Georges Perec La disparition Anton Voyl disparatt, laissant derriére lui quelques šägeS~mysiérieux. La pütfa;7'nungüt3e;^nqüete, mais, >rientée, ne peut empecher une seconde disparition, : aussi mystcrieuse et inexplicable, celie d\m avocat ocain, Hassan Ibn Abbou. Réunis ä Azincourt dans la :>riété de ľun dVux, les amis des disparus essaient de iprendre ce qui s'est passe, rassemblant d'innombrables rmations, cbaque fois lacunaires, ressusdtant d'andens i/enirs. Au fur et a mesure que ľenquete progressc, ebaeun que les menaces se précisent, que les dangers sc rappro-"it. A nouveau la Mort, la Disparition, surgissent. Quel mystere plane sur ce livre? Quel est le/m mot de c histoire ľ Qui sent ces étres qui disparaissent et quel est :cret qu'ils emportcnt dans leur tombeľ Nous ne le sau-i jamais, mais au tnoins saurons-nous quil les fit vivre et I les fit mourir et quel e livre cntiern'est que ľexacte trace ette damnation sans-fin. DENOEL .. __.............- La disparition roman DENOEL DU MEME AUTEUR Ces ouvrages ont paru en premiere edition dans la collection « Les Lettres Nouvelles » dirigée par Maurice Nadeau Les Choses, Julliard, 1965. Quel petit vélo ä guidon chromé au fond de la cour ?, Denoel, 1966. Un homme qui dort, Denoel, 1967. La Disparition, Denoěl, 1969. ~wí~o» iě^owuenir-dJsnfan£Si~D&p.o'ě\}-í$7-5^ La Boutique obscure, Denoěl-Gonthier, collection « Cause commune », 1973. ChezHachette/P.O.L. : Je me souviens (Les Choses communes I), 1978. La. Vie mode d'emploi, 1978. La Cloture et autres poemes, 1978. Theatre I, 1981. Chez ďautres éditeurs : Les Revenentes, Julliard, collection « Idee fixe », 1972. Espéces d'espaces, Galilee, collection « L'Espace critique », 1974. Alphabets, Galilee, collection « Ecritures/figures », 1976. Un cabinet d'amateur, Balland, 1979. Les Mots croisés, Mazarine, 1979. VEternité, Orange Export LTD, 1981. Penser/Classer, Hachette, 1985. Mots croisés II, P.O.L./Mazarine 1986. Ouvrage en collaboration : Petit Traité invitant a Vart subtil du go, Christian Bourgois, 1969. Oulipo : Atlas de littérature potentielle, Gallimard, collection « Idées », 1981. Récits d'Ellis Island, avec Robert Bober, Editions du Sorbier, 1980. Traductions : Harry Mathews : Les Verts Champs de moutarde de I'Afghanistan, Denoél, « Les Lettres nouvelles ■», 1975. Harry Mathews : Le Naufrage du stade Odradek, Hachette/ P.O.L., 1981. Perec La disparition roman Denoel La Disparitíoa Un corps nok tranchant un flamant au vol bas un bruit fuit au sol (qu'avant son parcours lourd dorait un son crissant au grain ďaír) il court portant son sang plus loin son charbon qui bat Si nul n'allait briliant sur lui pas ä pas dur cil aujourďhui plomb au fil du bras gourd Si tombait nu grillon dans ťhors vu au sourd mouvant báillon du gris hasard sans compas ľalpha signal inconstant du vrai diffus qui saurait (saisissant (un doux soir confus ainsi on croic voir un pont ä son galop) un non qu'á ton stylo tu donnas brülant) qu'ici on dit (par un trait manquant plus clos) I'art toujours su du chant-combat (noir pour blanc) J. ROUBAUD AVANT-PROPOS Oü ľ on saura plus tard qu'iä s'wäugurait la Damnation Trois cardinaux, un rabbin, un amíral franc-macon, un trio d'insignifiants politicards soumis au bon plaisir d'un trust anglo-saxon, ont fait savoir ä la population par radio, puis par placards,, qu'on risquait la mort par inanition. On crut ďabord ä un faux bruit. II s'agissait, disait-on, d'intoxication. Mais ľopinion suivit. Chacun s'arma d'un fort gourďin, « Nous voulons du pain », criait la population, conspuant patrons, nantis, pouvoirs publics. Qa complotait, ca cons-pirait partout. Un flic n'osait plus sortir la nuit. A Mácon, on attaqua un local administrativ A Rocamadour, on jsipa un stock : on y trouva du thon, du kit, du cScolat par kilos, du maís par ,quintaux, mais tout avait ľair pourri, A Nancy, on guillotina sur un rond-point vingt-six magis-trats ďun coup, puis on brula un journal du soir qu'on accusait d'avoir pris parti pour I'adminis-tration. Partout on prit d'assaut docks, hangars ou magasins. Plus tard, on s'attaqua aux Nords-Africains, aux Noirs, aux juifs. On fit un pogrom ä Drancy, á Livry-Gargan, ä Saint-Paul, ä Villacoublay, ä Clignancourt. Puis on massacra d'obscurs trouf-fions, par plaisir. On cracha sur un sacristain "quir sur un trottoŕr, donnait ľabsolutíon ä un commandant C.R.S. qu'un loustic avait raccourci d'un adroit coup d'yatagan. On tuait son frangin pour un saucisson, son cousin pour un bátard, son voisin pour un crouton, un quidam pour un quignon. Dans la nuit du