XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) XII. La guerre de Cent Ans et le temps des epreuves (1328-1483) Veritable « temps des epreuves »pour la France commepour ľOccident, les 14' et 15e siěcles sont á lafois marques par la guerre, celie de Cent Ans et celle qui oppose Louis XI á Charles le Téméraire, par la regression démographique (la Grande Peste en est I'agent le plus actif) et la depression économique. Dans ces perils, I'Eglise rencontre de graves crises internes, mais I'Etat, le moyen de son affirmation. XII. LA GUERRE DE CENT ANS ET LE TEMPS DES EPREUVES.....................................................................1 XII.A. LaFranceen1328......................................................................................................................................2 XII a. i. Le royaume en 1328...............................................................................................................................2 XII a. ii. La crise politique....................................................................................................................................3 XII.B. Lesguerres. Guerre de Cent Ans et conflit bourguignon....................................................................4 Xll.b.i. La guerre de Cent Ans au 14" siede........................................................................................................4 XII.b.ii. Armagnacs et Bourguignons...................................................................................................................4 XII. b. Hi. La guerre de Cent Ans au 15e siede........................................................................................................5 Xllb.iv. Louis XI et Charles le Téméraire............................................................................................................5 XII.C. TJNE SOCIÉTÉ EN CRISE...................................................................................................................................6 Xll.c.i. La peste......................................................................................................................................................6 XII c. ii. La depression économique......................................................................................................................7 XII c. iii. La crise de l 'Eglise.................................................................................................................................7 XII c. iv. Les troubles soci aux...............................................................................................................................8 XII.D. Naissance de ĽÉtat moderne....................................................................................................................8 XII d. i. Le pouvoir royal.....................................................................................................................................8 XII d.U. Ľ ar mé e et l 'impôt...................................................................................................................................9 XII d. iii. Les états...............................................................................................................................................10 Lorsque, pour la premiere fois depuis 987, le pouvoir royal passe aux mains ďune branche cadette, les Valois, le moment est venu de dresser un bilan : bilan éclatant, mais remis en cause par les malheurs du temps. Guerre, peste, famine : les trois cavaliers de l'Apocalypse furent, aux yeux des hommes de ce temps, responsables d'un drame que les historiens ďaujourďhui présentent plutôt en termes de depression et de crises. En effet, aprěs plusieurs siěcles ďexpansion intérieure et extérieure, ľOccident connaít, aux 14e et 15e siěcles, des difficultés de tous ordres et voit grandir, á l'est, la menace des Turcs Ottomans qui, en s'emparant de Constantinople en 1453, font disparaitre un des elements du monde medieval: Byzance. Mais dans ces bouleversements allait naitre I'Etat moderně. 