X. Le roman policier : Simenon et Steeman 10.1. Stanislas-André Steeman (1907-1970) Il va jouer un rôle important dans l'émergence du roman policier tant en Belgique qu'en France. En effet, il va contribuer `a différencier le roman policier français Apres des débuts dans le journalisme, il connaît son premier grand succes en 1930 avec son premier roman policier Six hommes morts. L’œuvre la plus connue de cet auteur est L’assassin habite au 21 (adapté au cinéma en 1942 par H.G. Clouzot). Cette intrigue étincelante, diaboliquement ficelée, brillamment démontée par un héros dont la sagacité nous laisse sans voix (dans la tradition des récits d’Arthur Conan Doyle ou d’Agatha Christie) marque la transition avec un univers assez différent, celui de Simenon. 10.2. Georges Simenon Il ne s’est jamais posé la question de son identité belge ou autre d’ailleurs (il a refusé les nationalités française et américaine). La question meme de son éventuelle « belgité » apparaît tres peu dans son œuvre, ainsi que dans le discours critique porté sur elle, comme si cette problématique n’était pas pertinente. Pour les Wallons, les Liégeois en particulier, l’appartenance de Simenon `a nos lettres est chose évidente mais rien ne l’est peut-etre moins. Il est difficile, en effet, de l’inclure dans l’un ou l’autre groupe qui domine la scene littéraire de l’entre-deux guerres : il n’a rien `a voir avec les surréalistes rien non plus avec les « intellectuels » francophiles qui, sous la houlette de Franz Hellens, militeront en faveur d’un mythique libre-échangisme entre Belgique et France. Alors qu'il est jeune journaliste, il part `a Paris en novembre 1922. Pour y imposer un nom ? plutôt pour échapper `a son milieu, `a sa mere surtout. Pour donner sa chance `a sa femme, Régine, qui peint et que fascine la capitale française. Caractéristiques générales Grande ressemblance de tous ses romans : § meme cadre (ville de province ou tout le monde surveille chacun, ou l’opinion publique est toute puissante) § memes personnages (mere possessive, pere faible, épouse dominatrice, étranger en mal d’insertion, « raté » prenant conscience de son échec) § memes situations (cellules familiales déséquilibrées, structures sociales rigides) § memes comportements (recherche d’une promotion compensatoire, relations de substituts gratifiantes, régression, fuite, marginalisation). Série des Maigret et des roman « durs » (ou « psychologiques », ou « romans-romans ») : les événements sont racontés par un narrateur extérieur au monde fictif et ils apparaissent dans la perspective du personnage principal. Ce narrateur n’en sait jamais plus que ses personnages. Syntaxe classique, sobriété du vocabulaire. Personnages solitaires et angoissés qui ont sans cesse l’impression de ne pas « etre `a leur place ». Soit il n’est pas intégré dans le groupe et il en souffre, soit il y suffoque, et c’est une autre forme de souffrance. Un point commun : le sentiment d’humiliation. Pour modifier la situation, deux processus peuvent etre engagés : tentative d’intégration ou de rupture. Maigret : personnage particulier qui ne se fie qu’`a son intuition et n’arrete pas toujours les coupables (ce qui fait dire `a M.Quaghebeur que Maigret ne croit pas au sens de l’histoire). Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le pourquoi de l’acte criminel. Il faut connaître non tant l’emploi du temps du suspect le jour du crime que son passé, que les derniers événements susceptibles d’avoir bouleversé ses habitudes. XI. La littérature fantastique Surtout depuis la renaissance des lettres en 1880 qui est `a l’origine de la prise de conscience de soi et depuis le symbolisme qui a mis en évidence cette propension des Belges `a regarder le monde avec des yeux différents, `a en chercher les aspects inconnus, la Belgique se croit par essence représentative du genre fantastique. Comme le dit Jean-Baptiste Baronian : J’ai ainsi la conviction que quelques-unes des écrivains belges les plus importants sont tous des fantastiqueurs (le mot n’est pas un mauvais néologisme ; il a été inventé parThéophile Gautier en 1830 !). Je pense `a Franz Hellens (aux premiers Hellens), `a Michel de Ghelderode, `a Jean Ray, bien entendu, `a Marcel Thiry. […] De la meme maniere, je pense que l’écrivain belge le plus marquant et le plus inventif de ces trois dernieres décennies est, lui aussi, un vrai fantastiqueur. C’est Jean Muno.[1] Jean Ray initie ce que l’on aura coutume d’appeler « l’école belge de l’étrange » et qui se poursuivra apres la seconde guerre mondiale avec Thomas Owen (La cave aux crapauds en 1945). 11.1. Essai de définition Rappelons brievement les idées générales de Tzvetan Todorov touchant au fantastique. Ce genre, apparu pour l’essentiel au début du XIX^eme siecle, est caractérisé par l’incertitude d’un choix `a faire entre l’explication rationnelle et l’explication surnaturelle d’un phénomene surprenant, suscitant souvent la peur, au sein d’un univers apparemment normal. Cette peur peut venir d’une transgression de tabou (la limite entre vie et mort dans Frankenstein et Dracula) ou d’un pur fantasme, d’une angoisse imaginaire (Le Horla ou La Métamorphose). Elle est la trace d’une frayeur primitive de l’homme isolé parmi des éléments hostiles et inquiétants que son ingéniosité et son intelligence ont permis de maitriser au fil des siecles mais demeure un résidu irrationnel de cette peur ancestrale. Outre cette composante « peur », il faudra retenir cette définition de Todorov qui met en exergue cette notion essentielle de tension entre forces contradictoires de rationalité et d’irrationalité. Remarquons au passage que cette tension naît de la narration et non de la fiction, du traitement du theme et non du theme lui-meme. : Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un etre qui ne connaît que les lois naturelles, face `a un événement en apparence surnaturel.[…] il y un phénomene étrange qu’on peut expliquer de deux manieres, par des types de causes naturelles et surnaturelles. La possibilité d’hésiter entre les deux crée l’effet fantastique. […] Le fantastique occupe le temps de cette incertitude.[2] Remarque sur les deux formes connexes du fantastique que sont le merveilleux et la science-fiction. § Science-fiction et fantastique La frontiere entre ces deux genres est claire mais elle est souvent transgressée. La science-fiction (S.F.) qu’on appelle aussi littérature d’anticipation veut établir un monde nouveau au départ d’hypotheses rationnelles de type scientifique ou pseudo-scientifique. Dans la S.F., on ne rencontrera pas l’ambiguité entre plusieurs solutions, l’érosion des évidences. § Merveilleux et fantastique La séparation entre F. et merveilleux est plus délicate. Certains auteurs pensent meme que le F. est une évolution du merveilleux. Pourtant il y a des différences importantes entre ces genres. Dans le merveilleux, l’univers féerique s’ajoute au monde réel sans lui porter atteinte ni en détruire la cohérence. Le merveilleux accepte d’emblée l’irréalité et inscrit son action dans ce cadre marqué des le départ par la formule : « Il était une fois…». Le surnaturel n’a rien d ‘épouvantable puisqu’il constitue la regle de cet univers : le surnaturel est l’ordre (ou l’absence d’ordre) des choses). Les personnages insolites qui apparaissent dans le merveilleux sont considérés sans étonnement puisque nous savons que nous sommes dans un monde différent du nôtre et accepté comme tel. Ainsi apparaissent des fées, des licornes, des dragons ; on y trouve des baguettes magiques, des génies, des talismans,… Mis `a part ces caractéristiques particulieres, les actions, nombreuses, se déroulent selon une logique imparable. Au contraire, dans le fantastique, le surnaturel apparaît comme une rupture de la cohérence du réel. L’impossible survient dans un monde d’ou l’impossible est exclu par définition. D’ou une seconde opposition : alors que les contes de fées ont volontiers un dénouement heureux, les récits fantastiques se déroulent dans un climat d’épouvante et se terminent souvent par un événement sinistre. C’est pour ça qu’il apparaît apres le triomphe de la conception scientifique. Si le prodige fait peur, c’est que la science le bannit et qu’on le sait inadmissible et mystérieux (>< pas de mystérieux dans le merveilleux). Cela peut etre traduit par le schéma suivant : Événement d’apparence surnaturelle MERVEILLEUX 11.2. Rapport avec la Belgique C’est dans la caractéristique de mise `a distance par rapport au monde réel saisi dans sa dimension historique, sociale et politique que pourrait se comprendre le gout belge pour le fantastique : la confrontation au réel, `a la prise en considération de sa propre histoire a souvent fait probleme aux écrivains belges. Comme le dit Marc Quaghebeur : Ce domaine prolifere l`a ou prédomine la déshistoire et le non-lieu. L’imaginaire n’a plus `a s’investir dans le réel ni `a animer une concrétude désormais réduite `a la platitude.