IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 1 IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) Ľan mil , une idée fausse srement, mais aussi le temps ďun grand changement. Aprs les dernires invasions, arabes, hongroises, normandes, un extraordinaire essor économique, démographique et culturel transforme la France et ľOccident. De ce mouvement bénéficie la famille royale des Capétiens, qui, la tte du royaume de France partir de 987, accde au premier plan dans le courant du 12e sicle. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE................................................................................................................1 IX.a. ĽANARCHIE DU 10E SICLE ....................................................................................................................2 IX.a.i. Les dernires invasions......................................................................................................................2 IX.a.ii. Les grandes principautés...................................................................................................................2 IX.a.iii. Ľusurpation de 987..............................................................................................................................3 IX.b. TERREURS ET PROMESSES DE ĽAN MIL....................................................................................................4 IX.b.i. Les terreurs de ľan mil.......................................................................................................................4 IX.b.i. Les grands défrichements........................................................................................................................4 IX.c. LES PREMIERS CAPÉTIENS .....................................................................................................................6 IX.c.i. Effacement du pouvoir royal au 11e sicle. ........................................................................................6 IX.c.ii. Son redressement au 12' sicle...........................................................................................................7 IX.c.iii. Ľempire Plantagent........................................................................................................................9 On ne peut pas dater la naissance de la France... On peut seulement, dans la longue évolution qui a conduit de la Gaule franque au royaume de France, poser quelques jalons. Le traité de Verdun, en 843 [voir document IX.a.], qui a donné au royaume pour plusieurs sicles ses contours géographiques, en était un. Tout aussi importante, au terme de ce 10e sicle qui est un des plus tourmentés du Moyen Age, apparaît la date de 987, avec ľinstallation de la dynastie qui va incarner ľhistoire de France jusqu' la Révolution : les Capétiens. Leurs débuts, avant le rgne de Philippe Auguste (1180), sont lents et modestes : ils se situent dans un contexte féodal peu propice un pouvoir royal fort. Mais, en mme temps, le royaume bénéficie de ľextraordinaire essor économique, démographique et culturel qui, partir de ľan mil, emporte ľOccident tout entier et transforme le monde sous-développé du haut Moyen Age en un monde conquérant face ľIslam et Byzance : nouveau rapport de forces exprimé, partir de la fin du 11e sicle, par le mouvement des croisades. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 2 IX.a. Ľanarchie du 10e sicle IX.a.i. Les dernires invasions. Point ďaboutissement, depuis les âges préhistoriques, des grandes migrations eurasiatiques, ľextrémité occidentale de ľEurope connaît aux 9e et 10e sicles trois dernires vagues ďinvasions. Ľune, venue du sud, est le prolongement de la poussée musulmane : implantés en Afrique du Nord, en Espagne et dans les îles de la Méditerranée, les Sarrasins lancent des expéditions navales sur les côtes du Languedoc, de la Provence et de ľItalie, voire s'installent en quelques points fortifiés ďo ils terrorisent les populations : par exemple Fraxinetum (La Garde-Freinet ?), en Provence, qu'ils occupent jusqu' la fin du 10e sicle. Venus des pays Scandinaves, les Vikings - en France, on les appelle les hommes du Nord : les Normands - ne procdent pas