2^e séance (vendredi 3 mars 2006) : Introduction ; Le moderne ; La modernité et le modernisme ; La modernité du point de vue de la conscience esthétique historique Le nouvel aspect contraste, néanmoins, avec la façon d'envisager la question romantique, c'est-`a-dire aussi celle de la modernité, telle que l'entend Charles Baudelaire. Elle implique l'abolition de l'opposition entre ce qui est moderne et ce qui est classique. Le romantisme ainsi conçu cesse d'évoquer la spécificité d'une époque déterminée et reprend la valeur du latin >> modernus <<, autrement dit de ce qui releve de l'actualité, et ne s'oppose `a aucun moment du passé qui puisse lui servir d'exemple. En effet toute oeuvre classique a été `a un certain moment également romantique.[1] Dans de telles circonstances, ou les distinctions entre les valeurs des catégories esthétiques - en premier lieu entre l'esthétique classique et moderne - deviennent moins transparentes, ou, plutôt, s'effacent totalement, la question du beau, de sa nature et de ses sources se pose `a nouveau. Pour Baudelaire, la question semble résolue dans le fait qu'il y a deux aspects du beau : d'un côté l'>> élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile `a déterminer << et de l'autre l'>> élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut tour `a tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion. << Il est donc évident que l'un ne peut exister sans l'autre, sinon, >> le premier serait indigestible, inappréciable, non adapté et non approprié `a la nature humaine. <<[2] Or, tout en conservant l'espace de la créativité individuelle, cette définition du beau se situe `a l'opposé de la conception de Stendhal en raison de cet aspect impliquant une continuité des générations de concepts esthétiques. Alors que le beau pourvu de ses deux éléments édifie la modernité, l'antiquité se définit comme la modernité dépourvue de cette >> beauté mystérieuse que la vie humaine y met involontairement <<.[3] L'oeuvre moderne devient classique des le moment ou elle se trouve congédiée dans sa propre antiquité. La modernité ainsi entendue représente un processus incessant et jamais achevé, du `a son premier élément, et qui, s'il s'arrete, tombe dans l'antiquité (qu'il serait pertinent d'appeler plutôt >> ancienneté <<) du classique. Si Baudelaire s'inspire, dans le premier essai du Peintre de la vie moderne, de Stendhal qui, malgré son >> esprit impertinent, [...] répugnant meme, s'est rapproché de la vérité plus que beaucoup d'autres, en disant que le Beau n'est que la promesse du bonheur <<[4], il reste critique vis-`a-vis de l'opinion du romancier, car, tout en ayant >> le grand mérite de s'éloigner décidément de l'erreur des académiciens <<, la définition stendhalienne >> dépasse beaucoup trop le beau `a l'idéal infiniment variable du bonheur ; elle dépouille trop lestement le beau de son caractere aristocratique. <<[5] De cette façon, Baudelaire en arrive `a dissocier l'idéal du beau. Ce beau pourtant garde sa valeur élitiste, et son >> caractere aristocratique ne peut convenir qu'`a des natures exceptionnelles. <<[6] L'idée baudelairienne de deux éléments du beau dont l'interdépendance assure des qualités esthétiques supérieures permet de montrer ou s'oriente le concept de la modernité qui doit, d'ailleurs, sa dénomination, en tant que néologisme, `a cet auteur. Dans ses Salons de 1846 et de 1846, Baudelaire met un signe d'équivalence entre la modernité et le romantisme dont il fournit sa propre définition, entierement neuve. Celle-ci se fonde notamment sur le second élément du beau, circonstanciel, celui qui s'exprime par >> le sentiment, la passion, la reverie de chacun, c'est-`a-dire la variété dans l'unité, ou les faces diverses de l'absolu. <<[7] La modernité du romantisme ne consiste donc plus >> ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la maniere de sentir. <<[8] La modernité baudelairienne ne repose plus sur l'opposition entre deux attitudes vis-`a-vis du passé (national ou antique), comme c'était le cas du romantisme de Madame de Staël ou encore de Stendhal, mais sur l'accent mis sur une autre valeur, anhistorique, celle du présent ressenti. La source de cette valeur n'est pas dans le passé, elle n'est meme pas situable dans le temps, puisqu'elle réside