[3] On peut voir aussi cette prolifération du fantastique chez les écrivains belges comme l’unique tentative possible de concurrencer leurs collegues français, dans l’exploration d’un « sous-genre » méprisé par le milieu littéraire parisien (idem avec le roman policier et la bande-dessinée). « Décentrement esthétique », comme l’appelle Biron. Possibilité d’innover et de se faire un nom `a moindre frais. Rappelons en effet qu’`a cette époque, le « grand » roman est dominé par Gide, Paulhan, Martin du Gard, Rolland, etc. Le genre fantastique est toutefois certainement moins mal vu que le genre policier. Mélusine de Hellens montre cet oscillation entre les avant-gardes modernistes et l’écriture fantastique… Autre explication de cette propension au fantastique chez les Belges, avancée par Baronian : Il faut tenir compte du fait que la littérature belge d’expression française n’existe, en fait, que depuis l’époque symboliste, et qu’il y avait déj`a dans le symbolisme toute une propension au reve, `a l’irrationnel. Cela se situait autour de 1880-1890. Je pense que c’est un premier élément d’explication. Alors qu’en France, on rencontre une littérature d’analyse, de rigueur,; le Belge s’est volontiers, consciemment ou non, tourné vers une littérature du surnaturel, parce qu’en France, apparemment il n’y en avait pas. En bref, les éléments susceptibles d’expliquer le succes du fantastique dans nos contrées : § l’intéret pour l’irrationnel et le surréel, ainsi que le développement du symbolisme au moment ou émergent les lettres belges § la non-existence d’une identité nationale et culturelle, qui ne permet pas d’ancrer la pratique littéraire dans un environnement signifiant § la connaissance des littératures germaniques tres imprégnées du fantastique. § le gout des formes breves (aphorismes, contes, nouvelles, poemes) qui se pretent bien `a ce genre…[4] § l’essence du fantastique est l’obsession du questionnement identitaire. Toute la littérature fantastique repose sur cette question récurrente : qui suis-je ? qui est en face de moi ? quelle est ma place dans ce monde ? comment puis-je me définir par rapport `a l’autre ? On comprend mieux alors la prédilection belge (la Belgique, pays en quete de racines et d’identité) pour ce type de littérature… 11.3. Structure du fantastique Dans un cadre réaliste interviennent des éléments mystérieux. Ceux-ci reçoivent une explication, souvent explicite et toujours volontaire, sans que cela fasse basculer l’univers entier dans le fantastique, mais en permettant l’introduction logique, dans le quotidien, d’éléments irrationnels. Le rôle du lecteur, dans sa perception des événements, par son identification `a l’un des personnages du récit, est un élément essentiel du bon fonctionnement de cette logique narrative. Le fantastique n’offre pas au lecteur des faits liés au surnaturel mais une représentation du quotidien dans laquelle survient quelque chose qui perturbe le train de vie normal. L’imaginaire et le réel se mélangent et laissent le personnage dans l’indécision, dans l’impossibilité de choisir entre une explication naturelle ou surnaturelle. Donc trois temps : - récit réaliste qui appâte le lecteur, situé dans la banalité quotidienne (le héros est souvent sans visage, ni corps : l’identification lecteur/protagoniste est rendue plus aisée) mais ou se glissent déj`a quelques éléments étranges. - coup de théâtre qui cristallise les doutes du lecteur (événement monstrueux qui plonge le héros/lecteur dans une émotion violente qui l’empeche de réagir avec logique). - une fois le lecteur déstabilisé, il faut lui proposer un autre systeme de référence, basé sur des croyances ancestrales, de nouvelles mythologies ou un autre rapport au réel. Ces trois temps peuvent se retrouver dans une grille structurée en 6 étapes : introduction, avertissement, transgression, aventure, peur, conclusion. Ces mouvements peuvent etre illustrés par la nouvelle de Jean Ray, Le Tableau (cf. texte). 1. Introduction : - le narrateur explicite éventuellement pourquoi et comment il est amené `a raconter l’aventure qui lui est arrivée, `a lui ou `a un de ses proches, ou dont il a été témoin. - il introduit l’événement étrange en racontant ce qui l’a précédé et qui reste dans le domaine réaliste. - le héros n’a aucun soupçon de ce qui va lui arriver, il n’a pas peur car son aventure commence de maniere banale et ne comporte que de petits faits insolites et isolés. 2. Avertissement : début de l’action fantastique. - le héros se met en action et quelqu’un ou quelque chose l’avertit qu’il ne doit pas continuer ce qu’il projette d’entreprendre. - il peut etre intrigué par l’avertissement mais généralement il s’en moque. 3. Transgression : - le héros ne tient pas compte de l’avertissement et accomplit ce qu’il désirait. - ces séquences peuvent etre répétées comme dans les contes. 4. Aventure : - parce qu’il n’a pas tenu compte de l’avertissement, le héros va se trouver entraîner dans une aventure. - parfois, entre la transgression et le cœur de l’aventure, il y a un moment ou le héros ne considere pas encore ce qui lui arrive comme inexplicable. Toutefois, dans ce cas, de petits faits étranges (de plus en plus de faits, de plus en plus étranges) peuvent se produire, mais ils n’effraient guere le héros. Tout au plus commence-t-il `a etre intrigué. - tout `a coup un événement fantastique et inexplicable se produit. Et `a partir de cet instant, des choses de plus en plus fantastiques arrivent au héros, ou bien le meme événement se répete, parfois de plus en plus fort, sans que le héros ne puisse jamais expliquer ce qui lui arrive. 5. Peur : liée `a l’événement étrange qui arrive tout `a coup. - la peur saisit le héros brutalement et de plus en plus fort, jusqu’au sommet. - s’il y a répétition d’événements étranges, le héros tente de se raisonner entre les diverses manifestations d’étrangeté. Mais sa peur augmente, malgré qu’il se persuade que ce qui lui arrive n’est pas possible et qu’il n’aura plus peur, jusqu’`a ce que la peur triomphe. - cette panique est abondamment décrite par le héros. 6. Conclusion : - marque la fin de l’événement fantastique par fuite du héros, syncope ou autre procédé. Il reste cependant une trace attestant la réalité de l’événement. Le héros lui-meme est parfois marqué par une malédiction ou meurt. On peut accompagner ce schéma de deux postulats de base : 1° le fantastique suppose une transgression du principe de non contradiction. On ne va plus respecter la frontiere entre dedans et dehors, hier et aujourd’hui, mort et vivant, animé et non-animé, reve et réalité. 2° il y a toujours une question de regard sur les choses ou les etres, lié `a une fascination ou `a un étonnement, voire `a une peur. 11.4. Lecture du conte Le Tableau de Jean Ray Le lexique frappe surtout dans cette nouvelle extraite de Les Contes du whisky (1925). Des le premier paragraphe, les répétitions et les redondances abondent : « cinq mille hommes », « cent douze suicides », « neuf crimes », « d’innombrables faillites », « cent mille malédictions », comme si le langage voulait mimer l’accumulation des richesses par l’usurier, liée `a l’exces de sa rapacité et de sa dureté. On trouve ces répétitions systématiques et le champ lexical auquel elles appartiennent. Par exemple, les champs lexicaux du ciel et de l’enfer, du sang, de la peur. Ex : la description du tableau (« sortant d’un lointain vague, nuageux, d’un lointain d’orage, de nuit et de flammes ») fait écho `a la mort meme du peintre (« dormant de l’éternel sommeil dans l’haleine terrible d’un réchaud de charbons ardents » ). Esthétique du trop-plein mais avec des liens qui se tissent d’une image `a l’autre : c’est ce qui définit l’esthétique baroque de Ray. La peur reste d’ailleurs chez lui un moteur clé de l’action, regorgeant de fantômes, de créatures de l’au-del`a présentés avec force redondances. La syntaxe fantastique est parfaitement respectée. L’avertissement est le titre meme du tableau, Vengeance, et la transgression est « le défi `a l’enfer ». Quant `a l’étape de la peur, elle occupe une place prépondérante, dans une gradation en trois étapes toujours plus prenantes. Le type de narration est bien choisi : un narrateur extérieur était nécessaire pour pouvoir relater la mort et l’accomplissement de la vengeance, mais l’idée d’en faire un confident forcé renforce le climat d’horreur. Les « intérets meurtriers » du début de l’histoire prennent ainsi tout leur sens, d’autant que c’est le confident qui, par sa suggestion, fait apparaître l’arme du crime et devient ainsi le complice objectif du peintre mort. La thématique de l’œuvre d’art qui s’anime renvoie au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. 11.5. Les auteurs belges fantastiques. Quelques noms : Franz Hellens, Michel de Ghelderode, Jean Ray, Marcel Thiry, Thomas Owen, Jean Sternberg, Jean Muno, Richter, Jean-Baptiste Baronian. Des traces de fantastique sont bien décelables chez Lemonnier, Eeckhoud, chez Rodenbach ou chez Maeterlinck puisqu’on y joue avec le surnaturel et le surréel mais ces auteurs ne se sont pas reconnus comme fantastiqueurs. Le premier auteur `a revendiquer nettement cette appartenance sera Franz Hellens. Ses titres : Réalités fantastiques (1923), Nouvelles réalités fantastiques (1941). Il se situe bien dans le cadre strict d’un fantastique surgissant au sein d’un réel, dont il montre simplement l’exacerbation de certains traits déroutants, perçus par "l’imagination poétique" de la sensibilité artistique ou inspirés par la réminiscence des reves. C'est le "fantastique réel". A la meme époque, une veine fantastique tres différente est suivie par son exact contemporain : Jean Ray (1887-1964). Sans lui, on ne parlerait pas d’école belge du fantastique. Autant Hellens colle au réel dont il scrute les infimes décalages, autant Ray joue dans l’exces et le baroque. La peur est sans cesse présente, étreignant des héros confrontés `a des mondes intercalaires terrifiants (réminiscences anglo-saxonnes et allemandes). Il serait plus proche de cette esthétique du « gore », ce récit d’horreur qui provoque la peur par accumulation d’effets sensationnalistes (dans la lignée du roman gothique). Aller vers la reverie poétique et l’allégorie nous place aux frontieres du genre. On est l`a dans ce qu’on appelle le réalisme magique. Le fantastique naît du quotidien et se fonde sur la transgression du principe de non-contradiction, mais cette transgression rappelle au narrateur et au lecteur qu’il y a coexistence entre deux univers, deux ordres du monde. Alors que le réalisme magique est un courant littéraire qui repose sur un principe de syncrétisme totalisateur, d’unité, de fusion. Il repose aussi sur des postulats de type métaphysique ou sacré, lesquels sont moins explicites dans le fantastique qui est davantage de l’ordre du jeu. Les récits fantastiques fonctionnent plutôt comme de pures fictions romanesques alors que le réalisme magique développe d’autres ambitions, souvent fondées sur une approche tres subjective du réel. Le fantastique « traditionnel » reçoit ce réel comme un donné parfois perturbé par des forces extérieures […], alors que le réalisme magique procede d’une vision, d’une appréhension particuliere du réel. En somme, le fantastique existe par référence `a un consensus collectif sur la nature de la réalité, tandis que le réalisme magique instaure une perception plus subjective du monde.