XXV.         Naissance d'une France nouvelle

                           (fin 19^e-début 20^e siecle)

   La croissance que connaissent alors une grande partie de l'Europe et les États-Unis prend en
   France des traits propres : démographie stagnante, industrialisation moins rapide,
   urbanisation lente. La classe ouvriere se développe. La puissance bourgeoise se renforce de
   l'apport des classes moyennes.

   

   

   XXV.    Naissance d'une France nouvelle.. 1

   XXV. a.   Aspects et limites de l'essor économique. 2

   XXV.a.i.   Le poids du secteur agricole.  2

   XXV.a.ii.  Un tissu industriel et commercial nouveau.  2

   XXV.a.iii.     Les phénomenes cycliques.  4

   XXV.b.i.  Les mutations de la société. 4

   XXV.b.i.   L'importance du monde rural.  5

   XXV.b.ii.  Croissance du monde ouvrier. 6

   XXV.b.iii.     Triomphe et diversité de la bourgeoisie.  7

   XXV.c.    Diversité et richesse de la vie culturelle. 8

   

   XXV. a.      Aspects et limites de l'essor économique

   Durant la seconde moitié du 19^e siecle s'accomplit véritablement la modernisation de la
   France. L'entrée définitive dans l'âge industriel en est l'aspect majeur. Elle s'est faite
   lors de deux phases de croissance : la période 1840-1860, ou la France connaît les effets de
   la révolution industrielle du charbon, de ta machine `a vapeur, du chemin de fer et de la
   métallurgie, et la période 1896-1913, ou se produit la >> deuxieme révolution industrielle <<,
   celle de l'électricité et de l'automobile.

  XXV.a.i.        Le poids du secteur agricole.

   La croissance du 19^e siecle est cependant beaucoup plus lente en France qu'en
   Grande-Bretagne. Est-ce `a cause d'un déséquilibre de départ du aux guerres de la Révolution
   et de l'Empire ? Ou de données socioculturelles propres `a la France et qu'incarnerait le
   protectionnisme frileux de la III^e République ? Est-ce le ralentissement démographique de la
   France ou le poids tres lourd du secteur agricole ? Il est  impossible de trancher un probleme
   toujours débattu. De façon plus lente, mais aussi plus harmonieuse qu'en Angleterre, des
   mutations décisives apparaissent. Les progres les plus nets ont lieu au début du Second
   Empire, `a la fois dans l'agriculture et dans l'industrie. Le secteur agricole est trop
   souvent présenté comme un poids freinant la croissance française. Certes, durant la période,
   les rendements restent tres inférieurs `a ceux de l'agriculture anglaise ou belge. Mais ils ne
   doivent pas masquer des progres locaux tres nets et une diffusion générale de l'innovation. La
   jachere disparaît, la charrue s'impose, la faux remplace définitivement la faucille et les
   engrais se répandent. Les labours forment toujours l'essentiel des terres cultivées mais les
   herbages progressent. Quelques plantes comme la pomme de terre, le mais et surtout la
   betterave `a sucre cultivée en assolement avec le blé stimulent la révolution agricole. Jusque
   vers 1873, la prospérité de l'agriculture permet des progres sans précédent. Certaines régions
   comme le Pas-de-Calais entament une véritable spécialisation agricole liée `a la
   commercialisation de leur production.

  XXV.a.ii.       Un tissu industriel et commercial nouveau.

   L'industrie connaît également une croissance remarquable. De nouveaux éléments rendent
   possible celle-ci : le premier est la révolution bancaire. Grâce `a la modernisation des
   banques de dépôt (tels, par exemple, le Crédit industriel et commercial créé en 1859, le
   Crédit lyonnais en 1863, la Société générale en 1864) et des banques d'affaires, dont
   l'exemple le plus connu reste le Crédit mobilier des freres Pereire (1852), les prets `a
   l'industrie se généralisent. La législation du Second Empire contribue `a la création de
   nouvelles sociétés : les sociétés `a responsabilité limitée autorisées en 1863 et les sociétés
   anonymes (1867). Ainsi s'opere la mobilisation de capitaux nécessaires aux grandes entreprises
   et aux grands travaux.