lundi au mardi 6 avril, on compta vingt-cinq assauts au plastic. L'aviation bombarda la Tour d'Orly. ĽAlhambra brülait, ľlnstitut fumait, ľHôpital Saint-Louis flambait. Du pare Montsouris ä la Nation, il n'y avait plus un mur d'aplomb. Au Palais-Bourbon, ľopposition criblait d'in-sultants lazzi, d'infamants brocards, d'avilissants jurons, un pouvoir qui s'offusquait sous ľaffront, mais s'obstinait, blafard, ä amoindrir la situation. Mais tandis qu'au Quai d'Orsay on assassinait vingt-trois plantons, ä Latour-Maubourg, on lapi-dait un consul hollandais qu'on avait surpris volant un anchois dans un baril. Mais tandis qu'ä Wagrám on battait. jusqu'au sang un marquis ä talons nacarat qui trouvait d'un mauvais gout qu'on put avoir faim alors qu'un moribond lui suppliait un sou, ä Raspail, un grand Viking au poil blond qui montait un canasson pingard.au poitrail sanglant, tirait ä ľarc sur tout individu dont ľair ľincommodait. Un caporal, qu'affolait soudain la faim, volaít un bazooka puis flinguait tout son bataillon, du commandant aux soldats ; promu aussitôt Grand Amiral par la vox populi, il tombait, un instant plus tard, sous ľincisif surin d'un adjudant jaloux. Un mauvais plaisant, pris d'hallucinations, ar-rosa au napalm un bon quart du Faubourg Saint-Martin. A Lyon, on abattit au moins un million d'habitants; la plupart souffrait du scorbut ou 12 du typhus. Pour un motif inconnu, un commis municipal aux trois quarts idiot consigna bars, bistrots, bil-lards, dancings. Alors la soif fit -son apparition. Par sureroít, Mai fut brulant: un autobus flamba tout ä coup; ľinsolation frappait trois passants sur cinq. Un champion d'aviron grimpa sur un pavois, galvanisant un instant la population. Il rut fait roi illico. On ľinvita ä choisir un súrnom son-nant; il aurair voulu Attila III; on lui~impösa Fantomas XVIII. II n'aimait pas. On ľassomma ä la main. On nomma Fantômas XXIII un couil-lon ä qui ľon offrit un gibus, un grand cordon, un stick d'acajou ä cabochon d'or. On 1'accompa-gna au Palais-Royal dans un palanquin. II n'y arriva jamais : un gai luron, criant « Mort au Tyran ! A raoi, RavaÜlac ! » ľouvrit au rasoir. On ľinhuma dans un columbarium qu'un commando d'ahuris profana huit jours durant sans trop savoir pourquoi. Plus tard, on vit surgir un roi franc, un hospodař, un maharadjah, trois Romulus, huit Alaric, six Ataturk, huit Mata-Hari, un Caius Gracchus, un Fabius Maximus Rullianus, un Danton, un Saint-Just, un Pompidou, un Johnson (Lyndon B.), pas mal d'Adolf, trois Mussolini, cinq Caroli Magni, un Washington, un Othon ä qui aussitôt s'opposa un Habsbourg, un Timour Ling qui, sans aucun concours, trucida dix-huit Pasionaria, vingt Mao, vingt-huit Marx (un Chico, trois Karl, six Groucho, dix-huit Harpo). Au nom du salut public, un Marat proscrivit tout bain, mais un Chariot Corday ľassassina dans son tub. Ainsi consomma-t-on la liquidation du pouvoir : trois jours plus tard, un tank tirait du quai d'Anjou sur la Tour Sully-Morland dont ľadmi- 13 nistration avait fait son bastion final; un adjoint municipal monta jusqu'aux toits ; il apparut, agi-tant un fanion blanc, puis annonca au micro ľabdication sans condition du Pouvoir Public, ajoutant aussitôt qu'il offrait, quant ä lui, son loyal concours pour garantir la paix. Mais son sursaut fut vain car, sourd ä son imploration, ľimposant char d'assaut, sans sommation ni ultimatum, rasa jusqu'aux fondations la Tour. Quant -------au-soi^disant-dispesttifmartial'qu'on instauta sous ľinstigatíon d'un grand nigaud ä qui la garnison avait imparti tout pouvoir, Íl fut ďautant plus vain qu'il aggrava la situation. Alors ca tourna mal. On vous zigouillait pour un oui ou pour un non. On disait bonjour puis ľon succombait. On donnait assaut aux autobus, aux corbillards, aux fourgons postaux, aux wa-gons-lits, aux taxis, aux victorias, aux landaux. On s'acharna sur un hôpítal, on donna du knout ä un agonisant qui s'accrochait á son grabat, on tira ä bout portant sur un manchot rhumatisant. On crucifia au moins trois faux Christ. On noya dans ľalcool un pochard, dans du formol un potard, dans du gas-oil un motard. On s'attaquait aux bambins qu'on fajsait bouil-lir dans un chaudron, aux Savoyards qu'on bru-lait vifs, aux avocats qu'on donnait aux lions, aux franciscains qu'on saignait ä blanc, aux dactylos qu'on gazait, aux mitrons qu'on asphyxiait, aux clowns, aux garcons, aux putains, aux bougnats, aux typos, aux tambours, aux syndics, aux Mussi-pontins, aux paysans, aux marins, aux milords, aux blousons noirs, aux cyrards. On pillait, on