9^e séance (vendredi 21 avril 2006) : Le postmoderne V : Le postmoderne et la littérature LE POSTMODERNE ET LA LITTERATURE Notions, définitions. On a pris l'habitude d'opposer les termes de moderne et postmoderne comme si le préfixe paradoxal voulait exprimer une relation de conflit. Or en est-t-il vraiment ainsi ? Les propos de Jean-François Lyotard (cf. >> Du bon usage du postmoderne <<) s'opposent `a une telle vision des choses. Nous lui préférerons donc un autre aspect de ce terme qui ne cesse de susciter des polémiques et controverses. La notion de postmodernité va nous servir de moyen autonome permettant de penser par défaut cette réalité nouvelle qui émerge en Europe `a partir des années 1980, avant d'entrer dans une phase critique autour de 1989. Ainsi s'avere-t-il inévitable de faire une distinction au sein du postmoderne : si la postmodernité est pensée comme une période et surtout comme un constat de l'état de la société occidentale, du statut du savoir dans cette société, le second terme représente une esthétique et l'idée répandue outre-Atlantique. Si le postmoderne est généralement pensé par les Américains, la postmodernité serait théorisée par les Européens. Considérant le roman français, cette distinction se révele en effet un constat provisoire, car dans le domine que nous nous proposons d'envisager, les deux notions sont interdépendantes. La postmodernité caractérise donc la société qui se montre >> incrédul[e] `a l'égard des méta-récits <<, c'est-`a-dire `a l'égard des grands discours de légitimation sur lesquels repose notre savoir, qu'il soit historique, scientifique ou philosophique. Implicites, idéologiques, profondément ancrés dans l'inconscient collectif et d'autant plus actifs dans la constitution du sujet u'ils en garantissent la cohérence, ces discours sur lesquels se fonde la modernité trouvent leur origine dans la philosophie des Lumieres, depuis le XVIII^e siecle européen et de la Révolution française de 1789. Comme nous l'avons vu précédemment, la modernité se définit comme notamment par la croyance en un progres continu de l'humanité qui associe, selon la vision hégélienne de l'histoire, l'essor infini des connaissances et l'émancipation des peuples. Cette idée, transposée dans le domaine de l'art et traduite par la nécessité d'innover, par le besoin mortifere de rompre avec la tradition et les générations précédentes, a abouti `a la constitution des avant-gardes comme manifestation extreme de la modernité. La postmodernité serait alors née de la mise en rapport de deux aspects hétérogenes de la modernité : l'aspect matériel et technique, manifesté par le progres scientifique, l'aspect social et éthique, manifesté par l'émancipation et le bonheur de l'homme. La confusion entre la modernité technologique et la modernité de libération a constitué l'une des contradictions essentielles du capitalisme historique du capitalisme historique : >> La dissociation des stratégies économiques et de la construction d'un type de société, de culture et de la personnalité s'est opérée tres vite et c'est elle qui nomme et définit l'idée de post-modernité <<.[1] D'autre part, avec l'effondrement du Mur de Berlin et la décomposition d'autres systemes totalitaires, nous sommes entrés dans une ere de turbulences géopolitiques qui oppose Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre au Nouveau Moyen Age d'Alain Minc. Ce terme veut dépeindre le décentrement des affrontements, l'extension des domaines grises, la montée des conflits ethniques et des intégrismes. Enfin, la science elle-meme et `a l'épreuve l'idée de déterminisme pur pour s'orienter comme l'a montré Lyotard vers la recherche des instabilités[2]. Apres la vogue de la cybernétique et de la systémique qui ont découvert un mode d'organisation ordonnée dans les systemes auto-régulés (d'ou l'essor d'apres guerre du structuralisme), la science postmoderne se tourne de plus en plus vers les systemes qui integrent l'aléatoire, le non-prédictible, le désordre, c'est-`a-dire la complexité. Les paradoxes de la physique des particules, de la mécanique quantique et le développement des sciences du Chaos : effet papillon (Edward Lorenz), géométrie fractale (Benoît Mandelbrot), théorie des catastrophes (René Thom), marquent une rupture avec le déterminisme dans les sciences de la nature et mettent au premier plan de l'étude des phénomenes comme discontinuité, turbulence, désordre... ------------------------------- [1] Alain Touraine, Critique de la modernité, Fayard, 1992. [2] Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, Paris, Minuit 1979, p. 88.