(Raymond Trousson) XII. La bande dessinée 12.1. Définition et anatomie de la bande dessinée La BD peut etre définie « comme une forme d’expression narrative suggérant le déroulement d’une histoire au moyen d’une succession d’images fixes organisées en séquences, au service de la reproduction »[5]. Les amateurs s'entendent sur un certain nombre de mots et de définitions pour décrire les différents éléments dont sont composés les bandes dessinées. § la case est une vignette contenant un dessin § le strip (de l'anglais : « bande ») ou bandeau est une suite de cases, disposées sur une ligne § la planche est un ensemble de cases, souvent disposées sur plusieurs lignes. On applique généralement le mot planche au document original. L'auteur numérote souvent sa planche discretement dans un coin de celle-ci. La numérotation des planches n'est pas nécessairement égale `a la numérotation des pages de l'album dans lequel elles paraîtront[6]. § les bulles ou phylacteres sont des textes intégrés aux vignettes, destinés `a la transcription des dialogues des personnages de l'histoire. Les bulles sont souvent rondes (d'ou leur nom) et parfois rectangulaires. Pour les pensées, elles ont souvent une forme de nuage. La « queue » de la bulle désigne le personnage qui parle. § les récitatifs sont des panneaux généralement situés au bord des vignettes et servant aux commentaires en « voix off », notamment pour donner des indications de temps et de lieu (« Au meme instant `a Moulinsart... ») ou pour fournir des informations permettant une meilleure compréhension de l'action. § un album est un recueil de planches qui peuvent appartenir `a une meme série, `a un meme auteur, ou `a un meme theme (albums collectifs). On parle typiquement d'album pour les recueils cartonnés et reliés dans un format proche du A4, on qualifie souvent les albums plus petits et reliés par des agrafes de comics (de comic book). § Une série est un ensemble d'albums reliés par un theme ou un personnage, parfois dans un ordre chronologique. 12.2. Légitimité du genre La bande dessinée a longtemps été considérée comme un genre mineur, réservé aux enfants et aux adolescents – les détracteurs la présentaient comme une « nuisance organisée »[7]. Aujourd’hui au contraire, elle est volontiers nommée le 9^eme art (l’expression apparaît sous la plume de Morris – le créateur de Lucky Luke – dans le journal Spirou) et elle semble etre légitimée. Par exemple, la poste des Etats-Unis a, en 1996, présenté une série de timbres `a l’effigie des héros des comics strips pour illustrer le centenaire du genre. Des conférences, des études spécialisées sont consacrées `a la BD. Par exemple, Umberto Eco (sémiologue, auteur entre autres du roman Le Nom de la Rose), ardent défenseur du 9^eme Art, s’intéresse au Schtroumpfs (Kant et l’ornithorynque, Grasset, 1999). La Bibliotheque nationale présentait sur son site internet un document présentant les ancetres de la BD. 12.3. Apports belges[8] La Belgique francophone ne peut se targuer d'avoir inventé la bande dessinée[9]. Cependant on peut lui dire qu'elle a doublement marqué la création de l'entre-deux-guerres. Par un auteur d'abord, Hergé, pere d'une œuvre Les aventures de Tintin, série lancée en 1929 et désormais entrée dans notre imaginaire collectif occidental. Par une revue ensuite, Spirou, lancée par Jean Dupuis en 1938 qui a eu l'audace de croire en la bande dessinée `a une époque ou elle n'était pas encore `a la mode et de persister en sa croyance jusqu'`a aujourd'hui[10]. Ces deux événements montrent tous deux les prédispositions toutes belges `a animer le terrain de la création de la bande dessinée. Alors qu'en France, le poids de la culture nationale se faisait sentir dans le champ scolaire et extrascolaire, et entraînait une plus grande résistance `a l'égard des plaisirs de l'image et de l'enfance "inculte", la Belgique offrait un espace de liberté et d'ouverture qui pouvait se créer dans un pays moins soucieux de préserver une tradition culturelle prestigieuse et qui lui permettait d'explorer des genres non canonisés, tels que bande dessinée mais aussi roman policier, littérature fantastique, chanson, etc. Par ailleurs, les premiers récits hergéens comme la revue Spirou sont imprégnés d'un fort conformisme moral : leur bande dessinée s'adresse `a la jeunesse appartenant souvent `a un des nombreux mouvements de l'action catholique ou qui gravite autour d'elle. Rappelons ici l'importance qu'a eu le scoutisme dans la vie d'Hergé. Il fera d'ailleurs dire un jour `a Tintin : "Je suis un journaliste qui a l'esprit boy-scout." Quant au journal Spirou, il lance des 1938 un Code d'honneur des Amis de Spirou qui est une parfaite illustration de l'esprit boy-scout chrétien qui domine alors la BD belge. Enfin, la revue de Marcinelle[11] comme le dessinateur bruxellois[12] des aventures de Tintin contribuent chacun significativement `a l'émancipation formelle du genre. Ainsi des Tintin au pays de Soviets, premiere aventure du petit reporter tres marquée par un anticommunisme primaire, Hergé modifie les rapports graphiques et narratifs du texte et de l'image, qui jusqu'alors favorisaient le texte au détriment de l'image. Ils subissent en cela l'influence des comics américains. Hergé déclara un jour : "Je crois que les Américains m'ont influencé (…) Et une des qualités essentielles des bandes dessinées américvaines, comme d'ailleurs du cinéma américain me paraît etre sa grande clarté. En général les Américains savent raconter une histoire meme si c'est une cornichonnerie…" L'influence américaine est également a joué dans la création du journal Spirou: en 1934 est créé Le Journal de Mickey qui révolutionne le monde des revues de BD belges : format hors norme, matériel exclusivement américain, renouvellement des habitudes fictionnelles et narratives (introduction systématique des bulles dans les cases), couleur dans la moitié de la pagination. Spirou comprend l'attrait qu'une image "spectacularisée" peut exercer sur le lecteur et l'adopte. Mais la revue belge adopte non seulement la forme du journal américain mais également le contenu puisqu'elle publie, dans ses pages, des séries essentiellement américaines. La période de la guerre 40-45 va avoir un effet bénéfique sur l'essor de la BD belge francophone. En effet durant cette période disparaissent les grandes séries étrangeres, et surtout américaines[13] : la production locale des lors s'active. Chez Spirou, Jijé va devoir jouer les dépanneurs pour de nombreuses séries (notamment Spirou et Fantasio reprise ensuite par Franquin) et va ainsi révéler son talent. Jijé accueille de nouveaux talents au sein de la rédaction de Spirou tout en en formant d'autres, qui deviendront de grands animateurs de la création francophone dont Morris (auteur de Lucky Luke) et Franquin (auteur de Gaston Lagaffe qui reprend la production de Spirou et Fantasio). Des 1949, la production locale parvient `a effacer peu `a peu la production étrangere qui était de nouveau disponible apres la guerre. De nouveaux animateurs apparaissent : Peyo (avec Johan et Pirlouit et puis Les schtroumpfs), Roba avec Boule et Bill. En 1946, Hergé reçoit l'opportunité de sortir de son isolement lorsqu'il accepte la direction du journal Tintin que lui propose l'éditeur Raymond Leblanc. Comme pour Spirou une génération dorée va accompagner les débuts du journal : Jacobs (Blake et Mortimer), Jaques Martin (Alix), Bob De Moor (Les aventures de Barelli). Des 1949, Hergé se désintéresse quelque peu du journal pour s'investir dans les Studios Hergé, créés en 1950 pour le réaménagement (redécoupage et coloriage) des albums Tintin d'avant-guerre et la réalisation des albums `a venir. Il va donner naissance `a un style narratif et graphique appelé ligne claire qui va faire école aupres de ses proches collaborateurs, tels que Bob De Moor, Jacobs… Les deux grands journaux qui animent le monde de la bande dessinée francophone belge entretiennent de nombreuses différences : § académisme, sérieux, réalisme chez Tintin § fantaisie, humour et instinct `a l'état pur chez Spirou Les points de convergence existent également : Hergé et la ligne claire – école de Bruxelles 10 janvier 1929 : Hergé[14] crée le personnage de Tintin dans Le Petit Vingtieme, supplément pour la jeunesse du quotidien catholique et conservateur Le XXeme Siecle. Il est le précurseur d'un style graphique et narratif appelé la ligne claire. La ligne claire doit permettre une compréhension maximale de l'histoire. Les plans, les dialogues, le lettrage, le graphisme, tout participe pour atteindre cet objectif de clarté. Le graphisme est épuré au maximum, il ne comporte pas d'effets d'ombre ou de lumiere. Tout détail superflu est éliminé. Le dessinateur a aussi souvent recours `a l'ellipse pour suggérer le mouvement ou accélérer le rythme de l'histoire, via différentes astuces. Pour Hergé, la ligne claire est un ensemble inséparable constitué non seulement par le dessin, mais aussi par le scénario. Dans un propos rapporté par l'auteur B. Peeters, il dit que la ligne claire "ce n'est pas seulement une question de dessin. Bien sur le dessin est un aspect important de la question : on essaie d'éliminer ce qui est graphiquement accessoire, de styliser le plus possible, de choisir la ligne qui est la plus éclairante… Malheureusement […] ce travail se fait trop souvent au détriment de l'histoire. Or, […] c'est également le scénario et la technique de narration…" Ce style a été repris par d'autres célebres auteurs, notamment Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), Bob De Moor (Barelli), Jacques Martin (Alix), Yves Chaland et Yvan Pommaux. § Tintin (Hergé) cfr Tintin au Congo (infra) § Blake et Mortimer (E.P. Jacobs) § Alix de Jacques Martin (français) L’école de Marcinelle et le « style gros nez » Gaston Lagaffe (André Franquin) apparaît `a la fin des