3^e séance (vendredi 10 mars 2006) : Les dernieres avant-gardes littéraires; La modernité du point de vue socio-historique. III.A. Les dernieres avant-gardes littéraires ? En 1980, dans le numéro 85 de Tel Quel, Philippe Sollers affirme : >> [...] nous avons revécu une vieille aventure `a laquelle sans doute, nous avons nous-meme mis fin, qui est l'aventure de toutes les avant-gardes occidentales au vingtieme siecle : la contradiction entre l'art et l'engagement politique. <<[1] Sollers déclare ouvertement que Tel Quel est tombé lui-meme dans ce dont il voulait se démarquer, c'est-`a-dire l'impasse marxiste dans laquelle s'était trouvé le Surréalisme. Apres deux décennies pendant lesquelles il s'est fait le critique du surréalisme, en s'intéressant `a l'oeuvre de Georges Bataille[2] ou en dénonçant l'aventure politique commune du surréalisme et du communisme, avec lequel l'avant-garde artistique s'est vu obligée de rompre - vu la dégénération du communisme en Union Soviétique-, Tel Quel s'aperçoit qu'il est victime de la meme erreur. En affichant en 1971 sa critique de ce qu'il appelle l'>> idéalisme surréaliste <<, la revue annonce sa mise `a distance du communisme et une >> relecture systématique << de la relation entre le surréalisme et le marxisme.[3] En meme temps, Tel Quel déclare la mise en place de sa propre lutte révolutionnaire d'avant-garde. C'est-`a-dire une orientation de son activité politico-artistique vers la Révolution culturelle chinoise. Or ce n'est que trois ans plus tard, au retour de la Chine en 1974, que Julia Kristeva publie dans le numéro 58 un article dans lequel elle prend ses distances, pour la premiere fois, avec le maoisme[4] : >> Il n'existe aucune politique marxiste pour des sujets en proces <<.[5] Ce qui pouvait signifier, vu que le >> sujet en proces << représentait un concept central dans sa théorie, >> une condamnation ouverte du marxisme, maoiste ou autre. <<[6] Deux ans plus tard, en 1976, dans le numéro 68, Tel Quel rompt ouvertement avec l'aventure marxiste chinoise : >> Il faut en finir avec les mythes, tous les mythes. <<[7] Ainsi s'ouvre la derniere phase de Tel Quel, celle qui déplace l'intéret de ce mouvement de la Chine aux Etats-Unis, du communisme maoiste au réexamen du libéralisme politique. On peut se demander si ceci n'est pas le début de la fin pour Tel Quel, ce mouvement dont le fondateur disait `a plusieurs reprises dans les années 1970 >> la nécessité de reconnaître et de maintenir les contradictions <<.[8] On peut se demander également si ce phénomene qui a marqué profondément la vie intellectuelle française de cette période ne commence pas `a ressentir que le cercle se referme, c'est-`a-dire que l'énergie avant-gardiste va etre bientôt épuisée. C'est la question de savoir si ce n'est pas justement cette contradiction, entre l'art et la politique, qui a fini par épuiser l'avant-garde, censée etre la derniere et avec elle toutes les autres avant-gardes dignes de ce nom. En 1980, Sollers lui-meme s'aperçoit que le temps des avant-gardes est révolu : Je crois qu'en effet cette histoire des avant-gardes européennes est terminée. [...] C'est devenu académique, l'avant-garde, vous comprenez. Le poete d'avant-garde est parfaitement prévu sur l'échiquier, il n'a plus aucune fonction subversive. [...] Avant-garde c'était un terme qui voulait dire que la société allait suivre, évoluer, etc. ; eh bien, des expériences multiples montrent que, pas du tout, il y une contradiction, et les gens d'avant-garde se retrouvent dans des places tigées, ce sont des perroquets, si vous voulez, du pouvoir.[9] Il importe pourtant de souligner cet exemple de Tel Quel afin de montrer que le malaise avant-gardiste qui a marqué le point final dans leur histoire, ou, du moins, dans celle des avant-gardes >> classiques <<, représentait un élément immanent `a leur logique subversive, mais que cela ne signifie aucunement que l'avant-garde soit un phénomene que le postmodernisme veut dénigrer ou nier. Ici, le postmodernisme implique seulement qu'en allant trop loin et trop vite, l'avant-garde a dépassé la limite pour etre sure que ce qu'elle fait ne se transformera pas en une activité d'auto-déconstruction, et, peut-etre, meme d'auto-destruction. Ainsi, le postmodernisme peut paraître comme une sorte de relâchement, de >> nihilisme contemporain << ou de >> passage au vide <<[10] au sens ou il joue le rôle de celui qui a porté la mort des avant-gardes et qui a >> fait sombrer de cette maniere le reve d'un art qui pourrait changer la vie. <<[11] Le postmoderne ne se veut pas le rejet du modernisme ou des avant-gardes. Les avant-gardes se sont épuisées toutes seules, cet épuisement étant inscrit en elles : en 1966 Marcelin Pleynet constate déj`a : >> Dans un tel climat répétitif, fondamentalement répétitif, et ou rien ne peut apparaître (en dehors de la prise de conscience historique) qui ne soit le retour de la nouveauté, l'avant-garde devient une tradition. <<[12] On sent déj`a que la logique avant-gardiste a épuisé ces mouvements, qui commencent `a se constituer en tradition et en dogmatisme académique. Le concept d'avant-garde disparaît donc sans aucune intervention décisive de l'extérieur. Incarnant l'>> anamnese << lyotardienne, le postmodernisme représente non pas la mise `a distance de l'avant-garde ou du modernisme, voire leur rejet, mais un mode d'approche. C'est-`a-dire un proces d'analyse du modernisme, avant-gardiste ou non, de leurs inventions, de leurs cheminements et surtout de leurs exces. Sur ce point, le tournant au sein de Tel Quel autour de 1968 est signifiant dans la mesure ou il représente non seulement une nouvelle orientation politique,[13] mais également une nouvelle orientation littéraire. Tel Quel radicalise ses points de vue sur la littérature qu'il conçoit désormais comme un examen des processus de transformation de la langue en texte. Dans ce but, contestant la validité des notions de base que sont la notion d'auteur, d'oeuvre et de création, les théoriciens tel quelistes travaillent `a la promotion du concept d'intertextualité inspiré de Bakhtine. Ce travail théorique n'hésite pas `a débarrasser l'espace littéraire de notions encombrantes, telles l'expression et la représentation, disqualifiées comme bourgeoises,[14] afin de développer le concept d'écriture comme >> scription opérante <<, c'est-`a-dire comme une production de sens qui est travaillé par le texte. Ce projet théorique consistant `a >> développ[er] [le] texte comme mise au jour de ses propres mécanismes producteurs <<[15] implique que le sens de ce texte ne peut etre recherché ni en deç`a, ni au-del`a de lui. Tout ceci dans le but de >> participer autant que possible et d'une façon dynamique, collective, aux transformations révolutionnaires en cours. Faire des textes `a venir quelques-uns des maillons de cette écriture généralisée de plus en plus bouleversée bouleversante qui poussera `a l'exces les `exces' dont ne peuvent que mourir les organismes, les corps, les sociétés sur leur déclin. <<[16] Cette textualité révolutionnaire, écriture