Marie Ndiaye : En famille, Ed. de Minuit, Paris, 1990 Communication d'Alena Gotzová M.N. est d'origine Sénégalaise, née en France, issue d'une famille des agriculteurs en Beauce. Elle a maintenant une trentaine ďannées. Marie Ndiaye écrit dans une langue claire, quasi classique, dans son oeuvre il s'agit le plus souvent de l'histoire de rapports filiaux tentés et rates, de personnes déplacées qui voudraient se replacer. Ses personnages sont des gens ordinaires et qui habitent des maisons ordinaires. Marie Ndiaye dit que En famille est sa premiere oeuvre de maturite, dont eile est elle-méme satisfaite. En famille porte ľinscription de « román » sur la couverture. II s'agit du récit ďun voyage, d'une quéte du fait ďappartenir quelque part, ici ä la Famille. Les principaux personnages du roman sont: Fanny, une fille de 18 ans, la heroine du récit, Tante Colette, la Tante avec une majuscule, qui est en quelque sorte porteuse du systéme des valeurs de la Famille et sa conscience, un point de repěre et de mesure, l'Aieule, grand-měre de Fanny, Eugene - le cousin de Fanny qui constitue le lien le plus fort de Fanny ä la famille, le pere et la mere de Fanny, Georges le fiancee de Fanny, de nombreux oncles et cousins et les chiens. Le récit se déroule dans trois sortes de milieux. Premiěrement dans la Campagne francaise, oú toutes les villages sont identiques, sans la moindre parure, sobres, gris, méme pas une petite fleur dans les fenétres. Ceci par souci ďéconomie, selon le texte, car ces gens-lä ne font rien qui ne soit utile. Les villages sont parcourus et ébranlés ä tout moment par de gros camions, le motif qui revient tout au long du livre, ainsi que le motif des chiens, ennemis ä Fanny et voulant ľ attaquer car ils sentent qu'elle n'est pas acceptée par la commune. Les intérieurs populaires minutieusement décrits de la Campagne francaise sont ceux de la Beauce de ľenfance de l'auteur, aussi bien que ľatmosphére «triste et morne » de la province. En effet, il y pleut la plupart de temps. Le deuxiěme milieu est celui de Paris, de la metropole, oú Fanny a grandit et oú habite sa měře. Cest celui de la Čité moderne, oú tout se ressemble, depuis les mémes maisons, rues, restaurants etc., jusqu'au jeunes gens, qui se ressemblent tous l'un ä l'autre, selon un modele ideal. Le troisiěme espace est le pays du pere de Fanny, étranger ä la France, oú les gens parlent une langue étrangére, oú il fait chaud et le systéme social est totalement different du systéme francais. Ľatmosphére du roman est angoissante, car toute action se passe dans une indifference totale. Ceci crée un univers particulier, nous avons l'impression ďévoluer dans un mauvais réve. Cest ľindifférence totale de la part des gens ä ľégard de Fanny et de tout ce qu'elle fait. En commencant par sa mere, par ex. dans le passage suivant: « La mere de Fanny, comme ä son habitude l'avait trompée, ou bien s'était fourvoyée par negligence et precipitation. Quant ä eile, Fanny n'eut pas souffert de ne la voir jamais revenir : sans le vouloir, sa mere lui avait causéejusqu'ä ce jour moins de bienfaits que de désagréments, tant son indifference était infinie. ». Toute suite au debut du roman, nous sommes frappés par deux motifs : tout d'abord, nous assistons ä un événement familial, l'anniversaire de l'Aieule. Fanny qui y arrive est méconnue par quasiment tous membres de famille, ä ľ exception de l'Aieule, qui semblent oublier jusqu'ä son nom. Méme les chiens semblent l'oublier, qu'elle pourtant élevait et soignait, et veulent désormais la dévorer. Ensuite, la Tante Collette l'appelle Fanny, par un nom qu'elle venait de lire dans un roman acheté ä la gare, et Fanny l'accepte et se nomme désormais de la sorte, en cachant son vrai nom, qu'elle-méme dit compliqué et étranger. On n'apprendra pas son nom veritable dans le roman. Ce qui est déconcertant, c'est le fait que nul ne s'étonne du nouveau nom de Fanny, méme pas son pere. Le conflit consiste dans la persuasion de Fanny, que quelque chose était arrive ä sa naissance, qui a exclu Fanny de la famille de sa mere. Non seulement qui ľa exclut de la famille, mais qui a affecté d'une facon profonde la vie de Fanny en la rendant totalement insignifiante. Fanny croit que