années 50. C’est un « nouveau personnage de bande dessinée, qui, contrairement aux « vedettes » d’alors, n’aurait aucune qualité et ne saurait s’insérer dans aucune série »[15]. Comme son nom l’indique, Gaston Lagaffe multiplie les bourdes et perturbe la vie de la maison d’édition Dupuis qui l’emploie comme garçon de bureau. Franquin, dans un genre tout `a fait différent publie également Idées noires pour le magazine Fluide glacial) Ces Idées noires abordent avec un humour acide des themes aussi divers que l’environnement (27), la course `a l’armement (10A, 31), la peine de mort (16), le monde du travail (44, 36), le désespoir (11, 30)… « Les gags fustigent les différentes formes de la betise humaine et se veulent un brin sadiques, un tantinet cruels et parfois métaphysiques ! »[16]. § Franquin (Lagaffe et les idées noires, cfr infra) § Boule et Bill (Roba) cfr planches 8 et 9 de Boule et Bill en famille § les Schtroumpfs (Peyo) cfr planches 44 et 45 de La schtroumpfette Fin des années 70 et années 80 Avec le magazine A Suivre `a la fin des années '70, un vent nouveau souffle sur la bande dessinée belge. Dans les années 80 est née une génération de dessinateurs que l'on peut qualifier de l'entre-deux puisqu'ils ont conservé le souci d'originalité expressive et thématique du pôle moderne et la rigueur narrative du pôle classique mais avec un renouvellement de ses modalités (l'album unique, le cycle, la suite plutôt que la série). Exemples : Sambre de Balac et Yslaire, cfr planche 26 François Schuiten et la série de huit albums Les Cités obscures (Brüsel, La tour, La fievre d'Urbicande) Didier Comes (Silence). Aujourd'hui Depuis les années 90, on note la quasi-disparition de la bande dessinée périodique au profit de l'album, y compris dans la BD dite « populaire » : Lanfeust de Troy, Largo Winch, XIII, Blake et Mortimer ou encore Titeuf, qui atteignent `a chaque nouvelle parution des volumes de vente tres importants (jusqu'`a 500 000 exemplaires). De fait, le secteur de la bande dessinée est l’un des rares secteurs du livre qui progresse régulierement en termes financiers. N'oublions pas la grande tradition de cartoonistes des quotidiens et périodiques: Royer, Kroll, Philippe Geluck et son inénarrable Chat. XIII. Panorama de l'apres-guerre 13.1. La seconde guerre mondiale La guerre 40-45 est généralement tres peu analysée dans les histoires de la littérature belge ; elle y apparaît comme une vaste parenthese. Elle est cependant une grande période pour le théâtre. D’une part parce que les acteurs français et les films anglo-saxons ne circulent plus, mais aussi parce que la demande de divertissement est grande : des comédiens belges vont acquérir une renommée et devenir des « vedettes ». C’est `a cette époque que se mettent en place les grands animateurs de l’apres-guerre (par exemple, les freres Huysmans qui donneront le Théâtre National.) Il n’y a pas d’œuvre littéraire marquante pendant la guerre. Mais la question de l’engagement (ou du non-engagement) des écrivains y est intéressante, car cette période va déterminer le cadre littéraire et intellectuel de l’apres-guerre. La plupart des écrivains s’abstiennent de manifester publiquement leur opinion. La censure pour raison politique et raciale sévit ; les écrivains préferent l’éviter en s’autocensurant. Le journal Le Soir est « volé » par la propagande allemande et paraît sous le contrôle de journalistes collaborateurs. Le concours de littérature belge « Le Prix Rossel » demeure, mais est réorganisé par le journal sous le nom du « Prix du journal Le Soir ». En 1942, ce prix couronne Pierre Peyel pour « Hohenmoor » (completement occulté par l'histoire de la littérature belge) qui n'est certes pas un grand roman mais répond `a une commande du journal qui voulait une œuvre qui parle des évenements actuels c’est-`a-dire la guerre, qui soit une œuvre de propagande pour la collaboration. Le roman est écrit par un soldat entre 40-45 qui raconte sa vie de prisonnier de guerre en faisant l’éloge des fermes allemandes ou il a du travailler et présente l’Allemagne comme une sorte de paradis ou la vraie liberté peut enfin s’exprimer. Ce ne sera qu’en 1998-1999 que Sophie Karlshausen découvrira que Pierre Peyel est le pseudonyme de Louis De Becker, né `a Anderlecht en 1911. Le jury est constitué de : Van Offel (qui sera poursuivi apres-guerre), Pierre Hubermont (ex-écrivain prolétaire), Pierre Daye, Louis Carette, un jeune écrivain qui fuira en France pour échapper `a la justice et y fera carriere sous le nom de… Félicien Marceau[17] ; le jeune écrivain Jean Libert ; Rémy Magermans (un autre jeune écrivain). Le secrétaire du « Prix du Journal Le Soir » est…Paul de Man[18] qui immigrera ensuite aux États-Unis et fera carriere dans la critique littéraire américaine `a l’université de Yale et deviendra l’égérie de la gauche américaine…. Jusqu’`a ce qu’un jeune chercheur découvre ce qu’il faisait et écrivait pendant la guerre. Ses écrits seront découverts apres sa mort en 1987 et susciteront une forte polémique. En 1943, le « Prix du Journal Le Soir », qui précise cette fois que les participants doivent etre de « race aryenne », ne trouve pas une œuvre suffisamment engagée pour la collaboration et on préfere partager le prix entre cinq romans. A part Hohenmoore, on ne trouve pas d’autre fiction collaborationniste, mais on va poursuivre les écrivains qui ont eu un activité publique (presse, radio, membres de milices, etc.…) en faveur de la collaboration. La plupart s’enfuiront en France. Des 1936, Robert Poulet (1893-1989), anime avec son frere (le célebre critique Georges Poulet peu engagé politiquement) une revue réactionnaire. Il va aussi défendre une politique de collaboration avec l’occupant nazi. Arreté et condamné `a mort en 1945, Robert Poulet voit sa peine commuée en exil. Rappelons que cet auteur est le principal animateur du Manifeste du « Groupe du Lundi » (paru en 1937). Comme d’autres grands acteurs de la littérature belge de l’entre-deux-guerres, l’apres-guerre l’éliminera du champ littéraire local. Marie Gevers publie, elle, des textes « neutres » dans des revues de collaboration (meme si elle n’est pas partisane du nouveau régime). 13.2. L'apres-guerre La question de l’engagement est `a l’origine d’une différence fondamentale entre les champs littéraires français et belge. En France, on voit émerger apres-guerre les Editions de Minuit (créées pendant la guerre) ou, sous l’égide du Parti Communiste, le Conseil National des Ecrivains qui poursuit les écrivains collaborationnistes. « La guerre des écrivains » (expression de Gisele Sapiro, 1999) désigne la réorganisation du monde littéraire français apres la guerre. Le débat sur l’engagement mené par Sartre ne peut etre compris que sous cet angle. Ce questionnement collectif est fondateur de la littérature française contemporaine. Par contre, dans le monde littéraire belge, l’engagement dans la résistance ou dans l’occupation ne concerne qu’une extreme minorité d’écrivains (comme de Belges d’ailleurs, tout occupés qu'ils étaient `a organiser leur survie au quotidien, bref une attitude « d’accommodation ». En Belgique, « la vie doit continuer » !). La résistance ne va donc pas engendrer une institution capable de peser sur l’apres-guerre ; il n’y a pas, en Belgique, d’institution capable de fédérer les écrivains résistants. Des écrivains vont émerger apres-guerre et assumer les prises de position d’avant-guerre, notamment ceux qui reprennent l’idée de l’intégration de la littérature belge dans la littérature française. Cette nouvelle génération d’écrivains belges est débarrassée des aînés, `a savoir la génération Jeune Belgique influente jusque vers 1935. Elle investit les lieux de pouvoir symbolique comme l’Académie. Mais un traumatisme lié aux écrivains qui ont participé `a la collaboration et se sont réfugiés en France apres-guerre[19] persiste : on connaît l’itinéraire de Robert Poulet, et on considere que son tort a été d’exprimer ses idées politiques publiquement, d’ou l’idée que l’écrivain ne doit pas s’engager dans la politique. Cette conception se retrouve dans une méfiance par rapport `a l’inscription dans l'histoire concrete et dans le choix de themes non engagés mais « humains », « universels », dans un espace/temps vague, ce qui deviendra le centrage thématique du néo-classicisme. Dans le « terrain vague » de l’apres-guerre, une nouvelle génération (dont font partie Charles Bertin, Suzanne Lilar, Georges Sion notamment) va tenter de se fondre dans la communauté linguistique française. Elle bénéficiera par ailleurs des institutions théâtrales mises en place pendant et apres la guerre, dont elle fera le vecteur de sa dynamique active. Les themes que ces auteurs privilégient ne peuvent : § ni etre reliés `a l’histoire concrete (car ils recherchent une reconnaissance internationale) ; § ni `a l’engagement politique (car ils ne peuvent se servir d’une résistance culturelle qui n’a pas eu lieu). Ils privilégient, par conséquent, une écriture tendant `a l’atticisme (délicatesse de langage, finesse, style pur, élégant) et des themes « éternels » ou abstraits qui renforcent l’idée que l’art serait au-dessus des circonstances historiques. Ils engendrent donc un littérature assez conformiste, classique, respectueuse des « regles » de la langue française, une littérature apolitique. Ce mouvement a reçu l’étiquette de néo-classicisme. Notons, tout de suite, que « l’existentialisme » (Sartre, Beauvoir) et « l’absurde » (Ionesco, Beckett) sont des mouvements auxquels a résisté profondément la Belgique francophone (de meme qu’il n’y a jamais eu de tradition philosophique comme celle des Lumieres au XVIII^eme siecle). L’apres-guerre se caractérise par une volonté de déni de son identité belge. La phase centrifuge initiée des la fin Premiere Guerre mondiale se poursuit dans l’apres Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Dominique Rolin annonce en 1959 qu’il « faut quitter la Belgique » et que « Bruxelles n’est vraiment pas favorable au dépouillement littéraire » (cfr interview `a Béatrix Beck). Henri