violait, on mutilait. Mais il y avait pis: on avilissait, on trahissait, on dissi-mulait. Nul n'avait plus jamais un air confiant 14 vis-ä-vis d'autrui: chacun ha'issait son prochaín. f. T ..M.. A I Anton Vqyl 1 Qui, d'abord, a Pair d'un toman jadis fait oü il s'agissait d'un individu qui dormait tout son saoul Anton Voyl n'arrivait pas ä dormir. II alluma. Son.Jaz marquait minuit vingt. II poussa un pro-fond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. II prit un román, il ľouvrit, il lut; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait ä tout instant sur un mot dont il ignorait la signification. II abandonna son roman sur son lit. II alia ä son lavabo; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou. Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. II faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait. Sur ľabattant du vasistas, un animal au jborax, indigo, ä ľaiguillon safran, ni un cafard, ni un charancon, mais plutôt un artison, s'avancait, trainant un brin d'alfa. II s'approcha, voulant ľaplatir d'un coup vif, mais ľanimal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il aít pu ľas-saiflir. 17 II tapota d'un doigt un air martial sur ľoblong chassis du vasistas. II ouvrit son frigo mural, il prit du lait froid, il but un grand bol. II s'apaisait. II s'assit sur son cosy, il prit un journal qu'il parcourut d'un air distrait. II alluma un cigarillo qu'il fuma jusqu'au bout quoiqu'il trouvát son parfum irritant. II toussa.___________________ II mit la radio : un air afro-cubain fut suivi d'un boston, puis un tango, puis un fox-trot, puis un cotillon mis au gout du jour. Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal ď Aragon, Stich-Randall un air d'Äida. II dut s'assoupir un instant, car il sursauta soudain. La radio annoncait: « Void nos Informations ». II n'y avait aucun fait important: ä Valparaiso, l'inauguration d'un pont avait fait vingt-cinq morts; ä Zurich, Norodom Sihanouk faisait savoir qu'il n'irait pas ä Washington ; ä Matignon, Pompidou proposait aux syndicats l'organisation d'un statu quo social, mais faisait chou blanc. Au Biafra, conflits raciaux ; ä Conakry, on parlait d'un putsch. Un typhon s'abattait sur Nagasaki, tandis qu'un ouragan au joli súrnom d'Amanda s'annoncait sur Tristan da Cunha dont on rapatriait la population par avions-cargos. A Roland-Garros, pour finir, dans un match comptant pour la Davis-Cup, Santana avait battu Darmon, six-trois, un-six, trois-six, dix-huit, hmt-six. II coupa la radio. II s'accroupit sur son tapis, prit son inspiration, fit cinq ou six tractions, mais il fatigua trop tôt, s'assit, fourbu, fixant d'un air las l'intrigant croquis qui apparaissait ou disparaissait sur ľaubusson suivant la facon 18 dont s'organisait la vision : í Äinsi, parfois, un rond, pas.tout ä fait clos, [ finissant par un trait horizontal: on aurait dit 1 un grand G vu dans un mirpir. [ Ou, blanc sur blanc, surgissant d'un brouillard [ cristallin, 1'hautain portrait d'un roi brandissant j un harpon. \ Ou, un court instant, sous trois traits droits, \ ľapparition d'un croquis approximate, insatis- !' faisant: Substituts saillants, contours bátards pro- v filant, dans un vain sursaur d;imagination7 la I Main ä trois doigts d'un Sardon ricanant. j Ou, s'imposant soudain, la figuration d'un } bourdon au vol lourd, portant sur son thorax I noir trois articulations d'un blanc quasi lilial. f Son imagination vaquait. Au fur qu'il s'absor- \ bait, scrutant son tapis, il y voyait surgir cinq, j six, vingt, vingt-six combinaisons, brouillons fas- | cinants mais sans poids, lapsus,inconsistants, obs- curs portraits qu'il ofdonnait sans fin, y traquant • ľapparition d'un signal plus sur, d'un signal i global dont il aurait aussitôt saisi la signification ; ! un signal qui l'aurait satisfait, alors qu'il voyait, parcours aux maillons incongrus, tout un tas ' d'imparfaits croquis, dont chacun, aurait-on dit, \ contribuait ä ourdir, á bátir la configuration d'un I croquis initial qu'il simulait, qu'il calquait, qu'il [ approchait mais qu'il taisait toujours : un mort, un voyou, un auto-portrait; un bouvillon, un faucon niais, un oisillon cou- | vant son nid ; i un nodus rhumatismal; ) un souhait; í ou ľiris malín d'un cachalot colossal, narguant I Jonas, clouant Cain, fascinant Achab : avatars j d'un noyau vital dont la divulgation s'affirmait \ tabou, Substituts ambigus tournant sans fin au- 19 tout ďun savoir, ďun pouvoir aboli qui n'appa-rattrait plus jamais, mais qu'ä jamais, s'abrutis-saat, il voudrait voir surgir. II