48 ^I^ä^L^ADA pondérante, garantie par ľétablissement de rela-tions permanentes entre l'Eglise officielle de la metropole et l'administration coloniale. De vastes éten-dues de terre, les Reserves du Clergé, prélevées sur les sols vacants, devaient subvenir á l'entretien du clergé protestant. Les hommes d'Etat britanniques croyaient ainsi avoir introduit dans la colonie deux facteurs ďordre et de loyalisme, gages de la stabilite du gouvernement monarchique. En fait, leur projet de creation ďune société aristocratique devait res-ter lettre morte dans un pays oú les propriétés étaient souvent appelées á changer de mains, et ľinfluence de l'Eglise anglicane fut rapidement battue en breche par ľarrivée ďune extréme diversité de confessions religieuses. A côté du Conseil légis-latif, une Assemblée, élue pour quatre ans, fut créée, formée de seize membres dans le Haut-Canada, de cinquante dans le Bas-Canada. Le droit de suffrage était reserve aux sujets britanniques ägés de vingt et un ans, propriétaires d'un bien de 40 shillings de revenu annuel dans les campagnes, de 5 livres dans les villes. Les mesures proposées par l'Assemblée devaient étre acceptées par le Conseil législatif avant d'etre soumises au gouverneur. Si ľapprobation en était réservée ä la Couronne, celle-ci devait se pro-noncer dans un délai de deux ans, faute de quoi elles ne recevraient point force de lois. Dans chaque province, en fin, un Conseil exécutif, sorte de Conseil privé consultatif, siégeait á côté du gouverneur. Ses membres étaient, comme ceux du Conseil législatif, issus du choix personnel du souverain ou de son representant. Chapitre V DU REGIME REPRÉSENTATIF AU GOUVERNEMENT RESPONSABLE (1791-1840) L'acte de 1791 ne devait pas regier le statut déň-nitif du Canada. Momentanément, il resolut le probléme créé par ľarrivée des loyalistes. Bientôt, cependant, ľesprit dans lequel il fut appliqué, ľac-croissement de ľimmigration, ľévolution sociale qui se produisit dans les deux principales provinces créěrent des conditions qui en rendirent la revision indispensable. Les années qui suivirent immédiatement la promulgation du Constitutional Act assistěrent ä la mise en train du nouveau regime. Dans le Haut-Canada, tandis que Simcoe entreprenait la construction des premieres routes et tracait les premieres artěres de la future ville de Toronto, la legislature introduisait les lois britanniques, le jugement par jury, et pro-cédait ä l'organisation de la justice et du gouvernement local. Dans le Bas-Canada, ľentrée en vi-gueur du regime représentatif se fit sans heurt. La justice fut réorganisée sur le modele de la justice anglaise. Dans la premiere Assemblée, malgré la presence ďune majorite de Canadiens francais et la decision qu'ils prirent d'assigner ä leur langue un rang égal ä celui de la langue anglaise, de bons rap-to. QIRAUD 4 50__________________________HISTOIRE DU CANADA ports s'établirent entre les représentants des deux races. Mais, sous ce calme apparent, des causes de mé-contentement et d'agitation se révélěrent aussitôt Dans le Haut-Canada, ľarrivée de nombreux immigrants américains, attires par la perspective de terres á bas prix, formant l'avant-garde du courant ďémigration qui gagnait le haut Etat de New York et la vallée de l'Ohio, introduisit rapidement une mentalite diíFérente de celie des loyalistes, moins dévouée ä la Grande-Bretagne, plus attachée aux conceptions américaines. Ces pionniers trouvaient dans le regime des terres matiěre á recrimination : de vastes domaines, concedes ä des privilégiés qui en négligeaient la mise en valeur, restaient en friche et paralysaient la colonisation. Cette situation était favorisée par ľexistence ďune sorte d'aristocratie coloniale qui s'était immédiatement constituée á York, groupant les membres des deux Conseils, les principaux fonctionnaires, les amis et partisans du gouvernement. Maitresse de ľadministration, cette classe privilégiée, le futur « Family Compact », dis-tribuait ä son gré les fonctions et les terres publi-ques. Soutenue par les commercants, les membres des professions liberales, les classes aisées, eile pro-voquait ľanimosité