VIII. Les Carolingiens (8^e -- 9^e siecles) Vers 800, alors que rayonnent les deux civilisations musulmane et byzantine, l'Occident fait son unité sous la dynastie des Carolingiens. Par son sacre en 800, Charlemagne crée un Empire >> romain <<, en fait franc et chrétien, ou se mettent en place des institutions nouvelles, ou se développe une assez belle >> Renaissance carolingienne <<, mais ou, surtout, se crée dans la société un autre réseau de relations entre les hommes. C'est dans ce cadre qu'apparaît la Francie occidentale. VIII. Les Carolingiens.. 1 VIII.a. La formation.. 2 VIII.a.i. Les maires du palais. 2 VIII.a.ii. Charles Martel et Pépin le Bref. 3 VIII.a.iii. Les conquetes de Charlemagne. 4 VIII.b. L'Empire et ses institutions. 4 VIII.b.i. Le sacre impérial. 4 VIII.b.ii. Les institutions. 5 VIII.c. L'Église et la Renaissance carolingienne. 7 VIII.c.i. L'Église carolingienne. 7 VIII.c.ii. La Renaissance carolingienne. 8 VIII.d. Le partage. 9 VIII.d.i. Difficultés de l'Empire au temps de Louis le Pieux. 9 VIII.d.ii. Le traité de Verdun. 10 A la fin du 7^e siecle, dans un ancien Occident romain déj`a partagé en divers royaumes barbares, le royaume franc en Gaule est lui-meme morcelé en trois éléments : Austrasie, Neustrie et Bourgogne. A cette situation héritée de Rome et des invasions, deux bouleversements vont mettre fin dans le siecle suivant. D'une part, la conquete musulmane, partie d'Arabie apres la mort de Mahomet en 632, atteint l'Espagne en 711 et vient mourir `a Poitiers en 732. D'autre part, l'Occident - `a l'exception de l'Espagne devenue musulmane et des îles Britanniques restées `a l'écart - tente avec les Francs d'Austrasie une unification que symbolise en 800 le couronnement impérial de Charlemagne. Ainsi sont fixées au 9^e siecle les trois composantes du monde médiéval : l'Empire byzantin, l'Islam et la Chrétienté latine. Mais, face aux deux premieres qui brillent d'un grand éclat, la troisieme fait figure de monde sous-développé. Cela explique sans doute les difficultés du grand Empire franc qui, moins de trente ans apres la mort de son fondateur (814), est partagé entre ses petits-fils au traité de Verdun en 843. VIII.a. La formation VIII.a.i. Les maires du palais[1] Vers 700, la partie la plus vivante du regnum Francorum est l'Austrasie. L`a se produit, autour de l'axe de la Meuse, un premier éveil économique lié `a l'essor du commerce des marins frisons en mer du Nord et au maintien de liens avec la Méditerranée par la Saône et le Rhône. L`a se situe le point de départ des guerriers, des négociateurs et des missionnaires envoyés au-del`a du Rhin. L`a enfin s'étendent d'immenses domaines appartenant `a quelques grandes familles, dont deux, celle des Arnulfiens autour de Metz et celle des Pippinides plus au nord, sont les ancetres de ce Pépin d'Herstal qui a vaincu les Neustriens `a Tertry et qui, tout en conservant un roi mérovingien, a réalisé l'union des mairies du palais d'Austrasie, de Neustrie et de Bourgogne. Il meurt en 714. VIII.a.ii. Charles Martel et Pépin le Bref. L'oeuvre de son fils Charles Martel (... 741) et de son petit-fils Pépin le Bref (741-768) est considérable et ne doit pas etre éclipsée par celle de Charlemagne. Appelé par le duc d'Aquitaine Eudes, Charles Martel a vaincu en 732 entre Poitiers et Tours une expédition lancée depuis Pampelune par le gouverneur musulman d'Espagne : il est `a ce titre considéré comme le sauveur de la Chrétienté et de l'Europe. Apres avoir déposé le dernier roi mérovingien, Pépin le Bref a fondé la dynastie carolingienne en se faisant sacrer roi des Francs en 751. Mais, `a côté de ces deux événements marquants, l'oeuvre réalisée pendant ce demi-siecle se situe sur plusieurs