1 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) XII. a. La France en 1328 XILa.i. Le royaume en 1328. Héritier de la Francie occidentale du traité de Verdun, le royaume de France a toujours pour frontiěre Orientale une ligne théorique qui correspond, tantôt en decá tantôt au-delá, aux « quatre rivieres ». La grande expansion territoriale du royaume de France n'a pas encore commence. Tel quel, il couvre environ 424 000 kilometres carrés. Dans ces limites, ľautorité du roi s'exerce d'abord sur le domaine royal, dont l'extension a été la grande ceuvre des Capétiens : parti ďéléments morcelés situés en Ile-de-France et en Orléanais, il couvre 313 000 kilometres carrés en 1328, soit les trois quarts du royaume. Ailleurs, sur les apanages et les grands fiefs, ľautorité du roi ne s'exerce que de facon indirecte. Detaches du domaine, les premiers restent administrés suivant les mémes méthodes. Les seconds viennent en droite ligne des principautés constituées au temps de ľanarchie féodale. Si le duché de Bourgogne reste trés proche du domaine, des tendances centrifuges voire sécessionnistes trěs marquees apparaissent en Flandre, en Bretagne et, bien sür, en Guyenne, toujours aux mains des rois d'Angleterre. Pour la premiere fois dans l'histoire de France apparait en 1328 un document fiscal qui permet une mesure de la population du royaume : ľ« etat des feux » recense, paroisse par paroisse, le nombre des feux1 de la plus grande partie du domaine royal, soit 3 364 000 feux dans 23 700 paroisses. En effectuant les restitutions nécessaires, on obtient pour l'ensemble du royaume une fourchette comprise entre 13 et 17 millions d'habitants et, pour la France actuelle, de 15 á 20 millions, avec une densité de 30 á 40 habitants au kilometre carré. La France de 1328 n'est pas seulement un pays riche qui a profite, plus que tout autre, du grand essor de l'Occident depuis ľan mil. C'est aussi le pays le plus peuplé de la Chrétienté. Le réveil ne sera que plus brutal. Déjá de multiples signes permettent de déceler non seulement la fin de la croissance, mais méme un retournement de la conjoncture : baisse des revenus de la terre, déclin des foires2 de Champagne, premiére grande famine des temps modernes en 1315-1317 ; et 1 Feu. Groupe de personnes vivant dans un méme foyer et servant, au Moyen Age, ďunité de base pour la fiscalité directe. Les listes de feux sont les principaux documents de la démographie medievale, le probléme étant de savoir á combien d'habitants pouvait correspondre, en moyenne, un feu. Les estimations les plus courantes oscillent entre 3,5 et 5 habitants par feu. 2 Foire. Le mot vient du latin feria, féte, parce que á ľorigine les marchands se regroupaient á ľoccasion des fétes religieuses. Les foires sont des rassemblements périodiques, réguliers et proteges par ľautorité publique, de marchands venus de regions éloignées. II existe des foires regionales et d'autres plus importantes qui sont un element fondamental du grand commerce international : foires de Champagne au 13e siécle, foires de Lyon ou de Geneve á la fin du Moyen Age. 2 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) il est fort possible que ľ« etat des feux » soit une tentative pour fixer une matiěre imposable en diminution. Xll.a.ii. La crise politique. Mais la crise la plus voyante n'est ni démographique ni économique. Elle est politique et s'ouvre apres la mort de Philippe le Bei. En moins de quatorze ans, les décěs successifs de ses trois fils ont fait passer la couronne á leur cousin germain, chef de la branche cadette des Valois, au detriment des filles des rois défunts et du petit-fils de Philippe le Bei par sa mere, Edouard III d'Angleterre. Cette crise, qui aboutit au regne de Philippe VI, mérite commentaire. Deux ordres de faits ont concouru á écarter les femmes de la succession : ďabord