s'irritait. La vision du tapis lui causait un mal troublant. Sous ľamas d'illusions qu'ä tout instant son imagination lui dictait, il croyait voir saillir un point nodal, un noyau inconnu qu'il touchait du doigt mais qui toujours lui manquait ä ľinstant oü íl_allait y_aboutir. II continuait. II s'obstinait. Fascination dont il n'arrivait pas ä s'affranchir. On* aurait dít qu'au plus profond du tapis, un fil tramait ľobscur point Alpha, miroir du Grand Tout offrant ä foison ľlnfini du Cosmos, point primordial d'oü surgirait soudain un panorama total, trou abyssal au rayon nul, champ inconnu dont il tracait ľinouŕ littoral, dont il suivait ľinsinuant contour, tourbillon, hauts murs, prison, paroi qu'il par-courait sans jamais la franchir... II s'acharna huit jours durant, croupissant, s'abrutissant, languissant sur ľoblong tapis, lais-sant sans fin courir son imagination ä ľaŕTút; s'appliquant ä voir, puis nommant sa. vision, l'ha-billant, construisant, bätissant tout autour la chair d'un roman, planton morfondu, divaguant, pour-suivant ľillusion d'un instant divin oú tout s'ou-vrirait, oü tout s'offrirait. II surloquait. Nul jalon, nul timon, nul fanal, mais vingt combinaisons dont il n'arrivait pas ä sortir, quoiqu'il sút, ä tout instant, qu'il côtoyaít la solution, qu'il la frôlait: ca approchait par-fois, ca palpitait: il allait savoir (il savait, il avait toujours su, car tout avait Fair si banal, si normal, si commun...) mais tout s'obscurcissait, 20 tout disparaissait: il n'y avait plus qu'un chu- chotis furtif, un charabia sibyllin, un galimatias diifus. Un faux jour. Un imbroglio. II n'arrivait plus ä dormir. II s'alitait pourtant au couchant, ayant bu son infusion, un sirop ä ľallobarbital, ä ľopium, au laudanum ou au pavot; il couvrait pourtant d'un m^as....spn^„sjncipux; il comptait pourtant moutpns sur moutons. Au bout d'un instant, il s'assoupissait, somno-lait. Puis, tout ä coup, il paraissait pris d'un sursaut brutal. II frissonnait. Alors surgissait, ľassaíllant, s'incrustant, la vision qui ľhantait: un court instant, un trop court instant, il savait, il voyait, il saisissait. II bondissait, trop tard, toujours trop tard, sur son tapis: mais tout avait disparu, sauf ľirri-tation d'un souhait ayant failli aboutir, sauf la frustration d'un savoir non assouvi. Alors, aussi vigilant qu'un individu qui a dor-mi tout son saoul, il abandonnait son lit, il mar-chait, buvait, scrutait la nuit, lisait, allumait la radio. Parfois, Íl s'habillait, sortait, traínait, passait la nuit dans un bar, ou ä son club, ou, montant dans son auto (quoiqu'il conduisit plu-tôt mal), allait au hasard, par-ci ou par-la, sui-vant son inspiration : ä Chantilly ou ä Aulnay-sous-Bois, ä Limours ou au Raincy, ä Dourdan, ä Orly. Un soir, il poussa jusqu'a Saint-Malo : ü y passa trois jours, mais il n'y dormit pas plus. II fit tout pour dormir, mais il n'y parvint jamais. II mit un Pyjama ä pois, puis un maillot, puis un collant, puis un foulard, puis la gandou-rah d'un cousin spahi, puis il coucha tout nu. Il fit son lit d'au moins vingt facons. Un jour, il loua, ä prix d'or, un dortoir, mais il táta aussi du lit pliant, du chálit, du lit clos, du lit ä balda- J quin, du sac, du divan, du sofa, du hamac. j II frissonna sans draps, il transpira sous un | plaid, il compara ľalfa au kapok. II coucha assis, j accroupi, ä califourchon ; il consulta un fakir qui j lui proposa son grabat ä clous, puis un gourou . I qui lui ordonna la position yoga : son avant- i bras droit comprimant l'occiput, il joignit son talon ä sa main. _______^_^________ I Mais toutTäffirmäit vain. Il n'y arrivait pas. Il ^j croyait s'assoupir, mais ga fondait sur lui, dans j lui, ga bourdonnait tout autour. £a ľopprimaít. J Qa ľasphyxiait. I Un voisin compatissant ľaccompagna ä la consultation ä ľhôpital Cochin. Il donna son nom, son rang d'immatriculation ä ľAssociation du J Travail. On ľinvita ä subir auscultation, palpa- j tion, puis radio. II fut ďaccord. On s'informa : j souffrait-il ? Plus ou moins, dit-il. Qu'avait-il ? | II n'arrivait pas ä dormir ? Avait-il pris un sirop ? J Un cordial ? Oui, il avait, mais ga n'avait pas agi. I Avait-il parfoís mal ä ľiris ? Plutôt pas. Au | palais ? £a pouvait. Au front ? Oui. Aux conduits | auditifs ? Non, mais il y avait, la nuit, un bour- I don qui bourdonnait. On voulut savoir : un bour- j don ou un faux-bourdon ? II ľignorait.c j II fut bon pour ľoto-rhíno, un gars jovial, [I au poil ras, aux longs favoris roux, portant lor- -j gnons, papillon gris ä pois blancs, fumant un f cigarillo qui