plans. Tout d'abord Charles Martel a donné aux Carolingiens les moyens de leur politique en généralisant la vassalité[2] et en distribuant `a ses vassaux en bénéfices des terres prises, en principe `a titre temporaire, `a l'Église : expédient de génie, qui, les Mérovingiens ayant dilapidé toutes les terres du fisc, redonne aux maires du palais la possibilité de s'assurer la fidélité des grands. Cette autorité retrouvée, les deux Carolingiens vont l'exercer sur l'ensemble de la Gaule, y compris la Provence et l'Aquitaine : longtemps indépendante, celle-ci a subi la poussée des Basques, puis des musulmans. Charles Martel profite de la victoire de Poitiers pour occuper tout le pays jusqu'`a la Garonne ; Pépin, apres plusieurs dures campagnes, triomphe du dernier >> prince << d'Aquitaine, Waifre, en 768. Le pouvoir des Carolingiens s'étend aussi en Germanie : `a sa mort. Pépin regne directement sur la Hesse, la Thuringe et la Frise, indirectement sur l'Alémanie et la Baviere, qui conservent des ducs nationaux. Enfin, inspirés par le grand missionnaire anglo-saxon qui a évangélisé la Germanie, saint Boniface, Pépin et son frere Carloman ont procédé `a une grande réforme des moeurs, de la hiérarchie et de la liturgie des Églises de Gaule et de Germanie, qui les uniformise sous le contrôle romain. Les Carolingiens apparaissent alors comme la premiere puissance dans l'Europe chrétienne, et une alliance se noue entre le souverain franc et le pape. Charles Martel n'avait pas répondu `a un premier appel du pape réclamant sa protection contre l'extension du royaume lombard en Italie. Mais Pépin, sacré roi une seconde fois avec ses fils `a Saint-Denis par le pape Étienne II en 754, franchit les Alpes en 755 et 756. Deux fois vainqueur des Lombards, il promet au pape de lui restituer les anciennes possessions byzantines en Italie et jette ainsi les bases de l'État pontifical. Tous les cadres de l'action de Charlemagne sont en place. VIII.a.iii. Les conquetes de Charlemagne. Charlemagne (768-814) est d'abord un conquérant qui, chaque année, rassemble ses guerriers pour de fructueuses expéditions. Une véritable révolution militaire a transformé, au cours du 8^e siecle, l'armée de fantassins des premiers rois francs en une armée de cavaliers lourdement équipés que Charlemagne lance dans toutes les directions : vers l'Italie, ou, s'étant emparé en 774 de la capitale des Lombards, Pavie, il prend le titre de >> roi des Francs et des Lombards << ; vers l'Espagne, ou il échoue `a l'ouest des Pyrénées - `a Roncevaux, en 778, l'arriere-garde de son armée, commandée par le comte Roland, est massacrée par les Basques -, mais ou il réussit, `a l'est, `a arracher la marche[3] d'Espagne, future Catalogne, `a l'Islam ; vers la Germanie surtout, ou il établit son contrôle direct sur l'Alémanie et la Baviere et ou, au terme d'atroces campagnes, il parvient `a soumettre les Saxons et `a atteindre l'Elbe. Les Francs sont maintenant en contact avec de nouveaux peuples paiens, les Slaves et les Scandinaves. A la fin du 8^e siecle, Charlemagne est `a la tete d'un territoire qui couvre plus d'un million de kilometres carrés : un royaume si vaste qu'il a du en détacher des sous-royaumes ou des duchés plus ou moins autonomes : Italie, Baviere, Aquitaine... En fait, un empire... VIII.b. L'Empire et ses institutions VIII.b.i. Le sacre impérial. Le jour de Noël 800, Charlemagne reçoit `a Rome la couronne impériale des mains du pape Léon III. A son titre de >> roi des Francs et des Lombards <<, il ajoute désormais >> auguste et empereur <<. Les historiens ont discuté et discuteront longtemps encore sur le sens de ce que Charlemagne a lui-meme appelé la >> rénovation de l'Empire romain <<, sur sa