ce sont ses parents qui est fautif, par le fait d'avoir négligé des regies familiales, concrětement en n'invitant pas l'une des tantes de Fanny ä la féte oú Fanny était présentée ä la famille. Certe tante s'appelait Leda. Alors Fanny decide de retrouver Leda, et réparer la faute. Elle croit changer sa vie en la retrouvant et rentrer au sein de la famille et par lá « naitre ä la vraie existence ». II semble que 55 certe vraie existence devrait étre la vie telle comme eile est presentee dans des magasines et ä la television, done la vie des stars. Or, Fanny ignore, que Leda, précisément est exclue elle-méme du cadre familial, pour avoir transgressé des lois de famille. La quete de Fanny est done sujette ä la reprobation de la part de famille. Mais c'est ce que Fanny apprend beaucoup plus tard, quand eile a déjä commis une faute irreparable en persistant dans sa quote. Fanny cherche ä s'identifier ä la famille, ä ses traditions, ä son histoire et ses valeurs, pour avoir un point de repěre dans ce monde, par rapport auquel eile pourrait s'affirmer, bref, pour étre en mesure de se créer une identite propre par rapport ä ces traditions et regies. Vers la fin du roman, nous découvrons que certe quéte et également celie du pere de Farmy, qui, comme un étranger, nous pouvons supposer qu'il vient ďun pays de tiers-,monde, voit dans le fait ďappartenir ä la famille un moyen de pénétrer dans un monde riche et convoité. Dans le roman il y a des elements magiques, qui créent ľatmosphere du surnaturel, comme, par exemple, ä plusieurs reprises, des personnages qui aident Fanny dans sa quéte, et qui disent, quand eile s'en étonne : «c'était dans mon role de faire ci ou de faire ca ». Cest par ex. le domestique du pere. En plus e'est la double mort de Fanny, qui est d'abord ressuscitée et la metamorphose de ses traits, qui la rend du coup acceptable, et enfin e'est le Esprit de l'Aieule, morte au debut du roman, qui revient pour parier ä Fanny, surtout pour réprouver son comportement. L'Aieule dit ä Fanny de ne pas s'abaisser devant les jugements de la famille, de ne pas chercher ä étre reconnue ä tout prix et de garder le « sentiment de la communauté » qui est supérieur ä la notion de la famille. Ce sont aussi des passages comme celui-ci : « Tante Leda était peut-étre loin, si loin que Fanny n'aurait pas trop de toute son energie pour la trouver et la reconnaitre ! II lui faudrait également se faire reconnaitre de taňte Leda, ce qui pouvait se révéler difficile, sinon impossible ; et, dans ce cas, Fanny n'aurait plus qu'ä disparaitre. » Elle disparait en effet, ä la fin du roman, ä force d'effacer sa propre individualite pour étre conforme aux regies mutuels de la famille, par son apparence et comportement et par le mode de penser. On a l'impression qu'il s'agit ďun récit avec le hero qui doit accomplir certains devoirs imposes pour arriver ä un but, ou réparer une faute mystique, avec des obstacles qu'il doit surmonter, Faction se passe cependant dans le decor contemporain. Quel est ľ ideal de la famille nous révěle Tante Colette quand eile dit ä Fanny au moment ou eile decide définitivement de l'exclusion de Fanny de la famille : « Tu comprendras, je pense, qu'en retour de ce qu'il faut bien appeler notre sacrifice, oui, car nous ťavons gardée pármi nous, nous ťavons toujours recue courtoisement, qu'en recompense de ces efforts nous ayons attendu de toi, au moins, certain effacement, certaine discretion - oserai-je le dire : une parfaite insignifiance, que nous pussions, au moins, t'oublier tant soit peu. » C'est que Fanny, fille d'un pere étranger, est différente du type de la Campagne, belle, vigoureuse et excelle dans ses etudes. Mais la famille n'exige que la conformité. En effet, méme la propre mere de Fanny decide en ce moment d'oublier sa fille, de l'exclure de sa vie afin d'etre de nouveau accueillie au sein de la famille, dont eile était un peu écarté suite ä son mariage réprouvé par la famille. La scene suivante se déroule au cimetiěre ou git l'Aieule : « Elles avancaient côte ä côte (tante Colette et la mere de Fanny), leurs bras nus se caressant, ainsi qu'elles l'avaient fait bien avant que Fanny fůt née et quand ľéventualité de son existence n'eut pu leur