IV. La bande dessinée 1. Histoire de la bande dessinée Cfr article Un peu d'histoire, in Actualquarto S13, 26 avril 1996, p. 7 2. Anatomie d’une bande dessinée La BD peut etre définie « comme une forme d’expression narrative suggérant le déroulement d’une histoire au moyen d’une succession d’images fixes organisées en séquences, au service de la reproduction »[1]. Les amateurs s'entendent sur un certain nombre de mots et de définitions pour décrire les différents éléments dont sont composés les bandes dessinées. § la case est une vignette contenant un dessin § le strip (de l'anglais : « bande ») ou bandeau est une suite de cases, disposées sur une ligne § la planche est un ensemble de cases, souvent disposées sur plusieurs lignes. On applique généralement le mot planche au document original. L'auteur numérote souvent sa planche discretement dans un coin de celle-ci. La numérotation des planches n'est pas nécessairement égale `a la numérotation des pages de l'album dans lequel elles paraîtront[2]. § les bulles ou phylacteres sont des textes intégrés aux vignettes, destinés `a la transcription des dialogues des personnages de l'histoire. Les bulles sont souvent rondes (d'ou leur nom) et parfois rectangulaires. Pour les pensées, elles ont souvent une forme de nuage. La « queue » de la bulle désigne le personnage qui parle. § les récitatifs sont des panneaux généralement situés au bord des vignettes et servant aux commentaires en « voix off », notamment pour donner des indications de temps et de lieu (« Au meme instant `a Moulinsart... ») ou pour fournir des informations permettant une meilleure compréhension de l'action. § un album est un recueil de planches qui peuvent appartenir `a une meme série, `a un meme auteur, ou `a un meme theme (albums collectifs). On parle typiquement d'album pour les recueils cartonnés et reliés dans un format proche du A4, on qualifie souvent les albums plus petits et reliés par des agrafes de comics (de comic book). § Une série est un ensemble d'albums reliés par un theme ou un personnage, parfois dans un ordre chronologique. 3. Légitimité du genre ? La bande dessinée a longtemps été considérée comme un genre mineur, réservé aux enfants et aux adolescents – les détracteurs la présentaient comme une « nuisance organisée »[3]. Aujourd’hui au contraire, elle est volontiers nommée le 9^eme art (l’expression apparaît sous la plume de Morris – le créateur de Lucky Luke – dans le journal Spirou) et elle semble etre légitimée. Par exemple, la poste des Etats-Unis a, en 1996, présenté une série de timbres `a l’effigie des héros des comics strips pour illustrer le centenaire du genre. Des conférences, des études spécialisées sont consacrées `a la BD. Par exemple, Umberto Eco (sémiologue, auteur entre autres du roman Le Nom de la Rose), ardent défenseur du 9^eme Art, s’intéresse aux Schtroumpfs (Kant et l’ornithorynque, Grasset, 1999). La Bibliotheque nationale présentait sur son site internet un document présentant les ancetres de la BD. 4. Les apports belges[4] La Belgique francophone ne peut se targuer d'avoir inventé la bande dessinée[5]. Cependant on peut lui dire qu'elle a doublement marqué la création de l'entre-deux-guerres. Par un auteur d'abord, Hergé, pere d'une œuvre Les aventures de Tintin, série lancée en 1929 et désormais entrée dans notre imaginaire collectif occidental. Par une revue ensuite, Spirou, lancée par Jean Dupuis en 1938 qui a eu l'audace de croire en la bande dessinée `a une époque ou elle n'était pas encore `a la mode et de persister en sa croyance jusqu'`a aujourd'hui[6]. Ces deux événements montrent tous deux les prédispositions toutes belges `a animer le terrain de la création de la bande dessinée. Alors qu'en France, le poids de la culture nationale se faisait sentir dans le champ scolaire et extrascolaire, et entraînait une plus grande résistance `a l'égard des plaisirs de l'image et de l'enfance "inculte", la Belgique offrait un espace de liberté et d'ouverture qui pouvait se créer dans un pays moins soucieux de préserver une tradition culturelle prestigieuse et qui lui permettait d'explorer des genres non canonisés, tels que bande dessinée mais aussi roman policier, littérature fantastique, chanson, etc. Par ailleurs, les premiers récits hergéens comme la revue Spirou sont imprégnés d'un fort conformisme moral : leur bande dessinée s'adresse `a la jeunesse appartenant souvent `a un des nombreux mouvements de l'action catholique ou qui gravite autour d'elle. Rappelons ici l'importance qu'a eu le scoutisme dans la vie d'Hergé. Il fera d'ailleurs dire un jour `a Tintin : "Je suis un journaliste qui a l'esprit boy-scout." Quant au journal Spirou, il lance des 1938 un Code d'honneur des Amis de Spirou qui est une parfaite illustration de l'esprit boy-scout chrétien qui domine alors la BD belge. Enfin, la revue de Marcinelle[7] comme le dessinateur bruxellois[8] des