des limites, se voulant sa propre fin, évince en effet de la littérature, celle du roman notamment, tout ce qui fait la littérature narrative. Elle refuse toute forme d'illusion romanesque ou référentielle : >> Il s'agit de subvertir l'ordre dans son enracinement le plus élémentaire, le logos. <<[17] On a beaucoup reproché au Tel Quel son terrorisme intellectuel, son formalisme froid ou encore son exces théorique. Nous ne nous proposons pas de souscrire `a cette lignée contestatrice. La revue a une place incontestable dans le milieu littéraire, d'autant plus qu'elle a largement contribué `a la promotion de nombreuses oeuvres placées jusqu'alors `a la marge ou en dehors du >> main stream <<, et donc condamnées `a une méconnaissance de la part des milieux littéraires officiels. Le travail effectué par cette revue ne devrait pas etre réduit `a ses exces. Pourtant, ceux-ci s'inscrivent dans un certain modernisme idéologiquement poussé `a transgresser les limites, `a rechercher toujours plus loin, et, en fin de compte, au-del`a du lisible. Grâce aux travaux de Jean Thibaudeau et surtout de Jean Ricardou, Tel Quel s'est également lié avec cet étrange mouvement qu'est le Nouveau Roman. Car, bien qu'il soit déj`a admis par la critique comme tel, c'est-`a-dire comme une >> école << - du regard, de Minuit, etc. -, une certaine gene empeche de parler du Nouveau Roman en termes d'avant-garde, notamment en raison du fait que cet élément de lutte ouverte, sans doute présent au plan artistique chez certains, fait défaut sur le plan politique. Le Nouveau Roman ne finira jamais par se constituer en une vraie avant-garde au sens des avant-gardes >> classiques << qui associent au projet révolutionnaire esthétique un projet révolutionnaire politique, `a l'instar du Futurisme, du Surréalisme ou de Tel Quel. Il est toutefois intéressant de signaler que certains ont manifesté la volonté de pourvoir le Nouveau Roman de ce côté politique.[18] Etant donnée la disparité entre le Nouveau Roman et le climat culturel ou il s'est établi, Jean Ricardou doit constater que d'une part >> le Nouveau Roman n'a pas été récupéré par l'idéologie régnante <<, et de l'autre qu'>> il n'a pas encore été en mesure de renverser cette idéologie au pouvoir <<. Ceci en raison de la nécessité de bouleversements d'un tout autre genre. Mais dans ce contexte il ne faut pas oublier non plus l'opinion de Jean-Paul Sartre qui refuse l'attitude de Ricardou lequel, selon lui, limite >> l'activité littéraire `a son essence << et oublie l'espoir que le lecteur met dans la littérature. Défendant la position du lecteur et sa croyance que la littérature >> peut quelque chose <<, Sartre se réfere au propos de Jean-Pierre Faye avançant que Le Berger extravagant en tant qu'anti-roman >> se terminait par la fosse de la Bastille <<, et il >> espere que le Nouveau Roman se terminera par une révolution en France. <<[19] L'ironie de Sartre, aussi involontaire qu'elle soit, met en évidence un élément révélateur propre de ce mouvement. Il a déclenché, surtout grâce `a l'activité critique de Robbe-Grillet et de Ricardou, tout un processus de contestation allant jusqu'`a contester cette contestation meme. Car rien n'était plus étranger `a ce mouvement étrange que l'idée d'engagement et de subversion : >> le romancier nouveau se cherche un passé dans [s]es grands modeles. Il a hâte de s'inscrire dans ce qui est déj`a une tradition <<.[20] En ce sens, le refus de Robbe-Grillet de se penser en auteur d'avant-garde est significatif. La notion d'avant-garde releve, selon lui, des notions dont il faut se méfier en raison de leur caractere usé : >> Le mot `avant-garde', par exemple, malgré son air d'impartialité, sert le plus souvent pour se débarrasser - comme d'un haussement d'épaules - de toute oeuvre risquant de donner mauvaise conscience `a la littérature de grande consommation. Des qu'un écrivain renonce aux formules usées pour tenter de forger sa propre écriture, il se voit aussitôt coller l'étiquette : `avant-garde'. <<[21] D'ou d'ores et déj`a un certain doute qui affecte la notion d'avant-garde et son pouvoir. Est-ce un présage de l'épuisement du concept d'avant-gardisme ? Ou bien une simple réduction du rôle de l'avant-garde, cette derniere ne faisant que rassembler sous son drapeau ces >> jeunes gens hirsutes qui s'en vont, le sourire en coin, placer des pétards sous les fauteuils de l'Académie, dans le seul but de faire du bruit ou d'épater les bourgeois <> conserver le mouvement <<,[25] ce qu'il n'hésite pas `a afficher `a cette meme occasion. Le Nouveau Roman s'est vu doté des >> manifestes <<, bien que ce terme - bien évidemment - semble s'opposer au projet initial visé par ces textes : Cette récidive - qualifiée de `manifeste' - me fit en outre sacrer théoricien d'une nouvelle `école' romanesque, dont on n'attendait évidemment rien de bon, et dans laquelle on s'empressa de ranger, un peu au hasard, tous les écrivains qu'on ne savait pas ou mettre. [26] Or quel autre terme, plus pertinent, preter `a cet ensemble d'articles et d'études critiques précédemment publiés dans des revues ou journaux de l'époque, et qui ont été rassemblés sous le titre on ne peut plus éloquent de Pour un nouveau roman ? D'autant plus que la majorité des textes de ce volume sont de vraies dénonciations des notions >> périmées << telles que le personnage, l'histoire, l'engagement ou la forme et le contenu qui semblent animer le roman traditionnel et sa critique actuelle ? Quelle désignation plus adéquate pour qualifier le texte intitulé >> Une voie pour le roman futur <<, que celui de Manifeste ? Surtout s'il se donne pour but d'esquisser les cheminements la >> littérature nouvelle << qui est en train de naître. Et le terme de cheminement est loin d'etre exact, car ici a lieu la >> révolution plus totale que celles d'ou naquirent, jadis, le romantisme ou le naturalisme <<. On s'aperçoit de l'avenement d'un >> changement radical << de >> l'art romanesque actuel <<, et >> il s'agit donc, maintenant, de bâtir une littérature qui rende compte << de >> la présence du monde << qu'on aurait cru avoir décelé `a bout en lui assignant un sens, l'art romanesque étant a priori destiné `a accomplir cette tâche. Il en va de meme avec les éléments de la littérature romanesque que sont les personnages, leurs gestes et leurs objets. La représentation de la réalité se donne désormais pour tâche de rendre compte de ce monde qui >> n'est ni signifiant ni absurde <<, qui >> est, tout simplement << ; il s'agit de >> restituer l[a] réalité << aux objets, aux gestes, aux déplacements par >> l[eur] présence <<, en leur donnant le rôle >> essentiel et irréductible `a de vagues notions mentales <<, et avant tout en s'interdisant de les réduire par le biais de leur sens `a la fonction >> d'ustensiles précaires <<, c'est-`a-dire en excluant toute >> tyrannie de significations <<. Il faut donc >> construire un monde plus solide, plus immédiat << ou le héros futur >> demeurera l`a << `a la différence du héros traditionnel qui est constamment >> détruit par [l]es interprétations que l'auteur propose, rejeté sans cesse dans un ailleurs immatériel et instable. << De tels commentaires psychologisants, sociologisants, philosophants resurgiront comme >> inutiles, superflus, voire malhonnetes. << Les changements de la conception de l'écriture romanesque ne se justifient que s'ils accompagnent des changements >> dans les rapports que nous entretenons avec l'univers. << Mais ces changements semblent etre profonds au point de >> nous sépar[er] cette fois radicalement de Balzac, comme de Gide ou de Madame La Fayette. << Une vraie rupture a donc eu lieu ici : >> La révolution qui s'est accomplie est de taille : non seulement nous ne considérons plus le monde comme notre bien, notre propriété privée, calquée sur nos besoins et domesticable, mais par surcroît nous ne croyons plus `a cette profondeur. << Le présage du nouvel art romanesque ne s'arrete pas l`a, il projette également le changement de tout le langage littéraire qui, d'ailleurs, >> déj`a change <<.