puait ľalcool. L^to-rhino prit son j pouls, ľausculta, introduisit un miroir rond sous 1 son palais, trípota son pavilion, _farfpuÜk son í tympan, malaxa son larynx, son naso-pbarynx, son j sinus droit, sa cloison. L'oto-rhino faisah du bon í travail, mais il sifflotait durant ľauscultation ; S 22 ga finit par aigrir Anton. f — Oh Oh Oh, dit-il. J'aí mal... — Chut, fit ľoto-rhino, allons plutôt lä-bas ä la radio. II coucha Voyl sur un biliard blane, briliant, glacial, manipula trois boutons, abaissa un volant, fit la nuit, photographia dans un noir total, rallu-ma. Voyl voulut s'accroupir sur son biliard. —■ Stop ! intima ľoto-rhino, j'ai pas fini, voyons, il faut savok s'il y a ou non un soupcon ďauto-intoxication. II brancha un circuit, appuya sur ľos occipital un poingon ďiridium qui avait ľair ďun gros stylo, puis alia sortir sur un cadran muni d'un aimant qu'animait la vibration d'un rotor la graduation qui analysait ľaŕflux sanguin : — L'inscription paraít au maximum, dit ľoto-rhino qui pianotait sur ľattirail, máchonnant son cigarillo, il y a constriction du sinus frontal, il va falloir ouvrir. — Ouvrir ! s'alarma Voyl. — Oui, j*ai dit: ouvrir, confirma ľoto-rhino, sinon il va y avoir un faux croup. II disait tout ca d'un ton badin. Voyl ignorait s'il plaisantait ou non : mais l'humour noir du toubib ľangoissait. Il sortit son mouchoir, cra-chotant du sang, bavotant d'indignation : — Maudit Charlatan ! fit-il pour fink, j^urais plutôt du voir un ophtalmo ! — Allons, allons, dit ľoto-rhino, conciliant, quand on aura fait cinq ou six immuno-transfu-sions, on aura ľoccasion d'y voir plus clair, mais d'abord, analysons tout ga. II appuya sur un bouton. Parut son assistant qu'habillait un sarrau violin. — Rastignac, lui dit l'oto-rhino, cours ä Foch, ä Saint-Louis ou ä Broca, il nous faut du vaccin anti-conglutinatif avant midi. Puis il dícta son diagnostic ä la dactylo : 1— Nom: Anton Voyl. Consultation du huit avril: coryza banal, aüto-intoxication du nasopharynx, risquant d'abolir plus ou moins tard tout circuit olfactif, constriction du sinus frontal droit non sans inflammation du mucus irradiant jusqu'aux barbillons sublinguaux; ľinoculation du larynx aurait pour filiation un faux croup. _____Nous proposons done ľ ablation du sinus, sinon, tôt ou tard, la voix pätica. Puis il rassura Voyl: ľablation du sinus consti-tuait un travail long, tatillon, mais tout ä fait banal. On la pratiquait sous Louis XVIII. Voyl n'avait pas ä mollir : d'ici dix jours, il n'y paral-trait plus. Done Voyl alia ä ľhôpital. On ľinstalla dans un dortoir ou il y avait vingt-six lits dont vingt-cinq garnis d'individus plus ou moins moribonds. On lui administra un tranquillisant puissant (Lar-gactyl, Procalmadiol, Atarax). Au matin, Ü vit un Grand Patron qui faisait son tour; sa cour d'aspirants toubibs ľaccompagnait, buvant du kit quand il parlait, poufíant quand il souriait. II s'avancait parfois jusqu'au lit ou finissait un ago-nisant rálant, dont il tapotait ľavant-bras, susci-tant du mourant un rictus grima^ant, plaintif. Mais il avait toujours un mot amüsant ou conso-lant pour chacun; il offrait un bonbon ä un marmot qui avait bobo ; il souriait aux mamans. Pour cinq ou six cas plus ardus, il donnait aux carabins sa conclusion qu'il justifiait: Parkinson, Zona, Charbon, Guillain-Thaon, Coma post-natal, Syphilis, Convulsions, Palpitations, Torticolis. Trois jours plus tard, Voyl montait sur un chariot, puis passait au biliard. Chloroformisation. 24 Puis ľoto-rhino introduisit dans son tarin un trocsrt: ľincísion du tractus olfactif provoqua la naso-dilatation dont ľoto-rhino profita illico, scarifiant au grattoir d'Obradovitch la cloison. L'abrasion au burin suivit, puis ľocclusion qu'il fit sans faiblir, s'aidant du poincon ä pannoir qu'un Anglais avait mis au point trois mois plus tot. Alors il pratiqua la ponction du sinus, dont Ü fit sortir au bistouri un fungus malin, puis put accomplir son but final: ľustíon du tissu nodal. — Bon, dit-il pour finir ä son assistant "qui transpirait, ľoxydation paralt au point. II n'y a plus d'inflammation. U passa au tampon, cousit au catgut, mit du sparadrap. On craignit durant la nuit un trauma ou un choc. Mais, sans commotion, la cicatrisation avanca sans mal. Huit jours plus tard, Voyl pouvait sortir: il sortit done. Ajoutons qu'il dormait toujours aussi mal; mais il souffrait moins. s. 2 Ou un sort inhuman s'abat sur un Robinson soupirant íl souffrait moins, mais íl s'afEaiblissait. Alan-gui tout au long du jour sur son lit, sur son divan, sur son