des colons peu fortunes, de tous ceux qui, faute de chance ou de capitaux, avaient échoué dans leurs entreprises. Exclus des Conseils, les mécontents exprimaient leur opposition dans l'Assemblée, créant ainsi une division assez bien tranchée entre les deux branches de la Legislature, et dessinant le premier canevas politique du Haut-Canada. La méme division apparut de bonne heure dans le Bas-Canada. Les Conseils y passěrent également sous la domination d'un petit groupe de privilégiés, RÉGIME REPRÉSENTATIF____________51 ches négociants, magnats du commerce de la four--me qui se recrutaient avant tout dans ľélément écos'sais, et réservaient les meilleurs places á leurs amis. Entre cet « Administration party », réplique du « Family Compact », et les Canadiern francais, de condition généralement plus modeste, un antagonisme économique et social s'établit aussitôt. Mais ü s'aggrava ici d'un antagonisme de race. L'harmonie des premieres années cessa en effet lorsque, vers 1796, les a seigneurs » canadiens, qui avaient d'abord forme le personnel dirigeant de la vie politique, abandonněrent celle-ci aux notaires, avocats et médecins, issus pour la plupart des classes populaires. Tenus ä ľécart par les riches marchands avec lesquels la noblesse avait frayé plus libre-ment, les nouveaux venus se vengěrent en se posant en défenseurs des droits de ľ «habitant » contre ľä-preté du négociant anglais, suroxcitant ainsi le na-tionalisme canadien qui devint désormais le thěme favori des campagnes électorales et trouva, ä partir de 1806, dans le journal Le Canadien, un instrument de propagande efficace. A ľaristocratie des Conseils, ďoú les Francais disparurent graduellement, ils re-prochaient ses tendances pro-anglaises, son accapa-rement des fonctions publiques, ses conceptions économiques trop avancées, generatrices de dé-penses superflues. Comme les mécontents du Haut-Canada, ils manifestaient leur opposition dans l'Assemblée qui, par le jeu normal des elections, grou-pait une majorite toujours croissante de Canadiens francais. Servis ä souhait par les méthodes autori-taires du gouverneur Sir James Craig (1807-11), ils lormulěrent des revendications de plus en plus hardies, qui tendaient ä leur assurer le contrôle des fonctionnaires et de ľadministration. Entre les Conseils et l'Assemblée, il existait done une double opposi- ------------—____JEI^I^^L^ada tion, basée sur des differences de race et de condition économique et sociale. Dans les Provinces Maritimes, la société se scinda également entre le groupe des conseillers et déten-teurs des fonctions publiques, de niveau social plU8 élevé et de condition aisée, et la classe des colons et des pécheurs, dont les représentants exprimaient leurs doléances dans 1'Assemblée oůils étaient admis. Mais les reactions y étaient plus modérées que dans les provinces précédentes, l'habitude du compromis plus répandue, le loyalisme envers la Grande-Bre-tagne, favorisé par la puissance de l'Eglise anglicane, mieux assure. Telle était la situation lorsque survint, entre l'An-gleterre et les Etats-Unis, la guerre de 1812-14. Cette deuxiěme guerre ďindépendance fut essentiel-lement provoquée par l'attitude des Etats récem-ment eonstitués á í'ouest des Alleghanies, qui de-mandaient ľannexion du Haut-Ganada et cher-chaient dans une rupture avec l'Angleterre le moyen de mettre un terme á ľhostilité des Indiens, sans cesse alimentée par les distributions ďarmes des trafiquants britanniques. Mais eile éclata ä la suite de désaccords qui étaient nés au lendemain de la secession des colonies américaines et qui s'étaient amplifies au cours de la guerre entre la Grande-Bre-tagne et la France napoléonienne. Militairement, eile établit ľincapacíté des Etats-Unis, en dépit de succěs locaux, de conquérir le Canada. La paix de Gand, par laquelle eile se termina, restaura le statu quo ante bellum et confia ä des commissions le soin de regier ultérieurement les frontier es encore débat-tues entre les deux belligérants. Dans le Haut-Canada, la guerre atténua momentanément les tendances pro-américaines ďune population qui, en 1813, était, dans la proportion de 