ľidée que la dignité de roi de France, comme celie de pape ou ďempereur, était trop haute pour échoir á une femme (et ainsi va apparaitre la loi salique3); ensuite, en écartant Edouard III, les barons de France ont refuse un prince qui « n'était pas né du royaume » : premiere ébauche ďun sentiment national. Écarter Edouard, c'était aussi alourdir le contentieux franco-anglais. Nous avons déjá vu les principales étapes de la rivalite séculaire qui opposait les rois de France et d'Angleterre. Le compromis tenté par Saint Louis au traité de Paris (1259) laissait la Guyenne au roi d'Angleterre, mais ľobligeait á revenir dans la vassalité du roi de France. Cette situation difficile, qui faisait d'un roi le vassal d'un autre roi, devient impossible quand, vers 1300, la renaissance du droit remet á ľhonneur les notions d'Etat et de souveraineté. La nouvelle rivalite au sujet de la couronne de France s'inscrit done dans un contexte de trěs ancienne hostilité. D'autres facteurs ľont alimentée, en particulier la menace perpétuelle que l'Angleterre, grosse productrice de laine, faisait peser sur l'industrie textile des villes flamandes. Mais, au-dela des querelles féodale, dynastique ou économique, il s'agit d'un conflit fondamental entre les deux grandes monarchies féodales pour la Suprematie en Europe : nous l'appelons la guerre de Cent Ans. 3 Loi salique. Loi des Francs Saliens rédigée á ľépoque de Clovis, vers 486-496, et plusieurs fois revisee jusqu'á celie de Charlemagne. Cette loi contient une clause qui exclut les femmes de la succession de la terre. C'est cette clause qui a été invoquée au 14e siěcle par les légistes du roi de France pour justifier a posteriori ľéviction des femmes de la succession royale. 3 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) XII. b. Les suerres. Guerre de Cent Ans et con flit boursuisnon Xll.b.i. La guerre de Cent Ans au 14e siěcle. Dans un premier temps, le jeune Edouard III paraít s'incliner devant le fait accompli et préte en 1329 hommage á Philippe VI pour la Guytnntfvoir DOCUMENT Xll.a.). Puis il renie son hommage, lance son défi á Philippe VI en 1338 et prend le titre de roi de France. Edouard avait de nombreux atouts : la grande téte de pont de la Guyenne et une autre en Ponthieu. Le soutien des Flamands et de nombreux barons, normands et bretons surtout. II avait aussi l'initiative des operations. Děs 1340, il détruit la flotte francaise dans le port flamand de l'Ecluse. H peut désormais débarquer á la téte de troupes peu nombreuses, mais trěs motivées par l'appät des richesses francaises et armées du redoutable arc gallois. Devant les « chevauchées » anglaises - razzias á cheval qui dévastent les campagnes et pillent les villes -, Philippe VI lěve á grands frais de vastes cohues féodales de chevaliers indisciplines, soucieux de prouesses individuelles, mais paralyses par leurs lourdes armures. Vaincu par Edouard III á Crécy en 1346, il lui abandonne Calais ľannée suivante. Son fils Jean le Bon, battu et fait prisonnier á Poitiers en 1356, signe en 1360 le traité de Brétigny-Calais qui, avec Calais et une rancon de 3 millions ďécus d'or, cede á Edouard III tout le sud-ouest de la France, des Pyrenees jusqu'aux abords de la Loire. Roi en 1364, Charles V a compris la lecon : il recrute de petites troupes permanentes et soldées qui, sous la conduite de Du Guesclin. récupěrent le pays par la guerilla. Vers 1375, les Anglais ne tiennent plus que Calais, le Ponthieu et la Guyenne. Malgré l'absence de traité de paix, on peut dire que la premiere phase de la guerre de Cent Ans est terminée. Xll.b.ii. Armagnacs et Bourguignons. Elle a marqué la noblesse francaise, humiliée par la défaite et touchée dans son loyalisme par la nécessite de choisir entre des fils de la lignée de Saint Louis. C'est ľépoque des fidélités douteuses. De 1341 á 1365, en Bretagne, une guerre de succession oppose le candidat du roi de France á celui du roi dAngleterre. Au milieu du siěcle, un autre