   Mais le symbole et le moteur de la croissance, c'est le chemin de fer. La productivité du
   réseau s'améliore et la voie ferrée est l'objet d'investissements soutenus durant toutes les
   années 1860. En 1879, le plan Freycinet complete l'oeuvre du Second Empire en  créant  les
   lignes d'intéret  local. Le développement des échanges ainsi facilité est un facteur décisif
   de la croissance industrielle. La diffusion de procédés industriels nouveaux y contribue : de
   la sidérurgie au bois, on passe aux hauts fourneaux. La productivité profite de techniques
   nouvelles, comme le procédé Gilchrist (1878), qui permet d'épurer le minerai de fer lorrain
   trop phosphoreux. La machine `a vapeur est arrivée `a sa maturité. Les énormes progres de la
   mécanisation favorisent surtout l'industrie lourde et les débuts de la chimie. L'industrie
   textile évolue moins vite et sa part relative diminue.

   Autant d'éléments qui modifient le tissu industriel dans les années 1860-1880. De véritables
   régions industrielles se sont formées : le Nord, les foyers sidérurgiques autour du Creusot et
   de Saint-Étienne, ou les grands centres textiles que sont Rouen, Lille, Mulhouse, Roubaix,
   Tourcoing, Lyon... Le travail artisanal de type ouvrier reste cependant fort ancre dans les
   campagnes, et l'éparpillement des entreprises de petite dimension demeure la regle : encore en
   1914, 28 % des travailleurs de l'industrie exercent leur activité `a domicile ; il s'agit
   notamment du travail féminin des couturieres. Il convient donc de nuancer l'affirmation d'un
   essor, au reste incontestable, de l'industrie. Les régions méridionales restent
   sous-industrialisées, et l'industrie française souffre de ses structures encore
   traditionnelles que ne fait guere évoluer une bourgeoisie prudente.

   Grâce `a la voie ferrée se crée un marché national élargi qui privilégie les régions agricoles
   modernisées, c'est-`a-dire la France riche `a hauts revenus du Nord et du Bassin parisien. Des
   pôles unifient les marchés : la viande est traitée `a La Villette, le vin `a Bercy, tandis que
   les marchés de la laine sont centralisés `a Roubaix et ceux de la soie `a Lyon. D'une façon
   générale, Paris écrase les centres provinciaux. Durant les années 1870, les marchés et les
   foires traditionnels de province déclinent. L'avenement des formes nouvelles de
   commercialisation est ainsi consacré. Les grands échanges ne sont pas seuls `a subir des
   transformations. Dans le commerce de détail apparaissent sous le Second Empire les magasins de
   nouveautés, puis les grands magasins, dont le Bon Marché, fondé en 1852, reste le symbole :
   l'entrée est libre, le prix fixé sur l'étiquette interdit le marchandage, permet l'échange ;
   le bénéfice réduit sur chaque article est compensé par la masse des ventes, d'autant que les
   catalogues vont drainer une clientele nouvelle jusqu'au fond des campagnes : concurrence
   redoutable pour les boutiques et surtout pour le colportage.

  XXV.a.iii.     Les phénomenes cycliques.

   A la prospérité des premieres années du Second Empire succede une décélération sensible des
   1857-1860, violemment accentuée dans les années 1880 : le krach de l'Union générale en 1882
   donne le signal de faillites en cascade dans les entreprises et les banques d'affaires. La
   misere, le chômage et les conflits sociaux qu'illustrent les greves des mineurs d'Anzin en
   1884 ou de Decazeville en 1886 manifestent bien la présence de la crise. Le taux de croissance
   de l'industrie passe de 2,2 % `a moins de 1 %. L'investissement se ralentit nettement et la
   banque se détourne des prets `a l'industrie. L'agriculture, surtout, se contracte sous le
   double effet de crises internes, dont celle de la concurrence des pays neufs et celle de la
   vigne, due au phylloxéra, qui est la plus grave. Le commerce extérieur, enfin, subit un grave
   déclin : les années 1876-1879 voient le début du recul précipité de la France sur tous les
   marchés internationaux. Le libre-échange instauré en 1860 avait déj`a pénalisé certaines
   régions industrielles comme Rouen et Lille, mais le protectionnisme mis en place par Jules
   Méline en 1892 et surtout 1897 (la >> loi du cadenas <<) ne profite pas davantage `a une
   économie anémiée face `a la réussite anglaise et surtout allemande. Deuxieme puissance
   commerciale en 1860, la France est dépassée par l'Allemagne en 1871, puis par les États-Unis
   en 1878.