dans la profondeur du sujet créateur, c'est-`a-dire dans l'>> intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini, exprimés par tous les moyens que contiennent les arts. <<[9] Aussi le second élément du beau qui fonde la modernité baudelairienne inclut cet autre aspect qui ajoute >> le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable << et qui, finalement, en fait un phénomene présent dans l'oeuvre de chaque artiste du passé qui ne s'est pas limité `a l'imitation de ses prédécesseurs : >> Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien. <<[10] Ainsi, ce qui oppose l'oeuvre moderne `a l'oeuvre classique est justement cet aspect transitoire et fugitif, puisque en l'enlevant le risque surgit de tomber >> forcément dans le vide d'une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l'unique femme avant le premier péché. <<[11] Ce fugitif et transitoire définissant la modernité est ce qui fait la source de la mode et il s'agit, en conséquence, d'exploiter en elle ce qu'elle a de beau, de poétique et d'en faire une valeur éternelle. C'est aussi, en quelque sorte, la croyance que le beau qui crée la modernité est une voie vers un plus bel avenir. De nouveau donc un retour, qui est, en effet, un demi-tour, non plus vers le passé, mais vers l'avenir. Mais `a l'intérieur de ce processus meme de renouvellement - animé par le concept de la mode - se constitue une île de stabilité, celle que la création artistique conserve comme le durable, l'>> éternel << meme et qui s'approche des concepts de l'Antiquité et du classicisme. En revetant l'apparence du passé révolu, cet >> éternel <<, pour reprendre le mot de Baudelaire, contraste avec le moderne. Pourtant le beau est une catégorie intemporelle, puisque l'homme, dans sa conscience esthétique, ne fait que le dévoiler pour, finalement, l'abandonner et le retrouver dans l'éternel.[12] Dans cette optique, le concept de modernité, auquel elle a abouti `a la fin du XIX^e siecle et au cours de la premiere moitié du XX^e siecle, est le fruit d'autres changements dans l'expérience, notamment esthétique, mais aussi spirituelle. Ceux-ci ont pour résultat une nouvelle conscience du phénomene en question qui incarne, en général, le point de départ des positions postmodernes.[13] Néanmoins, avant d'y arriver, il fallait traverser l'immensité du XIX^e siecle, `a partir du romantisme surtout `a travers l'oeuvre critique de Baudelaire pour achever son parcours avec les avant-gardes artistiques. II.B. La modernité[14] apres Baudelaire Gilles Lipovetsky, dans son Essai sur l'individualisme contemporain,[15] délimite le >> modernisme << par les dates 1880 - 1930. Or, du fait de l'emploi d'un terme différent dont le sens qu'il lui assigne ne se recoupe pas avec celui que propose le dictionnaire,[16] Lipovetsky distingue entre ce qui a précédé l'avenement de la modernité baudelairienne et ce qui lui succede. Il est alors possible de distinguer deux significations, mais aussi deux phases constitutives de la notion de moderne : la premiere étant une sorte de développement de la logique moderne par le biais de diverses oppositions servant de criteres définitoires ; l'autre, décrite par Lipovetsky, Adorno, Paz, Meschonnic, Compagnon et d'autres, est une extension du concept de modernité, une sorte d'>> exces du moderne <<.[17] Le tournant, inspiré par l'oeuvre critique de Baudelaire, réside dans le changement d'orientation du regard de la modernité, c'est-`a-dire le changement du point par rapport auquel la modernité se définissait. Jusqu'`a Baudelaire et les romantiques, ce point était recherché dans un moment du passé, tandis que la modernité, telle qu'elle se traduit chez Lipovetsky et d'autres par le terme de modernisme, se définit par rapport au présent. Il est possible de caractériser ce tournant aussi comme une disparition de la >> concurrence << du classique : `a partir du moment ou le classique a cessé de représenter l'inverse du moderne (`a partir du concept baudelairien de la modernité) ce dernier ne se définit plus par le biais du passé. Le modernisme est en effet le produit d'une logique de la modernité menée `a l'extreme. En meme temps, Lipovetsky nous met devant un probleme double. Le terme qu'il met en oeuvre est traité comme s'il recoupait ce qui est