conception des liens entre le pape et l'empereur, sur l'importance respective de l'aspect romain et de l'aspect chrétien, sur les relations tres difficiles entre ce nouvel Empire - usurpé - et l'autre - légitime -, celui de Byzance. Le sens de l'événement, pourtant, est clair : la puissance du roi des Francs est telle qu'il peut prétendre relever le titre impérial abandonné depuis 476 en Occident. Mais il s'agit d'un Empire >> rénové <<, chrétien, dont les forces vives se situent en Europe du Nord, autour de l'Austrasie, ou, depuis 794, Charlemagne a fondé une nouvelle capitale, Aix-la-Chapelle. C'est l`a, dans les dernieres années de sa vie, entre 800 et 814, et pendant le regne de son fils Louis le Pieux (814-840), que l'étude des institutions carolingiennes peut nous révéler si l'Empire fut conçu comme une réalité politique ou s'il resta au stade d'un agglomérat de peuples voué `a l'éclatement. VIII.b.ii. Les institutions. A Aix-la-Chapelle, aupres du roi, de sa famille, de ses amis et de ses clercs[4], se développent des services centraux autour de quelques personnages clés : le comte du palais, qui préside le tribunal en l'absence du roi ; le chambrier ou camérier, qui s'occupe de la >> chambre << du roi (caméra), c'est-`a-dire de son Trésor, de ses recettes et de ses dépenses ; le chancelier[5] qui rédige et expédie des actes écrits de plus en plus nombreux. A leurs ordres, on trouve des >> fonctionnaires <<, des laiques et surtout des clercs, formés sur place. L'ensemble constitue le palais. Dans tout l'Empire, l'empereur est représenté par les comtes[6] - au moins trois cents -, qui, nommés par lui, sont chargés, en liaison avec les éveques, d'assurer l'ordre public, de réunir les hommes libres, de rendre la justice, d'encaisser les revenus locaux. Pour les surveiller, partent du palais les >> envoyés du maître <<, les missi dominici[7]. Le désir d'unification apparaît dans bien d'autres domaines : ainsi, sur le plan économique, l'uniformisation des poids et mesures et une grande réforme monétaire qui institue un systeme de compte par livres, sous et deniers promis `a un long avenir et qui met en place la frappe d'une monnaie d'argent ; ou encore le souci d'une administration exemplaire des domaines royaux, qui doivent servir de modeles `a ceux des grands laiques et ecclésiastiques ; nous connaissons ces grands domaines de l'époque carolingienne par des documents tres précis qu'on appelle les polyptyques[8] : ils offrent partout la meme organisation, selon laquelle les manses[9] des tenanciers, libres ou non, sont complémentaires de la réserve[10] ou de la >> cour << du maître. Mais l'essentiel n'est peut-etre pas l`a. Il est dans la recherche, `a tous les niveaux, de liens personnels entre l'empereur et tous les habitants de l'Empire, liens qui seuls `a ses yeux peuvent assurer la cohésion de l'ensemble. Autour de l'empereur gravite une aristocratie d'Empire, peut-etre une trentaine de familles, d'origine franque, unies `a la famille impériale et entre elles, et qui fournissent les titulaires des plus hautes charges dans tout l'Empire. Beaucoup plus large est le cercle des vassaux de l'empereur : ils lui pretent un serment de vassalité qui les engage `a son service, surtout sous la forme militaire, et en reçoivent un bénéfice pour la durée de leur engagement. Mais ce n'est pas tout : chaque année autour de lui se réunit une assemblée de grands, de vassaux et d'hommes libres ou sont prises en commun des décisions promulguées ensuite sous forme de capitulaires[11] : il semble que, malgré le maintien du principe de la personnalité des lois, les capitulaires s'appliquent partout. Enfin et surtout, Charlemagne s'est fait preter un serment de fidélité