autrement. Avec leurs longs bateaux, les drakkars, ils remontent le cours des fleuves, commencer par la Seine et la Loire ; descendus terre, ils volent des chevaux et s'en vont piller cités et monastres. Ďabord sporadique dans la premire moitié du 9e sicle, leur action devient massive partir de 840. Ce n'est qu'aprs des dizaines ďannées de pillages subis et de tributs versés, de batailles gagnées et perdues, qu'une résistance efficace s'organise. Ľéchec des Normands devant Paris, qu'ils assigent vainement en 885-886, a valeur de symbole : ils vont passer désormais du stade du pillage celui de la sédentarisation. C'est alors que surgit, de ľest, la dernire vague ďinvasions, terrestre cette fois : celle des Hongrois devenus peut-tre les ogres -, dont les raids, catastrophiques surtout en Germanie et en Italie, atteignent plusieurs reprises la Bourgogne et ľAquitaine. Le danger n'est conjuré qu'au milieu du 10e sicle quand le roi de Germanie, Otton Ier ,1 les arrte la bataille de Lechfeld (955). Nouveau sauveur de la Chrétienté, Otton va fonder en 962 un nouvel empire, le Saint Empire, centré sur la Germanie et ľItalie, et dont la France ne fera jamais partie. IX.a.ii. Les grandes principautés. C'est une époque de désolation pour les paysans, les habitants des villes et les moines, dont les lamentations sont parvenues jusqu' nous. C'est en mme temps une époque de redistribution du pouvoir politique. Les effets conjugués des attaques extérieures, des rivalités entre les rois et du processus de dissolution interne que nous avons déj noté - tendance ľhérédité des charges comtales et des bénéfices vassaliques - mnent un véritable transfert de la puissance publique de 1 Fils ďHenri Ier ľOiseleur de la dynastie Saxonne, Otton Ier fut le premier empereur du Saint Empire romain germanique, en recevant des mains du pape Jean XII, en 962, la couronne impériale. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 3 ľéchelon royal vers des échelons inférieurs, qui permettent de mieux assurer la protection et ľencadrement des populations. Déj la Francie médiane s'est démembrée en ensembles territoriaux beaucoup moins vastes : royaume de Provence, royaume de Bourgogne et, au nord, la Lotharingie proprement dite, qui va devenir la Lorraine et que se disputent âprement Francs de ľEst et Francs de ľOuest : finalement, toute cette Francie médiane va passer au Saint Empire. En Francie occidentale, ds le début du 10e sicle, s'oprent des regroupements de comtés au profit de princes territoriaux qui prennent souvent le titre de marquis (en principe, celui qui défend une marche aux frontires) ou de duc. Au sud, les comtes de Toulouse deviennent marquis de Gothie, et les comtes de Poitiers, ducs ďAquitaine. A ľest se forme un duché de Bourgogne, que la Saône sépare du royaume du mme nom. Mais c'est au nord de la Loire que se joue ľavenir de la Francie occidentale, dans les vicissitudes de la lutte contre les Bretons - dont le chef, Alain, prend en 912 le titre éphémre mais significatif de roi des Bretons - et surtout contre les Normands. Deux grandes principautés s'affirment alors : au nord, celle des comtes de Flandre ; ľouest, celle des Robertiens, descendants de Robert le Fort1 , qui avait vaincu les Normands Brissarthe, prs ďAngers, en 866. Entre les deux se crée en 911 une principauté originale : par le traité de SaintClair-sur-Epte, le roi carolingien Charles le Simple abandonne aux Normands installés sur la basse Seine et leur chef Rollon, en échange de la promesse de devenir chrétiens et de défendre le pays contre tout nouvel envahisseur, le comté de Rouen, qu'ils vont progressivement élargir en duché de Normandie. IX.a.iii. Ľusurpation de 987. Dans ces conditions, le pouvoir du roi carolingien, circonscrit dans la région de Laon et de Reims - on s'explique ainsi son intért pour la Lorraine -, s'efface de plus en plus. Ds la fin du 9e sicle, les grands du royaume, c'est--dire les princes territoriaux et les évques, se sentent assez forts pour choisir eux-mmes le roi, faisant jouer le principe de ľélection au détriment de ľhérédité dans la famille carolingienne. Pendant un sicle, de 888 987, alternent ainsi rois carolingiens (Charles le Simple de 893 923, Louis