[27] Mais comme toute volonté de théoriser paraît etre trahie ici - Robbe-Grillet ne faisant dans ce volume que des >> réflexions critiques sur les livres qu'[il] avai[t] écrits, sur ceux qu'[il] lisai[t], sur ceux encore qu'[il] projetai[t] d'écrire <<[28] -, une certaine hésitation s'empare de celui qui voudrait placer le Nouveau Roman trop hâtivement du côté de l'avant-garde. Pourtant, ces textes qui se proposent de défendre la doctrine romanesque de Robbe-Grillet et des autres représentants du Nouveau Roman, ne sont pas les seuls `a se hasarder dans cette entreprise. Il est indispensable de tenir compte aussi des textes critiques de Nathalie Sarraute ainsi que des textes analytiques de Jean Ricardou. Les analyses et textes critiques de ce dernier sont, il est vrai, assez ultérieurs aux premiers nouveaux romans de la premiere moitié des années 1950, mais ils défendent d'autant plus la conception du Nouveau Roman comme >> mouvement <<.[29] Ceci meme malgré le fait que, passé le temps des grands manifestes, les auteurs réunis au colloque de Cerisy en 1971 se sont épanouis dans des directions bien divergentes. Si le texte de Nathalie Sarraute se définit par rapport aux générations d'écrivains précédentes et surtout étrangeres (Kafka, Joyce, Dostoievski), il n'hésite pas `a dénoncer le >> vieux roman << et ses >> vieux accessoires inutiles <<.[30] Il y a donc une rupture au sein du Nouveau Roman bien avant la lettre (L'Ere du soupçon paraît en 1950, sept ans avant l'article d'Emile Henriot dans le Monde). Exigeant une nouvelle attitude de la littérature romanesque, Nathalie Sarraute énonce d'une maniere claire, tout comme Alain Robbe-Grillet, sa croyance dans le progres que la littérature romanesque est censée accomplir : >> Leurs oeuvres, qui cherchent `a se dégager de tout ce qui est imposé, conventionnel et mort, pour se tourner vers ce qui est libre, sincere et vivant, seront forcément tôt ou tard des levains d'émancipation et de progres. <<[31] Ici, il est encore question des >> individus isolés, inadaptés, solitaires << qui, >> cultivant un gout plus ou moins conscient pour une certaine forme d'échec, parviennent, en s'abandonnant `a une obsession en apparence inutile, `a arracher et `a mettre au jour une parcelle de réalité encore inconnue. <<[32] Ce qui ne suffit pas `a permettre de considérer comme manifeste du Nouveau Roman ce recueil de textes qui s'en prennent `a la narration traditionnelle, puisque Nathalie Sarraute se sert également de Balzac et, en particulier, de son personnage pour démontrer clairement en quoi la nouvelle écriture est nouvelle. Il marque pourtant une rupture qui recoupe en plusieurs points Pour un nouveau roman de Robbe-Grillet. De surcroît, le discours de Nathalie Sarraute s'impregne manifestement d'avant-gardisme en ce qu'il dénonce >> l'ignorance << dans laquelle les masses étaient maintenues pendant des siecles et leur gout pour >> des oeuvres littéraires sans vitalité, fabriquées suivant les vieux procédés d'un formalisme sclérosé <<.[33] Ce n'est qu'en 1967 que s'ouvre le vrai débat sur le Nouveau Roman. Dans le premier de ses ouvrages critiques magistraux consacrés aux questions du Nouveau Roman - Problemes du nouveau roman[34] -, Jean Ricardou analyse les oeuvres des néo-romanciers `a la lumiere des notions qui deviendront au fur et `a mesure des symboles de cette aventure de l'écriture : la métaphore, la description, la mise en abyme. Grâce `a l'activité critique de ce dernier une nouvelle dimension du Nouveau Roman se met en place : celle de la recherche formelle de l'écriture, de plus en plus autoréférentielle. La spécularité généralisée fera du Nouveau Roman le contestateur du récit entendu comme un énoncé narratif `a valeur représentative, assumant la relation des événements : >> Mais, nous l'avons noté, c'est aussi en ce qu'elle est foncierement antithétique que la mise en abyme conteste le récit. En effet, bien qu'on ne l'ait peut-etre point trop remarqué, toute mise en abyme contredit le fonctionnement global du texte qui la contient. <<[35] Autrement dit : >> Il s'agit désormais d'autre chose. Raconter est devenu proprement impossible. <<[36] Les oeuvres des néo-romanciers sur lesquelles s'appuient les théorisations de Jean Ricardou ne font que confirmer et développer la conclusion de Robbe-Grillet : la crise de la représentation >> innocente <<, comme disait ce dernier, s'empare de la littérature narrative. Or celle-ci va apparemment de pair avec une difficulté qu'éprouve le sujet pensant `a déchiffrer le monde. D'autant que cette difficulté va s'aggravant. Des que l'intelligibilité du monde est mise en question, l'écriture romanesque ne peut plus continuer `a faire comme si rien ne s'était passé, c'est-`a-dire garder son >> innocence <<. Il faut lui trouver d'autres voies par lesquelles cheminer. Le >> mouvement de l'écriture << est une option. Ce n'est pas seulement la critique qui rapproche le Nouveau Roman de Tel Quel, les deux mouvements rejetant de maniere radicale la conception traditionnelle de l'écriture comme représentation, expression et communication. Malgré les réserves `a faire quant `a l'assimilation entre l'écriture de Nathalie Sarraute et de Michel Butor et cette idée commune aux néo-romanciers,[37] il est pourtant évident que les deux projets d'écriture - celui du Nouveau Roman, notamment sous sa forme encore plus nouvelle de >> Nouveau Nouveau Roman <<,[38] et celui de Tel Quel - se côtoient : rupture nette et incontestable avec toute écriture du réel afin de la consacrer entierement `a la motivation compositionnelle, celle d'une pure production textuelle. Si le Nouveau Roman n'a réussi qu'`a ouvrir une période contestataire du récit en opérant une >> division tendancielle de l'Unité diégétique << par exces de constructions savantes (par des enlisements descriptifs, par une variété du jeu abyssal, etc.), le >> Nouveau Nouveau Roman << généralise la mise en scene de >> l'assemblage impossible d'un Pluriel diégétique <<, ouvrant de la sorte une nouvelle phase subversive marquée