   L'économie française réussit cependant `a redémarrer vers 1896, et surtout `a partir de 1906.
   Jusqu'`a la guerre se développent des industries nouvelles de pointe ou la France brille
   particulierement : l'automobile grâce `a Panhard-Levassor, Peugeot ou les freres Renault, le
   caoutchouc chez Michelin, l'aéronautique, ou l'aluminium que favorise l'essor de
   l'hydroélectricité alpine. Les industries sidérurgique et textile restent cependant
   essentielles, et la place si importante de l'agriculture, qui accroît sa spécialisation
   régionale, demeure spécifique de l'économie française.

   A la veille de la guerre, l'économie française apparaît équilibrée, appuyée sur une monnaie
   forte et un potentiel considérable. Elle est pourtant menacée par des faiblesses de structure.

XXV.b.i.     Les mutations de la société

   La société française a connu, pendant ces décennies, des mutations capitales. Sans doute la
   France reste-t-elle majoritairement rurale (encore en 1911, les ruraux constituent 53 % de la
   population), mais l'urbanisation croît avec les débuts de l'exode rural. La population, de
   1841 `a 1913, est passée de 35 800 000 habitants `a 39 800 000. Mais, compte tenu de la perte
   de l'Alsace-Lorraine et du gain de Nice et de la Savoie, cet accroissement est du plus `a
   l'immigration qu'`a une natalité qui est en recul. Le taux de natalité passe en effet de 26 o/oo 
   en 1850-1855 `a 22 o/oo  pour la période 1891-1895, avant de descendre `a 20 o/oo, en 1900-1914. La
   mortalité reste cependant élevée jusque vers 1895. La stagnation démographique de la France
   est un fait majeur dans une Europe en pleine expansion.

  XXV.b.i.        L'importance du monde rural.

   La majorité des Français sont des ruraux. La date de 1850 marque en France l'apogée d'une
   civilisation rurale dont se figent les patois et les coutumes `a la veille de leur déclin.
   C'est le moment ou se fixent les paysages ruraux, ou prime encore la diversité des modes de
   vie, des habitudes culinaires, des parlers selon les régions. Sous le Second Empire débute une
   uniformisation progressive des comportements, mais, dans les années 1880, se produisent les
   ruptures qui accompagnent la conquete des campagnes par les républicains. Les effets de la
   route, de la voie ferrée, de la poste, l'allongement des migrations traditionnelles, comme
   celle des maçons de la Creuse vers la ville, désenclavent les campagnes et y font circuler de
   nouveaux modeles de vie et de pensée. L'exode rural peut etre considéré comme l'une des
   causes, mais aussi l'une des conséquences, de cette transformation. Les industries
   traditionnelles déclinent avec le départ des artisans. Le sentiment de précarité et de peur
   recule avec l'exode des plus démunis.

   La caserne et l'école paraissent deux éléments décisifs dans le recul des particularismes
   locaux. Ceux-ci s'estompent `a la fois dans les régimes alimentaires, dans les patois, dans
   l'utilisation des poids et mesures de l'Ancien Régime et meme le costume régional apres 1870 ;
   le modele urbain unificateur est diffusé par l'école et le service militaire ; la presse `a
   bon marché s'impose désormais. La vie politique dans les campagnes, amorcée sous la monarchie
   de Juillet ou le Second Empire, se fait plus active. De 1848 `a la III^e République,
   l'exercice du suffrage universel a permis le passage progressif de la docilité envers les
   notables `a l'émancipation démocratique. Dans les villages, les bustes de Marianne `a la
   mairie, les premiers monuments aux morts, apres 1871, font désormais partie intégrante du
   patrimoine rural.

  XXV.b.ii.       Croissance du monde ouvrier

    Si les paysans forment encore la majorité de la société française, les ouvriers s'y taillent
   une place grandissante. Ils forment un monde encore flou, ou l'artisanat joue toujours un rôle
   essentiel et ou ne s'affirme que dans certaines régions un prolétariat industriel urbain au
   sens strict. Le dénuement se rencontre, bien sur, dans la grande ville, mais il faut observer
   qu'avant l'industrialisation, en 1815, on y trouvait la meme proportion (70 %) de gens mourant
   sans laisser de succession. L'industrie rurale, textile ou métallurgique, reste tres
   importante en nombre, avec les ouvriers `a domicile. La nouveauté qu'apporte cependant la
   seconde moitié du 19^e siecle, c'est l'usine et sa discipline encore tres mal acceptée. Les
   mineurs de Carmaux, par exemple, restent tres liés au monde rural et s'absentent de la mine
   lors de la moisson.

