DOCUMENT VI.b.iii. La charité de saint Martin C'est ainsi qu'un jour o il n'avait sur lui que ses armes et un simple manteau de soldat, au milieu ďun hiver qui sévissait plus rigoureusement que de coutume, tel point que bien des gens succombaient la violence du gel, il rencontre la porte de la cité ďAmiens un pauvre nu : ce misérable avait beau supplier les passants ďavoir pitié do sa misre, ils passaient tous leur chemin. Ľhomme rempli de Dieu comprit donc que ce pauvre lui était réservé, puisque les autres ne lui accordaient aucune pitié. Mais que faire ? Il n'avait rien, que la chlamyde dont il était habillé : il avait en effet déj sacrifié tout le reste pour une bonne oeuvre semblable. Aussi, saisissant ľarme qu'il portait la ceinture, il partage sa chlamyde en deux, en donne un morceau au pauvre et se rhabille avec le reste. Sur ces entrefaites, quelques-uns des assistants se mirent rire, car on lui trouvait pitre allure avec son habit mutilé. Mais beaucoup, qui raisonnaient plus sainement, regrettrent trs profondément de n'avoir rien fait de tel, alors que justement, plus riches que lui, ils auraient pu habiller le pauvre sans se réduire eux-mmes la nudité. Sulpice Sévre, Vie de saint Martin. 3, 1-2 (trad. J. Fontaine, Paris, Le Cerf, 1967, p. 257-259), Sulpice Sévre est un écrivain gaulois chrétien, né vers 360 et mort vers 425. Il rencontra saint Martin plusieurs reprises Tours. Il se retira en 399 dans son domaine de Primuliacum, prs de la région de Narbonne. C'est l qu'il composa la Vie de saint Martin. Son oeuvre reflte la fois la tradition antique des biographies et annonce ľhagiographie (vie des saints) de ľépoque médiévale. Le texte présenté est une des scnes les plus célbres de la vie de Martin et fut un grand thme de ľart occidental. Ce partage du manteau est suivi dans le récit de ľapparition en songe Martin du Christ revtu de la moitié de la chlamyde donnée au pauvre. Deux ans aprs, Martin se faisait baptiser, puis quittait ľarmée romaine en 356 pour se consacrer sa mission ďévangélisation.