descendant de Philippe le Bel, Charles le Mauvais, roi de Navarre, brigue la couronne de France et s'allie aux Anglais. Mais le pire était á venir. Quand, en 1380, Charles VI, mineur, succěde á son pere, des clans se forment autour de ses oncles. Quand, une fois majeur, le roi devient fou, deux camps se disputent le pouvoir : celui 4 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) de son cousin, le due de Bourgogne Jean sans Peur, et celui de son frěre, le due d'Orléans. Aprěs que le premier eut fait assassiner son rival en 1407, e'est la guerre civile entre les « Bourguignons », qui tiennent surtout l'est et le nord du royaume, et les « Orleans-Armagnacs », qui tiennent le sud et l'ouest. Pour conquérir ces enjeux que sont le rpi, la reine Isabeau de Baviěre et Paris, chacun est prét á s'allier aux Anglais. Xll.b.iii. La guerre de Cent Ans au 15e siěcle. En Angleterre, Henri V, devenu roi en 1413 et issu de la nouvelle dynastie de Lancastre, veut rallier sa propre noblesse et lui offre ľaventure francaise. Les succěs sont foudroyants. H éerase la noblesse francaise á Azincourt en 1415, conquiert la Normandie et s'approche de Paris. La guerre civile paralyse la France, surtout aprěs le meurtre de Jean sans Peur par les Armagnacs en 1414. C'est avec ľappui du nouveau due de Bourgogne, Philippe le Bon, qu'Henri V impose en 1420 le traité de Troyes (voir DOCUMENTXII.b.) : Charles VI déshérite son fils, le dauphin, au profit d'Henri V, qui devient son gendre. Quand meurent les deux rois en 1422, Henri V ne laissant qu'un fils ďun an, la France est au plus bas... La France ou plutôt les Frances : ľanglaise. de la Normandie á la region parisienne ; la bourguignonne. de la Bourgogne á la Flandre ; celie des Armagnacs et du dauphin, organisée autour de Bourges et de Poitiers, et qu'on appelle avec ironie le royaume de Bourges. Pour en venir á bout en franchissant la Loire, les Anglais assiěgent Orleans. Alors se produit le miracle : le retournement de la situation grace á intervention de Jeanne d'Arc. qui, galvanisant les energies, délivre Orleans et fait sacrer Charles VII á Reims en 1429, mais échoue dans la region parisienne ; prise par les Bourguignons, eile est livrée aux Anglais, jugée et brůlée á Rouen en 1431. Charles VII et le due de Bourgogne se réconcilient en 1435 et les positions anglaises s'érodent : Paris est repris en 1436, la Normandie reconquise en 1450 et la Guyenne en 1453 aprěs la victoire de Castillon, derniěre bataille de la guerre de Cent Ans. II ne reste alors aux Anglais que Calais et si, comme au temps de Charles V, aucun traité de paix ne vient la conclure (simplement une tréve a Picquigny, en 1475), la guerre de Cent Ans n'en est pas moins terminée. Xll.b.iv. Louis XI et Charles le Téméraire. A ce conflit séculaire en succěde un autre : la lutte contre l'Etat bourguignon, 5 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) prelude au long combat contre la Maison d'Autriche. Depuis 1363, á la faveur des guerres anglaises, la Maison de Bourgogne, branche cadette des Valois. a constitué un Etat. Au temps de Charles le Téméraire (1467-1477), il s'étend de Mäcon á Amsterdam, dAmiens á Mulhouse. Héritier de la vieille Lotharingie, il représente une puissance politique qui a su jouer de la rivalite franco-anglaise et d'une utile position géographique de part et d'autre de la frontiěre avec l'Empire ; une puissance économique qui bénéficie á la fois de l'artisanat des villes de Flandre, du vignoble bourguignon et du contrôle des voies ďeau, de la Saône á ľembouchure du Rhin ; un póle de civilisation artistique qui, á Dijon, Beaune, Bourges, Gand ou Bruxelles, soutient la comparaison avec ľltalie. Vers 1470, Louis XI fait piětre figure á côté de Charles le Téméraire. Mais, fort de son armée, de ses finances reconstituées et de son génie diplomatique, il sut rassembler tous ceux Alsaciens, Lorrains, Suisses... -qu'effrayaient les ambitions du Grand Due d'Occident. Deux fois battu par les