rocking-chair, crayonnant sans fín au dos d'un bristol ľindistinct motif du tapis d'Aubusson, il divaguait parfois, pris d'halluci-nations. Il mardhait dans un haut corridor. U y avait au mur un rayon ďacajou qui supportait vingt-síx in-folios. Ou plutôt, Ü aurait du y avoir vingt-síx in-folios, mais il manquait, toujours, ľin-folio qui ofirait (qui aurait du oifrir) sur son dos ľins-cription <í CINQ ». Pourtant, tout avait ľair normal : il n'y avait pas d'indication qui sígnalát la dísparitíon d'un in-folio (un carton, « a ghost» ainsi qu'on dit ä la National Library); il paraissait n'y avoir aucun blane, aucun trou vacant. II y avait plus troublant: la disposition du total ígno-rait (ou pis : masquait, dissimulak) ľomíssion : il fallait la parcourir jusqu'au bout pour savoir, la soustraction aidant (vingt-cinq dos portant subscription du «UN» au «VINGT-SIX», soit vingt-six moins vingt-cinq font un), qu'il manquait un in-folio; il fallait un long calcul pour voir qu'il s'agissait du « CINQ ». II voulait saisir un in-folio, ľouvrir (lísant, aurait-il surpris, par raccroc, par hasard, un faiť plus probant, ľindication qui lui manquait ?) mais il n'y arrivait pas; sa main passait trop loin du rayon ; il n'arrivait pas plus ä savoir ä quoi avait trait la publication: tantôt il croyait y voir un colossal ABC, tantôt Coran, Talmud ou Thorah, ľOpus magistral, ľangoissant bilan ďun savoir tabou... II y avait un manquant. II y avait un oubli, un blane, un IrôTTqiľaucun n'avait vu, n'avait su, r n'avait pu, n'avait voulu voir., On avait disparu. Qa. avait disparu. Ou alors, il croyait voir, dans un journal du soir, un amas ahurissant ďinformations : PROHIBITION DU PARTI: PLUS UN COCO A PARIS 1 Pour vos colis: non au cordon, non au fil, OUI AU SCOTCH! KRACH INFAMANT POUR d'importants B.O.F. Ou parfois, ľassaiílait la vision d'un hagard, d'un fou bafouillant, dingo aux gyrus rämoDÍŠ, proposant aux passants un discours abracada-brant: ľldiot du Faubourg ; on rigolait quand il passait, on lui lancait un caillou. Un gamin luí agrafait un poussin sur son mackintosh, car il criait, il hurlait: « Un milliard, vingt milliards ďoisUlons sont morts ! » «Idiot», marmonnait-il alors. Mais pas plus idiot qu'un instant plus tard, la vision au moins tout aussi £ada ďun individu s'introduisant dans 28 un bar: Voix du gars, s'attablant (air bourru, sinon martial) : Garcon ! Voix du barman (qui connait son chaland): Bonjour, mon Commandant. Voix du Commandant (satisfaít qu'on ľait com-pris, quoiqu'il soit pour ľinstant civil): Bonjour, mon garcon, bonjour ! Voix du barman (qui jadis apprit ľangíais dans un cours du soir): What can I do for you ? Voix du Commandant (salivant): Fais-moí un porto-flip. Voix du barman (soudain chagrin): Quoi ? Un porto-flip ! Voix du Commandant (affirmatif): Mais oui, un porto-flip ! Voix du barman (qui parait souffrir): On... n'a... pas... ga... id... Voix du Commandant (bondissant): Quoi! Mais j'ai bu trois porto-ŕlips ici Íl y a moins ďun an ! Voix du barman (tout ä fait faiblard): II n'y a plus... II n'y a plus... Voix du Commandant (furibond): Allons, tu as du porto, non ? Voix du barman (agonisant): Od... mais... Voix du Commandant (fulminant): Alors ? Alors ? II y a aussi... Voix du barman (mourant tout ä fait): Aaaaaaah ! ! Chut! ! Chut! ! Mort du barman. Voix du commandant (constatant): Rigor mortis. II sort, non sans agonír ďincivils jurons ľavá-chi barman. Voyl n'avait pas toujours autant ďhumour (pour autant qu'on ait vu plus haut un soupcon 29 cľhumour). Parfois il s'afiEolait. II sursautait, 1 craintif, pouls palpitant. Un sphinx accroupi ľal- . | lait-il assaillir ? 1 Jour sur jour, mois sur raois, ľhallucination | distillait son poison, opium dont il gardait la J faim, carcan qui Fopprimait. I Un soir, la vision ďun charancpn ou ďun j cafard qui n'arriyait pas ä gravir un croisillon du í vasistas lui causa^ians "qull sut pourquoi, un % profond inconfort. II vit dans ľobscur animal la | symbolisation du sort qui s'acharnait sur lui. j Plus tard, dans la nuit, il phantasma, avatar ä J la Kafka, qu'il gigotait dans son lit, pris dans | un plastron d'airain, gnaptor ou charognard, sans f pouvoir saisir un point ďappui. II transpirait. II | hurlait, mais nul n'accourait ä lui. II avait trop | chaud. Sa main aux trois doigts griffus battait | Fair. Mais tout autour, dans la maison, aucun j bruit, sinon, tout au plus, ľinsignifiant clapotis J d'un lavabo qui fuyait. Qui connaissait sa situa- | tioň ? Qui saurait ľaffrancbir, aujourd'hui, ä f jamais ? N'y avait-il pas un mot dont la pronon- :g ciation suffirait ä adoucir son mal ? II manquait ,j d'air. Uasphyxiation montait pas ä pas. Son pou- | mon lui brülait. Un mal sournois sciait son larynx. 