généralement admis comme propriété du moderne, tout en donnant des dates approximatives (sans le dire explicitement) qui délimitent une époque, un mouvement ou encore des écoles artistiques (1880-1930). De ce point de vue, le modernisme serait un ensemble d'événements, de noms, d'oeuvres et de préceptes formant un mouvement ou, plutôt, un ensemble de mouvements artistiques et d'avant-gardes dont le trait caractéristique serait la recherche du moderne. Il se présentera alors comme le synonyme du nouveau, tel que le comprenaient les Romains et non pas comme l'antonyme du classique. En ce sens, les mouvements modernes deviendraient modernistes[18] au travers de leur recherche constante du moderne, c'est-`a-dire au travers de ce qui est moderne. Moderne serait leur approche, leur méthode, tandis qu'eux-memes ne le seraient pas - ou plutôt ne seraient pas modernistes -, si le moderne qui les caractérise ne découlait pas du fait que leur approche, leurs méthodes et attitudes artistiques revetent de la nouveauté. C'est-`a-dire que pour etre moderniste, il importe que les aspects dernierement nommés soient nouveaux[19] en comparaison de ceux des générations artistiques précédentes. Essentielle, la question de savoir en quoi consiste cette nouvelle approche moderniste[20] s'impose ici. Plusieurs notions interviennent pour résumer l'attitude moderniste vis-`a-vis de l'art : le nouveau, l'innovation, la rupture, la tradition, la réécriture, la révolte, l'individualisme, l'hédonisme, la désublimation, etc. Cette liste n'est forcément pas exhaustive, ne comportant que les notions majeures et le plus souvent citées. Il convient d'ajouter en ce sens que de telles notions sont typiques du modernisme, mais il faut aussi tenir en considération le fait qu'elles ont été travaillées par un phénomene qui représente le prolongement du modernisme : l'avant-gardisme. Si la modernité s'oppose `a l'antiquité ou si le moderne s'oppose `a l'ordre établi par les générations précédentes, que ce soit dans le domaine de l'art ou tout autre - telle est au moins la vision de la question moderne au travers des siecles de sa constitution -, c'est cependant le présent qui vaut pour le modernisme dont parle Lipovetsky et d'autres qui traitent de la >> modernité baudelairienne <<. Le mouvement avant-gardiste a la volonté d'accélérer le rythme du temps, d'aborder l'avenir au moyen du présent. C'est cette dialectique des avant-gardes qui symbolise la crise du modernisme, mais qui inspire aussi des postures anti-modernistes. La modernité, qui a acquis de nouvelles dimensions apres Baudelaire et aussi apres les théoriciens romantiques comme Stendhal, devient le >> modernisme << qui envahit le domaine de l'art. Entrent donc en jeu d'autres aspects, censés constituer cette nouvelle modernité, que Baudelaire avait esquissés et que Lipovetsky résume par le terme de modernisme[21] : >> est moderne celui qui est capable de regarder le spectacle qui l'entoure, celui de la rue, et en particulier les machines que l'on commence d'y rencontrer (je pense au magnifique passage sur les caleches), celui pour qui l'art ne consiste pas seulement `a se retourner vers le passé ou `a aller `a la campagne. <<[22] Or non seulement la capacité de refléter la réalité nouvelle, le développement industriel révolutionnaire et la floraison capitaliste, mais surtout la logique de cette époque née des idéaux des Lumieres constituent la nouvelle modernité esthétique. La dialectique du progres a son corrélat en art qui s'appelle le nouveau, le moderne. Il a déj`a été théorisé par Baudelaire dans l'un des deux éléments du beau qui étaient inséparables du modernisme, de la mode, du contingent. Le nouveau modernisme naît donc d'une quete de l'innovation. C'est cette logique qui amenera le modernisme dans l'impasse, ne serait-ce que par le fait que ce qui n'est pas nouveau tombe automatiquement dans la vieillesse : >> Ce qui se dérobe et échappe aux transformations du matériau entraînées par les innovations apparaît bientôt comme pauvre, vidé de substance. <<[23] Ainsi, le nouveau occupe la premiere place sur l'échelle de l'importance depuis le milieu du XIX^e siecle. Mais `a l'inverse, il semble également etre l'arme de l'art moderne contre la réalité sociale et moderne, celle du capitalisme en plein essor. L'art moderne exprime la crise culturelle profonde qui se heurte au capitalisme depuis plus d'un siecle.