Suisses, Charles meurt misérablement en 1477 devant Nancy, dont il avait réve de faire sa, capitale. Louis XI en profite pour prendre la Bourgogne, reprendre la Picardie et l'Artois et chercher á imposer sa protection á la fille unique de Charles, sa filleule Marie de Bourgogne. Plutôt que d'accepter cette protection, Marie de Bourgogne préféra épouser le fils de l'empereur, Maximilien dAutriche : le probléme de la Maison dAutriche était posé. XII. c. line société en crise Xll.c.i. La peste. Pendant pres de cent cinquante ans, la France a connu les ravages de la guerre : ceux des chevauchées anglaises et des guerres civiles, mais aussi ceux des hommes d'armes qui, sans emploi pendant les tréves, s'organisent en « grandes compagnies » et en bandes de « routiers » pour vivre du pillage et de la rancon. Mais ce cavalier de lApocalypse - la guerre - n'était pas seul», un autre - la peste - l'accompagnait (voir DOCUMENT XII. c). De nombreux indices montrent que la population avait cessé de s'accroitre au debut du 14e siěcle et qu'elle avait méme commence á baisser. Ce déclin va étre précipité de facon dramatique par la peste noire, fléau oublié depuis pres de sept siěcles. Véhiculé depuis ľ Asie centrale par les caravanes des routes de la soie et les galěres italiennes en Méditerranée, il atteint Marseille á la fin de 1347. En deux ans, ľépidémie fait le tour du royaume : « la tierce partie du monde mourut » (Froissart). 6 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) Pire, le bacille pesteux, implanté, va provoquer tous les dix ou vingt ans des resurgences qui empecheront pendant un siecle tout redressement démographique. Les calculs faits pour quelques provinces montrent que, d'un indice 100 de la population vers 1315, on passe á des indices situés entre 30 et 50 vers 1450. Le recul est considerable. XILc.ii. La depression économique. Le troisiěme cavalier de ľ Apocalypse - la famine - se présente de facon particuliěre aux 14e et 15e siěcles. II y a eu en 1315-1317 une veritable famine liée á des conditions climatiques catastrophiques. Mais il s'agit surtout d'une difficile adaptation de ľéconomie rurale, avec alternance de surproduction et de sous-production, á la baisse démographique. Dans l'ensemble, tous ceux qui vivaient du travail ou des revenus de la terre ont päti de cette longue depression qui, accompagnée d'une baisse continue de la valeur de la monnaie, ébranle les fondements mémes de la seigneurie rurale. Les grands propriétaires, done la noblesse et l'Eglise, qui voient diminuer les revenus de la terre et ceux qu'ils percevaient sur des hommes de moins en moins nombreux, sont les premiers touches. Mais les paysans, s'ils disposent de plus de terre et voient les charges seigneuriales diminuer, souffrent de la baisse des prix agricoles et de ľaugmentation de la fiscalité royale. Tous, enfin, sont victimes de la guerre : destruction des bätiments, vignes, plantations, massacre du cheptel. Partout reviennent les friches (voir DOCUMENT XII. d). Partout, pour sortir de la crise, il faudra des capitaux et de imagination : nouveaux contrats agraires, nouvelles cultures. XILc.iii. La crise de l'Eglise. Ce vaste ébranlement a porte atteinte á toutes les valeurs établies. Nobles et chevaliers ont failli á leur täche et l'on s'interroge sur leurs privileges. L'Eglise, atteinte dans ses revenus et dans son recrutement, s'enlise dans les conflits internes : séjour de la papauté ä Avignon (1309-1377) et Grand Schisme (1378-1417) qui voit s'affronter deux papes rivaux, l'un á Rome et ľautre á Avignon. Le concile de Constance (1414-1418) ramene ľunité, mais ľautorité pontificale en sort trěs affaiblie. L'Eglise de France, aceablée de maux, préte á accepter la tuteile du roi, n'est pas en mesure de répondre aux angoisses des populations éprouvées. Celles-ci sont hantées par la mort et l'on voit se développer une liturgie de la mort et un art funěbre, se multiplier chapelles 7 