par tous les hommes libres de tout l'Empire. Conception purement personnelle du pouvoir ? C'était peut-etre celle de Charlemagne, qui avait d'ailleurs projeté le partage de ses territoires entre ses fils. Ce n'est plus celle de Louis le Pieux, qui, seul héritier par suite de la mort de ses freres, proclame en 817 l'indivisibilité de l'Empire. Il était poussé dans cette voie par ses conseillers ecclésiastiques. Église et État sont alors intimement liés, le peuple de l'Empire et le peuple de Dieu n'étant qu'un, dont l'empereur est responsable. VIII.c. L'Église et la Renaissance carolingienne VIII.c.i. L'Église carolingienne. L'Église de la fin du 8^e et du début du 9^e siecle doit tout aux souverains carolingiens. Ils ont sauvé la Chrétienté face `a l'Islam, la papauté face aux Lombards et soutenu l'évangélisation de la Germanie. Ils ont assuré la réforme de l'Église séculiere - les clercs qui vivent dans le siecle et fournissent l'encadrement religieux des fideles - en restaurant les métropoles ecclésiastiques dirigées par des archeveques et un réseau serré de dioceses, dont les éveques sont aidés par des colleges de chanoines[12], les chapitres[13] cathédraux. Ils ont aussi réformé l'Église réguliere - les moines qui observent une regle - en imposant `a tous les monasteres de l'Empire la regle de saint Benoît, adaptée aux besoins de l'époque par un autre Benoît, originaire du Languedoc et tres influent aupres de Louis le Pieux, Benoît d'Aniane. Ils ont apporté leur appui constant `a la définition du dogme, `a l'adoption de la liturgie romaine, `a la diffusion des pratiques religieuses et de la morale chrétienne. Ils ont assuré `a l'Église des revenus réguliers en généralisant l'institution de la dîme[14], et l'indépendance de ses domaines par le privilege de l'immunité[15]. Mais en échange le souverain carolingien attend beaucoup de cette Église, qu'il considere comme son Église. Il en attend d'abord - et ce n'est pas une formule de style - des prieres efficaces pour son salut et celui de son Empire. Il nomme les éveques et les abbés, en fait ses vassaux, en exige des contributions militaires et financieres. Il puise sans hésitation dans les richesses de l'Église : Charlemagne, par exemple, nomme des abbés laiques qui touchent les revenus des monasteres sans en assurer la charge spirituelle. Mais, ce que le souverain attend surtout de ses éveques et de ses abbés, c'est leur aide politique, morale et intellectuelle, c'est le partage de leur temps entre fonctions spirituelles et temporelles, c'est la mise au service du prince de compétences qui sont les plus éclairées du temps. VIII.c.ii. La Renaissance carolingienne. Ainsi s'explique la Renaissance carolingienne, qui est avant tout une réforme de l'enseignement destinée `a élever le niveau moral et intellectuel du clergé, et ensuite des laiques. Pour la réaliser, vu l'état de délabrement de la culture dans le monde franc, il fallut faire appel `a ceux qui avaient le mieux maintenu ou assimilé la tradition antique : les Italiens comme Pierre de Pise ou Paul Diacre, les Espagnols comme Théodulf qui devint éveque d'Orléans, les Anglo-Saxons, comme le moine Alcuin qui fut en ce domaine le grand inspirateur de Charlemagne. En 789, Charlemagne promulgue la célebre Exhortation générale (Admonitio generalis), par laquelle il ordonne l'ouverture d'une école dans chaque éveché et chaque monastere ; on doit y apprendre les psaumes, les notes, le chant, le calcul et la grammaire ; plus tard, Charlemagne encourage les éveques `a ouvrir des écoles rurales. Cette renaissance de l'enseignement s'appuie évidemment sur une renaissance de l'écrit et du latin. On a dit que, pour Charlemagne, >> l'écrit est un moyen de