Michaux, qui a quitté la Belgique depuis trente ans, prend la nationalité française en 1955. Géo Norge va bientôt le suivre. Sans oublier que, pendant cette décennie de l’apres-guerre, de nombreux prix littéraires français viendront récompenser les Belges : Francis Walder en 1959 pour Saint-Germain ou la négociation, mais en 1952 Dominique Rolin obtient le Fémina pour Le souffle et Béatrix Beck le Goncourt la meme année pour Léon Morin, pretre. Suzanne Lilar, Alexis Curvers seront aussi adulés. L’apres-guerre peut se caractériser par les deux « mouvements » de fuite de la réalité historique de la Belgique : - d’une part ce désir de purisme, ce mouvement centrifuge vers Paris dont on vient de parler ; - d’autre part, la continuation du réalisme magique qui prend de plus en plus la forme d’une plongée dans l’étrange et le fantastique (Owen par exemple). Comme si le déni des spécificités historiques de la Belgique prenait prioritairement, durant cette phase centrifuge, l’aspect de l’hypostase de la langue classique ou de la plongée dans un imaginaire plus réel que le réel. Ce ne sera finalement qu’avec La Pierre et l’oreiller (1955) de Dotremont que va s’augurer la tentative de réappropriation de notre propre histoire qui va marquer une partie de la production des années soixante. L’esthétique néoclassique comme la propension au réalisme magique ou au fantastique ne s’éteignent pas pour autant : - néoclassique avec Breve Arcadie de Jacqueline Harpman en 1959 ou Journal d’un crime (1961), premier roman de Charles Bertin ou l’auteur laisse affleurer[20] une forme de doute ontologique dont cette esthétique est peu coutumiere (mais citons encore les dramaturges Georges Sion ou Suzanne Lilar qui continuent leur carriere). - Gérard Prévôt, Jean Muno (L’hipparion en 1962). Pour Dominique Rolin et Hubert Juin, le « Nouveau Roman » sert de déclencheur qui permet de remettre en cause la phrase et la construction classiques françaises. Le meme processus se remarque dans les deux premiers romans de Bauchau (La Déchirure et Le Régiment noir). Jacques-Gérard Linze, Marcel Moreau, etc., dans des styles divers mais hantés par leur rapport `a la langue, réinvestissent leur écriture d’un souci de la réalité belge. Ce travail de réappropriation continuera dans la décennie suivante mais prendra de nouveaux tours : l’histoire apparaît en tant que telle dans de nombreux récits de jeunes écrivains : Daniel Gillies, Thines, etc. Mertens, Detrez, Kalisky, moins marqués par la hantise du langage, évoquent le paysage belge `a travers des fictions qui ne sont pas insensibles aux problématiques internationales. Chez ces auteurs, en qui s’inscrit notamment la déréliction[21] du sujet belge face `a une réalité qu’il tente de saisir avec des codes qui ne sont pas ceux de sa propre histoire, la passion et le désir d’histoire demeurent toutefois inscrits. Le concept de « belgitude » est inventé par Claude Javeau et Pierre Mertens. Ce concept, créé en 1976, soit 15 ans apres la décolonisation du Congo, vient dire l’idée d’aliénation[22] culturelle dont sont victimes les Belges. Le discours français a été depuis 1918 si bien intériorisé… Toutefois, cette découverte se fait dans le plus beau refus de tout nationalisme (impossible dans le contexte belge). La belgitude exprime, `a la façon des anciens colonisés, l’etre-l`a d’un pays nanti d’une histoire coloniale mais qui se vit et se dit en creux[23] faute d’avoir disposé d’un discours approprié `a son histoire. Cela permet d’enfin rompre avec des décennies de dénégation de soi, ouverte ou biaisée, et tente d’inscrire des parcours insérés dans une histoire qui ne refuse plus forcément son nom. Chacun n’en demeure pas moins si pas privé de nom propre, du moins en décalage ou en déperdition par rapport `a ce qu’il voudrait saisir. C’est en 1976, dans le numéro de Les Nouvelles Littéraires daté des 4-11 novembre et intitulé « Une Autre Belgique », que Pierre Mertens (`a qui on doit la conception de ce dossier) y oppose deux Belgique. - L’une, ou l’intellectuel est « un non-Belge, un anti-Belge ou un a-Belge », est un pays qui « n’a pas meilleure conscience qu’il n’a bonne réputation », qui « excelle `a […] oblitérer[24] ce qu’il commet de pire comme ce qu’[il] réalise de mieux ». - L’Autre Belgique vivrait sa « bâtardise » comme un privilege et comme un bonheur son destin d’etre située « au point d’intersection de toutes les influences ». Il nous faudrait donc tenter d’etre Belges. Marginaux peut-etre, minoritaires certainement, exilés `a coup sur, et sur place […]. Ce concept de belgitude a au moins le mérite d’avoir marqué un moment (un début de réappropriation de soi mais de maintien dans la fascination du plein, lequel ne peut etre que le modele venu de l’Autre, entendons-l`a la France) l’histoire de ce champ littéraire plus qu’il ne définit la « belgité ». Charles Bertin critiquera la belgitude pour la laideur du mot. On y sentira parfois des relents d’unitarisme « belgicain » et il est vrai qu’il y aura paradoxalement quelques tentatives de récupération en ce sens. En 1980, Jacques Sojcher présente un volumineux numéro de La Revue de l’ULB (plus de 550 pages) sous le titre La Belgique malgré tout. Littérature 1980. Quelques 70 écrivains y apportent leur collaboration. Parmi les refus, celui du philosophe et poete Max Loreau, ainsi explicitée : « Le territoire, c’est la langue, et il n’y a pas de langue belge, du moins pas `a ma connaissance ; ni du reste, de culture belge. […] Je suis Belge, c’est tout – ni malgré tout, ni d’enthousiasme. Je ne me pose pas de question `a ce sujet. Je suis profondément attaché `a ce lieu (par certains côtés, en tout cas), mais je n’éprouve pas le besoin d’en parler. Une contribution au volume se détache nettement des autres, celle de Marc Quaghebeur, intitulée « Littérature et fonctionnement idéologique en Belgique francophone ». Toutefois, d’autres s’opposent `a cette idée d’une « communauté française de Belgique ». Le Manifeste pour la culture wallonne est publié le 15 septembre 1983 (cfr le site www.toudi.org). Ses signataires affirment que « l’accession de la Wallonie `a sa personnalité de peuple et `a sa maturité politique n’aura pas lieu si un projet culturel ne va pas de pair avec le projet économique. […] Nous ne pensons pas que la Communauté française de Belgique nous représente et nous définit véritablement ; celle-ci nous semble une notion hybride et artificielle qui n’est de nulle part. La Communauté française de Belgique aggrave la dépendance culturelle des Wallons par rapport `a des centres qui leur sont extérieurs. Elle ne peut que réduire le pays wallon `a une province culturelle francophone[25]. » Mais globalement, on trouve dans les années ‘80 l’omniprésence de ce « creux significatif » dont relatent les tenants du concept de belgitude. Un tournant peut etre marqué par 1985 ou des auteurs se réapproprient l’histoire (ou s’en séparent ?) `a travers la revisitation des mythes (Jocaste de Michele Fabien, 1981) (piece dans laquelle la mere d’Œdipe parle enfin), Un Faust de Jean Louvet (dans cette piece, Faust symbolise l’anomalie qui tente d’échapper au troupeau indifférencié de la société de consommation ; la piece dit l’enjeu d’éradiquer[26] cette anomalie du systeme, cette singularité, qui tente d’échapper `a la séduction et `a la dilution de soi. Monde ou « l’image des choses importe plus que les choses elles-memes »), Jean-Marie Piemme, Marc Liebens, etc. et ce pour le seul genre théâtral. Quoi qu’il en soit, les années ’80 maintiennent ce cap amorcé avec la génération précédente de se pencher sur le passé de la Belgique. C’est Hugo Claus, pour la littérature flamande, en 1983 avec Het verdriet van België (Le Chagrin des Belges), qui se penche sur les années de la Seconde Guerre mondiale. Sans qu’il s’agisse d’une œuvre comparable, Jean Louvet met en scene Julien Lahaut[27] dans sa piece L’Homme qui avait le soleil dans sa poche (1984). En 1984 également, un autre signataire du « Manifeste wallon », Thierry Haumont publie chez Gallimard Le conservateur des ombres, qui obtient le prix Rossel. Pierre Mertens publie Les Eblouissements, qui obtient le prix Médicis. Ces deux romans puisent leur inspiration dans l’histoire de l’Allemagne dans la premiere moitié du XX^eme siecle. En ces années, le théâtre, le cinéma, le roman se ressourcent `a l’histoire. La génération des années ’90 aura au moins eu le privilege d’avoir bénéficié de cette prise en charge littéraire progressive de son historicité ; cette génération est donc moins impliquées dans les débats identitaires. Elle se vit par l’écriture. Mais le débat sur l’identité demeure ouvert. Les Peupliers, de Thierry Haumont, publié en 1991 `a Paris, est une véritable métaphore de la Belgique et de son fonctionnement. « Dans Les Peupliers, je parle vraiment de ce qui se passe chez nous, mais l’idéologie de la belgitude me hérisse. […] Je ne me sens pas belge mais wallon. » Cette notion de belgitude appelle chez d’autres auteurs un autre type de critique. Ainsi chez Georges Thines : « Je ne supporte pas ce mot de belgitude. La part belge de mon œuvre, ce sont les souvenirs, les lieux et les gens que je connais, depuis que je vis en Belgique. C’est le concret, ça n’a pas d’étiquette belge `a proprement parler. » Le numéro de La Revue de l’ULB composé par Antoine Pickels et Jacques Sojcher sous le titre Belgique toujours grande et belle (1998) illustre la diversité d’approches de 126 artistes, intellectuels et « autres personnages singuliers du meltingpot belge ». 