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) et monuments funéraires. La piété oscille alors entre deux tendances : une forme individuelle, qui mene au mysticisme, et de grandes ceremonies communautaires -predications, processions, passions jouées sur le parvis des églises- qui expriment ľaspiration á la penitence et au salut collectifs. L'art flamboyant et les poěmes de Francois Villon sont le reflet de cette époque tourmentée. Xll.c.iv. Les troubles sociaux. De telies tensions měnent á la violence. Dans les campagnes, aprěs la défaite de Poitiers, les paysans de la riche Ile-de-France se soulěvent contre l'incurie des nobles, les exactions des gens de guerre et la fiscalité du roi : la « jacquerie » n'a dure que douze jours (29 mai-10 juin 1358), mais a donné son nom á toutes les revokes paysannes des Temps modernes. Terrible, la reaction nobiliaire engendra un mécontentement latent, mais durable. Dans les villes devenues des «villes closes ». les revokes sont mieux connues. Coupe du plat pays, le monde urbain se déchire : entre anciens habitants et nouveaux venus chassés des campagnes, entre maitres des metiers, qui veulent bloquer l'embauche et les salaires, et compagnons, entre officiers du roi et contribuables. Ces revokes spontanées, fréquentes surtout au 14e siěcle, ont souvent servi de tremplin á l'expression des aspirations politiques de la bourgeoisie. Cest le cas des revolutions parisiennes : celie du prévôt des marchands Etienne Marcel, en 1358, celle des Maillotins en 1382 et celle du boucher Caboche en 1413. Elles furent á l'origine d'un long divorce entre le roi et sa capitale. XII. d. Naissance de ľ Etat moderne XILd.i. Le pouvoir royal. Le vrai bénéficiaire de cette vaste mutation est le roi. Les problěmes de succession ont poussé á la reflexion sur la nature de son pouvoir et á exalter, au-delá de la naissance, les vertus du sacre et les droits de la couronne. En méme temps, surtout sous Charles V, puis sous Charles VII aprěs 1435 et sous Louis XI, se mettent en place les organes de l'Etat moderne. Certes, les organes du pouvoir central issus de l'ancienne Cour du roi restent les mémes : Parlement pour la justice et Chambre des comptes pour les finances du domaine, á laquelle va s'ajouter, pour contrôler les nouveaux 8 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) impôts, la Cour des aides. Mais ľautorité de ces institutions parisiennes traditionnelles diminue. Le roi délaisse Paris pour la vallée de la Loire - Louis XI se fixe á Plessis-lez-Tours - et á ses côtés grandit le role du Conseil. De nouveaux parlements (Toulouse, Grenoble, Bordeaux. Dijon...), de nouvelles chambres des comptes (Grenoble, Dijon, Angers...) empiětent sur le ressort de Paris. En méme temps, les agents provinciaux démultiplient la presence royale. L'extension du domaine a fait passer á soixante-quinze le nombre des baillis et sénéchaux ; mais leur role s'amenuise avec la creation d'autres circonscriptions plus vastes et plus spécialisées : militaires avec des gouverneurs ou lieutenants généraux, ou fiscales appelées « elections ». Partout le roi envoie des commissaires réformateurs qui enquétent et souvent décident. La creation du service de la poste par Louis XI est á replacer dans cette perspective : que les ordres du roi parviennent mieux et plus vite dans tout le royaume. XILd.ii. Ľarmée et ľimpôt. Dans ce royaume sans cesse agrandi (Dauphine au 14e siěcle, Provence et Roussillon sous Louis XI) et qui couvre maintenant 500 000 kilometres carrés, se sont constitués deux nouveaux instruments de pouvoir : ľarmée et ľimpôt permanents. lis ne vont pas l'un sans l'autre. Děs Philippe III et Philippe le Bel, pour augmenter les revenus « ordinaires » venus du domaine, on avait commence á lever des impôts « extraordinaires ». pour lesquels il fallait le consentement des intéresses : nous avons lá une des origines de ces assemblées qui vont devenir les états généraux. Mais cet impôt n'était consenti que pour une durée limitée. Les