inspirer qu'un éclat de rire inerédule, tandis que, sans doute, la pensée ďun futur petit Eugěne les avait émues, certainement semblable déjä dans leurs réves pleins d'espoirs ä ce qu'il était devenu. Si je pouvais me transformer en Eugene ! soupira Fanny en quittant le cimetiěre. » La notion de la société de consommation est representee dans le roman surtout par le supermarché, qui est construit pres du village de l'Aieule, et qui est ä l'origine de grands changements dans la commune. Ce Supermarché-Paradis, lieu d'un « celeste séjour » a des mesures gigantesques, on le voit «trěs loin dans la plaine et il designe ainsi maintenant le village aux voyageurs mieux et plus tôt que ne le font la pauvre girouette de ľéglise ou la grande croix de marbre érigée au centre du cimetiěre. » La Tante Colette raconte : «peut-étre notre village perdra-t-il bientôt son nom pour prendre celui du supermarché, tant les deux destinations sont maintenant confondues. » et encore : « son nom est eher ä notre oreille comme celui ďune personne familiěre, tout particuliěrement chérie. II n'est d'ailleurs nul parent dont nous prononcions le nom avec autant de tendresse et d'espoir. » Le supermarché donne un sens ä la vie des gens, une orientation ä leur existence et un sentiment intensif de liberté, en leur procurant un choix immense de produits. L'apparition du supermarché entraine la disparition de magasins du village et la désaffection du centre et selon la tante Collette « personne n'a-t-il plus le moindre motif de diriger ses pas vers certe place morte, certe grand-rue deserte, et le village přivé de son coeur parait déborder mollement de tous côtés, dans une sombre indifference. » En plus, nous assistons ä la decomposition de la Famille-méme, quand pratiquement touš ses membres rentrent dans ľindifférence totale envers la famille comme institution, captives par le souci de consommer, d'acheter toujours de nouveaux produits, de bätir des maisons ä clé ce qui les oblige de travailler de plus en plus dure pour pouvoir tout payer. Un autre signe de la société de consommation se révěle dans le changement des intérieurs, qui deviennent tous semblables et on pourrait dire que cela rend impossible toute personnalisation, contrairement ä ce que Ton pourrait croire dans une société qui préche ľ individualisme. Ce qui firappe dans cet oeuvre, c'est la violence et ľagressivité qui passe sous ľindifférence de ľentourage. Fanny est violée par son propre oncle, eile est sur le point d'etre violée par son pere, eile est égorgée et éventrée par un chien dans plein mariage de son cousin, sans que personne ne s'en étonne ni ne semble ľapercevoir. Par ailleurs, nous assistons ä la disparition de sentiments sous toute forme comme dans la description du comportement des cousins de Fanny : « Qu'on vit se distraire mon fils de telle maniere m'incommodait beaucoup, et je jetais aux cousins des regards ä la dérobée, mais ils considéraient Eugene ďun oeil placide, jambes écartés et bras croisés comme dans la chambre tout ä ľheure, et ľon eůt pu se figurer, tant leur expression était dépourvue du moindre sentiment, de la moindre critique, qu'ils ne le voyaient pas d'avantage qu'une emission sans intérét pour eux, devant laquelle ils se ŕussent attardés par paresse. », ou quand Fanny présentait son fiancé ä la famille : «Ils découvrirent Georges sans avoir ľair de le regarder seulement, et me félicitérent, souriants, de quelques phrases machinales, n'attardant jamais sur mon visage ni celui de Georges le regard de leurs yeux vidés. Savaient-ils bien qui j'étais ? me demandais-je avec inquietude, tant était grande leur indifference, tant semblait affaibli leur souci de la famille. » Seul reste ľintérét d'imiter le mieux possible les moděles présentés par les médias. Tante Collette se plaint de son fils : « mon fils n'était intéressé par rien qu'il n'eut vu auparavant dans le contexte ďune série ä la mode. » Pour conclure, ce román laisse en nous ľimpression angoissante d'un danger invisible, d'une violence qui se cache sous ľindifférence de la société envers tout ce qui ne concerne pas directement ses intérets qui sont réduits ä la consommation passive. C'est une illustration de ce que c'est que ľére du vide.