aventures de Tintin contribuent chacun significativement `a l'émancipation formelle du genre. Ainsi des Tintin au pays de Soviets, premiere aventure du petit reporter tres marquée par un anticommunisme primaire, Hergé modifie les rapports graphiques et narratifs du texte et de l'image, qui jusqu'alors favorisaient le texte au détriment de l'image. Ils subissent en cela l'influence des comics américains. Hergé déclara un jour : « Je crois que les Américains m'ont influencé (…) Et une des qualités essentielles des bandes dessinées américaines, comme d'ailleurs du cinéma américain me paraît etre sa grande clarté. En général les Américains savent raconter une histoire meme si c'est une cornichonnerie… » L'influence américaine est également a joué dans la création du journal Spirou: en 1934 est créé Le Journal de Mickey qui révolutionne le monde des revues de BD belges : format hors norme, matériel exclusivement américain, renouvellement des habitudes fictionnelles et narratives (introduction systématique des bulles dans les cases), couleur dans la moitié de la pagination. Spirou comprend l'attrait qu'une image "spectacularisée" peut exercer sur le lecteur et l'adopte. Mais la revue belge adopte non seulement la forme du journal américain mais également le contenu puisqu'elle publie, dans ses pages, des séries essentiellement américaines. La période de la guerre 40-45 va avoir un effet bénéfique sur l'essor de la BD belge francophone. En effet durant cette période disparaissent les grandes séries étrangeres, et surtout américaines[9] : la production locale des lors s'active. Chez Spirou, Jijé va devoir jouer les dépanneurs pour de nombreuses séries (notamment Spirou et Fantasio reprise ensuite par Franquin) et va ainsi révéler son talent. Jijé accueille de nouveaux talents au sein de la rédaction de Spirou tout en en formant d'autres, qui deviendront de grands animateurs de la création francophone dont Morris (auteur de Lucky Luke) et Franquin (auteur de Gaston Lagaffe qui reprend la production de Spirou et Fantasio). Des 1949, la production locale parvient `a effacer peu `a peu la production étrangere qui était de nouveau disponible apres la guerre. De nouveaux animateurs apparaissent : Peyo (avec Johan et Pirlouit et puis Les schtroumpfs), Roba avec Boule et Bill. En 1946, Hergé reçoit l'opportunité de sortir de son isolement lorsqu'il accepte la direction du journal Tintin que lui propose l'éditeur Raymond Leblanc. Comme pour Spirou une génération dorée va accompagner les débuts du journal : Jacobs (Blake et Mortimer), Jaques Martin (Alix), Bob De Moor (Les aventures de Barelli). Des 1949, Hergé se désintéresse quelque peu du journal pour s'investir dans les Studios Hergé, créés en 1950 pour le réaménagement (redécoupage et coloriage) des albums Tintin d'avant-guerre et la réalisation des albums `a venir. Il va donner naissance `a un style narratif et graphique appelé ligne claire qui va faire école aupres de ses proches collaborateurs, tels que Bob De Moor, Jacobs… Les deux grands journaux qui animent le monde de la bande dessinée francophone belge entretiennent de nombreuses différences : § académisme, sérieux, réalisme chez Tintin § fantaisie, humour et instinct `a l'état pur chez Spirou Hergé et la ligne claire – école de Bruxelles 10 janvier 1929 : Hergé[10] crée le personnage de Tintin dans Le Petit Vingtieme, supplément pour la jeunesse du quotidien catholique et conservateur Le XXeme Siecle. Il est le précurseur d'un style graphique et narratif appelé la ligne claire. La ligne claire doit permettre une compréhension maximale de l'histoire. Les plans, les dialogues, le lettrage, graphisme, tout participe pour atteindre cet objectif de clarté. Le graphisme est épuré au maximum, il ne comporte pas d'effets d'ombre ou de lumiere. Tout détail superflu est éliminé. Le dessinateur a aussi souvent recours `a l’ellipse pour suggérer le mouvement ou accélérer le rythme de l'histoire, via différentes astuces. Pour Hergé, la ligne claire est un ensemble inséparable constitué non seulement par le dessin, mais aussi par le scénario. Dans un propos rapporté par l'auteur B. Peeters, il dit que la ligne claire « ce n'est pas seulement une question de dessin. Bien sur le dessin est un aspect important de la question : on essaie d'éliminer ce qui est graphiquement accessoire, de styliser le plus possible, de choisir la ligne qui est la plus éclairante… Malheureusement […] ce travail se fait trop souvent au détriment de l'histoire. Or, […] c'est également le scénario et la technique de narration… » Ce style a été repris par d'autres célebres auteurs, notamment Edgard P. Jacobs (Blake et Mortimer), Bob De Moor (Barelli), Jacques Martin (Alix). Cfr les articles et feuilles annexes L’école de Marcinelle et le « style gros nez » Gaston Lagaffe (André Franquin) apparaît `a la fin des années 50. C’est un « nouveau