13.3. Le roman : Suzanne Lilar (1901-1992) A. Biographie Grâce `a son roman L'enfance gantoise (1976), on peut remonter le temps et retrouver avec Suzanne Lilar la ville de sa jeunesse. Née `a Gand en 1901, elle reçut une éducation ouverte : sa mere, bien que croyante, lui enseigne le respect des francs-maçons et l'éleve dans la culture française. Ce qui n'empechera pas la jeune fille de s'imprégner de culture flamande populaire et mystique. Suzanne Lilar est donc une flamande de langue française, cette espece en voie de disparition prise en tenaille entre le mouvement flamand et le milieu familial francophone. Ce qui apporte une dimension supplémentaire `a son rapport `a la langue classique. Issue de la grande bourgeoisie gantoise, elle devient avocate, ce qui est extremement rare pour une femme `a l’époque, meme si elle ne plaidera quasiment pas. Elle devient aussi femme de ministre. Apres la guerre, Suzanne Lilar entre dans la littérature avec le théâtre. Elle est l'auteure de trois pieces : Le Burlador (1945) – une vision originale de Don Juan qui, selon elle, est plus la victime de son coeur honnete et sensible qu'un bourreau conquérant –, Tous les chemins menent au ciel (1947) et Le Roi lépreux (1950). En 1952, elle écrit une Histoire du théâtre belge contemporain. Elle publie ensuite Le journal de l’Analogiste (1954), un essai sur l’entreprise poétique dans son développement. En 1960, elle écrit deux romans, La confession anonyme[28] et Le divertissement portugais, dans lesquels elle étudie les phénomenes amoureux. Dans le premier roman, elle explore le vertige de l’amour avec son rituel, sa mise en scene, le sentiment de culpabilité et le sens du renoncement qu’il implique. Le deuxieme oppose un personnage frivole `a une femme qui renie les plaisirs physiques pour analyser, dans la continence[29], son pouvoir de séduction. Sur ce theme de l'amour, elle consacrera également un essai, Le couple (1963), dans lequel elle montre qu’elle s’éloigne donc du féminisme revendicateur de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir . Cela se remarque également `a travers ses deux ouvrages polémiques, A propos de Sartre et de l’amour, (1967) et Le malentendu du deuxieme sexe (1969). Elle adopte une vision platonicienne de l’amour. En 1976, paraît L'enfance gantoise et, en 1979, A la Recherche de l'enfance. Reçue en 1956 `a l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, elle reçoit le prix Saint-Simon en 1977. Suzanne Lilar est la mere de la romanciere Françoise Mallet-Joris. B. L'enfance gantoise A propos du langage § Vocabulaire imprégner : entrer profondément (dans l’esprit, les mœurs de qqn bruissant : faisant entendre un son de façon confuse alluvion : dépôts de sédiments dans un cours d’eau ou un lac; ici, traces apostrophe : figure de style par laquelle une personne ou une chose personnifiée sont interpellées directement prosopopée : figure de rhétorique par laquelle on prete la parole `a des etres inanimés, `a des morts ou `a des absents perler : orner de perles remontrance : avertissement, critique servant `a reprocher `a qqn son attitude. inciser : pratiquer une incision, une coupure, une entaille longue et étroite engonçant = contraignant ébranlé : animé, remué accord : groupe d’au moins trois sons dont les intervalles respectent les regles de l’harmonie classique cynisme : attitude d'une personne qui ignore effrontément les conventions, les principes moraux établis ficelle : artifice, procédé caché, truc utilisé dans un art, une discipline for intérieur : tribunal de la conscience parfiler : défaire (une étoffe) fil `a fil pour récupérer les fils de métal précieux toc : imitation sans valeur d’une matiere précieuse, d’un objet ancien vocable : mot aimanter : attirer C. Le Couple[30] A la suite de la lecture de Confession anonyme, Lucie Faure, également romanciere, demanda `a Suzanne Lilar d’écrire un article sur le couple pour la revue La Nef. Cet article retint l’attention de Bernard Privat qui proposa `a Suzanne Lilar de l’étendre aux dimensions d’un livre. Dans cet ouvrage féministe, elle médite sur le rôle de la femme dans l'amour conjugal. A partir de l’idée que « si quelque chose est mort, c’est moins l’amour que l’idée de l’amour », elle plaide pour un amour qui retrouve une « unité » perdue entre idéalisme et érotisme, entre univers masculin et féminin. Elle démonte les mécanismes du couple et cherche les moyens qui permettraient `a l’homme et `a la femme de vivre ensemble une relation dans le plaisir et l’honneur. Dans cette optique, elle souligne le rôle d’une femme « éternelle Initiatrice de l’homme, fut-ce un Pythagore ou un Socrate ». Cet ouvrage pourrait etre qualifié d’essai historique dans la mesure ou l’auteur parcourt le temps paien et l’époque chrétienne `a la recherche des différents accomplissements de l’amour. C’est aussi une réflexion philosophique qui doit beaucoup `a Platon et au mythe de l’androgyne. C’est un livre audacieux puisque Suzanne Lilar ose y critiquer des penseurs en place tels que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Pour elle, c’est l’intention de durer qui constitue `a ses yeux toute union conjugale réguliere ou irréguliere. La base et le fondement du couple doit etre l’amour en sa valeur absolue (éros) et non en sa valeur en tant que fondement du mariage. A la campagne de dénigrement de l’amour, `a la fureur de démystification, elle oppose une érotique nouvelle. Pour elle l’amour est sacré, total, c’est un amour de communication. 13.4. Evolution du surréalisme : Christian Dotremont (1922-1979) et COBRA[31]. A. Introduction : prolongements du surréalisme A part le néo-classicisme, on trouve aussi des groupuscules peu connus. Dans leur marginalité, ces groupes préparent cependant de grands bouleversements. Tout d'abord, dans le Hainaut, les amis surréalistes se retrouvent autour du souvenir de Fernand Dumont (mort durant la guerre). En 1947, le groupe se réforme pour devenir le groupe Haute Nuit qui rassemble : Chavée, Simon, De Spiegele, Lefrancq. Ceux-ci réaffirment leur position esthétique. Les années d'apres-guerre semble toutefois etre pour Chavée les années du conformisme. Il renoue avec Breton et collabore aux revues des Bruxellois : Surréalisme révolutionnaire (48) et Phantomas (53). La notoriété lui vient cependant surtout de l'étranger et c'est `a sa mort que la bourgeoisie bien pensante de La Louviere va récupérer la figure de Chavée pour en faire le symbole culturel de la ville. A Bruxelles, plusieurs revues se publient : la plus importante est surement Phantomas. Cette revue prône un retour vers un esprit plus dadaiste : Phantomas travaille hors de sentiers battus. S'il a attiré éventuellement d'anciens surréalistes qui lui ont volontiers confié des textes, il a bien conscience d'avoir plutôt dada pour ancetre – s'il faut en avoir – de l`a, un intéret pour Clément Pansaers, Paul Joostens, Tristan Tzara, Kurt Schwitters, Raoul Hausmann. Car Phantomas privilégie l'humour et les jeux du langage, afin d'approfondir le français de la tutelle du français. De la poésie concrete `a l'essai linguistique, rien de ce qui touche au langage ne lui est étranger. La revue approfondit également les recherches en arts plastiques et musique. Le surréalisme s'étend dans la région de Liege : André Blavier qui, par ailleurs, n'appartient pas `a un groupe surréaliste, sort `a Verviers la revue Temps melés (1952). Celle-ci s'intéresse `a l'avant-garde artistique dont le surréalisme est une composante. On lui doit de s'etre penché sur l'œuvre de Raymond Queneau et d'avoir contribué `a la diffusion de l'œuvre de Jane Graverol. Mais celui qui va réellement insuffler un souffle de dynamisme et métamorphoser le surréalisme, c'est Dotremont. B. Christian Dotremont (1922-1979) Dotremont échappe au carcan du néoclassicisme par son travail sur le langage ; il conteste les codes littéraires établis, puis, estimant que cette contestation n’est pas suffisante, il passe au domaine de la peinture. Un parcours atypique Christian Dotremont est surtout découvert apres-guerre. Il est le fils de Stanislas Dotremont, écrivain catholique conservateur et un peu excentrique, puisqu’il vit sur un bateau et n’engage que des gouvernantes scandinaves pour élever ses enfants, ce qui va marquer Christian Dotremont. Christian Dotremont se prend d’abord pour Rimbaud et entretient l’idée qu’il sera un poete maudit : il part `a pied en France pour dormir `a Charleville sur la tombe d’Arthur. Puis il découvre tres jeune la revue L'invention collective `a laquelle il envoie un poeme, ce qui lui vaut une lettre enthousiaste des surréalistes bruxellois. Il devient l'ami de Magritte et son admirateur. Des le départ, il se montre intéressé parle langage qui parle `a l'œil. Ce gout va le rapprocher de Nougé mais pour peu de temps. En effet, Dotremont, imprégné d'idéalisme politique, est séduit par l'éthique intransigeante du surréalisme. Il ira jsuqu'`a prendre la défense de Cocteau , ce dont Nougé lui tiendra rigueur. Chavée va alors prendre sa défense aupres du "maître" surréaliste bruxellois. Il faut dire que le groupe du Hainaut a tres vite encouragé le jeune Dotremont. Dotremont est profondément convaincu de la valeur politique et collective du surréalisme. Apres avoir collaboré, durant la guerre, `a La Main `a la plume, revue française qui se veut arme culturelle de la Résistance, Dotremont avec ses amis belges Paul Bourgoignie et Jean Seeger décident, en 1947, la création d'un Groupe surréalsite révolutionnaire, puis d'une revue. A posteriori, on peut dire que ce groupe est l'ultime tentative de renouveler l'expérimentation surréaliste en l'inscrivant dan une perspective communiste révolutionnaire. Entre-temps, il a des contacts avec d'autres surréalistes révolutionnaires, comme Jorn au Dannemark. En 1948, aux côtés d’Asger Jorn, il participe `a la fondation du groupe COBRA[32] quittant ainsi la littérature pure et le « centre parisien ». Dans une interview de 1979, Joseph Noiret, un des comparses de Dotremont, commente : A Paris, le surréalisme était une sorte de passé mais toujours vivant. Ce que nous recherchions, nous nous sommes rendus compte que nous ne le trouvions pas `a Paris. Trop d'intellectualisme, trop de théorie, ce qui a provoqué une sorte de répulsion, de mouvement en retour[33]. Les initiales de Cobra signifient copenhagen, bruxelles, et amsterdam, c’est-`a-dire tout sauf Paris. Le nom de cobra évoque aussi l’idée du serpent, serpent qui se mord la queue, serpent synonyme de danger et symbole d'une vie instinctive[34]. Cobra refuse l’abstraction dominante `a l’époque