XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 1 XI. LES CAPETIENS (1180-1328) De 1180 1328, et particulirement sous les rgnes de Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe le Bel, le royaume capétien connaît son apogée, apogée fait du rayonnement des personnalités royales, du bon fonctionnement des institutions, du dynamisme de ľéconomie - malgré ľessoufflement de la fin de la période - et ďun essor culturel qui met tout ľOccident dans le sillage de la civilisation française. XI. LES CAPETIENS(1180-1328) ....................................................................................... 1 XI.a. LES GRANDS CAPÉTIENS........................................................................................... 2 XI.a.i. Philippe Auguste et Louis VIII. ............................................................................ 2 XI.a.ii. Saint Louis........................................................................................................... 2 XI.a.iii. Philippe III et Philippe IV................................................................................. 3 XI.b. LE PERFECTIONNEMENT DES INSTITUTIONS................................................................ 4 XI.b.i. Ľaccroissement du domaine................................................................................ 4 XI.b.ii. Les institutions locales.......................................................................................... 4 XI.b.iii. Les institutions centrales................................................................................... 5 XI.c. LES FRUITS DE LA CROISSANCE ................................................................................. 6 XI.c.i. La richesse du royaume....................................................................................... 6 XI.c.ii. La renaissance urbaine......................................................................................... 7 XI.c.iii. Paris. ............................................................................................................... 8 XI.c.iv. Les foires de Champagne.................................................................................. 9 XI.d. LE RAYONNEMENT FRANÇAIS .................................................................................. 10 XI.d.i La civilisation française...................................................................................... 10 XI.d.ii. Une politique de prestige.................................................................................... 11 XI.d.iii. Des signes ďessoufflement.............................................................................. 12 Le 13e sicle représente ľapogée au sens strict du terme, c'est--dire le plus haut degré, de ľexpansion commencée avant ľan mil. Expansion démographique qui fait de ľOccident vers 1300, avec une densité de 40 habitants au kilomtre carré, un monde plein , selon ľexpression de Pierre Chaunu. Expansion économique avec la poursuite des défrichements jusqu'aux limites du possible, avec ľessor de la draperie flamande, avec la mise sur pied par les Italiens ďun grand réseau commercial qui allait, a dit Roberto Lopez, du Groenland Pékin . Expansion politique enfin, sous forme de croisade. Le sicle s'ouvre avec la prise de Constantinople par les croisés de la quatrime croisade, en 1204 : phénomne inou, qui amne la constitution, pour prs de soixante ans, ďun Empire latin ďOrient ; tandis que ďautres croisades permettent ďattacher de façon plus durable la Chrétienté latine ľEspagne musulmane et les Slaves paens ďau-del de ľOder. Cet apogée est en mme temps classicisme politique, artistique et intellectuel. Sicle du pape Innocent III (1198-1216), de ľempereur germanique Frédéric II (1212-1250) et du roi de France Saint Louis (1226-1270), il est aussi celui des cathédrales et des universités. Et, dans presque tous les domaines, le royaume de Philippe Auguste, de Saint Louis et de Philippe le Bel figure au premier plan. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 2 XI.a. Les grands Capétiens XI.a.i. Philippe Auguste et Louis VIII. Les cinq rois capétiens qui se sont succédé de 1180 1314 ont fait de la France le grand royaume ďOccident. La grande affaire du long rgne de Philippe Auguste (1180-1223) est la lutte contre Henri II Plantagent et ses fils, Richard Coeur de Lion, puis Jean sans Terre. Philippe Auguste réussit faire prononcer la confiscation des fiefs français de ce dernier, en 1202, et en conquérir la majeure partie, provoquant ľeffondrement de cet empire angevin qui avait représenté pendant un demi-sicle une menace mortelle pour le roi de France. I1 réalise du mme coup un spectaculaire accroissement du domaine royal, devient le maître incontesté de la France du Nord et le plus grand prince territorial du royaume : toutes les données politiques s'en trouvent transformées. Cette puissance montante du roi de France inquite ses voisins comme ses vassaux et Jean sans Terre réussit susciter contre lui une coalition menée par ľempereur Othon de Brunswick, dont Philippe Auguste, la tte de sa chevalerie et de ľinfanterie de ses bonnes villes, triomphe Bouvines, prs de Lille, le 27 juillet 1214. Le court rgne de Louis VIII (1223-1226), époux de Blanche de Castille, qui assurera la régence pendant la minorité de leur fils Louis IX, est celui de la pénétration capétienne dans le sud du royaume : Louis VIII effectue une grande tournée en Languedoc pour affirmer les droits du roi sur les principautés méridionales au lendemain de la croisade contre les Albigeois, menée de 1209 1213 par les barons du Nord, ľinitiative du pape Innocent III. XI.a.ii. Saint Louis. Le rgne de Saint Louis (1226-1270) a donné son nom ce sicle : parce que, dans le royaume, il marque ľapogée ďune certaine forme de gouvernement - la monarchie féodale - qui, utilisant toutes les ressources des liens vassaliques, a pour mission de faire régner la justice et la paix du roi ; parce que, ľextérieur, au moment o le pape et ľempereur se déchirent dans les ultimes secousses de la lutte du Sacerdoce et de ľEmpire et o le roi ďAngleterre est déconsidéré XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 3 par la perte de ľ empire angevin , le roi de France se comporte en arbitre de la Chrétienté ; parce que la personnalité mme du roi, modle des vertus du chevalier, du chrétien et du croisé portées jusqu' leurs extrmes conséquences, a marqué son époque. De 1248 1254, Louis IX dirige en Orient la septime croisade et connaît, en 1250, la défaite et la captivité en Égypte ; il entreprend pourtant, en 1270, une huitime croisade et trouve la mort devant Tunis, aprs avoir adressé son fils, le futur Philippe III, des Enseignements ou Instructions qui résument ľidéal du roi chrétien. Il sera canonisé ds 1297, et les mérites de sa sainteté rejailliront sur toute la dynastie capétienne. XI.a.iii. Philippe III et Philippe IV. Pourtant, les temps changeaient. Profitant de la prépondérance française, frres et fils de Saint Louis se lancent dans des aventures extérieures au royaume, surtout vers le sud : Philippe le Hardi (1270-1285) meurt au retour ďune expédition contre ľAragon. Mais, ce qui domine le plus nettement cette période, ce sont les progrs du pouvoir royal : un pouvoir qui ne s'appuie plus seulement sur la possession ďun domaine étendu et sur ľutilisation des liens féodaux, mais qui, profitant de la renaissance du droit au 13e sicle, remet ľhonneur les notions - sinon les mots - ďÉtat et de souveraineté. Le rgne de Philippe le Bel (1285-1314) est caractéristique cet égard. Ce roi est une personnalité énigmatique, connu surtout pour avoir condamné les templiers et abusé de ses pouvoirs en matire monétaire : on ľa accusé ďtre un faux-monnayeur ; mais le sens de son rgne est trs clair. Proclamant que le roi de France est empereur en son royaume , le roi et les légistes qui ľentourent ne tolrent plus aucune intervention extérieure, ft-ce celle du pape : ďo le célbre conflit avec Boniface VIII, qui aboutit en 1303 ľattentat ďAnagni, au cours duquel ľenvoyé du roi aurait souffleté le pape. Dans le royaume, le roi supporte de plus en plus difficilement la quasiindépendance des derniers grands fiefs, spécialement ľAquitaine - qu'on appelle maintenant, en français, la Guyenne - et la Flandre, contre lesquelles sont lancées plusieurs campagnes militaires. Dans tous ces conflits, le roi cherche et obtient - autre signe de modernité - ľappui de ľopinion publique du royaume : c'est cet effet que sont convoquées - et pour la premire fois XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 4 Paris en 1302 contre Boniface VIII - de grandes assemblées de