   A la distinction entre ouvrier en milieu rural et ouvrier en milieu urbain, il faudrait
   ajouter encore bien des nuances entre l'ouvrier des grands centres urbains (Paris ou Lyon) au
   contact des classes moyennes, l'ouvrier de régions ouvrieres comme le Nord ou celui de centres
   isolés. Au sein meme d'une seule région, le milieu ouvrier reste extremement composite : vers
   1900, dans la région lyonnaise, on trouve aussi bien des artisans traditionnels (le gantier et
   le tisseur), des métiers de l'industrie moderne (le mineur et le métallurgiste) et des métiers
   de type tertiaire dont l'existence est entraînée par l'industrie (le cheminot, le garçon de
   magasin). Un milieu complexe donc et extremement  divers :   de   l'artisan  urbain 
   spécialisé,  instruit,  nourri d'un savoir-faire et d'une culture ouvriere et politique, `a
   l'ouvrier du textile rural, misérable souvent, il y a un monde.

   Il semble que le niveau de vie ouvrier durant la période s'est globalement élevé : l'ouvrier
   s'alimente mieux, mange plus de viande en 1900 qu'en 1850. Mais la vie ouvriere reste tres
   dure et elle est perçue comme telle. L'absence de toute sécurité contre la maladie, les
   infirmités de la vieillesse ou les accidents du travail (avant la loi de 1898), la longueur de
   la journée de travail et la fragilité de l'emploi donnent `a la condition ouvriere une extreme
   précarité. Le retard de la France en matiere de politique ouvriere aggrave la situation. Dans
   la période 1850-1914, seul le Second Empire eut une véritable politique ouvriere. Il faut
   attendre la fin du siecle pour assister `a l'apparition du >> remords social << au sein de la
   bourgeoisie française : témoin l'écho réservé `a l'encyclique pontificale Rerum novarum
   promulguée en 1891.

   La loi de 1884 (loi Waldeck-Rousseau) permet la formation de syndicats ; les fédérations de
   métier et les bourses du travail animées par Pelloutier s'unissent dans la Confédération
   générale du travail, fondée en 1895 mais vraiment unifiée en 1902 seulement. Les
   révolutionnaires ou >> anarcho-syndicalistes << y dominent, prônant la greve générale et la
   stricte séparation d'avec les partis politiques, comme le réaffirme la charte d'Amiens en
   1906. Les revendications ouvrieres (le repos hebdomadaire, la journée de huit heures, le
   salaire journalier de 5 francs) ne sont qu'imparfaitement entendues par le personnel politique
   républicain. Aussi l'ensemble des lois sociales votées avant 1914 reste-t-il tres en retrait
   sur la législation sociale de l'Allemagne. La loi sur les retraites ouvrieres et paysannes
   n'est adoptée qu'en 1910 et sa portée est limitée.

  XXV.b.iii.     Triomphe et diversité de la bourgeoisie.

   Les classes bourgeoises urbaines profitent le plus de l'enrichissement d'ensemble dont
   bénéficie inégalement la masse des Français. La répartition cependant n'est pas uniforme : la
   richesse bourgeoise est fortement concentrée sur le nord de la France, et avant tout sur
   Paris, capitale incontestée qui exerce sous le Second Empire une hégémonie héritée de l'Ancien
   Régime. Plus que de la bourgeoisie, il conviendrait de parler des bourgeoisies. L'époque voit
   le déclin des notables traditionnels, surtout dans la vie politique. Ils gardent pourtant un
   poids local, voire régional dans des régions de grande propriété, ils sont présents dans la
   haute fonction publique et parfois dans les milieux d'affaires. Unis par le patrimoine des
   humanités classiques, un ensemble de relations sociales et l'influence que donne la propriété,
   les notables sont eux-memes une réalité contrastée, du grand notable `a envergure nationale au
   notable rural.