premiers désastres de la guerre de Cent Ans, le paiement de la rancon du roi Jean le Bon et surtout la volonte de Charles Y de créer des compagnies ďhommes ďarmes permanentes ont conduit les états á accorder la levée ďimpôts pour plusieurs années ; le délai passé, le roi en continua la perception. Mais la tentative fut pourtant ephemere et le vrai créateur de ľarmée et de ľimpôt modernes est Charles VIT H interdit les armées privées en 1439, crée les compagnies ďordonnance (cavalerie) en 1445 et les francs-archers (infanterie) en 1448. En méme temps achévent de se mettre en place les impôts dAncien Regime : taille4, impôt direct qui pese sur les roturiers ; aides, impôts indirects sur les 4 Taille. Le mot vient du latin tôliere, enlever, prendre. II designe ďabord une exaction seigneuriale levée par les seigneurs á partir de la fin du lle siěcle, de fagon á la fois exceptionnelle et arbitraire, en vertu de leur droit de ban. Dans un deuxiěme temps, grace au mouvement ďaffranchissement, la taille devient fixe et annuelle : c'est la taille abonnée. A partir de la fin du Moyen Age, la taille devient ľimpôt royal par excellence : impôt direct levé sur les roturiers. 9 XII. La Guerre de Cent Ans et le Temps des epreuves (1328- 1483) transactions ; gabeile du sei. Louis XI perfectionne ces deux instruments et dispose á la fin de son rěgne ďun revenu annuel de 2 500 000 livres (dix fois plus que Saint Louis) et ďune armée de 80 000 hommes, dont 40 000 combattants effectifs : la plus forte d'Europe. Ce sont les bases de l'Etat moderne. Xll.d.iii. Les états. Ce sont les gages de ľindépendance du roi, qui ne s'en laisse imposer par personne. La noblesse affaiblie a pu se révo Iter (Praguerie en 1440 contre Charles VII, guerre du Bien public en 1465 contre Louis XI) ; eile a du se soumettre, entrer au service du roi en acceptant des offices civils5 ou surtout militaires et solliciter des pensions qui compensent la baisse de ses revenus. L'Église entre dans l'ere du gallicanisme6, principe d'une Église nationale dont le roi est le chef naturel. Charles VII a su ľimposer á la fois au pape et au clergé de France par la pragmatique sanction7 de Bourges (1438). Quant á la bourgeoisie, celie des « bonnes villes » qui ont fourni au roi pendant les guerres une aide financiere et militaire appréciée, eile envoie maintenant, comme le clergé et la noblesse, ses représentants aux états généraux, dont le role est de donner au roi l'avis de la nation et surtout de transmettre á la nation la volonte du roi. Les bourgeois entrent dans ľ administration royale, achétent des terres nobles, profitent du développement économique et commercial qui accompagne le redressement francais et la stabilisation monétaire á partir de Charles VII. La puissance du financier Jacques Coeur sous Charles VII, le rayonnement des foires de Lyon symbolisent cette nouvelle situation économique. Clergé. noblesse, bourgeoisie : les trois états, á l'exclusion des paysans, apparaissent pleinement constitués aux grands états généraux qui se tiennent ä Tours en 1484, un an aprěs la mort de Louis XL La France entre dans l'ere moderne. 5 Office. Se dit, au Moyen Age et sous l'Ancien Regime, de toute fonction (officium) au service du roi ou d'un seigneur. 6 Gallicanisme. Doctrine defendant les liberies de l'Église catholique en France contre les pretentions de la papaute, qualifiées, par opposition, d'ultramontanisme. 7 Pragmatique sanction. Edit réglant un ensemble d'affaires (le mot « pragmatique » vient du grec pragma, action, affaire) concernant un pays ou une question particuliere. Ce nom a été donne au rěglement édicté par Charles VII á ľissue de ľAssemblée du clergé tenue á Bourges en 1438. Cet acte vise á introduire en France les décrets du concile de Baie et á limiter les interventions de la papauté dans les affaires de l'Église de France. Par son existence méme, la pragmatique sanction de Bourges admet le droit du roi á légiférer sur l'Église de France. 10