barons, ďecclésiastiques et de bourgeois qui sont ľorigine des états généraux. Réunies pour approuver la politique du roi et lui procurer de nouvelles ressources par la voie de ľimpôt, elles contribuent ľexaltation du pouvoir royal. XI.b. Le perfectionnement des institutions XI.b.i. Ľaccroissement du domaine. Le point de départ des transformations est chercher du côté de ľaccroissement continu du domaine royal, rgne aprs rgne ; sous Philippe Auguste : la Normandie, le Maine et ľAnjou pris Jean sans Terre, mais aussi ľArtois, le Valois, le Vermandois, ľAmiénois, acquis par mariages et héritages ; sous Louis VIII et pendant la minorité de Louis IX : le Poitou, ľAunis, la Saintonge et les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne. Saint Louis n'accroît pas le domaine, mais rgle le contentieux franco-anglais : restituant quelques territoires au roi ďAngleterre Henri III - en particulier le sud de la Saintonge -, il obtient, par le traité de Paris en 1259, que ce dernier lui fasse hommage pour le duché de Guyenne et revienne donc dans sa vassalité. Philippe le Hardi rattache au domaine le comté de Toulouse, et Philippe le Bel celui de Champagne. Plusieurs de ces territoires ne sont pas restés sous le contrôle direct du roi, mais ont été cédés en apanages1 aux cadets de la dynastie, avec retour la couronne en cas ďabsence ďhéritier mâle. Ces apanages sont administrés suivant les mmes méthodes que le domaine. XI.b.ii. Les institutions locales. La gestion quotidienne du domaine royal était assurée jusqu' la fin du 12e sicle par les prévôts, agents locaux du roi qui administraient ses terres, percevaient ses revenus et s'occupaient en son nom des questions judiciaires et 1 Apanage. Terre donnée par le roi ses fils cadets ou ses frres pour assurer leur subsistance, en compensation de la couronne réservée au fils aîné. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 5 militaires. Recrutés suivant le systme de 1'affermage2 , ils avaient tendance pressurer leurs administrés. A la fin du 12e sicle, Philippe Auguste emprunte ľadministration anglo-normande ľinstitution des baillis3 , commissaires itinérants la manire des missi dominici de Charlemagne et chargés de vérifier la gestion des prévôts. Progressivement, dans le courant du 13e sicle, ils se fixent dans des circonscriptions stables, englobant plusieurs prévôtés : les bailliages. Nommés, rémunérés, contrôlés directement par le roi et son Conseil, ils deviennent le rouage essentiel de ľadministration provinciale. Les sénéchaux jouent le mme rôle dans le Midi. A la fin du 13e sicle, le royaume compte vingt-trois bailliages et sénéchaussées. Et, pour éviter tout abus, Saint Louis a mis ľhonneur la procédure des enquteurs-réformateurs qui vérifient leur tour la gestion des baillis. Ces enqutes sur les droits du roi sont une des meilleures sources pour la connaissance des réalités françaises au 13e sicle ; elles vont constituer un redoutable instrument en faveur de ľextension du pouvoir royal. XI.b.iii. Les institutions centrales. Le développement des organes centraux de gouvernement et leur fixation dans le palais de la Cité Paris, qui s'affirme ainsi comme capitale du royaume, constituent, avec ľextension du domaine et la création des baillis, ľaspect majeur de ľévolution institutionnelle du 13e sicle. Autour du roi se développent les services domestiques de ľHôtel du roi et les services administratifs de la Chancellerie4 , dont le rôle croît avec celui des actes écrits. De la Cour du roi - 2 Affermage. Action de donner ferme. La ferme est un procédé ďadministration par lequel ľautorité se repose sur une personne de ľexercice ďun droit ou de la perception ďun revenu, moyennant le paiement ďune somme forfaitaire. Au Moyen Age, les prévôtés royales étaient affermées. 3 Baillis, bailliages. Les baillis sont, la fin du 12e sicle, des officiers royaux détachés de la Cour du roi pour contrôler la gestion des prévôts. A partir du milieu du 13e sicle, ils exercent leurs fonctions, qui sont la fois financires, judiciaires et militaires, dans une circonscription fixe, le bailliage, qui regroupe plusieurs prévôtés. A la différence des prévôts, qui tiennent leur charge ferme, les baillis reçoivent des gages du roi. 4 Chancelier, chancellerie. Chargé sous les Carolingiens de contrôler la rédaction et ľexpédition des actes royaux et ďy apposer le sceau du roi, le chancelier dirige une équipe de plus en plus importante de notaires et de scribes (la chancellerie). Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il préside en ľabsence du roi, et le chef de ľadministration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 6 curia regis - se sont dégagées successivement trois institutions fondamentales. Le Conseil du roi - curia in consilio -, organisme politique o sont traitées les affaires du royaume, existe ds le 12e sicle. Au milieu du 13e sicle, au temps de Saint Louis, apparaît le Parlement5 - curia in parlamento -, o est rendue la justice du roi, laquelle tous les habitants du royaume peuvent désormais faire appel des jugements prononcés dans le domaine et hors du domaine. A la fin du sicle est créée la Chambre des comptes6 - curia in compotis -, qui vérifie la gestion des ressources financires grandissantes de la royauté. Si vassaux et grands barons continuent fréquenter assidment la Cour du roi, c'est tout un nouveau monde ďagents compétents et zélés au service du pouvoir royal qui peuple les organismes centraux et remplit les offices de bailli et de sénéchal. Sur ces bases, le roi peut commencer se comporter en souverain dans son royaume. C'est ainsi que Saint Louis a pu imposer le cours de la monnaie royale dans tout le royaume et chercher limiter les guerres privées entre les barons. Mais la mesure la plus efficace pour le développement du pouvoir royal fut la généralisation, par ce mme Louis IX, de ľappel la justice du roi : ľimagerie populaire, qui le représente exerçant cette justice sous le chne de Vincennes, ne s'y est pas trompée. (Voir document XI. La Justice de Saint Louis) XI.c. Les fruits de la croissance XI.c.i. La richesse du royaume. Les progrs du pouvoir royal vont alors de pair avec ceux de la richesse du royaume. C'est probablement vers 1250 que le meilleur équilibre est atteint entre la population et les ressources du sol, compte tenu des possibilités techniques de ľépoque. Le mouvement des défrichements est, vers cette date, parvenu sa limite : aller au-del compromettrait gravement les équilibres naturels et les ressources en bois comme celles de la cueillette et de ľélevage. Pour continuer 5 Parlement. Cour de justice issue de la Curia regis dans le courant du 13e sicle et définitivement organisée par ľordonnance du 11 mars 1345. 6 Chambre des comptes. Organe financier issu de la Cour du roi vers 1300 et organisé par ľordonnance de Vivier-en-Brie en 1320. Il s'occupe du contrôle de la gestion financire du domaine royal et des comptes de ľHôtel du XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 7 accroître la production agricole, il faut tirer le meilleur parti des terres déj mises en culture. C'est alors que s'étend ľassolement triennal ; que s'organisent, pour ľexportation, des cultures plus lucratives que les céréales : vigne - c'est la grande époque des vins de Poitou puis de Bordeaux -, plantes industrielles - lin, chanvre, plantes tinctoriales - destinées ľartisanat textile, cultures maraîchres prs des villes. C'est alors aussi que les exploitants les mieux équipés réussissent atteindre pour les céréales des rendements inégalés : 11 pour 1 chez un seigneur de ľArtois au début du 14e sicle. C'est dans ce contexte ďexpansion que la seigneurie7 rurale a connu son meilleur équilibre et que les communautés paysannes ont obtenu leurs franchises8 . XI.c.ii. La renaissance urbaine. Depuis la fin du 10e sicle, ľessor des campagnes s'accompagnait ďune renaissance urbaine liée la reprise de ľartisanat et du commerce. Qu'il s'agisse de la renaissance des vieilles cités épiscopales remontant ľépoque romaine ou de la création de villeneuves , de villefranches ou de bourgs nés auprs des monastres, des ports ou des marchés, le mouvement est partout le mme et se caractérise toujours par trois éléments fondamentaux : la prééminence ďactivités non agricoles, c'est--dire du commerce et de ľartisanat ; la présence ďun nouveau groupe social qui assure ces activités, la bourgeoisie ; la naissance de nouvelles entités politiques : les villes de commune9 (ou de consulat dans le Midi), qui jouissent ďune large autonomie, et les villes de franchises, qui ont reçu surtout des 7 Seigneurie, seigneur. Dans la société médiévale et jusqu' la fin de ľAncien Régime, la seigneurie est une forme de propriété ďun ensemble foncier et ďune partie de la puissance publique sur cet ensemble foncier. Celui-ci se divise en domaine propre, ou réserve seigneuriale, que le seigneur exploite, directement ou non, et en tenures ou censives concédées des paysans qui en sont propriétaires sous réserve du droit de propriété éminente du seigneur reconnu par le paiement de diverses redevances. Le seigneur, qui peut tre un noble, une communauté religieuse, voire un roturier, possde en outre le droit de justice et de police sur les paysans de sa seigneurie. 