IV, Lothaire et Louis V de 936 987) et non carolingiens. Ces derniers, part Raoul de Bourgogne de 923 936, appartiennent la famille des Robertiens. Vainqueurs des Normands, marquis de Neustrie, puis ducs des Francs, ils tiennent la majeure partie des comtés de la Seine la Loire et contrôlent comme abbés laques les plus grandes abbayes, commencer par Saint-Martin de Tours et Saint-Denis. Les deux fils de Robert le Fort deviennent rois : Eudes, le défenseur de Paris, de 888 893, et Robert Ier , en 1 Comte ďAnjou et de Blois, marquis de Neustrie, Robert le Fort lutta contre les Normands IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 4 922-923. Le fils de Robert Ier , Hugues le Grand, est ľhomme fort du 10e sicle, mais il laisse aux carolingiens le titre royal. Cependant, lorsque le jeune Louis V meurt accidentellement et sans héritier direct en 987, les grands du royaume, poussés par ľarchevque de Reims Adalbéron [voir document IX.b.], choisissent pour la troisime fois un Robertien pour roi : le fils ďHugues le Grand, Hugues Capet (ce surnom, apparu plus tard, évoque peut-tre les nombreuses chapes1 [en latin, capa] ďabbé laque détenues par Hugues). La nouvelle dynastie, cette fois, était née. Ds 987, Hugues, par précaution, associe au pouvoir son fils, qui lui succde ensuite sans difficulté en 996 : ce Robert II, qu'on appellera le Pieux , est le roi de ľan mil. IX.b. Terreurs et promesses de ľan mil IX.b.i. Les terreurs de ľan mil. Les terreurs de ľan mil sont nées sous la plume des écrivains des 17e et 18e sicles, toujours prts dénoncer ľobscurantisme du Moyen Age ; elles ont fourni ľhistoire romantique un thme porteur, illustré par Michelet. Mais ľhistorien en trouve aujourďhui difficilement la trace dans cette période, si pauvre en sources écrites, qui va du début du 10e sicle au milieu du 11e . Certes, trs tournés vers ľau-del, les hommes du Moyen Age ont eu volontiers tendance voir dans les catastrophes humaines (invasions, guerres, famines, épidémies) ou naturelles (tremblements de terre, inondations), et plus encore dans les phénomnes célestes (éclipses, comtes), des signes annonciateurs de la fin du monde. Annales et chroniques les cataloguent ľenvi. Mais il est difficile de savoir s'ils furent considérés comme plus nombreux aux approches de ľan mil qu'auparavant. Il est surtout loin ďtre prouvé que, dans cette époque aux chronologies incertaines, une proportion significative de la population ait attendu la fin du monde pour le millime anniversaire de la naissance ou plutôt de la mort du Christ, en 1033. Quelques allusions, trs rares, des craintes de ce genre les montrent aussitôt balayées par des citations scripturaires : ľhomme ne peut connaître ni le jour ni ľheure . Telle est ľattitude dominante, celle des ecclésiastiques. IX.b.i. Les grands défrichements. Fin du monde ? ou fin ďun monde ? Les auteurs du 11e sicle qui évoquent ľan mil, et tout 1 Chape. Grand et long manteau qui s'agrafe par-devant et qui est porté par ľofficiant dans les cérémonies religieuses. Les Capétiens possédaient comme relique la chape de saint Martin et ľemportaient dans leurs expéditions militaires. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 5 ďabord un moine bourguignon, Raoul Glaber, qui écrivait vers 1040, voient plutôt dans cette date symbolique la promesse ďun âge nouveau dans ľhistoire de ľhumanité, un printemps du monde, incarné par les églises neuves dont se couvre le pays : C'était comme si le monde luimme se ft secoué et, dépouillant sa vétusté, et revtu de toutes parts une blanche robe ďéglises. De ce renouvellement profond, moral et matériel, pressenti par les contemporains, ľhistorien accumule aujourďhui les témoignages. Le phénomne majeur, bien qu'impossible mesurer, est ďordre démographique. Aprs des sicles de dépression, pendant ľAntiquité tardive et le haut Moyen Age, le mouvement s'est inversé : contrarié par les dernires invasions des 9e et 10e sicles, il s'épanouit enfin ds avant ľan mil et va se poursuivre jusqu'au milieu du 13e sicle, soutenant la premire grande croissance de ľéconomie européenne. A cette croissance est traditionnellement associée la notion des grands défrichements du Moyen Age. Ľexpression a