60 %, composée LE REGIME REPRESENTATI F________________53 ^'immigrants non loyalistes venus des Etats-Unis. Ceux-ci durent se rallier plus franchement á l'allégeance britannique. De leur côté, les loyalistes, se proclamant les sauveurs du pays, se crurent plus que jamais appelés ä occuper une place prépondérante dans le gouvernement. Le Haut-Canada obéit désormais, de preference, ä des cbefs britanniques. Politiquement, revolution qu'il subit s'inspira de méthodes plus anglaises qu'amé- ricaines. Dans les années suivantes, le mécontentement qui s'était exprimé avant la guerre prit une nouvelle ampleur, et donna lieu ä une violente agitation. Dans la société du Haut-Canada, la scission que nous avons entrevue se précisa. D'une part, le Family Compact, domine par les principales families loyalistes, dont la guerre de 1812 avait fortiŕié le prestige, soutenu par les classes riches et les officiers en demi-solde arrives au lendemain de Waterloo, s'unit plus étroitement sous la direction du futur évéque d'York, John Strachan. Politicien habile, celui-ci défendait avec energie les privileges de l'Eglise anglicane. Sans se soucier des obstacles qui, ä proximité d'une terre ou toute idée de Suprematie d'une confession déterminée était depuis longtemps condamnée, devaient rendre son programme irréalisable, il révait de subordonner ä son Eglise la vie politique, religieuse et intellectuelle de la province. II espérait y parvenir en s'aidant d'un clergé nombreux et richement doté, d'une universitě rigoureusement contrôlée et ďécoles élémentaires destinées á répondre aux besoins d'une population croissante, en faisant appel ä ses anciens éléves qu'il introduisait en grand nombre dans les deux Conseils, en agis8ant enfin, par l'Eglise d'Angleterre, sur le Parlement imperial et sur le « Colonial OfEce ». Mai- 54 ^MVOBDUJAX^ tres des fonctions publiques et des Conseils, ayant partie liée avec les gouverneurs, les membres du Family Compact formaient le cceur du parti tory. lis tenaient leurs intéréts pour inseparables du loya- lisme envers la Couronne britannique. Quiconque n'était pas affilié ä leur parti ou hasardait la moindre critique des institutions anglaises était, á leurs yeux, coupable de trahison envers la metropole. Ces pretentions ne les empécbaient d'ailleurs pas de cri- tiquer áprement les ministres ou les représentants de la Couronne dont la politique ne cadrait pas avec leurs vues ou leurs intéréts. Or, tandis que leur groupe se renforcait sous ľim-pulsion de Strachan, ľopposition recrutait de son côté de nouveaux adherents pármi les immigrants américain8, qui, au lendemain de la guerre de 1812, avaient repris le chemín du Haut-Canada, et pármi les elements peu fortunes, ouvriers agricoles, artisans, travailleurs saus naissance et sans špecialite, qui arrivaient des lies Britanniques oů ils étaient exclus du droit de vote. La population s'accrut alors dans de fortes proportions : de 80 000 habitants en 1815, eile passa á plus de 210 000 en 1830, ä plus de 340 000 en 1835. Les nouveaux venus s'intéres-sérent rapidement ä la vie politique. Enhardis par le contact de la democratic américaine, par ľessor que prenait leur personnalité dans ľexistence difficile des communautés de la « frontiěre », ils s'appré-térent á revendiquer, en raison de leur importance numérique, des droits plus étendus, et ä dénoncer les abus du systéme existant. Leur action s'exercait naturellement par ľintermédiaire de l'Assemblée qui, depuis les remaniements apportés ä la constitution en 1820, formait un organe plus compléte-ment représentatif que la Chambre des Communes en Angleterre. LE RÉGMEJIEPRĚSENTATIF___________________55 Mais la situation politique n'était pas aussi clairement d'finie que les apparences le laissent supposer. Dans la rude rovince que l'Ontario était ä cette époque, ľimmigration avait introduit une diversité de classes et ďorigines qui s'accompagnait ďune égale diversité d'aspirations politiques. Ces divergences ďopinions étaient envenimées par les jour-rxaux, les loges orangistes, le caractére passionné des Irlandais qui arrivaient en grand nombre. Le malaise économique