personnage de bande dessinée, qui, contrairement aux « vedettes » d’alors, n’aurait aucune qualité et ne saurait s’insérer dans aucune série »[11]. Comme son nom l’indique, Gaston Lagaffe multiplie les bourdes et perturbe la vie de la maison d’édition Dupuis qui l’emploie comme garçon de bureau. Franquin, dans un genre tout `a fait différent publie également Idées noires pour le magazine Fluide glacial) Ces Idées noires abordent avec un humour acide des themes aussi divers que l’environnement (27), la course `a l’armement (10A, 31), la peine de mort (16), le monde du travail (44, 36), le désespoir (11, 30)… « Les gags fustigent les différentes formes de la betise humaine et se veulent un brin sadiques, un tantinet cruels et parfois métaphysiques ! »[12]. § Franquin (Lagaffe et les idées noires, cfr infra) § Boule et Bill (Roba) cfr planches 8 et 9 de Boule et Bill en famille § les Schtroumpfs (Peyo) cfr planches 44 et 45 de La schtroumpfette Fin des années 70 et années 80 Avec le magazine A Suivre `a la fin des années '70, un vent nouveau souffle sur la bande dessinée belge. Dans les années 80 est née une génération de dessinateurs que l'on peut qualifier de l'entre-deux puisqu'ils ont conservé le souci d'originalité expressive et thématique du pôle moderne et la rigueur narrative du pôle classique mais avec un renouvellement de ses modalités (l'album unique, le cycle, la suite plutôt que la série). Exemples : Sambre de Balac et Yslaire, cfr planche 26 François Schuiten et la série de huit albums Les Cités obscures (Brüsel, La tour, La fievre d'Urbicande) Didier Comes (Silence). [Cfr article La BD comme un roman, in Actualquarto S13, 26 avril 1996, p. 12.] Aujourd'hui Depuis les années 90, on note la quasi-disparition de la bande dessinée périodique au profit de l'album, y compris dans la BD dite « populaire » : Lanfeust de Troy, Largo Winch, XIII, Blake et Mortimer ou encoreTiteuf, qui atteignent `a chaque nouvelle parution des volumes de vente tres importants (jusqu'`a 500 000 exemplaires). De fait, le secteur de la bande dessinée est l’un des rares secteurs du livre qui progresse régulierement en termes financiers. N'oublions pas la grande tradition de cartoonistes des quotidiens et périodiques: Royer, Kroll, Philippe Geluck et son inénarrable Chat. 5. Quelques noms… L’inventaire est tres loin d’etre exhaustif : la Belgique ne compte pas moins de 600 auteurs de BD et est le pays qui compte le plus de bédéistes au km^2. Il sort aujourd'hui pres de dix bandes dessinées par jour!!!! Raoul Cauvin (Les Femmes en blanc, L’agent 212…), Paul Cuvelier (Epoxy), Bob De Moor (Barelli), Johan De Moor (La Vache), Dupa (Cubitus), André Franquin (Gaston Lagaffe), Philippe Geluck (Le Chat), Hergé (Tintin, Quick et Flupke), Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), Janry (Passe-moi le ciel), Lambil (Les tuniques bleues), Morris (Lucky Luke), Peyo (Les Schtroumpfs), Roba (Boule et Bill), François Schuiten (Les Cirés obscures), Jean-Claude Servais (Les Saisons de la vie), Jean Van Hamme (XIII, Largo Winch), François Walthéry (Natacha), Bernard Yslaire 6. Remarques Les maisons d’éditions qui publient de la BD sont entre autres : Casterman (Tournai), Dupuis (Marcinelle), Le Lombard mais aussi des revues : Tintin (Bruxelles), Spirou (Marcinelle) Les écoles sont nombreuses en Belgique ou l'on apprend `a faire de la BD : Saint-Luc `a Bruxelles, `a Liege, `a Tournai… Le Centre Belge de la Bande Dessinée, ouvert depuis 89, est installé dans les anciens magasins Waucquez, une des plus belles réalisations "Art Nouveau" de Victor Horta (1906). Le musée abrite une expostion permanente retraçant l'histoire de la bande dessinée belge du XXeme siecle ainsi qu'un centre de documentation. Voir la feuille annexe Le livre de Vandorselaere montre que la BD est partout en Belgique meme dans la rue… Partout en Belgique on peut trouver de nombreux magasins consacrés uniquement `a la bande dessinée ou l'on peut acheter des BD neuves ou d'occasion. La bande dessinée se développe en Belgique et en France mais aussi aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, en Argentine, en Suisse, dans les pays scandinaves, le Japon (avec le Manga)… 7. Planches ------------------------------- [1] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 483. [2] Cfr Tintin et l'Alph-art, p. 27 [3] Gaumer P., Larousse de la BD, p. I. [4] Cfr Peeters B., La bande dessinée [5] Cfr Tilleuil J.-P., Bande dessinée [6] L'hebdomadaire a feté ses soixante ans en 1998. [7] Le journl Spirou est édité `a Marcinelle, dans la région de Charleroi (cfr carte de Belgique) [8] C'est-`a-dire Hergé, né `a Bruxelles. [9] Interdites par les Allemands qui les assimilent `a de la contre-propagande. [10] Pseudonyme de Georges Rémi, 1907-1983. [11] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 329. [12] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 400.