par l'entrée du récit multiplié >> en conflit avec lui-meme. <<[39] Que l'on envisage ou non le Nouveau Roman en termes d'avant-garde, il est certain que de nombreux points sont typiques des mouvements modernistes marquant l'histoire littéraire des deux premiers tiers du XX^e siecle. Une certaine réticence vis-`a-vis des manieres avant-gardistes rigoureuses et tranchantes transparaît derriere l'attitude des néo-romanciers. Petit `a petit, l'avant-gardisme se fatigue et l'avant-garde perd le rôle d'élément structurant l'histoire de l'art. Cette fatigue apparaît également dans l'histoire du Nouveau Roman qui, apres une tentative de serrer ses rangs, se désagrege, chacun des écrivains s'épanouissant dans des directions différentes : Robbe-Grillet s'aventurant dans l'autofiction, Nathalie Sarraute recourant `a l'autobiographie, Michel Butor qui se situe des Degrés, en 1960, `a l'opposé de la littérature réduite `a la >> littéralité <<, lui préférant les domaines de la critique et de la poésie. La fermeté du Nouveau Roman, relativement sensible encore au début des années 1970, s'évapore au cours des années 1980, au point qu'il s'avere ridicule de chercher des liens entre ses auteurs : >> Qui souhaite encore, sinon quelque manuel scolaire, mettre sous un meme projet Claude Simon et Alain Robbe-Grillet ? <<.[40] III.A. La modernité socio-historique Dans le cadre de notre travail interprétatif de l'oeuvre de Jean Echenoz, nous nous proposons d'approcher cette oeuvre du point de vue littéraire qui n'ignorera cependant pas l'aspect socio-historique de la problématique. Censé rendre compte des signes de postmoderne dans l'oeuvre de cet auteur, nous trouvons nécessaire de relever des points qui caractérisent la modernité dans une perspective non littéraire. C'est-`a-dire qu'il faut prendre en considération également ce concept de modernité qui est non seulement reflété par le postmoderne (relu par le biais d'une anamnese, comme dira plus tard Lyotard). Sans prétendre `a une définition exacte ou exhaustive de la modernité, nous nous proposons néanmoins de souligner certains des aspects sociaux et historiques qui se regroupent dans un courant de pensée désigné par le terme de modernité. Une premiere distinction au sein de ce concept s'impose : la modernité comme période de l'Histoire occidentale et la modernité comme attitude philosophique, intellectuelle ou morale. L'une n'existe pas sans l'autre, c'est-`a-dire qu'elles s'influencent réciproquement sans pourtant effacer les limites qui les séparent, comme c'est d'ailleurs aussi le cas du postmoderne. Or si la premiere n'exclut pas l'autre, la seconde semble souvent oublier la premiere[41] : si Jean-François Lyotard dit ne pas placer le postmoderne apres le moderne, mais comme un retour sur la modernité qui représente sa partie analytique[42], il conteste la possibilité de considérer la postmodernité comme période qui succede `a la modernité tout en faisant son anamnese critique. Il paraît toutefois que l`a réside de nouveau un malentendu d'ordre terminologique, car le postmoderne lyotardien ne semble recouper ni le terme de postmodernité ni celui de postmodernisme, car ils lui sont subordonnés dans la mesure ou le postmoderne de Lyotard est une théorisation conceptuelle sans recours aux manifestations concretes dans des domaines tels que la philosophie, l'histoire, l'art ou la société. Comme nous l'avons déj`a suggéré, la distinction terminologique entre le postmodernisme et la postmodernité implique également une distinction entre le modernisme et la modernité. La modernité serait donc conçue comme une période susceptible de s'achever et `a laquelle viendrait succéder une autre, `a la maniere de toutes les époques historiques précédentes. Une telle hypothese présuppose des traits caractérisant cette époque pour la démarquer de ses prédécesseurs, mais surtout de ses successeurs. Ainsi, la modernité saurait se distinguer par des tournants qui incarneraient une éventuelle ligne de démarcation premiere et d'autant plus importante. En tant que phase ultime de l'Histoire occidentale,[43] la modernité est conçue comme l'expression de l'une des étapes principales de l'évolution du capitalisme.[44] Elle sera délimitée par le surgissement de ce dernier qui coincide avec les premieres Lumieres et dont l'essor marque le XIX^e et la premiere moitié du XX^e siecles, généralement admis comme l'époque de la modernité proprement dite.[45] C'est-`a-dire le moment ou la modernité devient un modele culturel et ou la société moderne se pense comme telle. D'autre part, la seconde moitié du XX^e siecle, notamment les années 1970 et la premiere moitié des années 1980, serait la phase ou le capitalisme connaît des mutations et changements importants qui se refletent, appuyés par certains concepts, dans la vie de la société. En ce sens ils viennent confirmer des hypotheses philosophiques qui ont, de façon implicite ou explicite, entamé la critique de la modernité. Celle-ci se développe déj`a pendant les années 1970 ou Jean-François Lyotard et Jean Baudrillard énoncent les premiers termes des transformations paradigmatiques. C'est avant tout au cours des années 1980 que le milieu intellectuel se jette dans une analyse critique de la modernité : Jean-François Lyotard, Jürgen Habermas, Jean Baudrillard, Gianni Vattimo, Richard Rorty, Daniel Bell, Gilles Lipovetsky, Alain Touraine, Luc Ferry, Alain Renaut, etc. l'auscultent et désignent les causes des transformations structurelles de la société moderne. De tels regards critiques sur la modernité ont été inspirés ou, du moins, ont connu une certaine influence de la pensée habituellement dénommée outre-Atlantique comme poststructuraliste. Nous songeons ici notamment aux oeuvres de Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Félix Guattari, pour ne nommer que ses plus importants représentants. En tant qu'époque définie par le paradigme du capitalisme accompagné par la croyance en des discours censés légitimer l'ordre établi de meme que le chemin `a suivre par une société, la modernité mourrait au moment ou de tels discours sont repoussés sans etre remplacés par d'autres discours - métarécits de légitimation. En ce sens, la modernité serait morte explicitement autour des années 1989 - 1990, au moment de l'effondrement du Mur de Berlin et de tout le camp soviétique.