dans le domaine artistique et veut le retour au primitivisme. Le groupe ne vivra que pendant 3 ans (1948-1951) mais la dynamique qu’il engendre se prolongera bien longtemps apres. (Aujourd'hui, les œuvres du groupes sont tres cotées sur le marché de l’art). Pour Dotremont, la création doit jaillir de la vie. Elle répond `a une mission révolutionnaire : accorder l’avenir aux couleurs du désir. Ainsi, l’homme nouveau – c’est-`a-dire conquis au communisme – se libérera de la malédiction du passé pour définir un avenir nécessairement différent. L’enthousiasme est de génération. Dotremont va rompre peu `a peu avec ses aînés et avec le surréalisme pour défendre une esthétique qui allierait le geste pictural au verbe émancipé, l’humour `a l’amour dans un élan collectif. Au travail en commun répond la fusion de l’écriture et de la peinture. Mais assez rapidement, des 1950 en fait, l’enthousiasme refroidit et Dotremont finit par quitter le communisme qui révele sa face obscure. Ce moment clé de sa carriere, placé sous le signe de l’amour (pour Bente qui deviendra l’éternel féminin du nom de Gloria dans La Pierre et l’oreiller), s’apparente au regne de la catastrophe : atteint de la tuberculose et trop pauvre pour se soigner, Dotremont part au Danemark pour y bénéficier d’un systeme de soins de santé moins couteux. C’est l`a qu’il y rencontre Gloria, dont il tombe éperdument amoureux. La fin de sa vie correspond donc avec l’expérience de : la rupture avec le communisme, la tuberculose, l’amour, le Danemark, le dessin puisque c’est `a ce moment qu’il « abandonne » l’écriture pour cette autre forme d’art. Il meurt en 1979 dans un sanatorium. On retiendra aussi de Dotremont son humour ravageur et son auto-ironie. Les logoneiges et logogrammes Au contact de Jorn, il va commencer `a créer des peintures-mots, qui consistaient en l'émergence simultanée de l'écriture et de la peinture, les formes et les graphismes réagissant récoproquement pendant la naissance de l'œuvre. Alors que le groupe largue les amarres avec la politique, les moyens académiques et naturalistes dont usait Magritte pour peindre l'onirisme sont rejetés et par ailleurs l'automatisme psychique de Breton est remis en question (`a l'automatisme psychique est lié forcément un acte physique et donc `a un automatisme physique) Cobra en vient donc `a l'Action Painting de Pollock tout en revendiquant l'originalité de la découverte. Cobra, de cette façon, célebre les retrouvailles avec la vie. Apres des années de gestation, Dotremont va créer une écriture-peinture qu'il ne cessera de perfectionner : les Logogrammes. Il commence par tracer des « logoneiges » (logoV-logos = le mot, le langage), c’est-`a-dire des traces de mots dans la neige, dont il ne reste évidemment rien, si ce n’est quelques photos. L’intéret de cette démarche est de dire l’éphémere de l’œuvre créée ; elle correspond ainsi `a la contestation de l’art moderne. Puis Dotremont découvre ce qui sera sa véritable invention : le « logogramme ». Il s’agit apparemment d’un dessin `a l’encre de chine ; en fait, ce sont des phrases rédigées, non dans le but d’etre lisibles, mais de traduire la tension du corps dans la pulsion qui habite la phrase ; ce n’est pas l’illustration d’un texte existant mas l’écriture spontanée d’un texte qui n’a de réalité que par la pulsion qui l’habite ; en somme, c’est le geste qui écrit. Salut les Cobras, 1969 Ensuite, il réécrit au crayon le texte moteur du logogramme. Le roman La pierre et l’oreiller [Gallimard refuse de céder les droits aux éditions Labor et en plus ne le publie quasiment plus !] La pierre et l’oreiller, son seul roman, est le récit de son expérience et la synthese de tout ce qui anime Dotremont ; il y explique son parcours (`a partir de 1951), notamment son coup de foudre pour Gloria et leur rupture un an et demi plus tard. Le roman évoque un univers de catastrophes : la catastrophe amoureuse, celle de la tuberculose découverte en faisant une radio du thorax ou des signes blancs sur fond noir révelent sa maladie, l’échec du surréalisme révolutionnaire : Dotremont ne croit plus au communisme. « Le roman met `a mal les illusions politiques de l’immédiat apres guerre, met `a distance la « ville lumiere » et sa vision de l’Art, glorifie son amour majeur, et rend compte de la tuberculose qui le contraint `a réviser son mode de vie ». Sorte de mise en texte de ces trois catastrophes ou chacun des éléments du livre devient significatif de quelque chose. Mais au lieu de faire de ces catastrophes le récit d’une plainte, Dotremont en fait le récit d’une découverte de lui-meme qui lui ouvre un nouveau monde. Il se rend compte qu'il croyait `a des valeurs qu’il ressent maintenant comme fausses et en découvre d’autres. On peut faire un parallele entre La pierre et l’oreiller et Une enfance gantoise dans la mesure ou les deux romans gerent une division, une blessure, mais avec des réponses différentes. Il semble que le champ littéraire belge d’apres-guerre produise des œuvres blessées… 13.5. Aperçu sur le théâtre A. Le néo-classicisme Comme en poésie ce sera la vague néoclassique qui va dominer dans l’apres-guerre et pour presque vingt ans. Citons les Georges Sion (Charles le Téméraire en 1944), Charles Bertin (Don Juan, 1948), Suzanne Lilar (Burlador, 1945). La Matrone d’Ephese de Georges Sion, en plein pendant la guerre, au Rideau de Bruxelles. Les quatre fils Aymon d’Herman Closson, au Théâtre National de Belgique. Ces deux pieces sont les œuvres précurseurs de la veine néoclassique qui s’exprime avant tout au théâtre et qui se continuera dans Burlador de Lilar qui fait une percée `a Paris ou les Prétendants de Bertin au Théâtre du Parc, que le public bruxellois ovationne alors que triomphe Ghelderode `a Paris ! La poésie va prendre le relais et se faire le véhicule de cette tendance qui devient « officielle » mais on trouve encore quelques bonnes pieces néoclassiques : A chacun selon sa faim (Jean Mogin, 1950 : piece pleine de poésie onirique qui rappelle Willems, comme Bijoux de famille de Sigrid, 1949), Le Voyageur de Forceloup (G.Sion, 1952). Mais Le Roi lépreux de Lilar (1951) en est déj`a comme le chant du cygne…vu que s’y dessine comme une allusion `a l’histoire belge[35]. Elle va s’enfoncer dans des travaux plus « célestes », presque de la poésie (Journal de l’analogiste), un peu comme pour se défaire encore plus de l’histoire… Dans ces années-l`a, apparition également d’un théâtre poétique teinté d’onirisme avec l’œuvre de Willems (Peau d’ours (1951), Il pleut dans ma maison (1958)). « Un réel mythique prime sur le triste plan des faits – celui-l`a meme qu’aucun projet, social ou autre, ne souleve plus » (Quaghebeur). B. Jeune Théâtre Dans les années septante, apparaît un « Jeune Théâtre » : nombreux groupes inspirés d’une dramaturgie d’avant-garde venue de Bertold Brecht et de ses suites françaises : § metteurs en scene comme Marc Liebens et Frédéric Baal. § comme auteurs, retenons surtout Jean Louvet, Michele Fabien, Jean-Marie Piemme et René Kalisky. Ces auteurs traitent enfin de l’Histoire et de l’inscription du sujet dans son univers et non plus dans un ailleurs fantasmé. Ils le font avec une dramaturgie qui fait fi de l’illusion réaliste (théâtre dans le théâtre) cherchant `a plonger le spectateur hors de son confort matériel habituel et d’une interprétation univoque qui ne le mettrait pas lui-meme en jeu. Bref, rupture avec l’académisme des anciens : ce jeune théâtre entend repenser la modernité théâtrale en Belgique, tout en manifestant un engagement social fort. Il se développe parallelement au « théâtre action » qui quitte les salles pour aller `a la rencontre du public. On a vu l’évolution du théâtre de Willems vers une prise en compte progressive du fait historique belge des les années soixante. Ce ne sera que dans la décennie suivante avec Jean Sigrid que se mettent en place les ferments d’une vraie révolte. C’est le théâtre qui constitue le fer de lance du « renouveau » apres la longue période néoclassique. Mort d’une souris (Sigrid, 1968). Mais dans les années septante, ses pieces donnent `a entendre l’impossible départ (Quoi de neuf, Aruspice ?, L’espadon, L’auto-stoppeur, Le bruit de tes pas, L’ange-couteau). Il est au centre du jeune théâtre, il préfigure meme l’attitude de ce qui sera au cœur des affirmations des tenants de la Belgitude. C’est en effet l’histoire qui apparaît sur les scenes belges, `a l’heure ou le structuralisme triomphe en France : § le Théâtre du Parvis (Marc Liebens); § le Théâtre Laboratoire Vicinal (Frédéric Baal). Il n’y a pas en vérité de volonté de réappropriation immédiate de l’histoire propre (ce le sera avec l’Ensemble Théâtral Mobile de Liebens[36], plus tard) mais ces théâtres, par leur critique de la représentation et de la lisibilité, marque le contre-coup de 1968. Il n’y a d’ailleurs pas non plus de liens entre textes et scene (comme pour le néoclassicisme) : les textes mis en scene ne sont pas des textes écrits pour le théâtre ! Ou, quand une « nouvelle mise en scene » se penche sur nos écrivains, c’est pour aller vers Willems (Henri Ronse, par exemple – fondateur du Théâtre Oblique `a Paris). Bref, une politique du spectacle fondée sur la mise `a l’écart d’une langue réellement novatrice : tous les nouveaux metteurs en scene ratent ainsi Kalisky (excepté Albert-André Lheureux). Ce sera Antoine Vitez qui le mettra d’ailleurs en scene… en France. René Kalisky René Kalisky est né en 1936 `a Bruxelles et est mort d’un cancer en 1981 `a Paris. Journaliste `a 24 ans, il est également dramaturge et essayiste (dans les domaines de la politique et de l’histoire). Sa premiere publication date de 1968, mais dans le meme temps ses pieces sont refusées. C’est dans les années 70 `a Paris, aupres des Editions Gallimard qu’il parviendra `a se faire éditer. Il connaîtra le succes et obtiendra meme certains prix. Ainsi le Prix Annuel de Littérature dramatique en 1974 et le prix Triennal de littérature dramatique en 1975. Il y a une forme baroque `a son théâtre qui cherche `a empecher l’identification du