1 II voulut rugir un S.O.S. Sa voix chuinta un san- j glot plaintif. Un rictus maladif marquait son pli | labial, striait son front, son cou. Il vagissait. II j suait ainsi qu'un cochon qu'on abat. Un poíds j accablant alourdissait son poitrail. Il ahanait; il suffoquait. Son cristallin avait la fixation d'un mo-ribond hagard. D'un tympan pourri coulait, suin-tait un sang noir. II s'agitait, faiblard, agonisant, rálant. Un gros anthrax s'ouvrait sur son avant-bras droit laissant jaillir par instants un pus catar-30 rhal. H fondait. II maigrissait d'au möins cinq feilögs par jour. Sa main paraissait un moignon. Son mi-nois rubicond, mafflu, lippu, joufHu, bouffi, bran-lait au bout ďun cou trop maigrichon. Mais tou-jours, comprimant son thorax, pilon sournois, joug torturant, ľmhumain garrot du boa constrictor, du python qui broyait son poitrail. II y avait par instants un fracas d'articulations, un bris d'os. II n'arrivait plus ä sortir aucun son. Plus tard, il comprit qu'il allait mourirT-Nul n'irait ä lui. Nul n'aurait jamais soupcon du mal qui s'acharnait sur lui. Nul n'adoucirait sa fin, nul sacristain ľabsolvant du Forfait. II voyait un vautour qui planait, haut dans ľazur. Tout autour du lit, un ramas d'animaux — gros rats noirs, mulots, souris, campagnols, cafards, crapauds, tritons — faísait faction, ä ľafrut du corps raidi, chair ä charognards. Un faucon fondrait sur lui. Un chacal accourrait du fond du Sahara. Son imagination ľalarmait parfois, mais ľamu-sait aussi: finir lunch ä chacal, ration pour cam-pagnol ou nutritif appát d'un vautour haut pla-nant (ä coup sur il avait lu ?a dans Malcolm Low-ry) constituait un souhait d'Amphitryon qui par-tait d'un bon fond. Son attrait du maladif ľintriguait plus. II voulut y voir un signal plus sur, un courant plus ap-prochant, sinon tout ä fait un fil initiatif : Non pas la mort (quoiqu'ä tout instant la mort s'affirmát), non pas la damnation (quoíqu'ä tout instant la damnation s'affíchát), maís d'abord ľomission : un non, un nom, un manquant: Tout a Pair normal, tout a Pair sain, tout a Pair significatif, mais, sous Pabri vacillant du mot, talisman naif, gris-gris biscornu, vois, un chaos horrifiant transparaít, apparaít: tout a Pair nor- 31 mal, tout aura ľair normal, mais dans un jour, | dans hurt jours, dans un mois, dans^un an, tout . J pourrira : il y aura un trou qui s'agrandira, pas j ä pas, oubli colossal, puits sans fond, invasion du 1 blane. Un ä un, nous nous tairons ä jamais. "j Sans savoir tout ä fait oü naissait ľassociation, I Íl s'imaginait dans un roman qu'il avait lu jadis, 1 un roman paru, dix ans auparavant, ä la Croix du J Sud, un roman d'Isidro Parodi, ou plutôt d'Hono- ! rio Bustos Dömäic^'qüFräcontait ľinoui, ľahu- 3 rissant, ľaffolant coup du sort qui frappait un j barmi, un paria fugitif. II avait nom Ismail, lui aussi. II arrivait, non -sans un mal quasi surhumain, sur un Hot qu'on disait sans habitants. D'abord il manquait y mour-rir. II s'abritait dans un trou ou, huit jours durant, il agonisait; il trainait, moribond. Son pouls tombait. II attrapait la malaria. II frissonnait; il suffoquait; il s'affaiblissait. Pourtant, huit jours plus tard, sa constitution | hors du commun ľautorisait ä s'accroupir. II avait maigri, mais il rampait hors du trou oů Ü avait failli mourir. II assouvit sa soif. II avala un gland ; qu'il eracha aussitôt, puis il apprit ä choisir champignons ou fruits non nocifs : ľun, qu'on aurait -; pris pour un abricot provoqua sur tout son corps ľapparition d'irritants bubons purpurins, mais il trouva plus tard ananas, noix, kakis, sucrins. Quand la nuit tombait, s'aidant d'un caillou pointu, il gravait un trait sur. un baton. Vingt jours plus tard, il avait construit sa cagna : un vrai gourbi: sol battu, trois murs, un huis, un toit fait d'un mauvais torchis. II n'avait pas d'amadou, aussi avalait-il tout cru. II craignit cinq ou six fois l'irruption d'un animal. Mais, par hasard (crut-il) il n'y avait sur ľflot ni lynx, ni puma, ni jaguar, ni bison. Tout au plus crut-il voir un soir ä ľhorizon, un orang-outang qui rôdait. Mais on n'attaqua jamais son abri. D'un doucin d'acajou, il tira un fort gourdin : ca lui aurait suffi si jamais on ľavait soudain assailli. Au bout d'un mois, tout á fait d'aplomb, Ismail s'hasarda ä parcourír son ílot. Robinson d'un in-connu Tristan da Cunha, saisissant son baton, il marcha tout au