document XV.c. Loyalisme monarchique, patriotisme et tolérance en 1610 Le protestant Philippe Duplessis-Mornay (1549-1623), gouverneur de Saumur depuis 1589, annonce, le 19 mai 1610, `a l'assemblée de la ville, composée de protestants et de catholiques, la mort d'Henri IV, assassiné cinq jours plus tôt : >> Messieurs, nous avons ici `a prononcer une triste et détestable nouvelle. Notre roi, le plus grand roi que la Chrétienté ait porté depuis cinq cents ans, qui avait survécu [`a] tant d'adversités, de périls, de sieges, de batailles, d'assassinats meme attentés en sa personne, tombe enfin sous le coup d'un misérable, qui noircit en un moment tout cet État de deuil, noie tous les bons Français de larmes [...] Ils nous ont donc tué notre roi, et j'en vois vos yeux mouillés, vos coeurs touchés, mais il ne faut pas ainsi perdre courage. Nous avons, de la grâce de Dieu, ce privilege en ce royaume, que les rois n'y meurent point. Il nous en a laissé un, en qui, des ce bas âge, reluit l'image de ses vertus ; [il] nous laisse la reine, sa mere, princesse magnanime, déj`a déclarée régente pour la conduite de sa personne et de l'État. Nous avons donc `a tourner aujourd'hui les yeux vers eux, pour leur faire voeu de notre entiere obéissance et fidele service. En ce voeu, messieurs, étant ce que je suis au milieu de vous, je vous précéderai ; j'en fais serment devant mon Dieu ; je vous en donne l'exemple. Qu'on ne parle plus entre nous de huguenot ni de papiste ; ces mots sont défendus par nos édits. Qu'en fussent aussi bien les animosités éteintes en nos coeurs ! Quand il n'y aurait point d'édit au monde, si nous sommes français, si nous aimons notre patrie, nos familles, nous-memes, ils doivent désormais etre effacés en nos âmes. Il ne faut plus qu'une écharpe entre nous. Qui sera bon Français me sera citoyen, me sera frere. Je vous conjure donc, messieurs, de vous embrasser tous, de n'avoir qu'un coeur et qu'une âme. Nous sommes petits, mais soyons ambitieux de cette louange de donner `a nos voisins ce bon exemple, en dépit de la malice du siecle, de fidélité envers nos rois, d'amour envers notre patrie, de soin enfin de nous-memes. << Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay, Paris, 1824-1825, t. XI, p. 30-31. Les sentiments qu'exprime Duplessis-Mornay, dans ce beau discours de déploration et de fraternité, tranchent sur ceux de l'immense majorité de ses compatriotes, catholiques ou protestants, qui estiment que l'unité religieuse est indispensable `a l'unité d'un État et que la tolérance est inconciliable avec les droits de la vérité.