le mérite de souligner le caractre prioritairement rural de la croissance. Il s'agit ďune augmentation massive de la production agricole et surtout de la production des céréales. Elle est due ďabord ľextension des surfaces cultivées par défrichement des forts et des landes, mais aussi par asschement des vallées humides et des marais : 150 000 hectares furent ainsi gagnés sur les marais atlantiques, du 10e au 12e sicle. Elle est due en mme temps ľélévation des rendements agricoles liée ľamélioration des techniques et au plus grand nombre des hommes : outils en fer, charrue attelée, labours plus profonds et plus nombreux ; de 2 3 pour 1 ľépoque carolingienne, les rendements atteignent 4 pour 1 en Bourgogne au milieu du 12e sicle et 6 8 pour 1 en Picardie la fin de ce sicle. Cette extraordinaire croissance s'accompagne de la création ou de la réorganisation des terroirs et des habitats, avec la fixation définitive des villages et des paroisses. Mais les défrichements n'épuisent pas tous les aspects de la croissance. Ľaugmentation de la production agricole libre des surplus qui sont négociables et des hommes qui peuvent s'employer des activités autres que purement rurales. On voit alors se multiplier de nouveaux groupements humains vocation marchande ou artisanale : faubourgs prs des vieilles cités épiscopales ou bourgs nouveaux prs des châteaux et des abbayes. Déj nombreuses en ľan mil, ces créations, dont le rythme de fondation s'accélérera par la suite, justifient la construction de ces nouvelles églises - dans un nouveau style qu'on appellera roman parce qu'il retrouve certaines traditions romaines - qui ont tant frappé Raoul Glaber. Mais, pour ce moine, le renouveau n'est pas seulement matériel, il est aussi moral : c'est un vaste mouvement qui, IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 6 parti de la fondation de ľabbaye de Cluny en 910 et des institutions de paix1 garanties par ľÉglise la fin du 10e sicle, aboutit, au 11e sicle, une vaste réforme de ľÉglise elle-mme : la réforme grégorienne2 . Mais notons tout de suite que le mouvement de construction et de réforme s'est accompagné de la premire floraison artistique de ľOccident médiéval qui ait laissé des traces abondantes. Le 11e et le 12e sicle sont les grands sicles de ľart roman, dont témoignent encore, avec leur décor de sculptures et de fresques, de trs nombreuses églises rurales et urbaines dans la plupart des régions de la France. De cet essor, tous ont profité : court terme, les paysans et leurs seigneurs immédiats ; long terme, le roi capétien. IX.c. Les premiers Capétiens IX.c.i. Effacement du pouvoir royal au 11e sicle. Quand Hugues Capet devient roi de France en 987, le processus ďaccaparement de la puissance publique par les princes joue maintenant contre les plus grands ďentre eux au profit de comtes ďun rang inférieur et mme bientôt de simples possesseurs de châteaux : nous sommes désormais en pleine féodalité3 . De la grande principauté que les Robertiens avaient tenté de constituer entre la Seine et la Loire, se sont détachés des ensembles moins vastes en faveur de dynasties comtales : comtes du Maine, comtes ďAnjou, comtes de Blois... Hugues Capet ne contrôle plus directement que les comtés de Paris, Senlis, Dreux et Orléans. Ainsi cantonnés en Ile-de-France et en Orléanais, les premiers Capétiens ne sont que des princes territoriaux comme les autres - et souvent beaucoup moins prestigieux que ďautres. Robert II (996-1031). Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108) n'ont pas bonne réputation auprs des 1 Paix (institutions de). Ensemble ďinstitutions établies par ľÉglise partir de la fin du 10e sicle pour limiter les vengeances et les guerres privées. La paix de Dieu proclame ľinviolabilité de certains lieux (droit ďasile) et le statut protégé des églises et de certaines catégories de personnes (femmes, enfants, plerins, clercs, marchands...). La trve de Dieu interdit la guerre pendant certains jours de la semaine et certaines périodes de ľannée. Les participants s'engageaient par serment respecter la paix et pouvaient donc, s'ils ne respectaient pas leur serment, tre frappés ďexcommunication. 