8 Franchise. Privilges accordés par un seigneur une communauté rurale ou urbaine, qui suppriment ou limitent les droits que le seigneur exerçait auparavant de façon arbitraire. Au Moyen Age, franchises (toujours employé au pluriel) est synonyme de libertés . La charte de franchises est ľacte écrit dans lequel le seigneur énumre les franchises accordées une communauté ďhabitants. 9 Commune. Association jurée entre les habitants ďune ville pour la défense de leurs intérts collectifs. Si elle est reconnue par le seigneur, la commune devient une institution permanente chargée de ľadministration de la ville, considérée alors comme ville de commune ou simplement commune. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 8 privilges économiques. A ľorigine des communes, on trouve des liens horizontaux tissés entre égaux et sous la foi du serment : associations de paix, confréries religieuses, corporations de marchands et ďartisans. La commune elle-mme résulte du serment prté entre les bourgeois, ďabord pour obtenir la commune, ensuite pour ľadministrer. La plus ancienne commune connue en territoire français est celle, éphémre, du Mans en 1070 ; mais la grande époque de concession des communes est le 12e sicle. C'est, par rapport aux hiérarchies verticales de la société féodale, un élément nouveau sur lequel les rois de France ont su trs tôt s'appuyer. La large diffusion du statut communal prouve la vigueur de ľélan démographique et économique qui sous-tend ľessor des villes. Les progrs de leur peuplement se suivent grâce au tracé de leurs enceintes successives, la multiplication des quartiers et des paroisses, ľapparition au début du 13e sicle de nouveaux ordres religieux spécialisés dans la prédication en milieu urbain, les ordres mendiants10 : franciscains, dominicains... Au début du 14e sicle, la France compte environ vingt-cinq villes de plus de 10 000 habitants, qui sont de grandes villes pour ľépoque. La majorité sont situées dans la France du Nord : ainsi Rouen et le groupe compact des villes flamandes qui vivent de la draperie (Bruges, Ypres et Gand) ; mais Toulouse, Montpellier et Bordeaux sont aussi des grandes villes. Aucune n'approche, mme de loin, la population de la capitale, qui aurait peut-tre atteint 200 000 habitants. XI.c.iii. Paris. Située au coeur de la plus riche région agricole du royaume - cette France que nous appelons Ile-de-France et qui a donné son nom au pays tout entier -, choisie comme capitale par les Capétiens, Paris résume elle seule toutes les fonctions urbaines. C'est, au 13e sicle, une ville tripartite : la cité, la ville et ľuniversité. Au centre, ľîle de la Cité abrite les fonctions les plus 10 Mendiants (ordres). Ordres religieux apparus, ľinitiative de saint Dominique et de saint François, au début du 13e sicle. Ils mettent en avant la pratique de la pauvreté (qui implique la mendicité) et la prédication. Par opposition aux moines des ordres traditionnels, on appelle les religieux mendiants les frres . Ils ont joué un rôle de premier plan dans les villes et les universités au 13e sicle. Les principaux ordres mendiants sont les frres prcheurs ou dominicains, les frres mineurs ou franciscains, les carmes et les augustins. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 9 anciennes : la fonction politique, dans le palais sans cesse agrandi pour accueillir les nouveaux services de la royauté, et la fonction religieuse autour de la toute neuve cathédrale Notre-Dame. Sur la rive gauche, encore rurale et peu peuplée, s'épanouissent les activités intellectuelles au sein de ľuniversité, corporation de maîtres et ďétudiants qui a reçu ses statuts en 1215. Sur la rive droite, la ville voit se développer, autour du port de Grve et des halles11 construites par Philippe Auguste, les principales activités économiques, contrôlées par la puissante corporation des marchands qui ont le monopole du trafic sur la Seine et ses affluents, la hanse12 des marchands de ľeau. Son chef, le prévôt des marchands, est le représentant de la bourgeoisie parisienne ; son pouvoir cependant est limité par la présence du prévôt royal qui administre la ville au nom du roi : toujours prts encourager le mouvement communal au détriment de leurs vassaux, les Capétiens n'ont jamais laissé les Parisiens former une commune. Ľactivité est intense et, en 1268, le prévôt royal Étienne Boileau recense cent une corporations dans son Livre des métiers. La population déborde déj largement ľenceinte construite en 1190 par Philippe Auguste. XI.c.iv. Les foires de Champagne. Ces activités parisiennes s'expliquent surtout par la présence ďun trs grand centre de consommation. Elles s'inscrivent aussi dans un contexte plus large. Lors du réveil économique de ľOccident, deux grands pôles ďactivité s'étaient formés. Ľun s'était établi au nord, partir de la laine anglaise, de la draperie flamande et de ľaxe de communication Manche-mer du Nord-Baltique : Bruges en est le symbole. Ľautre se situait en Italie, o Gnes et Venise utilisaient ľaxe méditerranéen pour alimenter ľOccident en soieries, épices et autres produits de luxe de ľOrient. Entre le monde nordique et le monde méditerranéen, il fallait un lieu de rencontre pour ľéchange des marchandises et ľappel des capitaux. Il s'organise au 12e sicle en Champagne, dont les villes 11 Halle. La ou les halles sont les monuments typiques de la fonction économique de la ville médiévale : halle aux draps, halle aux blés... C'est l que la ville imposait ses marques, garantissant ainsi que les produits vendus étaient conformes ses lois. 12 Hanse. Terme ďorigine germanique qui désigne, au Moyen Age, une association de marchands. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 10 de foire13 - Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube - deviennent le marché permanent de ľOccident. La grande époque des foires de Champagne est le 13e sicle, mais peu peu le commerce des marchandises y est supplanté par le commerce de ľargent, trs lié au milieu des banquiers et changeurs14 parisiens. XI.d. Le rayonnement français XI.d.i La civilisation française. Le 13e sicle, comme plus tard le 18e sicle, est une grande époque de rayonnement de la civilisation française. De tous les domaines dans lesquels s'est exercé ce rayonnement - on pourrait commencer par celui de ľidéal du chevalier, qui est ďabord français -, trois retiennent particulirement ľattention. Le premier, le plus connu, est celui de ľart. Le modle de la cathédrale gothique est apparu en Île-de-France ľéglise de Saint-Denis rebâtie vers 1140 par Suger ; il inspire trs vite les cathédrales de Noyon, Laon, Soissons, Senlis et, bien sr, Notre-Dame de Paris, commencée en 1163. Le nouveau style s'épanouit au 13e sicle Chartres, Bourges, Reims, Amiens, Beauvais... et se diffuse bientôt non seulement dans ľensemble du royaume, mais dans tout ľOccident, Salisbury comme Cologne, Milan comme Burgos. Le deuxime domaine est celui de la langue et de la littérature. Comme langue littéraire, le français - le français du Nord, la langue ďol - a acquis ses lettres de noblesse au 12e sicle avec les chansons de geste et les poésies des trouvres15 , ces derniers s'inspirant des troubadours16 , qui 13 Foire. Le mot vient du latin feria, fte, parce que ľorigine les marchands se regroupaient ľoccasion des ftes religieuses. Les foires sont des rassemblements périodiques, réguliers et protégés par ľautorité publique, de marchands venus de régions éloignées. Il existe des foires régionales et ďautres plus importantes qui sont un élément fondamental du grand commerce international : foires de Champagne au 13e sicle, foires de Lyon ou de Genve la fin du Moyen Age. 14 Changeurs, change, lettre de change. Le change est ďabord au Moyen Age ľopération qui consiste échanger des espces monétaires : pratique rendue trs courante et nécessaire cause de la grande variété des monnaies. Le métier de changeur était souvent exercé par des juifs. Puis, en raison de ľinterdiction du prt intért par ľÉglise, le change est devenu ľoccasion ďopérations de crédit dissimulé. A partir de 1300, ľinitiative des Italiens, se développe la lettre de change : ordre écrit qui prévoit, partir ďune somme exprimée dans une monnaie donnée, son remboursement dans un autre lieu et une autre monnaie. Ľintért du prt est dissimulé dans le taux du change. 