spectateur `a l’acteur. Son théâtre parle de l’emprise insidieuse des totalitarismes qui n’ont pas fini de polluer notre monde. C’est sans nul doute le dramaturge le plus novateur de l’apres-guerre. Cfr notice tirée de l'anthologie de Marc Quaghebeur. Lecture d'un extrait de Charles le Téméraire Dans les trois grands derniers textes de Kalisky que l’on pourrait baptiser la « trilogie de la mémoire[37] » (L’Impossible Royaume (1979), Charles le Téméraire ou l’Autopsie d’un prince (1980), Falsch (1981)), Kalisky s’est fixé comme programme l’esthétique du « futur antérieur », « afin d’attirer l’attention de ses contemporains sur la dimension de répétition aveugle que prend l’histoire dans des sociétés qui feignent de vivre en dehors de sa présence[38] ». Le titre de la piece est sans doute une allusion `a Charles le Téméraire dont on sait que Kalisky a tiré une œuvre pour le télévision. Pourquoi ? pour rattacher cette histoire de Jim `a un fonds historique et mythique, comme la vie du Téméraire qui hante les lettres belges ? Les allusion `a la geste mythique de Thulé par les nazis convoque d’office une origine mythique ; pourquoi pas une telle origine pour Jim ? La lecture du livre du début de la piece pourrait n’etre d’ailleurs qu’un signe pour dire qu’il s’agit bien l`a d’un délire fictionnel `a partir de l’Histoire. L’histoire étant une fiction comme une autre, pourquoi ne pas etre tout `a fait irrespectueux envers celle qui se prétend parfois scientifique ? Lucien Goldman a monté toute l’outrecuidance `a vouloir se positionner objectivement dans les sciences dites humaines. Tout est politiquement orienté[39]. Quelle est la position de Kalisky par rapport `a l’Histoire ? Kalisky est l’auteur contemporain le plus entiché des grands mythes de l’histoire contemporaine. Il s’intéresse `a des personnages historiques dont l’histoire personnelle, par leur force violente ou leur grandeur sans équivoque, replace au niveau du mythe antique et de sa valeur d’exempla. Mais cette valeur d’exemple, de « modele » auquel on pourrait se référer pour juger l’Histoire, Kalisky la refuse ; « il a compris que le théâtre se nourrit de mythes pour les constituer, les reconstruire ou les détruire, et qu’en conséquence, il est le moyen privilégié qui les véhicule `a travers l’histoire et les cultures »[40]. Rappel historique : Charles le Téméraire (1467-1477) Philippe le Bon meurt `a Bruges en 1467. Son fils Charles va lui succéder. Charles le Téméraire, souverain impulsif et peu doué en diplomatie, sera le dernier duc de Bourgogne. Face aux appétits du roi de France, Louis XI, qui profite de la sénilité de Philippe le Bon `a la fin du regne de ce dernier, il défend ses territoires et veut ensuite les étendre, pour constituer un Etat centralisé et d’un seul tenant. Pour atteindre ses objectifs, il emploiera la force, mais ses guerres de conquete se solderont par des échecs, plus particulierement vers la fin de son regne. En 1452, Charles devient comte de Charolais, `a 19 ans. Lorsque le roi de France, Louis XI, oblige son pere, Philippe le Bon `a céder certaines villes situées sur la Somme, Charles le Téméraire fonde la ligue du Bien public, alliance féodale contre le monarque. Apres avoir menacé Paris, la ligue défait le roi en 1465. Deux traités, en 1465, restituent `a Charles les villes de la Somme et lui accordent les comtés de Boulogne et de Guines. Grand vainqueur du roi, Charles, qui brigue la couronne de France, obtient de Louis XI une promesse de mariage avec sa fille aînée. Mais, devenu duc de Bourgogne `a la mort de son pere, il néglige son engagement et épouse Marguerite d’York en 1468, s’alliant ainsi avec le frere de cette derniere, le roi d’Angleterre Édouard IV. Riche et puissant, Charles le Téméraire entreprend la restauration du vieux royaume de Bourgogne en créant, entre la France et l’Empire, une nouvelle Lotharingie, en regroupant les Pays d’en-haut et les Pays d’en-bas. Il va d’abord annexer la principauté de Liege qui séparait le Luxembourg des autres Pays d’en-bas. Celui-ci y parvient des son avenement `a la suite d’une guerre sans merci contre les Liégeois excités `a la révolte par Louis XI. En 1468, les Liégeois toujours travaillés par Louis XI firent un dernier effort pour chasser les Bouguignons mais, vaincus, ils n’empecherent pas la mise `a sac puis l’incendie de leur ville. Mais l’annexion de Liege n’est que temporaire puisque, `a la mort de Charles, la ville se libere : elle gardera son autonomie jusqu’`a la fin du XVIIIeme s. Apres avoir joint les Pays d’en-bas avec le Luxembourg, Charles va chercher `a assurer le passage du Luxembourg `a la Bourgogne. En 1469, il rachete la Haute-Alsace `a Sigismond de Habsbourg qui a besoin d’argent pour faire la guerre contre les Suisses. Mais il ne garde pas longtemps ce territoire : en 1474, les Alsaciens, mécontents du gouverneur bourguignon de la région, rachetent leur territoire. Charles va compenser cette perte par la conquete en 1475 de la Lorraine aux dépens du duc René II. Par ailleurs, en 1473, il reçoit du duc Arnold la Gueldre (territoire au nord-est des Pays-Bas actuels). La continuité territoriale de l’État bourguignon est assurée. Mais Charles ne s’arrete pas l`a. Revant de reconstituer le territoire de Lothaire Ier (fils de Charlemagne), il ambitionne d’annexer la Provence et l’Italie. Mais des la premiere bataille `a Grandson, l’armée bourguignonne est vaincue. René II, le duc de Lorraine que Charles avait écarté, parvient `a reprendre Nancy, la capitale de la Lorraine. Charles furieux part avec une poignée d’hommes pour assaillir Nancy mais dans ce siege, il trouve la mort (1477). Charles = l'homme sans visage ~ la Belgique, pays sans visage Il faut tout d'abord savoir que Kalisky s'est beaucoup interrogé sur l'identité de la Belgique. Cfr l'article La Belgique, le pays le plus imaginaire du monde rédigé en réaction `a la rédaction de La Belgique malgré tout, ouvrage rassemblant les réflexions de plusieurs acteurs de la vie culturelle belge sur la Belgique. A propos de l'histoire et de la difficulté d'accepter l'histoire belge telle qu'elle est : on préfere partir dans l'imaginaire, le surréaliste. Vocabulaire § fistule : canal pathologique mettant en communication directe et anormale deux visceres ou un viscere avec la peau, et par ou s’écoule un produit physiologique (urine, matieres fécales) ou pathologique (pus) ------------------------------- [1] Baronian J.-B., in Le Carnet et les Instants, n°77, mars-mai 1993, p.19. [2] Todorov, Introduction `a la littérature fantastique, p.29. [3] Quaghebeur Marc, Balises pour l’histoire de nos lettres, p.158. [4] Remarquons que ces memes traits peuvent expliquer le succes du courant surréaliste `a Bruxelles et en Wallonie, la réussite picturale de Magritte et Delvaux, `a cette différence pres que la question politique sera plus présente dans le courant surréaliste (encore que beaucoup moins que ce qui se fait en France…). [5] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 483. [6] Cfr Tintin et l'Alph-art, p. 27 [7] Gaumer P., Larousse de la BD, p. I. [8] Cfr Peeters B., La bande dessinée [9] Cfr Tilleuil J.-P., Bande dessinée [10] L'hebdomadaire a feté ses soixante ans en 1998. [11] Le journal Spirou est édité `a Marcinelle, dans la région de Charleroi (cfr carte de Belgique) [12] C'est-`a-dire Hergé, né `a Bruxelles. [13] Interdites par les Allemands qui les assimilent `a de la contre-propagande. [14] Pseudonyme de Georges Rémi, 1907-1983. [15] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 329. [16] Gaumer P., Larousse de la BD, p. 400. [17] Depuis 1975, celui-ci est élu `a l’Académie française. Il a publié ses mémoires sous le titre Les années courtes ou il ne parle pas de sa collaboration et prétend, comme beaucoup de collaborateurs, avoir eu une petite amie juive… [18] Théoricien de la littérature, faisant partie de l’école déconstructionniste (1919-1923). [19] Comme Robert Poulet, Carette devenu Félicien Marceau. [20] Se manifester en apparaissant, en transparaissant. Syn. Émerger, percer. [21] État de l'etre humain qui se sent abandonné, isolé, privé de tout secours (divin ou non). [22] Tout processus par lequel l'etre humain est rendu comme étranger `a lui-meme, et perd la conscience claire de ses rapports avec l'Autre. [23] Selon une forme concave, évidée. [24] Supprimer, effacer. [25] On peut noter que des tendances similaires réapparaissent `a l’heure actuelle en Belgique. [26] Supprimer. [27] Homme politique belge (1884-1950). Député communiste et président du Parti communiste belge. Il s’est aussi illustré dans la résistance contre le nazisme. Il sera arreté par les Allemands et déporté dans un camp de concentration. Il survit `a l’épreuve et revient en Belgique. Le titre de la piece fait allusion au surnom que lui avaient donné ses compagnons d’infortune dans les camps nazis. Il fut assassiné par deux tueux devant sa maison en 1950. [28] Adapté au cinéma par André Delvaux sous le titre Benvenuta [29] État d'une personne qui s'abstient de tout plaisir charnel [30] Cfr Nys-mazure, Lilar, p. 43 sqq. [31] Cfr Toussaint, Surréalisme, p. 50 sq. [32] Ainsi nommé selon la volonté de Dotremont [33] Entretien donné `a Bruxelles en 1979, in Lambert J.C., Cobra, p. 23. [34] C'est ce serpent qui envahit les toiles d'Alechinsky, peintre emblématique du groupe Cobra [35] Décrit l’histoire du regne, de l’abdication et du retour du roi Baudouin de Jérusalem, dit Le Lépreux. Etrange quand on pense `a la question royale qui a tant remué le pays un an avant ; d’autant plus étrange quand on songe que le mari de Suzanne était Albert Lilar, un ministre libéral qui n’appartenait pas au camp anti-léopoldiste. [36] Fondé avec M.Fabien et J-M.Piemme en 1974. [37] Quaghebeur, Balises, p.352. [38] Quaghebeur, Balises, p.353. [39] Cette position est, soit dit en passant, ce qui a permis de réconcilier la sociologie avec le formalisme structuraliste et a conduit `a la naissance de la sociocritique. [40] Van snick C., Les auteurs dramatiques depuis 1960, in Le théâtre belge de langue française, p.171.