gouvernement <<. Son biographe Eginhard a immortalisé l'image touchante du grand empereur qui >> avait l'habitude de placer sous les coussins de son lit des tablettes et des feuillets de parchemin, afin de profiter de ses instants de loisir pour s'exercer `a tracer des lettres ; mais il s'y prit trop tard et le résultat fut médiocre <<. L'écrit est indispensable pour la conservation des textes sacrés et aussi des actes impériaux. Or la dégénérescence de l'écriture avait rendu les textes mérovingiens presque illisibles. A partir de 780, dans les scriptoria, grands ateliers monastiques de la France du Nord ou l'on se consacrait `a la copie des manuscrits, est mise au point une magnifique écriture, claire et lisible, qui est l'ancetre de nos caracteres d'imprimerie : la minuscule Caroline : ainsi ont été sauvés tous les textes antiques, sacrés et profanes, qui pouvaient l'etre encore. En meme temps, on travaille `a la renaissance du latin, dont la décadence, dangereuse pour l'unité chrétienne comme pour l'unité politique, est enrayée par la remise `a l'honneur des lois de la grammaire et de la syntaxe et par l'étude des classiques. Au coeur de cette Renaissance, au temps de Charlemagne, se trouvent la cour et le palais d'Aix-la-Chapelle. Plus que d'une école, il s'agit d'un foyer de culture de haut niveau au sein duquel se forment les meilleurs esprits et s'organise la production littéraire et artistique, d'abord tres centralisée autour de la personne de Charlemagne et de l'oeuvre majeure que constitue la chapelle palatine d'Aix. Aux générations suivantes, le mouvement essaime dans plusieurs directions. Dans le domaine littéraire, il n'a pas produit de grandes oeuvres : citons cependant les lettres écrites par Loup, abbé de Ferrieres-en-Gâtinais, aux principaux personnages de son époque. Dans le domaine artistique, ses vestiges architecturaux sont tres peu nombreux : l'église de Germigny-des-Prés construite par Théodulf pres d'Orléans `a l'imitation de la chapelle d'Aix, ou celle de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu dans la région de Nantes. Les plus purs chefs-d'oeuvre sont `a chercher du côté des manuscrits enluminés dans les ateliers de Reims, Metz, Tours, Corbie ou Saint-Denis et de précieux objets qui relevent de l'art de l'ivoire et de l'orfevrerie : autels portatifs, reliquaires, reliures, qui entraient dans le trésor des rois et des grands. Mais déj`a cet art des monasteres de la France du Nord n'est plus le meme que celui des monasteres de Germanie. VIII.d. Le partage VIII.d.i. Difficultés de l'Empire au temps de Louis le Pieux. La façade unitaire de l'Empire de la fin du regne de Charlemagne et du début de celui de Louis le Pieux dissimule mal des facteurs importants de faiblesse et de division. Le premier élément est évidemment l'immensité de l'Empire, la diversité de ses peuples, de leurs langues nationales, de leurs coutumes. L'empereur carolingien lui-meme reste un chef franc qui, malgré l'existence de sa capitale, continue `a se déplacer de domaine en domaine, qui vit surtout de ses revenus fonciers et de ses butins de guerre - butin qui se raréfie avec la dilatation de l'Empire et le prolongement des périodes de paix, au grand mécontentement de l'aristocratie guerriere -, et partage ses royaumes entre ses fils. Mais surtout - et c'est le deuxieme élément -, apres Charlemagne, le souverain réussit de moins en moins `a maîtriser l'ambition des grands, qui vont utiliser `a son détriment les principales institutions carolingiennes. Les vassaux titulaires de bénéfices cherchent `a les rendre héréditaires. De meme, les comtes veulent conserver leur vie durant et transmettre `a leurs héritiers ce qu'on appelle l'>> honneur << comtal : la charge elle-meme et l'ensemble des biens affectés `a cette charge pour l'entretien du comte. De leur côté, devant l'affaiblissement du pouvoir central, les éveques et les abbés, pratiquement indépendants sur leurs terres qui ont reçu l'immunité, s'érigent en censeurs moraux et politiques de la royauté. C'est dans ce contexte, aggravé par la reprise d'agressions venues de l'extérieur, celles des Vikings et des Sarrasins, que se sont effectués les partages carolingiens. Louis le Pieux avait d'abord cherché `a maintenir l'unité en attribuant le titre impérial `a son fils aîné, Lothaire, et en ne laissant aux deux autres que des royaumes inférieurs : l'Aquitaine `a Pépin, la Baviere `a Louis. Le mécontentement de ces deux derniers, qui veulent agrandir leur part, et la naissance d'un quatrieme fils, Charles - le futur Charles le Chauve -, remettent tout en question. Les fils se soulevent contre leur pere, dont la position s'affaiblit dangereusement. En 838, `a la mort de Pépin d'Aquitaine, son fils, Pépin II, est écarté au profit de Charles. Enfin, apres la mort de Louis le Pieux (840), éclate la guerre entre les trois freres survivants. Contre l'aîné, l'empereur Lothaire, s'allient Charles, maître de la Neustrie et de l'Aquitaine, et Louis, maître de la Germanie : alliance jurée solennellement `a Strasbourg, ou chacun prononce son serment dans la langue de l'autre pour etre compris des troupes de celui-ci. Charles s'exprime en langue >> tudesque << et Louis en langue >> romane <<. Ce serment de Strasbourg (842) est le premier texte conservé de langue française (cf. document VIII.a.). Louis et Charles s'emparent ensuite d'Aix-la-Chapelle et imposent `a Lothaire les négociations qui aboutissent l'année suivante au traité de Verdun. VIII.d.ii. Le traité de Verdun. Le traité de Verdun (843) est `a la fois le premier traité européen et un premier acte de naissance de la France. Il reconnaît l'existence de trois royaumes completement indépendants. Attribuée `a Charles, la Francie occidentale s'étend `a l'ouest d'une ligne qui suit tres imparfaitement le cours de l'Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône : soit les >> quatre rivieres << qui constitueront jusqu'`a la fin du Moyen Age la frontiere orientale du royaume de France. La Francie orientale, attribuée `a Louis, s'étend `a l'est du Rhin et au nord des Alpes : elle va constituer le royaume de Germanie. Le reste, la Francie médiane et l'Italie, soit une longue bande qui s'étire de la mer du Nord au sud de Rome, va `a Lothaire, qui conserve le titre impérial. Cette part de Lothaire est tres vite vouée `a la division -Lothaire lui-meme en fait trois royaumes pour ses fils - et aux ambitions de ses voisins des deux Francies. Quant au titre impérial, il ne reste pas longtemps fixé dans la descendance de Lothaire. S'en empare le prince carolingien qui jouit du plus grand prestige aupres des grands et surtout aupres de l'Église et de la papauté, restées garantes de l'unité chrétienne. C'est le cas de Charles le Chauve, qui a réussi `a unifier son royaume malgré la résistance des Aquitains, `a organiser une premiere défense contre les Vikings et `a s'emparer de la partie septentrionale de l'héritage de Lothaire, en Francie médiane. Il porte la couronne impériale de 875 `a 877. Elle passe ensuite `a un fils de Louis de Germanie, Charles le Gros (881-888). Désormais, l'histoire de la France et l'histoire de l'Empire seront disjointes. ------------------------------- [1] Maire du palais. A l'origine, chef des services domestiques de la Maison du roi mérovingien (le palais), il en vient `a organiser la vie économique de la cour, `a commander la garde du roi, `a présider son tribunal, `a contrôler