   De nouvelles bourgeoisies viennent concurrencer les positions acquises par les notables. Sous
   le Second Empire, la grande bourgeoisie d'affaires, enrichie par le négoce et la banque, prend
   son véritable essor, fondée sur un type de fortune ou s'accroît la part des avoirs mobiliers,
   surtout apres 1881, et des valeurs boursieres. De meme, la part des fortunes liées `a
   l'entreprise industrielle augmente notablement. Avec la III^e République triomphent la bonne
   bourgeoisie des talents, avocats en renom ou médecins célebres, ingénieurs, et une nouvelle
   aristocratie républicaine de hauts fonctionnaires. Apres la crise du 16 mai 1877 a lieu,
   certes, une certaine démocratisation du personnel dirigeant et la montée des provinciaux. Tous
   ou presque restent cependant issus de la petite ou moyenne bourgeoisie et rares sont les
   hommes vraiment nouveaux. La bourgeoisie est de plus en plus constituée d'héritiers, unis par
   une meme conception de la société. En dessous se déploie l'infinie variété des classes
   moyennes, du petit commerçant `a l'employé, du fonctionnaire au petit rentier, voire `a
   l'artisan. Ces classes moyennes, les >> couches nouvelles << dont Gambetta célébrait l'avenement
   (voir document XXV.a.), partagent souvent avec la bourgeoisie des valeurs communes : l'ardeur
   au travail (les rentiers oisifs qui n'ont véritablement jamais travaillé sont rares), le sens
   de l'épargne, l'attachement `a la propriété et `a l'ordre. Un certain mode de vie caractérise
   aussi la bourgeoisie et la frange supérieure des classes moyennes : l'emploi au moins d'un
   domestique - en 1881, il y a 1 200 000 domestiques en France -, l'usage d'un salon ou l'on
   reçoit et ou la jeune fille de la maison joue du piano.

XXV.c.       Diversité et richesse de la vie culturelle

   La rapide analyse des catégories sociales, si mouvantes et si floues, qui composent la société
   française dans la seconde moitié du 19^e siecle ne rend guere compte d'une infinie diversité
   politique, religieuse, sociale, régionale. Cette diversité est aussi culturelle. La III^e
   République, profondément pédagogue, permet une certaine démocratisation de la culture, grâce
   `a l'école : le premier éditeur de l'époque n'est-il pas Hachette, éditeur de livres scolaires
   ? Encyclopédies et dictionnaires se multiplient ; est ainsi mise `a la disposition du grand
   public une culture centrée sur la patrie et la construction, aussi nécessaire qu'irrésistible,
   de la nation française autour de la date phare de 1789. La >> petite presse << bon marché et `a
   tres gros tirages - le Petit Journal, le Petit Parisien, le Matin et le Journal tirent `a eux
   quatre `a 2 400 000 exemplaires vers 1900 - et la presse locale, enfin, répandent partout un
   modele unificateur.

   Apres la disparition de la génération romantique, dont Victor Hugo, poete national, demeure le
   témoin, et apres l'échec de 1848, s'ouvre l'ere du réalisme et du naturalisme, de Flaubert `a
   Zola. La littérature se met `a l'écoute d'un temps dominé par le culte de la science et du
   fait positif. Les poetes exaltent l'art pour l'art, menent des créations originales, de
   Baudelaire `a Verlaine et Rimbaud. Le grand public, pour sa part, affectionne le roman
   populaire, le théâtre de boulevard, l'opérette. Face `a l'académisme qui domine l'art
   officiel, l'oeuvre de Manet marque un tournant et ouvre la voie aux recherches des >>
   impressionniste <<, ainsi nommés par référence au titre d'une oeuvre de Monet présentée `a
   l'exposition de 1874 : Impression, soleil levant.

   Peu `a peu, les audaces des impressionnistes et de leurs successeurs, qui, de Cézanne aux
   cubistes, proposent un nouveau type de représentation, sont acceptées. Mais de nouvelles
   avant-gardes brillent de tous leurs feux dans les années qui précedent la guerre, avec la
   création du Sacre du printemps de Stravinski le 29 mai 1913, les oeuvres d'un Picasso, le
   groupe de la Nouvelle Revue française. La période de l'entre-deux-guerres va voir ces
   créations s'imposer `a leur tour. C'est au début du siecle aussi que naît une forme nouvelle
   d'art appelée `a un destin prodigieux : le cinéma. Paris, >> Ville Lumiere <<, connaît un
   rayonnement mondial dans le domaine des arts et de la culture. Une part de la création
   intellectuelle participe de la mise en cause, `a partir de la fin du siecle, des valeurs de la
   science et du rationalisme, et revient aux valeurs nationales et religieuses, avec Barres,
   Claudel, Péguy.