[46] Cette >> mort <<[47] de la modernité correspond aux importantes mutations de la société occidentale qui vit dans le paradigme capitaliste. C'est `a partir de ce moment que l'on commence `a parler d'une nouvelle société >> post-industrielle <<, >> informationnelle <<, >> post-capitaliste <<. Ces nouvelles caractéristiques recoupent un nouveau type d'homme qui naît `a la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, et qui sera dénommé >> homme postmoderne <<. La modernité ainsi délimitée pourrait etre esquissée au moyen de cinq aspects. La premiere caractéristique releve du champ technoscientifique : la modernité s'inscrit dans un prodigieux essor des sciences et des techniques dont les moyens, conduits par une logique de progres et d'émancipation de l'humanité, subissent un développement de plus en plus rapide, au point que l'homme se voit obligé de se poser la question de la finalité et du sens d'un tel développement. Or cet essor technico-scientifique est lié, de maniere de plus en plus directe, `a la production. Vu le développement de ses moyens dans le sens de leur intensification, rationalisation et systématisation, la modernité se définit comme l'ere de la productivité : `a partir d'une volonté humaine de dominer la nature, on continue par une intensification du travail et une science de l'efficacité jusqu'`a un rendement maximal. Cette productivité qui ne cesse d'augmenter entraîne des changements dans la vie de l'homme et dans sa condition sociale. Le travail étant de moins en moins difficile et se passant de plus en plus de l'homme, la société humaine se transforme en une civilisation de la consommation et du loisir.[48] Pourtant, cette mutation, loin d'etre radicale, ne provoque aucunement cette finalité productiviste de la modernité ni ses contraintes opérationnelles qui fondent son éthique. Le deuxieme point qui inspire la critique de la modernité est celui de la politique. La modernité naît au moment ou naît l'Etat moderne, c'est-`a-dire au moment de la séparation du politique, du religieux et de la laicisation. Naît donc un Etat de droit, électif, parlementariste, basé sur la séparation des pouvoirs, qui se voit de plus en plus centralisé et qui nourrit sa raison d'etre par un discours orienté vers l'avenir : vers l'abondance, la liberté et le bonheur. La raison sur laquelle il repose est censée établir des relations entre l'action humaine et l'ordre du monde, venu remplacer l'arbitraire et la violence. Mais l'ere moderne est aussi une ere libérale dont l'une des lois organisatrices est l'économie de marché, c'est-`a-dire que la rationalité de l'Etat est assistée par la logique de l'intéret et de la conscience privés. Désirant instaurer le meme systeme d'organisation dans tous les secteurs de la vie, la raison politique et économique tente de rejeter comme résiduel tout ce qui résiste `a sa logique, notamment la vie affective, les langues ou les cultures traditionnelles.[49] Une troisieme dimension de la modernité serait celle de l'individu, et de l'émergence de sa vie psychique. Celui-ci apparaît comme une conscience autonome avec ses conflits personnels, son intéret privé de meme que sa psychologie qui découvre l'inconscient. L'individu moderne se voit impliqué dans les rouages de la vie moderne, dans son réseau de médias, d'institutions et d'organisations qui rendent cette vie tellement complexe que cet individu commence `a perdre son identité, sa capacité de communiquer. L'individu est entraîné dans un processus par lequel, rendu étranger `a lui-meme, ses rapports avec l'autre se troublent. Ce désordre mental met l'homme moderne de plus en plus souvent dans l'impossibilité de mener une vie sociale normale. Combattant les malaises psychiques et sociaux qu'apporte la vie dans une société moderne, l'individu cherche `a compenser tout un systeme de dépersonnalisation par le biais de l'objet et des signes.[50] A l'instar de la sphere sociale et psychologique connaissant, `a l'époque moderne, des changements paradigmatiques, le domaine de la temporalité - notre quatrieme point - subit également une mutation spécifique. Premierement, le temps moderne cesse de se former en cycles, en se développant selon la ligne allant du passé, `a travers le présent, vers le futur. C'est-`a-dire que partant de l'origine, il vise une fin supposée, suivant la temporalité de la tradition judéo-chrétienne. Or, la modernité, notamment telle qu'elle se conçoit `a partir de Baudelaire, trouve sa place précise sur cet axe temporel : plaçant la tradition et sa direction du côté du passé, la modernité meme s'ancre sur l'avenir, tout en projetant le passé en tant que le temps révolu. C'est donc le temps qui se mesure et auquel on mesure ses activités en les divisant en accord avec ce temps abstrait qui a envahi le rythme des travaux et festivités des sociétés traditionnelles. Le temps se structure en fonction de la contrainte de la production qui n'hésite pas `a organiser, également le temps libre et les loisirs. D'autre part, le temps moderne, notamment depuis Hegel, acquiert une valeur historique. L'histoire, instance dominante de la modernité, représente un autre schéma, différant de celui du mythe, que la société humaine adopte pour se penser. De cette maniere, l'humanité dégage le sens de son activité et de son existence terrestre, c'est-`a-dire qu'`a travers l'histoire, l'homme donne une direction `a sa vie. Néanmoins, comme les catégories temporelles telles que l'éternité ou les temps mythiques ont été évincées de la temporalité moderne et que seul le mobile du temps est la vision du progres et d'un avenir meilleur, autrement dit des catégories qui échappent constamment au présent, la modernité cherche une remplaçante qui soit capable de résoudre ce manque constant. Elle la trouve dans la catégorie de la contemporanéité, de la >> simultanéité mondiale <<[51]. Le temps moderne, celui du progres et de l'avenir, se voit de plus en plus métamorphosé en un temps de l'actuel et de l'immédiat dans la mesure ou la quotidienneté revet la forme d'images du cinéma, de la télévision, de la publicité, des scenes de catastrophe et de violence, ou bien de la vie des personnalités célebres ou importantes et scande ainsi une position aux antipodes de la durée historique. Le cinquieme point qui dépeint la spécificité de la modernité recoupe en quelque sorte ce qui a été dit `a propos du modernisme et des avant-gardes. Comme les critiques de la modernité l'insinuent, en premier lieu celle d'Alain Touraine, la modernité se distingue également par l'éloignement des orientations de ses trois éléments constitutifs : le domaine politique de l'Etat de plus en plus bureaucratisé, le domaine de la science et la technique et le domaine de l'art qui est le premier `a se séparer de cette triade. La rhétorique de la modernité culturelle et celle des moeurs s'inscrit donc dans une opposition formelle mais fondamentale avec les deux autres domaines, notamment celui du politique. Depuis le texte de Baudelaire sur l'art romantique, Le peintre de la vie moderne, la modernité culturelle, artistique en particulier, que nous avons choisi de désigner >> le modernisme <<, se présente comme une exaltation de l'authentique, de l'éphémere, de l'insaisissable, comme une exploration des profondeurs de la subjectivité, traduisant de cette façon la volonté de se distancier d'un conformisme politique et social. Elle veut représenter le recul par rapport aux formes de la vie sociale qui ne cessent de s'homogénéiser. D'ou l'éclatement des regles, des modeles et des formes traditionnelles dont l'avant-garde serait une incarnation exemplaire, puisqu'elle opte pour une esthétique de la rupture, de l'innovation, du refus de la tradition, de l'académisme, etc. Or meme cette modernité qui se veut la