotte Delmas a publie, en 2003, Superstitions et croyances des pays de France aux Editions du Chene. Elle acheve actuellement un Guide des Fees de France.