tous les recommandés. A la fin du 7^e siecle, la famille des Pippinides réussit `a rendre cette charge héréditaire, ce qui lui permettra d'accéder `a la royauté. [2] Vassalité, vassal. A l'époque carolingienne, le terme de >> vassalité << désigne le lien qui unit un homme libre `a un puissant `a qui il s'est recommandé et dont il a reçu un bénéfice. Dans la société féodale, il désigne le lien qui unit un vassal `a son seigneur et qui se concrétise par le fief. [3] Marche, marquis. La marche est une région frontiere `a caractere militaire. Le systeme existait déj`a du temps des Romains, mais il a été généralisé par Charlemagne, qui a créé une série de marches aux frontieres de l'Empire : marche d'Espagne, marche de Bretagne, marche du Frioul, etc. La personne qui dirige une marche prend le nom de >> marquis <<. [4] Clerc, clergé. Le clerc est un homme d'Église, par opposition au laique. Le clerc est celui qui a une fonction (du grec cleros, fonction) dans l'Église. L'ensemble des clercs forme le clergé, qui est le premier ordre de la société du Moyen Age et de l'Ancien Régime. [5] Chancelier, chancellerie. Chargé sous les Carolingiens de contrôler la rédaction et l'expédition des actes royaux et d'y apposer le sceau du roi, le chancelier dirige une équipe de plus en plus importante de notaires et de scribes (la chancellerie). Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il préside en l'absence du roi, et le chef de l'administration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. [6] Comte, comté. Le mot >> comte <<, qui vient du latin comes, compagnon, désigne d'abord un compagnon du souverain. Sous les Mérovingiens et les Carolingiens, le comte devient le représentant du souverain dans une circonscription territoriale qu'on appellera plus tard le comté. A partir du 9^e siecle, les comtes cherchent `a rendre leur charge héréditaire et deviennent des princes territoriaux. [7] Missi dominici. >> Envoyés du maître << que les Carolingiens chargeaient d'inspecter les autorités locales. Ils agissaient le plus souvent `a deux, un laique et un ecclésiastique. [8] Polyptyque. Document qui donne la description d'un grand domaine `a l'époque carolingienne. [9] Manse. Terme utilisé au haut Moyen Age pour désigner, dans les grands domaines, l'unité d'exploitation sur laquelle demeurait (du latin manere, demeurer) et pouvait vivre une famille paysanne. Le manse est en meme temps une unité fiscale qui sert de base aux prestations exigées par le maître du sol. [10] Réserve. Au Moyen Age, partie d'un grand domaine réservée `a l'exploitation directe par le maître et ses agents. [11] Capitulaire. Texte législatif émanant du souverain et divisé en articles ou capitula. Ce terme est surtout employé `a l'époque carolingienne. [12] Chanoines. Clercs vivant en communauté suivant une regle (canon, en grec) autour de l'éveque. L'ensemble de ces clercs forme le chapitre cathédral. Il peut exister des communautés de chanoines aupres d'églises non cathédrales : il s'agit alors d'un college de chanoines desservant une église collégiale. [13] Chapitre. Ensemble de chanoines. [14] Dîme. Dixieme partie des récoltes et des revenus versée pour l'entretien du clergé. C'est une coutume d'origine juive reprise par l'Église primitive et remise en vigueur par les Carolingiens au 8^e siecle. Sous l'Ancien Régime, la dîme était le plus souvent inférieure au dixieme. [15] Immunité. Le privilege d'immunité concédé par le souverain `a certains grands domaines, le plus souvent ecclésiastiques, les soustrait `a son contrôle et `a celui de ses représentants, et y confie l'exercice des droits publics - impôts, justice, levée des troupes - au bénéficiaire de l'immunité appelé >> immuniste <<.