Éric LAURRENT ­ Liquider (1997) Éric Laurrent, Liquider, Paris, Minuit, 1997. 1 Dans tous les cas il n'y a sur le marché qu'échangiste en face d'échangiste et la puissance qu'exercent ces personnages les uns sur les autres n'est que la puissance de leurs marchandises. La différence matérielle qui existe entre ces dernires est le motif matériel de l'échange et place les échangistes en rapport de dépendance réciproque les uns avec les autres, en ce sens qu'aucun d'eux n'a entre les mains l'objet dont il a besoin et que chacun d'eux possde l'objet des besoins d'autrui. Karl Marx, Le Capital. I Un jour, un homme partit avec la femme d'un autre. Comme cet autre était trs riche, l'homme lui vola aussi une forte somme d'argent, trs forte, presque tout l'argent. Le lendemain cependant, la femme le quittait son tour, elle emporta l'argent. En deux jours donc, deux hommes furent quittés par la mme femme ; dans ce mme laps de temps, ces mmes deux hommes furent floués de la mme somme d'un mme argent. Mais si une mme infortune les unit, on peut légitimement conjecturer que leur réaction pt différer quelque peu : le premier voudrait sans doute retrouver l'autre, sa femme et son argent, le second voudrait les oublier, il ne voudrait pas non plus qu'on le retrouve. Quant la femme, on peut le craindre, elle commencerait dépenser l'argent. Un autre jour, l'un de ces deux hommes se réveillait dans la chambre d'un hôtel de dernire catégorie sis dans un petit port de mer l'extrme sud de l'Espagne ; il était six heures trente du matin Les plis de ses cheveux, qu'il possédait toujours et de ses chemise et pantalon, qu'il n'avait pas non plus pris la peine de quitter pour se mettre au lit, mémorisaient encore les positions diverses qu'il avait eues en dormant, mais dans une achronie qui rendait leur reconstitution impossible, l'instar des songes qui les avaient suscitées ; son aspect chiffonné dénotait tout au plus un sommeil agité, non réparateur, de ceux qui vous laissent au matin plus épuisé qu'au soir. Recouvrant ensuite ses notions de haut et bas, démlant son côté pile de son côté face, l'homme se leva - de petits cra- quements fusant de-ci del signifiaient qu'en lui aussi les choses se remettaient leur place - et se dirigea vers le lavabo. C'est alors qu'il ne se reconnut plus dans l'image que lui renvoya le miroir. Nonobstant les effets de zoom dont alors il usa (se rapprochant de la glace, s'en éloignant), quelque angle de vue (face, profil ou de trois quarts) qu'il proposât, malgré qu'il variât les jeux de lumire (extinction du tube au néon, commutation stroboscopique, éclairage fixe), rien de connu ne lui viendrait approprier son reflet que cette expression de ne se reconnaître pas qu'il connaissait présentement. C'est rarissime et perturbante chose. Hors les critres esthétiques en effet (citons, tous sexes confondus : la révision de la capilliculture, le contrôle du blush, le réglage de l'eye-liner, la remise niveau du rouge lvres, la vérification de l'épiderme), chaque station devant une surface réfléchissante peut tre considérée comme un relevé de soi, un suivi régulier destiné combler les solutions de continuité que crée notre regard en se portant sur le monde l'entour, un épisode dans le long récit de notre habitus. Toute modification de notre apparence est ainsi aussitôt assimilée, les rides nous paraissent superficielles, l'empâtement bien léger, la sénescence est douce - de sorte que c'est peine si l'on se voit changer. Or, cet homme s'est vu projeter une image de lui laquelle rien ne l'avait préparé. Il lui semble avoir pris entre deux miroirs pourtant séparés par une seule nuit ce qu'on nomme communément un coup de vieux - car le temps humain, au contraire de l'universel qui n'est qu'uniforme, peut tre exponentiel. Et comme chaque réfraction est également ontologique - quart spéculaire sur le pont de la conscience, allégorie du cogito sum sur fond de salle de bains -, cet homme se dit qu'il ne va pas trs fort. Il se frotte vivement le visage de ses mains, comme pour en arracher le masque, comme on désembue un pare-brise de voiture au feu rouge. Mais