[24] Bien que le >> nouveau << naisse de la meme vision du monde que le capitalisme, c'est-`a-dire l'idée du progres des Lumieres, les deux domaines - économique et politique d'un côté, artistique de l'autre - s'opposent, ne serait-ce que parce que le domaine artistique commence `a assumer le rôle du critique de la société capitaliste moderne avec tous ses attributs. C'est dans ces circonstances que se constitue le modernisme selon Theodor W. Adorno : la dialectique créant la nouvelle réalité économique, politique et sociale engendre le mal de vivre exprimé par l'art moderne. Les débuts de l'art nouveau, c'est-`a-dire l'art moderne, se situent dans le moment ou ce qui aurait pu paraître fantastique dans les époques précédant l'art moderne, cesse de l'etre pour celui-ci dans la mesure ou la réalité vécue devient difficile au point qu'il est de moins en moins possible de se mettre en accord avec elle. En pareil cas, l'art renonce `a la représenter sous son apparence >> réaliste <<. Les conséquences de ce changement sont aussi importantes que l'attitude cesse d'etre considérée comme fantastique. C'est-`a-dire que le >> non-empirique << commence `a apparaître comme >> empirique <<.[25] L'oeuvre de Franz Kafka en constitue un bel exemple. A mesure que s'ébranle la représentation réaliste, l'art se libere des contraintes de la signification.[26] L'art moderne s'institue en groupes d'opposition contre l'académisme peignant la tradition, en avant-gardes dont le seul moteur est la recherche incessante de l'innovation et de la destruction des doxas. L'innovation se métamorphose en un jeu poussé encore plus loin, dans >> une passion vertigineuse [...] culmin[ant] en négation de soi << et qui doit nécessairement s'égarer dans une sorte d'impasse, >> d'autodestruction créatrice <<.[27] >> L'art et la poésie vivent de modernité, mais en meurent aussi bien. <<[28] Il semble pourtant impossible d'associer automatiquement le nouveau et le moderne, ne serait-ce que pour la simple raison que la nouveauté est inhérente `a l'art depuis ses origines. Il est évident que meme l'imitation était en quelque sorte novatrice : elle se présentait comme une nouvelle attitude artistique. La tâche primordiale de l'art a été de découvrir le nouveau, le surprenant ou, plus précisément, l'inconnu. >> [L]'aventure historique du sujet <<, permettait de >> reprendre les oppositions habituelles, entre la tradition et l'invention, l'ordre et le désordre. <<[29] Pour que ce nouveau, cet inconnu se constitue en moderniste, il importe que ce nouveau soit porteur de deux composantes : une rupture claire et nette avec le passé et l'instauration d'une conception artistique différente. Il faut que le nouveau >> tranche entre avant et maintenant. <<[30] Cette logique s'infléchit du côté >> nouveau <<. A partir du troisieme tiers du XX^e siecle la nouveauté valorise la différence. N'est plus moderne ce qui est nouveau. C'est-`a-dire ce qui releve de l'inédit, de l'inoui, ce qui se présente comme neuf par rapport `a ce qui est établi comme actuel. Mais est moderne ce qui en differe. Ce qui est autre par rapport `a cet établi comme actuel. Il se peut donc bien qu'un élément considéré comme ancien ou traditionnel soit jugé comme moderne, >> il suffit qu'il se présente comme la négation de la tradition et qu'il en propose une autre <<.[31] Le modernisme s'en prend au passé représenté par la tradition. Or chaque nouveauté du modernisme devait etre également le fruit d'une rupture et la volonté d'instaurer une discontinuité totale pour nier toute filiation envers toute école artistique et toute tradition.[32] Pour qu'il y ait modernisme, il faut se déclarer en état de refus, de coupure nette avec l'ordre institué. Niant tout ce qui paraît comme stabilité, comme ordre artistique, le modernisme s'autodéfinit en termes de négation sans limites.