représentation du particulier, de l'individuel, du subjectif ou de l'authentique est de plus en plus trahie par l'irruption de l'industrialisation de la culture. Celle-ci cesse d'etre une affaire d'élite et revet de plus en plus l'apparence d'une entreprise de masse, permise par un concours des médias qui envahissent la vie. La modernité qui se définissait au départ par son orientation vers l'avenir, lui-meme déguisé dans la notion de progres, perd cette valeur au profit d'une actualité louant l'éphémere, c'est-`a-dire le changement qui se justifie par le seul fait de changer. Ainsi les notions de mode, de tradition, d'ancien, de nouveau, s'équivalent et les termes d'innovation, de rupture, etc. perdent leur valeur de définitions de la modernité. Elles sont substituées par un jeu d'un ou de multiples systemes de signes qui entrent dans une logique de changement cyclique. Celui-ci travaille toutes les formes du passé, que ce soit les formes folkloriques, archaiques ou bien toute autre forme relevant de la tradition. Néanmoins, ces éléments ainsi travaillés se voient dépourvus de leur sens premier, de leur substance en raison de leur réduction `a de simples acteurs dans des cycles de changements. Or la logique du changement ne reste pas sans attaquer aussi les autres domaines constitutifs de la modernité - celui de l'économie et de la politique et celui de la science et technologie -, mais elle ne définit pas la modernité telle quelle, dans la mesure ou les révolutions scientifique et technologique ne sont pas elles-memes des criteres de la modernité. C'est plutôt leur implication et le jeu avec les fruits de leur activité (gadgets, produits facilitant la vie, notamment la communication et la propagation de l'information, mais aussi le déplacement terrestre de meme qu'extraterrestre) qui définit une nouvelle phase de la modernité, celle de la quotidienneté. Se refermant de plus en plus sur le jeu formel du changement, la modernité entre dans un nouveau cycle de son histoire qui se distingue par renversement des catégories de la modernité contre elle-meme. Les mythes du progres, de l'innovation, de la révolution technologique se retournent contre elle en revetant des visages menaçants. La sortie de cette précarité moderne qui s'esquisse `a l'horizon s'apparente `a un >> activisme du bien-etre << ou la liberté n'est que formelle, ou la culture devient mode avant de s'homogénéiser sous l'impulsion de la globalisation, et ou les valeurs et idéaux humains se dissolvent dans le jeu du plus fort. De meme, sur le plan de la science et technologie, la modernité se révele etre plutôt une reverie, une foi dans le pouvoir de ces deux domaines. C'est le mythe de la techno-science qui, en le nourrissant, effraie dans l'art d'auteurs tels que Franz Kafka ou les Nouveaux Romanciers, dans les termes qu'emploie Adorno en parlant de la puissance de l'oeuvre de Kafka due au sentiment négatif de la réalité qu'il ne peut écrire que sur le mode fantastique dans l'absurdité. C'est-`a-dire comme l'expression d'un art qui ressent un certain malaise `a s'accorder avec la réalité qu'il ne peut travailler qu'au moyen d'une mimesis non >> réaliste <<,[52] >> ne désirant meme pas en produire la façade <<.[53] Les valeurs, déconstruites, décomposées et détruites, disparaissent en meme temps que leurs référents s'effondrent. Sous l'impulsion de la pensée moderne, celle dont les racines remontent aux Lumieres et Rousseau, les références morales, religieuses, sociales, intellectuelles se voient abattues. La seule valeur, qui est aussi la seule référence, restera le quotidien perçu par la subjectivité qui contemple. Le quotidien[54] qui s'érige en la seule référence pour le sens commun. L'image littéraire assez éloquente serait donnée par exemple par Georges Perec ou Michel Butor dans leurs tentatives d'épuiser une tranche du quotidien. Le monde moderne, défini par l'abondance rationnelle programmée, par la destruction de la nature environnante, par la prévalence des signes, par la violence omniprésente est interprété, par les théoriciens de la quotidienneté moderne,[55] en termes de quotidien qui reste la seule référence pour le sens commun, bien que les intellectuels aillent chercher cette référence dans le langage et le discours, parfois également du côté de la politique.[56] Ce concept du quotidien qui recouvre celui de la modernité, notamment celle de la deuxieme moitié du XX^e siecle, est le signe d'une passivité générale, c'est-`a-dire qu'il est l'aspect uniforme des grandes spheres de la vie sociale : du travail, de la famille, de la vie privée, des loisirs. Revient l'image fréquente du spectateur ou auditeur passif regardant des images ou écoutant des sons qui lui sont imposés par la télévision, par la radio, par le cinéma ; l'image du travailleur passif, exerçant un travail sans possibilité aucune de prendre part aux décisions prises par ses supérieurs, ou bien l'image du consommateur qu'est devenu pratiquement tout le monde, puisque notre faculté de choix est réglée. Nos besoins sont dirigés par la publicité omniprésente et par les études de marché. En ce sens, la conception du quotidien moderne renoue avec la temporalité moderne dans la mesure ou la quotidienneté moderne en tant que répétitivité des gestes quotidiens tend `a éliminer le côté cyclique du temps. En d'autres termes, une certaine propension `a ignorer les gestes et moments qui s'articulent en cycles - l'alternance jour (traduit par l'activité) et nuit (traduite par le repos, le sommeil), les saisons et les récoltes (on peut avoir pratiquement tout `a n'importe quelle saison), la faim et sa satisfaction (on mange `a n'importe quelle heure de la journée, tres souvent en fonction de l'activité - travail que l'on effectue), le désir et son assouvissement, etc. - se fait de plus en plus ressentir plutôt que sentir. C'est donc la monotonie qui impose sa force écrasante, traduite, paradoxalement, par le changement incessant des éléments qui ne changent pas `a l'intérieur du cadre. Aussi, le changement, tel l'éleve de la logique des avant-gardes, fatigue le quotidien par le caractere programmé du besoin de changer - innover, au point que le vieillissement du nouveau est voulu afin que les rouages puissent tourner. La production vit en vue de la reproduction et donc produit les changements eux-memes. Cependant, les changements sont tellement rapides qu'une impression de la monotonie est peu ostensible, si n'elle n'est pas interdite par cette rapidité qui ne cesse de grandir. Or, la perception du quotidien moderne est de plus en plus marquée par le clivage entre ceux qui envisagent le quotidien comme élément toujours trop obsolete dans la vie et qui veulent le changer impatiemment, et les autres qui se refusent `a accorder une importance quelconque au vécu, voulant sacrifier tout intéret au profit du progres de la science, la technologie, la croissance économique, etc. Le quotidien, en tant qu'insignifiant par rapport aux grandes questions scientifiques, technologiques, économiques, etc., doit leur céder la place. Mais il va de soi qu'aucune des deux positions modernes n'aboutira jamais `a promouvoir ses projets au rang du réalisable. Ne serait-ce que, d'un côté, en raison d'une complexité extreme de la société humaine, laquelle ne se fera jamais transformer au jour le jour, et, de l'autre, en raison de l'impossibilité de réduire le vécu avec ses maladies au simple probleme d'ordre scientifique, technique ou économique. Déconstruction permanente de toutes les valeurs qui mene `a leur ambiguité totale, `a la perte de possibilité de distinction entre le bien et le mal, la modernité se montre comme une logique dialectique basée sur le dépassement, le changement, bref sur le mode d'une révolution permanente des formes. Mais en ceci, elle fait l'impression, selon les mots d'Henri Lefebvre, d'une >> révolution manquée <<, son >> ombre <<, sa >> parodie << : >> A l'intérieur du monde renversé et non remis sur ses pieds, la modernité accomplit les tâches de la révolution : dépassement de l'art, de la morale, des idéologies... <<.