rien n'y fait, un étranger lui fait toujours face. Il quitte le miroir. Voici donc un miroir qui ne renvoie désormais plus que le reflet de son propre décor, savoir des murs blancs. Une arborescence de fissures, aux branches de quoi se suspendaient les taches brunes d'infiltrations successives, y développait jusqu'au plafond une généalogie de mouvements tectoniques diffus et de dégâts des eaux plus francs ; toute une lignée de revtements muraux, chaux, plâtre, papier, peinture et moquette, que des coups multiples sur les cloisons avaient rendus apparents, historicisait le vain travail des hommes pour les contrecarrer ; la faveur de deux ou trois concavités, la brique originelle se découvrait. Un renflement de torchis sous-entendait qu'on avait d un jour découvrir la chambre contiguë. Hormis le lit qui était en métal (son châlit prolongé de barreaux aux tte et pied proposait une métaphore carcérale du sommeil, sinon du monde, lorsqu'on s'éveillait derrire eux), le mobilier était de facture rustique, reposante variation de volume autour de l'hexadre sur matériau unique : du bois massif, encore qu'ici en phase de délitescence : sous l'action conjuguée en effet des voyageurs et des locataires plus sédentaires que sont les insectes xylophages, les meubles présentaient quelques invalidités, du réseau de micro-galeries jusqu' l'absence parfois de tiroirs ou de portes. Éric LAURRENT ­ Liquider (1997) Éric Laurrent, Liquider, Paris, Minuit, 1997. 2 L'ensemble se maintenait en sus difficilement debout. Affligés de pieds-bots, équins voire poliomyélitiques, les meubles dodelinaient, menaçant fondre sur l'homme chaque contact avant que de se stabiliser, légrement inclinés sur des cales de fortune constituées diversement d'atlas géographiques dépassés et d'annuaires téléphoniques caducs que l'homme, un court instant, considéra d'un oeil ému. Car son nom lui ne figurerait bien- tôt plus dans aucun annuaire, il était désormais de ces gens qu'on n'appelle pas ; au reste, il ne voulait pas qu'on l'appelle, il était injoignable. C'est pourquoi également il était l sans nom, humain dégriffé dont la présence sur le registre de l'hôtel (un genre d'agenda portant des heures en ordonnée et des numéros de chambres en abscisse en face de quoi on traçait des hachures) n'était signalée que sous l'aspect abstrait de croisillons faits au stylo bille, ne répondant ds lors qu'au titre de hombre, terme générique qui, s'il restreignait quelque peu l'incognito en connotant son âge adulte et son sexe masculin, n'en ménagerait pas moins une marge assez large cet anonymat auquel il aspirait. Comme la chambre ne contenait de fauteuil ni de chaise, l'homme collecta quelques atlas et, les ayant empilés sur le balcon, s'y assit, sorte de dieu éponyme, mais inversé, que l'humanité et les contrées qu'elle saccage porteraient leur tour. Il alluma une cigarette, appuya son dos contre un volet et posa les pieds sur le garde-fou. D'ici il dominait le village ; au-dessus des toits, frangeant le bras de mer, l'Afrique était visible au loin ; mais l'homme regardait le ciel, et il le regardait comme on le regarde souvent : dans le sédatif dessein de sa contemplation. Las, las, si les miroirs sont parfois déformants, le ciel, lui, ne trompe jamais : il reprend, dans une stylisation plus ample certes, plus colorée aussi, la forme de notre moi profond. Eussiez-vous, par exemple, observé l'aurore brasillante de cette journée de juin, que vous n'y auriez vu que le rayonnement impavide de votre béatitude. Notons cependant que le ciel et pu tout aussi bien vous tre un nuancier terrible, une proposition de teintes angoissées, piquée de figures dépressives et de motifs paranodes : la scénographie de votre état mental. En ce cas, vous tes cet homme, c'est vous qui tes parti avec la femme d'un autre et avec son argent ; c'est vous qu'elle vient de quitter avec ce mme argent. Vous tes Artur Cleine et l'aube vous sera pénible. II Ça n'était pas tant, somme toute, ce glissando du magenta au safran, puis au smalt, ponctué de nodaux staccati de nuages, qui lui était anxiogne, que la traînée blanche d'un