[33] Le premier phénomene qui s'impose au modernisme comme incarnation d'une structure stable est la tradition. Malgré son caractere d'idéal `a transmettre, d'une maniere de penser et d'agir qu'il faut conserver, cette maniere de protection de l'héritage du passé ne peut pas etre comprise ici comme une transmission de pratiques, styles ou valeurs artistiques d'une génération `a l'autre. S'étant instituée comme un reflet du mouvement historique, la tradition vit en fonction des structures sociales et économiques et subit ainsi des changements qualitatifs en parallele avec la vie de la société. Pourtant, cette volonté de faire disparaître la tradition par le modernisme, notamment par les avant-gardes, pourrait etre, si l'on regarde ce phénomene dans une perspective générale, considérée comme une nouvelle tradition. En conséquence surgit un mouvement dans la signification de la notion de tradition qui préoccupe particulierement le modernisme en tant qu'un autre des antonymes du moderne. Il s'agit spécialement du refus récurrent de la tradition qui s'institue en tradition. A force de répéter une attitude ou un procédé, cette attitude devient elle-meme tradition, fut-ce au second degré. D'ailleurs, c'est Octavio Paz qui parle de la >> tradition moderne <<[34], celle ou le modernisme, malgré, mais aussi grâce `a la rupture perpétuelle, apparaît comme une tradition. Car si la rupture est un commencement répétitif, elle devient `a un certain moment tradition. Mais >> une autre << tradition : son caractere d'hétérogénéité ainsi que son projet de se vouloir toujours autre créent une >> tradition de l'hétérogene << qui est en meme temps une tradition du pluralisme. Cette nouvelle tradition en fonde une nouvelle, efface l'ancienne opposition entre ancien et contemporain.[35] Le modernisme ne conçoit plus l'ancien comme un temps révolu, mais comme un moderne qui s'est figé. Les antagonismes traditionnels qui caractérisent le modernisme s'effacent de la meme maniere que disparaît par exemple le refus de la tradition par le moderne dans l'art. La crise de la modernité s'inscrit dans une scission `a l'intérieur du concept de la modernité qui encadre l'art, la société, la science et la technique. Cependant, l'art est le premier des trois domaines `a manifester les signes d'une scission inévitable de ce tout qui va se décomposant dans plusieurs voies. Ce qui ne veut pas dire que l'art, en raison de cette scission, arrete d'évoluer. Au contraire, l'évolution de l'art accélere, peut-etre plus vite encore que dans les autres domaines ; seulement, cette évolution s'oriente d'un autre côté : elle n'a plus la meme direction ou, plutôt, les memes >> objectifs << que les deux autres éléments avec lesquels l'art était censé former le cadre du concept de la modernité. L'exigence innovatrice - soeur cadette de l'idée du progres - agissant sur l'espace artistique, la rapidité évolutive entraîne nécessairement un vieillissement encore plus précoce et, par conséquent, une plus grande urgence innovatrice. De ce fait, l'accélération des événements ne peut s'arreter qu'au point ou il n'est plus possible de dépasser au moment ou les événements artistiques qu'`a avoir lieu simultanément. Au moment ou >> tous les temps et tous les espaces convergent en un ici et maintenant. <<[36] L'art s'égare dans une impasse qui prend la figure des avant-gardes modernistes traversant une crise >> irréversible << depuis la fin des années soixante-dix : >> Avec leurs expositions sans tableaux et leur concerts de silence, les avant-gardes finissantes ont tourné l'art en dérision... <<[37] ------------------------------- [1] Cf. avec le post-moderne d'Umberto Eco dans la mesure ou il préconise que toute oeuvre moderne a tout d'abord été post-moderne pour finalement devenir moderne. L'Apostille au Nom de la rose, Paris, Grasset, 1985, p. 75. Pourrait-on alors parler de deux moments - postmoderne et moderne - qui sont `a l'oeuvre lors de la naissance de tout artefact ? [2] Charles Baudelaire, >> Le peintre de la vie moderne <<, Ecrits sur l'art, Paris, Librairie Générale Française, coll. Classiques de poche, p. 506. [3] Ibid., p. 519. [4] Ibid., p. 506. Baudelaire cite un passage (en italiques) du XVII chapitre de De l'amour de Stendhal. Son personnage Albéric parle de la >> beauté parfaite [qui] donne une quantité de bonheur exprimée par le nombre quatre. << Et, plus loin, cette dépendance directe peut meme provoquer la transformation du laid en beau : >> Si l'on parvient ainsi `a préférer et `a aimer la laideur, c'est que dans ce cas la laideur est la beauté. << Stendhal, De