15 Trouvres. Ce sont les auteurs-compositeurs de poésies lyriques en langue ďol. Ils sont, pour XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 11 chantaient en langue ďoc. A la fin du 12e et au 13e sicle s'épanouit surtout le genre romanesque, en vers ou en prose, depuis les oeuvres de Chrétien de Troyes jusqu'au Roman de Renart et au Roman de la rose. Ľemploi du latin se restreignant de plus en plus au monde des clercs, le français devient alors une langue de culture, dont ľemploi dépasse largement les frontires du royaume : il est parlé aussi bien par les nobles de la cour ďAngleterre que par les marchands italiens, tel le Vénitien Marco Polo, qui, en 1298, le choisit pour relater dans le Livre des merveilles son extraordinaire voyage en Chine. Le dernier domaine, et non le moindre, est celui de la pensée. Ľuniversité de Paris au 13e sicle, par son enseignement des arts libéraux17 et de la théologie18 , par la mise au point ďune méthode ďétude et de raisonnement qu'on appelle la scolastique19 , s'affirme comme la capitale intellectuelle de la Chrétienté. Elle attire les étudiants de tout ľOccident - ils sont ďailleurs organisés en nations - et les maîtres les plus prestigieux, comme ľAllemand Albert le Grand ou ľItalien Thomas ďAquin. XI.d.ii. Une politique de prestige. Ce rayonnement culturel est ľimage de ľinfluence du royaume de France. Il accompagne toute une politique de prestige qui, aprs 1270, mne la dynastie capétienne au premier plan en Europe. Au début du 14e sicle, des Capétiens rgnent Naples et en Hongrie. Rois de France, Philippe le Bel et ses fils sont aussi, de 1284 1328, rois de Navarre. Le frre et le fils de Philippe le Bel ont été candidats ľEmpire et, partir de 1309, le roi de France réussit fixer la papauté Avignon, aux portes du royaume. Dans toute la Chrétienté, la France du Nord, ľéquivalent des troubadours pour la France du Midi. 16 Troubadours. Ce sont ceux qui trouvent , c'est--dire des auteurs-compositeurs en langue ďoc. Leurs poésies sont inspirées des rgles de ľamour courtois. La grande époque des troubadours commence vers 1100 avec Guillaume IX ďAquitaine et couvre tout le 12e sicle, jusqu'au milieu du 13e sicle. 17 Arts libéraux. Ensemble des matires qui constituent ľenseignement classique au Moyen Age, soit sept arts répartis en deux groupes : le trivium, constitué par la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; te quadrivium, constitué par ľarithmétique, la géométrie, ľastronomie et la musique. 18 Théologie. Étude des questions religieuses (au sens littéral, c'est la science de Dieu ) partir des textes sacrés et de la tradition. La théologie est la science majeure des universités médiévales. 19 Scolastique. Le mot vient du latin schola, école. Il désigne la méthode ďenseignement et de raisonnement qui a été mise au point et pratiquée dans les universités médiévales. XI. LES CAPÉTIENS (1180 ­ 1328) 12 note alors un écrivain italien, le roi de France n'a point ďégal. XI.d.iii. Des signes ďessoufflement. Des flures pourtant apparaissent dans ce brillant édifice. Les historiens estiment que, ds la seconde moitié du 13e sicle, le long mouvement ďexpansion démographique et économique dont avait tant profité le royaume de France est, pour ľessentiel, terminé. Terminé aussi, avec les derniers échecs de Saint Louis, le grand élan des croisades : en 1291, la dernire place chrétienne en Terre sainte, Saint-Jean-ďAcre, tombe aux mains des musulmans. A ľintérieur mme du royaume, les premires difficultés économiques s'accompagnent, la fin du 13e sicle, de violents troubles sociaux dans les villes du Nord et, en 1302, les milices flamandes écrasent la chevalerie française Courtrai : signe précurseur ďautres désastres. En 1314-1315, aprs la mort de Philippe le Bel, dont le rgne autoritaire avait suscité de nombreux mécontentements, des soulvements nobiliaires se produisent dans ľensemble du pays. Enfin, la rapide succession au trône entre 1314 et 1328 des trois fils de Philippe le Bel, morts sans héritiers directs, va ouvrir la premire crise dynastique depuis ľavnement ďHugues Capet en 987.