avion qui traversait le ciel. Car il est évident que cet échappement de gaz reproduisait dans son esprit le long stratus qu'avait soulevé hier le cabriolet en démarrant, en s'éloignant ensuite : brusque éruption de poussire blanche qui s'était enroulée autour des pneus, avait absorbé la masse rouge de la malle arrire, puis le rectangle lumineux du pare-brise dans le cadre duquel s'agitait la chevelure de Pénélope et scintillaient les bagues ses doigts posés sur le volant, avait estompé ensuite le poste essence avant que de se dissiper en longues silhouettes cambrées, ne laissant plus voir au loin qu'un minuscule point fuyant qui s'était trs vite fondu dans le tracé de la route, de sorte qu'Artur Cleine, les mains crispées sur la baie vitrée de la guérite qui faisait office de caisse la station-service, avait ramené son regard sur les pompes, comme pour s'assurer que la voiture n'y demeurait pas encore, intraveinée au distributeur de carburant, Pénélope attendant qu'il et payé en fumant une cigarette, assise sur une aile - et sans doute l'et-il un instant réellement vue si le pompiste, derrire lui, n'avait entrepris de répéter, comme pour se convaincre lui aussi qu'il n'avait pas rvé, le montant du plein de super : diez mil pesetas diez mil diez mil diez. Alors Artur avait bondi hors de la guérite, avait couru quelques dizaines de mtres la suite de la voiture, s'était brusquement arrté, était tombé sur les genoux, puis le front contre le bagage que Pénélope avait jeté par la glace baissée en démarrant, puis la face contre terre, puis tout entier dans le sable. C'est le pompiste qui l'avait relevé, la cuenta por favor. Le jour était son midi vers le milieu de l'Espagne. Sa valise la main, Artur Cleine avait rejoint la route, il y tendrait un pouce. N'ayant nul lieu o se rendre, il se déplaçait d'un accotement l'autre selon le sens que prenait le véhicule qui se dirigeait vers lui. Du coup, on le prit assez vite. C'était une étonnante voiture que celle-ci, un de ces modles qu'on ne rencontre plus gure que dans ces terrae incognitae du marché global o les biens de consommation semblent inusables, récupérables, réparables, éternels en un mot - une vraie terreur des taux de croissance -, oui, c'était une étonnante voiture : véhicule hybride, issu d'une pensée syncrétique, et que des greffes successives d'organes, de pices, de tôle et d'options avaient rendu non identifiable, tant pour la marque, le modle, la ligne ou le coloris, que pour la fonction (car il fallut expulser quelques gallinacés du sige avant droit avant d'y prendre place). La chose était, il va de soi, dépourvue de toute climatisation ; un ventilateur, dont une erreur de branchement avait couplé le fonctionnement avec les essuie-glace - ce qui faisait que l'oeil mettait un certain temps s'accoutumer ce double mouvement giratoire et hémisphérique -, brassait l'atmosphre plus qu'il ne la rafraîchissait, mixait toutes ses composantes (essence s'évaporant, huile bouillie, plastique fondu, bitume chaud, paille grillée et fiente rissolée), et vous en jetait au visage le synthétique empyreume. Passés quelques brefs instants, on abaisserait les vitres : l'air froissé par la pénétration de la voiture s'engouffra Éric LAURRENT ­ Liquider (1997) Éric Laurrent, Liquider, Paris, Minuit, 1997. 3 dans l'habitacle, mais ne modifia en rien la température intérieure ni sa composition , ce souffle ne procurait simplement qu'une sensation accélérée de la torridité du climat, n'ayant finalement de conséquence que sur l'écoulement des gouttes de sueur dont il contrariait le cours, les faisant parfois refluer jusqu' leur source (l, elles se gonflaient d'une consoeur pour glisser nouveau et remonter encore) ; force, on les sentait éclater, se disperser sur tout le visage ; aprs quelques kilomtres, l'épiderme d'Artur Cleine fut tartiné d'un vernis humide et saumâtre. On roulerait ainsi quelques heures en direction du sud. Le conducteur était un pur produit local : jeune homme assombri d'un hâle bien rural, le cheveu gominé et le corps cintré dans un pantalon noir et un boléro brodé d'un fil imitant l'or - le