2 Réforme grégorienne. Grand mouvement de rénovation de ľÉglise entrepris et réalisé aux 11e et 12e sicles, auquel le pape Grégoire VII (1073-1085) a donné son nom. Ce mouvement vise émanciper ľÉglise de la tutelle des laques. 3 Féodal, féodalité. Au sens strict, la féodalité désigne ľensemble des institutions dites féodo-vassaliques qui régissent les rapports entre un seigneur et son vassal, rapports qui comportent la remise ďun fief (en latin, feodum) par le seigneur au vassal. Au sens large, la féodalité désigne la société qui reposait sur ces liens féodo-vassaliques et qui se caractérisait par une hiérarchie des hommes et des terres, par la prépondérance ďune aristocratie de guerriers, par le morcellement de ľautorité publique et des droits de propriété. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 7 historiens. Du premier, célbre en son temps pour ses démlés conjugaux, un moine contemporain a dressé le portrait ďun parfait dévot ; le deuxime n'est gure connu que pour avoir épousé une princesse russe, Anne de Kiev, qui introduisit dans la famille capétienne le prénom grec de Philippe ; le troisime fut trois fois *excommunié pour avoir voulu épouser sa maîtresse et légitimer ses bâtards. Ils font pâle figure en face des grands princes du 11e sicle : un Guillaume le Grand , duc ďAquitaine (vers 990-1030), qui faillit devenir empereur ; un Guillaume le Conquérant , duc de Normandie (1035-1087), qui réalisa en 1066 la conqute de ľAngleterre. Mais les Capétiens étaient rois : rois sacrés qui, par nature, appartenaient autant au monde ecclésiastique qu'au monde laque et tiraient avantage de cette position unique, auprs des comtes comme des évques. Ils ont eu aussi la chance ďavoir chacun un héritier mâle, associé au pouvoir du vivant de son pre, et ďéviter ainsi, au terme de longs rgnes, tout problme de succession. Ils ont été enfin des princes obstinés qui ont patiemment cherché, avec des succs divers, maintenir ľétroit domaine qu'ils contrôlaient directement et, si possible, ľélargir. Robert le Pieux réussit mettre la main sur le duché de Bourgogne, mais doit vite le céder ľun de ses fils : ce duché capétien de Bourgogne durera jusqu'au milieu du 14e sicle. Philippe Ier s'empare du Gâtinais, du Vexin et de Bourges. Mais, dans son propre domaine, son autorité est battue en brche par les seigneurs pillards qui, partir de leurs châteaux, dominent les campagnes et écument les routes. IX.c.ii.Son redressement au 12' sicle. Pourtant, le mouvement féodal va jouer finalement en faveur de la royauté. Ce revirement, peut-tre amorcé sous Philippe Ier , s'affirme sous Louis VI le Gros (1108-1137) et Louis VII le Jeune (1137-1180). La lente récupération du pouvoir par le roi a pris des formes trs variées. Nous pouvons en discerner au moins quatre. La plus spectaculaire est la lutte sans merci qu'ont menée Philippe Ier et surtout Louis VI contre les seigneurs turbulents ďIle-de-France et ďOrléanais, tels Hugues du Puiset ou Thomas de Marie : ils y ont gagné ďtre véritablement maîtres chez eux. La deuxime est ľutilisation systématique des liens féodaux au profit du roi : ľhabitude étant prise que chacun soit ľhomme ou le vassal ďun seigneur, il se constitue peu peu une chaîne de vassalités qui aboutit au roi, lequel ne peut tre le vassal de personne. A cette remise en ordre - troisime aspect - a puissamment contribué ľÉglise, déj protectrice des mouvements de paix du 11e sicle ; les Capétiens ont su accepter en France la réforme grégorienne et ont soutenu les papes engagés alors dans un grand conflit - querelle des Investitures et, plus tard, lutte du Sacerdoce et de ľEmpire - avec les empereurs germaniques, hostiles la réforme et désireux de contrôler ľItalie. Ľétroite alliance du roi et de ľÉglise IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 8 apparaît au temps de Louis VI, Louis VII et Suger. Abbé de Saint-Denis de 1122 1151, ami et principal conseiller de Louis VI, tuteur du jeune Louis VII, Suger devient régent du royaume (de 1147 1149), quand Louis VII part pour la croisade ; ľabbaye de Saint-Denis, qui est la nécropole royale, abrite les insignes de la royauté - la couronne, ľoriflamme -, et ses moines, commencer par Suger lui-mme qui écrit la Vie de Louis VI le Gros, rédigent