[57] C'est justement `a cet endroit, logiquement généralisateur et réducteur, qu'elle a suscité et suscite de nombreuses critiques de meme que quelques tentatives de sortir de cette logique. D'ou l'émergence de la notion du postmoderne comme l'une de ces tentatives. Le chapitre suivant esquissera les plus importantes branches de la critique de la modernité selon Alain Touraine, dont l'une a trouvé son expression premiere en art et aux Etats-Unis, mais qui semble se propager, `a partir des années 1980, également en Europe. ------------------------------- [1] p. 25. [2] Notamment par la publication de son texte inédit et polémique, adressé `a André Breton, >> La `vieille taupe' et le préfixe sur dans les mots `surhomme' et `surréaliste' <<, Tel Quel, No. 34, 1968. [3] Jean-Louis Houdebine, >> Position politique et idéologique du néo-surréalisme <<, Tel Quel, No. 46, été 1971, pp. 35-40. Ce texte demandant le réexamen du rapport suscité réfere essentiellement `a l'étude de Sollers sur >> les points névralgiques << et sur le >> proces de `reconnaissance-méconnaissance' par lequel le mouvement surréaliste détermine [ces points] <<. Nous en retenons le point crucial concernant >> l'activité révolutionnaire : le surréalisme tente de se définir par rapport au marxisme, mais reste attaché au socialisme utopique (Fourier), confond la dialectique matérialiste avec la dialectique hégélienne, surbordonne la politique `a l'éthique, tente de concilier le matérialisme et l'idéalisme, ce qui mene droit au spiritualisme. << Cf. Philippe Sollers, >> Theses générales <<, Tel Quel, No. 44, 1970. [4] Susan Rubin Suleiman, >> La derniere avant-garde ? <<, in Denis Hollier, De la littérature française, Paris, Bordas, 1993, p. 957. [5] Cf. Julia Kristeva, >> Sujet dans le langage et pratique politique <<, Tel Quel, No. 58, été 1974, pp. 22-27. [6] Susan Rubin Suleiman, op. cit., p. 957. [7] >> Des informations continuent `a paraître, ici et l`a sur le `maoisme' de Tel Quel. Précisons donc que si Tel Quel a en effet, pendant un certain temps, tenté d'informer l'opinion sur la Chine, surtout pour s'opposer aux déformations systématiques du PCF, il ne saurait en etre de meme aujourd'hui. [...] Les événements qui se déroulent actuellement `a Pékin ne peuvent qu'ouvrir définitivement les yeux des plus hésitants sur ce qu'il ne faut plus s'abstenir de nommer la `structure marxiste', dont les conséquences sordides sur le plan de la manipulation du pouvoir et de l'information sont désormais vérifiables. Il faudra y revenir, et en profondeur. Il faut en finir avec les mythes, tous les mythes <<. >> A propos du `maoisme' <<, Tel Quel, No. 68, hiver 1976, p. 104. [8] Cf. en particulier Philippe Sollers, >> Sur la contradiction <<, Tel Quel, No. 45, 1971. [9] Entretien avec Philippe Sollers mené par Chowki Abdelamir, >> On n'a encore rien vu <<, Tel Quel, No. 85, automne 1980, p. 21. C'est nous qui soulignons. [10] Mark Alizart, op. cit., p. 22. [11] Et, peut-etre, nombreux ont été ceux qui se demandaient `a l'instar de Mark Alizart : >> A quoi bon écrire ? A quoi bon encore, s'il n'y a rien `a espérer de la littérature ? Pas de sel sans espoir. Un travail de Sisyphe monotone et lassant. << Ibid. [12] Il continue : >> Ayant de plus en plus de difficultés `a recouvrir l'ambiguité de son message, elle précipite le mouvement, toujours plus `nouvelle', toujours pour moins de temps, toujours débordée par une nouveauté plus encore plus... que la société récupere de plus en plus facilement. << >> Les problemes de l'avant-garde <<, Tel Quel, No. 25, printemps, 1966, p. 83. [13] Cf. la déclaration collective >> La Révolution ici maintenant << et sa référence `a une théorie marxiste-léniniste comme la >> seule théorie révolutionnaire de notre temps <<, Tel Quel, No. 34, été 1968. [14] Cf. l'entretien de Philippe Sollers avec Jacques Henric, >> Pour une avant-garde révolutionnaire <<, Tel Quel, No. 40, hiver 1970, p. 62 : >> Pour ce qui est de l'écriture, il importe de dénoncer l'idéologie représentative qui est une sorte de ciment pseudo-théorique pour tout ce qui s'annonce aujourd'hui encore comme `littérature' <<. C'est l'auteur qui souligne. [15] Entretien de Philippe Sollers avec Jacques Henric, art. cit., p. 61. [16] Entretien de Philippe Sollers avec Jacques Henric, art. cit., p. 66. C'est l'auteur qui souligne. [17] Bruno Blanckeman, Les Récits indécidables : Jean Echenoz, Hervé Guibert, Pascal Quignard, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2000, p. 11. [18] D'ailleurs, en évoquant le politique, plusieurs des >> nouveaux romans << encouragent de tels projets. Nous songeons notamment au Maintien de l'Ordre de Claude Ollier, `a Un régicide d'Alain Robbe-Grillet, ou meme `a La Modification de Michel Butor. [19] Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Yves Berger, Jean-Pierre Faye, Jean Ricardou, Jorge Semprun, Que peut la littérature, Paris, U.G.E., 1965, p. 108. [20] Pierre Brunel, >> La naissance du Nouveau Roman, ou l'avant-garde en question <<, Littérature moderne, No. 1, Avant-garde et modernité, Paris - Geneve, Champion - Slatkine, 1988, pp. 155. [21] Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Paris, Minuit, 1963, p. 25 et 26. [22] Ibid. [23] >> Le Nouveau Roman existe-t-il ? A cette question préalable posée par Jean Ricardou, nous nous sommes déj`a permis de répondre par l'affirmative. Quels sont les faits qui nous y autorisent ? En premier lieu, précisément, la présence et la participation des romanciers venus eux-memes se regrouper sous ce label. << Françoise van Rossum-Guyon, >> Conclusions et perspectives. Le Nouveau Roman aujourd'hui <<, Nouveau Roman : hier, aujourd'hui. Problemes généraux, Paris, U.G.E., 1972, p. 401. [24] Nous songeons en particulier au refus de Marguerite Duras de participer `a ce colloque en raison de sa >> méfi[ance] des a priori théoriques qui empechent l'écrivain `a l'oeuvre de se découvrir lui-meme. <<. Michel Butor témoigne de certaines oppositions et différences par rapport `a l'ensemble des oeuvres