l'amour. OEuvres completes, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1968, p. 73. C'est l'auteur qui souligne. [5] Baudelaire, op. cit., p. 507 [6] Cf. la note de Francis Moulinat concernant la conception du beau baudelairienne : Baudelaire, op. cit., p. 507 [7] Charles Baudelaire, Salon de 1846. Ecrits sur l'art, Paris, Librairie Générale Française, coll. Classiques de poche, 1992, p. 142. [8] Ibid. p. 144. [9] Ibid., p. 145. [10] Ibid., p. 518. [11] Ibid., p. 518. [12] Hans-Robert Jauss, op. cit., p. 200. [13] C'est en particulier le cas du postmoderne américain, mais aussi de certaines positions des critiques de la question postmoderne, comme par exemple celles de Henri Meschonnic, Guy Scarpetta, Gianni Vattimo ou Charles Jencks. [14] Nous optons dans ces circonstances pour le terme de modernité qui apparaît, apres l'étude de différents ouvrages consacrés `a la cette question, comme un terme englobant le sens et de la modernité et du modernisme. C'est-`a-dire que malgré les délimitations précédentes des deux notions, nous gardons le terme baudelairien de >> modernité <<, bien qu'il s'agisse d'un mélange de la modernité et du modernisme, le côté socio-historique y épousant la caractéristique d'ordre culturel. [15] Gilles Lipovetsky, L'Ere du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983. [16] Cf. Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, p. 1421 : >> 1. Gout de ce qui est moderne ; recherche du moderne `a tout prix. [...] 2. (sens religieux) Mouvement chrétien préconisant une nouvelle interprétation des croyances et des doctrines traditionnelles, en accord avec les découvertes de l'exégese moderne. << [17] Henri Meschonnic, Modernité, Modernité, Paris, Gallimard, 1988, p. 66. La différence entre la modernité et le modernisme est, selon Meschonnic, nette et peut etre représentée par une métaphore corrélative de >> profondeur << et >> surface <<, la modernité étant >> en mouvement de fond, le travail d'une société et d'une culture << qui se >> révele << et >> exprime les contradictions d'une époque, les tensions et les éclatements qu'elle génere. << Ibid. [18] En dépit du fait que Lipovetsky emploie l'adjectif >> moderne << en tant que complémentaire de la notion de modernisme et malgré le danger de confusion avec le mouvement catholique de >> modernisme << ou encore le mouvement d'avant-garde italien d'>> il modernismo <<, nous croyons plus pratique, dans un souci de clarté terminologique, d'utiliser l'adjectif >> moderniste << qui paraît comme un dérivé logique de la notion de modernisme. [19] Et il faudrait ici s'interroger sur le rapport entre une >> nouveauté << et une simple >> différence <<. [20] Il conviendrait, peut-etre, de parler d'une >> approche moderniste moderne <<. [21] Nous allons dorénavant employer le terme de modernisme, utilisé par Gilles Lipovetsky et Theodor W. Adorno en ce sens : le modernisme caractérisera le domaine esthétique, celui de l'art, animé par la logique moderne. Au terme de modernité sera réservé le sens du caractere de la société et pensée occidentales mues par le discours moderne. [22] Michel Butor `a propos du second concept de la modernité (>> modernisme << de Lipovetsky) qui serait l'adversaire de la modernité comprise dans l'opposition anciens - modernes. Michel Butor, >> Entretien sur la modernité <<, in Entretiens. Quarante ans de vie littéraire, vol. II, Joseph K., 1999, p. 175. [23] Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1974, p. 34. [24] Gilles Lipovetsky, op. cit., p. 116. [25] Theodor W. Adorno, op. cit., p 33. [26] Ces dernieres souvent codées par les académies. [27] Octavio Paz, Point de convergence. Du romantisme `a l'avant-garde, Paris, Gallimard, 1976, p. 16. [28] Ibid., p. 15. [29] Henri Meschonnic, Modernité, Modernité, Paris, Gallimard, 1988, p. 35-37. [30] Octavio Paz, op. cit., p. 16. [31] Octavio Paz, op. cit., p. 17. [32] C'est-`a-dire `a une répétition de procédés et usages artistiques, tres souvent institués par l'académie. [33] Theodor W. Adorno, op. cit., p 35. [34] Qu'il conviendrait d'appeler plutôt >> moderniste <<. [35] Cf. Octavio Paz, op. cit., p. 19. [36] Ibid. [37] Luc Ferry, Homo aestheticus. L'invention du gout `a l'âge démocratique, Paris, Grasset et Fasquelle, 1990, pp. 269-270, coll. Biblio Essais.