définir professionnellement, on hésiterait entre l'éleveur ou le tueur de taureaux. Il émettait fort volume une rengaine de flamenco parmi quoi les termes chorizo, corazon et mujer surgissaient fréquemment, associés la plupart du temps (il s'agissait, semble-t-il, d'avoir le premier pour ravir le second, lequel permettait son tour de posséder la troisime) ; l'homme battait la mesure sur le volant, applaudissait parfois, se lançait des hourras, rebondissait sur son sige - se gratifiait de rappels. De son côté, Artur Cleine partageait une cigarette de tabac blond avec l'oxygne ambiant, l'un tirant sur le filtre, l'autre sur l'extrémité incandescente ; la cendre s'éparpillait sur lui comme son regard le faisait sur le monde : vision sans point fixe dans le paysage mouvant - roulis de collines, marathon d'oliviers L'azur, plus immobile, se couvrait de longues lignes de nuages sombres qui matérialisaient l'horizon, semblaient le recréer mme, comme si l'arrivée du mauvais temps consistait en l'intrusion d'une perspective dans le ciel uniforme. Certain moment, le chauffeur pointa un index vague vers l'extérieur en articulant Gibraltar, Gibraltar : il désignait le détroit. On ne verrait pas grand-chose : le temps s'était détérioré, d'énormes masses d'eau s'écrasaient au lointain, substituant au spectacle du monde un camaeu moiré de gris terribles et de blancs épileptiques parmi lequel s'indifférenciaient le rocher et Tanger, les trombes et la houle, les nuages et l'écume, un chaos diluvien commémorant ces pugilats cosmiques qui opposaient jadis les dieux entre eux, voire, et c'est tout comme, Dieu et les hommes, un maelström gigantesque fait de la triple jonction de la mer Méditerranée, de l'océan Atlantique et du ciel. On remonta prestissimo les vitres. Trs vite la couverture nuageuse se tira au-dessus d'eux sans pour autant crever - les précipitations, pour l'heure, demeuraient sur le détroit Mais on sentait bien l, dans ces bouffissures phyllades et rasantes, quelque variation immense du vieux gag du seau d'eau en équilibre sur la tranche supérieure d'une porte, c'était le genre de ciel qui n'attend que votre sortie pour vous tomber sur le coin de la gueule. Artur Cleine se félicitait intérieurement d'tre l'abri, son chauffeur aussi, qui, avancé sur son sige, levait les yeux vers le ciel comme un aviateur au moment de décoller, tout en secouant une main, ay ay ay madre de dios. Si hombre. Et il plut. Des gouttes ventrues éclatrent sur le pare-brise dans le bruit lourd et sec d'un oeuf qui s'écrase. Bientôt on ne les verrait mme plus, ne les entendrait pas davantage : le verre Securit n'était qu'une surface ruisselante, la paroi d'un aquarium, le hublot derrire lequel s'immergeait le paysage. Et puis l'eau s'infiltra dans l'habitacle, d'abord en filets minces courant le long des glaces, puis en gouttes, en jets, par tout ce que la voiture comptait de joints ou de soudures. Les essuie-glace et le ventilateur, jumelés, comme on l'a dit, électriquement, s'étaient entendus former une sorte de paire de double tennistique, les balais de l'un faisant passer, on ne sait comment, les gouttes de pluie aux pales de l'autre qui les smashait aussitôt dans le véhicule, alternant, pif paf, passing-shots et lifts contre le plafonnier, le capiton des portires, les banquettes et la tronche de nos deux passagers. Artur Cleine, aveuglé par ces aspersions, avait chaussé des lunettes de soleil. L'hôtel devant lequel ils s'arrteraient une demi-heure plus tard, aprs avoir franchi un portail dégondé qu'escaladaient des cordées de volubilis, lui paraîtrait ainsi, le temps de quelques instants, évidemment irréel, trouble parallélépipde posé au centre de rien et devant quoi les bourrasques du vent chorégraphiaient le balancement de palmiers arqués et échevelés ainsi qu'on se représente des harpies, dans un décor de parc l'abandon : massifs de lauriers-roses couchés, ifs émoussés, parterres de fleurs lunaires, jarres renversées vomissant leur terre, pergolas effondrées. la voir ainsi sous l'estompage des eaux et l'atténuation des verres solaires, la façade de cette vaste masure