Le Manifeste du Groupe du Lundi (1937) Le 1^er mars 1937, est publié le Manifeste du Groupe du Lundi. Ce texte concis de six pages va etre associé `a un tournant dans le débat identitaire : il marquerait la fin définitive d’une « littérature belge de langue française » en tant que littérature nationale francophone et inaugurerait l’ere de « la littérature française de Belgique ». Apres guerre, il n’y a pas d’édition importante en Belgique ni d’institution littéraire `a laquelle on puisse se référer, qu’elle statue sur la condition d’écrivain ou promeuve l’avant-garde ; l’Académie de Langue et de Littérature, qui s’est créée en 1921, consacre les traditionnelles valeurs françaises. Michaux s’exile en France ; certaines revues s’annexent idéologiquement `a la France en espérant atteindre ainsi le prestige littéraire. C’est le cas de Franz Hellens et de Charles Plisnier. Le groupe du Lundi est ainsi nommé parce qui rassemble des écrivains qui, entre 1936 et 1941, le premier lundi de chaque mois, se réunissent dans un restaurant bruxellois. Ces écrivains sont Franz Hellens (l’initiateur du groupe), Pierre Hubermont (écrivain prolétarien) et Robert Poulet (un des intellectuels les plus en vue de l’entre-deux guerres et qui deviendra bien vite le théoricien du groupe). Le rôle de secrétaire est assuré par Arnold de Kerckove (critique). Ils se croient l’élite littéraire du moment mais ils sont constitués de membres (élus par cooptation) représentants un ensemble assez hétérogene d’âges et de tendances socioculturelles que réunissent l’amitié et la considération (donc pas de projet littéraire bien défini). Plisnier lui-meme en parle de façon quelque peu ironique : il dénomme le groupe de « Syndicat des grands hommes ». Le groupe fera l’objet de critiques et certains s’interrogeront `a son propos : « Quels étaient ces gens qui prétendaient restaurer dans les lettres de ce pays, les valeurs de création et de critique ? Ces valeurs se trouvaient-elles menacées ? » Le groupe intervient donc dans le débat autour de la définition d’un modele littéraire légitime. Il se profile comme garant et dépositaire d’une qualité littéraire et critique `a rétablir en Belgique. On distingue plusieurs parties dans le Manifeste. La premiere pose la question suivante : « Qu’est-ce que les Lettres belges ? » Pour le Groupe du Lundi, le concept de « littérature nationale » constitue une « erreur radicale ». De l`a, découle une critique d’un état d’esprit particulariste et du groupe Jeune Belgique Il est finalement « absurde de concevoir une histoire des lettres belges en dehors du cadre général des lettres françaises ». Il est toutefois important de comprendre que cette revendication est envisagée comme élément discursif, parmi d’autres, enchâssé dans le texte du Manifeste, et non comme enjeu prioritaire du groupe des signataires. La question du régionalisme est aussi abordée. Si le régionalisme au sens large s’inspire d’un lieu déterminé pour donner naissance `a des œuvres « parfaitement viables sur le plan universel », sa variante négative, le régionalisme étroit, ne peut jouer qu’un rôle d’ « exercice préparatoire, `a la limite de l’art et du folklore ». Or, comme l’esthétique particulariste est érigée en idéal en Belgique, la « prédilection pour le régionalisme au sens étroit est sans contredit une des anomalies qui empeche notre littérature de revetir l’aspect qui lui convient et de tenir la place qu’elle mérite au sein des lettres françaises. » « L’art nouveau a permis `a beaucoup d’entrer dans les courants européens, de dépasser les cadres étroits des frontieres régionales ou se complaisent tant de nos littérateurs. » (G. Linze, La vie du littérateur) Il y a jusque l`a une assimilation entre littérature nationale et régionalisme. Il faut en effet reconnaître que l’Académie (constituée des anciens Jeune Belgique et leurs successeurs) prône « le patriotisme et le régionalisme » et leur esthétique réaliste comme « valeurs cardinales ». En revanche, avec les Lundistes, on est face `a cette volonté de rendre `a la littérature « sa naturelle ambition d’universalité ». Les nouveaux modeles doivent réserver une plus large part `a l’imagination, aux problemes psychologiques et sociaux. Par ailleurs sont aussi prises en compte les questions suivantes : § la condamnation du dilettantisme littéraire (et, par l`a, professionnalisation de la figure de l’homme de lettres), § réclamer une instance de consécration critique : en 1910, la revue Le Livre ouvre une consultation visant `a mettre en évidence les carences de l’institution critique, notamment `a travers le systeme des services de presse. Parmi d’autres membres du personnel interrogé, Franz Hellens se montre déj`a insatisfait de l’activité des critiques nationaux, peu professionnalisés et trop enclins `a signaler exclusivement les productions françaises ; Petit `a petit, les Lundistes entreront `a l’Académie (Plisnier en 1937, Gevers en 1938, Thiry en 1939, etc.). Avec le passage du temps et la succession d’une génération `a l’autre, les remous autour du régionalisme disparaîtront graduellement. Dans les années suivant le Manifeste, Robert Poulet surtout poursuit son opposition `a ce qu’il appelle alors le « réalisme social », qu’il considere comme asservi `a la cause prolétarienne. Cette opposition est liée au glissement idéologique de l’écrivain, qui finit par soutenir les projets fascistes. En 1958, Marcel Thiry, dans l’entreprise de Hanse et Charlier (L’Histoire illustrée des lettres françaises de Belgique), dit que les Lundistes sont devenus les représentants de « la génération contemporaine » qui, « en condamnant le régionalisme », voulaient « proposer une orientation nouvelle ». Ce manifeste est signé par vingt et un écrivains dont ,entre autres, Marie Gevers, Charles Plisnier, Pierre Hubermont, Robert Poulet, Marcel Thiry, René Verboom, Robert Vivier, Michel de Ghelderode, Eric de Hauleville, Franz Hellens (le nouveau « maréchal des lettres belges »). La signature individuelle rompt avec le « nous » d’une signature au nom du collectif, propre au genre du manifeste.