ľhistoire officielle des rois de France. C'est enfin ľépoque o apparaît autour du roi un embryon ďadministration, centrale et locale. Dans son entourage, dans sa Cour, il choisit des familiers qui lui donnent des conseils politiques et qui vont former le Conseil du roi ; autour des chefs des services domestiques du palais - sénéchal, connétable1 , bouteiller, chambrier, chancelier2 -, s'organisent les premiers services centraux de la monarchie ; en mme temps, le roi surveille de plus en plus étroitement les agents locaux qui il confie la gestion de ses domaines - les prévôts3 -, et il réussit les empcher de rendre leur fonction héréditaire. Le mouvement de réorganisation qui profite au roi de France profite également aux plus grands princes du royaume, qui sont ses vassaux directs et ses interlocuteurs naturels. A chaque occasion, le roi les convoque de grandes assemblées, des cérémonies familiales ou pour des expéditions militaires. Il intervient dans leurs différends, propose sans cesse son arbitrage et cherche imposer, souvent leurs dépens, sa justice. Il encourage leur détriment ces nouveaux corps politiques qui, apparus la fin du 11e sicle, se multiplient au 12e sicle : les communes urbaines. Mais il a affaire forte partie. En France du Sud, les comtes de Toulouse et les ducs ďAquitaine se conduisent en souverains indépendants. En France du Nord, deux grands vassaux du roi de France, portés peut-tre par ľavance économique qui caractérise ds le 11e sicle ľEurope du Nord-Ouest, ont su plus tôt que lui utiliser les liens féodaux au profit ďun pouvoir supérieur : le comte de Flandre et le duc de Normandie ; devenu roi ďAngleterre, ce dernier développe de façon décisive dans ľensemble anglo-normand les institutions féodales dans un sens favorable au pouvoir central. Les pays riverains de la mer du Nord et de la Manche - Flandre, Normandie, Angleterre - représentent alors un pôle de modernité politique et économique par rapport ľensemble du royaume et ľOccident tout 1 Connétable. Chargé, avec ľaide des maréchaux, de surveiller les écuries royales (comes stabuli, comte de ľétable), il devient sous les Capétiens un des cinq grands officiers de la couronne. C'est le conseiller militaire du roi et le chef de ľarmée en son absence. 2 Chancelier, chancellerie. Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il préside en ľabsence du roi, et le chef de ľadministration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. 3 Prévôt. Au Moyen Age, agent ou régisseur chargé de ľadministration des domaines ďun seigneur. Les prévôts royaux, qui administrent les domaines du roi, exercent en mme temps des fonctions fiscales, judiciaires et militaires. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE (10e ­ 12e sicle) 9 entier, Italie exceptée. IX.c.iii. Ľempire Plantagent. De fait, dans la premire moitié du 12e sicle, le roi de France est bien moins puissant et moins riche que son vassal de Normandie. Il y a l un danger potentiel pour les Capétiens, qui se précise au milieu du sicle lorsque s'éteint la descendance directe de Guillaume le Conquérant. On assiste alors ľascension fulgurante ďun seigneur de second rang, Henri Plantagent. Il hérite en 1151 du comté ďAnjou et de la Normandie, rassemblés par son pre ; il épouse en 1152 la dernire héritire des ducs ďAquitaine, Aliénor, divorcée quelques semaines auparavant de Louis VII aprs six ans de mariage ; il devient roi ďAngleterre en 1154 et s'empare ensuite du comté de Nantes et de la Bretagne. Les historiens français n'ont jamais pardonné Louis VII ďavoir laissé échapper, avec Aliénor, ľhéritage aquitain et ďavoir permis la constitution au profit ďHenri II de cet empire angevin ou empire Plantagent qui s'étendait de la frontire de ľEcosse aux Pyrénées et englobait le tiers du territoire français, avec la totalité du littoral du Tréport la Bidassoa. Mais nous touchons l le caractre paradoxal du pouvoir du roi de France cette époque : qu'il n'ait pas pu empcher la formation de ľempire ďHenri II prouve sa faiblesse ; qu'il ait survécu ce danger et en ait, la génération suivante, tiré le plus grand profit témoigne de sa force. Un tel paradoxe ne se comprend que dans le cadre de la société féodale.