prenait semblance de manuscrit : le safran atténué du crépi se parcheminait, les ferronneries des balcons développaient approximativement de hautes lettres ; avec ses fentres barreaux, le rez- de-chaussée aurait fonction de post-scriptum ; le linteau de la porte était daté et signé du nom de l'architecte. L'Espagnol déposa l Artur Cleine, adios amigo, et sa voiture disparut entre des ailes de boue. III Le hall de l'hôtel évoquait de façon assez précise un lupanar. Il y avait l en effet, sur des murs recouverts d'une perse d'un rouge d'escarboucle, une suspension d'estampes des plus graveleuses, une exposition des contorsions basiques que l'tre humain fait pour se donner du plaisir, affichées ici comme une agence de voyage dispose en vitrine les photographies des paysages auxquels elle offre les moyens d'accéder ; des Vénus de vieux plâtre, bien girondes, pas farouches pour un sou, minaudaient derrire des fougres empotées et jaunies ; des couples d'Amours aux bedons de petits Occidentaux, et dont le bronze s'oxydait en maint endroit, gardaient un escalier de marbre blond. Artur Cleine s'avança sous un plafond aux moulures rognées, sa peinture se détachait par Éric LAURRENT ­ Liquider (1997) Éric Laurrent, Liquider, Paris, Minuit, 1997. 4 feuilles. Des séquelles de mosaque mauresque revtaient le sol ; on devinait un patio l'abandon par-del une baie vitrée. Un bar était sur la gauche, carrelage damier, comptoir de bois, murs et plafonds couleur crme, le tout sensiblement flouté par la fumée des cigarettes matérialisant, une occurrence sur cinq, les expirations des consommateurs : quatre hommes jouant aux cartes, deux autres contournant, queues la main, un billard, plus cinq ou six femmes au bar, assises sur de hauts tabourets, l'écheveau de leurs jambes croisées ajoutant quelques segments de droite aux tubes d'acier qui en faisaient les pieds. Leurs vtures étaient incroyablement moulantes, minimales de surcroît, voire résiliées, sinon transparentes, inexistantes mme certains endroits. Artur Cleine détourna la tte et s'enfonça un peu plus dans le hall, vers le réceptionniste. L'homme avait les yeux clos et les pieds sur le registre. Facis évoquant le remembrement agricole (arrachage en cours des haies des sourcils, cessation de toute culture capillaire, absence de symétrie dans la répartition des organes sensitifs) et le recentrage viticole (épiderme rubicond), tout vibrant du grommellement diffus de songes dont la substance était, en conjecturer des fréquents claquements de langue qui faisaient palpiter sa bouche, probablement alimentaire, moins que libidinale, il demeurerait longtemps coi, quoique Artur Cleine se ft raclé la gorge, et toussoté, toussé, sifflé, tapé du plat de la main sur le bois du comptoir, oh gros lard, ne finissant par s'intéresser lui que lorsqu'il avait interrompu le ventilateur (jusque-l, on avait pu assister au saisissant effet d'asschement d'une moitié du visage et de migration de la sueur sur l'autre). Cama de matrimonio ? Pardon ? Solo o acompaado ? Solo solo. L'employé tendit une main derrire lui et décrocha d'un tableau qui en comptait beaucoup une clef au hasard, veintiuno segundo piso. Gracias. Artur Cleine croisa ensuite en haut des marches un gros type tropical et trs fertile en poils sous lesquels se perdaient, comme une piste non entretenue, les bretelles d'un tricot de peau ; au centre de la clairire de son visage, une moustache broussailleuse faisait terre-plein. Tout en descendant, l'homme bouclait sa ceinture, sa braguette bâillait encore. Derrire lui, dans le couloir, au-dessus de l'encorbellement de son décolleté, une femme platine et grasse tordait sa bouche face un miroir, un tube de rouge lvres entre les doigts ; un bouquet d'effigies du roi d'Espagne et de l'infant était planté entre ses seins. Quinze secondes plus tard, il s'allongeait sur son lit ; le sommier, classique assemblage de losanges crochetés les uns aux autres, de ce modle formant bien souvent la section de percussions rythmant la petite sonate des songes et les opéras cotaux, avait un peu geint sous lui. Puis il s'était endormi. pp. 9-24.