du Nouveau Roman. D'ailleurs, son absence au colloque - il a seulement envoyé sa communication - est assez révélatrice en ce sens, bien que Alain Robbe-Grillet affirme dans la discussion finale, qu'>> il ne faudrait pas laisser l'impression que nous l'avons condamné : il a seulement été laissé en route, provisoirement peut-etre. << Nouveau Roman : hier, aujourd'hui. Problemes généraux, Paris, U.G.E., 1972, p. 416. De meme, Nathalie Sarraute, pour sa part, parle d'>> isolement << et d'>> hésitations << quant `a la participation au colloque. Elle se démarque ouvertement du projet d'ensemble : >> [...] si [...] je vais parfois plus loin que mes amis dans la défense du langage du roman, ils vont parfois, `a leur tour, beaucoup plus loin que moi. Leur zele, si légitime, `a le défendre les conduit `a des positions extremes sur lesquelles, me semble-t-il, il est difficile de se maintenir. << Le Nouveau Roman : hier, aujourd'hui. 2. Pratiques, Paris, U.G.E., 1972, p. 28 et 29. Nous qui soulignons. [25] >> C'est au contraire le mouvement que nous tenons `a conserver. << Nouveau Roman : hier, aujourd'hui. Problemes généraux, Paris, U.G.E., 1972, p. 416. Nous soulignons. [26] Alain Robbe-Grillet, op. cit., p. 8. [27] Alain Robbe-Grillet, op. cit., pp. 15-23. [28] Alain Robbe-Grillet, op. cit., p. 7. [29] Jean Ricardou, >> Le Nouveau Nouveau Roman <<, in : Le Nouveau Roman suivi de Les Raisons de l'ensemble, Paris, Seuil, coll. >> Points <<, 1973, p. 247. C'est l'auteur qui souligne. [30] Nathalie Sarraute, >> L'Ere du soupçon <<, Les Temps modernes, No. 52, 1950, p. 1421. [31] Nathalie Sarraute, L'Ere du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, coll. >> Essais <<, p. 154. [32] Ibid. [33] Nathalie Sarraute, op. cit., pp. 154-155. [34] Paris, Seuil, 1967. [35] Jean Ricardou, Le Nouveau Roman suivi de Les Raisons de l'ensemble, Paris, Seuil, coll. >> Points <<, 1973, p. 83. C'est l'auteur qui souligne. [36] Alain Robbe-Grillet, op. cit., p. 31. [37] Les deux ne s'étant jamais vraiment affranchis de la représentation, bien que celle-ci soit chez ces deux romanciers traitée par des moyens nouveaux. Le cas de Nathalie Sarraute est encore plus complexe en ce qu'elle défend >> l'idée d'un monde préalable `a l'écriture que celle-ci s'efforce de découvrir. << Cf. Françoise van Rossum-Guyon, op. cit., pp. 404-405. [38] Sur les raisons et la pertinence de cette distinction qui, `a notre avis, ne fait que souligner le caractere moderniste du Nouveau Roman encore plus nouveau, cf. Françoise van Rossum-Guyon, op. cit., p. 403. Cette distinction opposerait en effet plusieurs titres (les antérieurs des ultérieurs) au sein meme de l'oeuvre de chaque néo-romancier : La Jalousie, La Modification, la Route des Flandres, Mahu ou le Matériau en face de La Maison de Rendez-vous, Mobile, La Bataille de Pharsale, Passacaille. [39] Jean Ricardou, >> Le Nouveau Nouveau Roman <<, in : Le Nouveau Roman suivi de Les Raisons de l'ensemble, Paris, Seuil, coll. >> Points <<, 1973, p. 152. C'est l'auteur qui souligne. [40] David Rabouin, >> Mouvement/faux-mouvement ? <<, op. cit., p. 21. [41] Daniel Riou, >> De la modernité <<, OEuvres et Critiques, Le Post-modernisme en France, année XXIII, No. 1, 1998, p. 10. [42] Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1986. Nous référons `a la 2^e édition de 1988, p. 119. [43] Au moins du point de vue de l'>> homme moderne <<. [44] Daniel Riou, art. cit., p. 11. [45] C'est-`a-dire ce qu'il serait possible d'appeler >> l'âge d'or de la modernité << : en raison des restructurations sociales (Révolution de 1789) et économiques (progres continuel des sciences et techniques, développement de l'industrie), secondés par les mouvements dans la pensée artistique et culturelle (notamment celles de Stendhal, de Baudelaire entre autres), la modernité commence `a se pense elle-meme comme pratique sociale et mode de vie. De ce fait, l'apparition du terme lui-meme au milieu du XIX^e siecle est significatif dans la mesure ou il incarne le début proprement dit de la modernité telle que nous la concevons. [46] Reste `a résoudre la question de savoir si les pays de ce bloc socialiste n'ont pas seulement opté, `a l'instigation des pays occidentaux qui représentaient `a l'époque leurs modeles, pour un autre type de discours légitimateur, cette fois celui des occidentaux. [47] Il importe de souligner que la modernité >> meurt << `a des dates différentes, selon le contexte culturel. Tandis qu'en Europe la modernité ne s'acheve qu'`a la fin des années 1980, ce qui serait le point de vue d'un Zygmut Bauman ou Jacques Derrida, en Amérique par contre, ou elle est étroitement liée `a l'art, elle trouve son terme manifeste le 15 juillet 1972 sous forme de l'effondrement volontaire d'une esthétique culturelle qui était incarnée dans le complexe architectural de Pruitt-Igoe. Cf. Charles Jencks, Stern R., The Language of Postmodern Architecture, New York, Rizzoli, 1977. Ed. française : Le Langage de l'architecture postmoderne, Paris, Denoël, 1979. [48] Cf. Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Denoël, 1970. L'auteur de l'ouvrage ira jusqu'`a caractériser la société moderne comme un mythe de la consommation : >> Si la société de consommation ne produit plus de mythe, c'est qu'elle est `a elle-meme son propre mythe. [...] La consommation est un mythe. C'est-`a-dire que c'est une parole de la société contemporaine sur elle-meme. << Jean Baudrillard, op. cit., p. 311. C'est l'auteur qui souligne. Cf. également Gilles Lipovetsky, >> Consommation et hédonisme : vers la société postmoderne <<, in L'Ere du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983, p. 150 sq. [49] Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992. [50] Cf. Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, Paris, Grasset, 1983, p. 167 : >> L'objet est ce qui a disparu `a l'horizon du sujet, et c'est du fond de cette disparition qu'il enveloppe le sujet dans sa stratégie fatale. C'est alors le sujet qui disparaît `a l'horizon de l'objet. << [51] Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, .op. cit. [52] Dans le sens d'une imitation qui ne s'emploie pas `a en donner une image >> objective <<, >> exacte <<, comme un roman dit `traditionnel', c'est-`a-dire balzacien ou zolien. [53] Theodor W. Adorno, Théorie esthétique Paris, Klincksieck, 1974, p. 33. [54] Cf. Henri Lefebvre, >> Présentation d'une recherche <<, in : La Vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1968, pp. 7-133. [55] Cf. Jean Baudrillard, Le Systeme des objets, Paris, 1968 ; Michel de Certeau et al., L'Invention du quotidien, 2 vol., Gallimard, Paris, 1980-1994 ; Henri Lefebvre, La Vie quotidienne dans le monde moderne, op. cit. ; Michel Maffesoli, La Conquete du présent. Pour une sociologie de la vie quotidienne, Paris, 1979 ; V. Scardigli, La Consommation, culture du quotidien, PUF, Paris, 1983. [56] Cf. avec la période maoiste de Tel Quel et de Philippe Sollers en tant que représentants littéraires. [57] Henri Lefebvre, La Vie quotidienne dans le monde moderne, op. cit.