long du jour. Au soir, il parvint au point culminant d'un pic d'ou ii dominait tout l'ilot. II y campa, car la nuit tombait, il n'y voyait plus clair. Au matin, il fit un tour d'horizon. II vit au nord un ru tourbillonnant qui finissait dans un marigot, puis, non loin du littoral, il distingua, sursautant, cinq ou six tumulus (ou plutôt tumuli). II s'approcha, furtif: il vit qu'il s'agissait d'un attirail obscur; on aurait dit un manchon ä air. II supposa, il n'avait pas tort, qu'a priori ca fonctionnait suivant la culmination du flot. Puis tout ä coup, avant d'avoir compris tout ä fait, il tomba sur 1'habitation, sur ľaquaríum, sur ľinstallation radio. Tout avait ľair ä ľabandon. U trouva un puits tari qui abritait trois gros tatous. Un humus grouillant couvrait tout ľaquaríum. On avait construit la maison au moins vingt ans avant, ä la facon d'alors. On aurait dit un Casino d'inspiration rococo, ä la fois palais colonial, bungalow pour pays chauds, lupanar ultra-chic. Un vantail ä trois battants, garnis d'ajours ainsi qu'un moucharab, ouvrait sur un haut corridor, long d'au moins vingt pas, qui conduisait ä un grand salon rond : il y avait un grand tapis d'Ankara, puis, tout autour, divans, sofas, vis-ä-yis, coussins, miroirs. Un colimacon montait 33 jusqu'aux loggias. Issu du plafond fait d'un bois ;-dur mais clair (du gayac ou du santal), un filin \ d'aluminium, qu'accrochait au bout un piton 1 d'airain poli tout a loisir par un artisan hors pair, -supportait un lampion japonais qui donnait au tout un jour opalin, mais plutôt faiblard. Mais, par trois bow-windows aux vrtraux s'incrustant d'un damasquin d'or, on passait sur un balcon d'ou ľon surplombait un panorama colossal. Non sans un soin quTTrlsälFla suspicion, Ismail = visita pas ä pas ľhabitation. II sonda murs, plafonds, lambris. II ouvrait tout tiroir. II fouillait tout coin. II vit, au sous-sol, un circuit dont Ü n'arriva pas ä saisir la signification : il distingua un oscillo, un miroir ä rayons polarisants, un pavilion, un dispositif hi-fi, un chassis ä tambour ď amplification, un rack ä huit canaux, un volant strobo-cyclo'idal, mais Íl comprit mal ľorganisa-tion du total. II n'osa pas dormir dans la maison. II prit tout un tas d'outils, un chaudron, un hachoir, un tamis, un allumoir, un baríl d'alcool, puis il gagna, non loin, dans un taillis, un abri qu'il avait auparavant choisi. II y bricola tant qu'il put, donnant jour par jour ä son installation un tour plus sur. II chas-sait; il tua un lapin ; il attrapa un jour au lasso un agouti: il fit du lard, du saindoux, du jambon, du boudin. Un mois passa. La mousson arriva. U azur s'ob-nubila ; ľon vit s'amassant ä ľhorizon Strato, nimbo, puis cirro-cumulus. Un haut courant arri-vait du bas fond. Un flux montant supplantait ľamical jusant. II plut. Trois jours plus tard, un matin, Ismail vit un yacht qui abordait. Il vit cinq ä six individus montant au casino. Un instant plus tard, il put 34 ouir un jazz band qui jouait un fox-trot, un air connu il y avait vingt ans dont il ignorait qu'il füt toujours au goüt du jour. Alors tout bascula. - D'abord Ismail voulut fuir, courir ä son abri primitif. Mais tout ga ľintriguait trop. Il s'appro-cha, rampant. Sa vision lui causa un choc : on dan-sait noh loin du Casino, on barbotait dans ľaqua-rium pourtant puant. II y avait la trois gars, trois souris. plus un groom qm; frtnfilanf nnn_saflsJfarJn son lard parmi la maffia, offrait sur un grand plat rond Sandwichs, boissons ou habanas. Un indi-vidu — vingt-cinq ans tout au plus, grand, spor-tif, souriant — portait un smoking facon Car-din, col ä la Mao, aucun bouton, ainsi qu'on ai-maiťca il y avait un grand laps. Un barbu, plus můr, plutôt P.D.G., portait un frac. II sirotait un whisky. Puis íl y mít troís glacons, alia ľoffrir ä sa nana qui somnolak dans un hamac. — Voici pour vous, Faustina, dit-il, baisant son cou. — Thank you, dit Faustina, mi-riant, mi-s'of-fusquant. — Ah, Faustina, j'aurais tant voulu vous avoir dans mon lit! — Allons, j'ai dit non trois fois ; mais soyons amis, dit Faustina lui donnant sa main pour un trop court instant. Faustina fascinait Ismail. Il la suivait partout, quoiqu'il craignit fort pour son salut; n'avait-il pas fui la prison ? Qui lui assurait qu'il n'y avait pas dans ľassociation un flic ou un mouchard ? On ľavait mis ä prix. Contumax dans son pays, contraint ä fuir par un tyran qui avait accompli plus vils forfaits qu'aucun Caligula, aucun Borgia jadis, qui sait si ľinsignifianí yacht n'avait pas pour mission son rapt ? Mais Íl ľignorait, il ľou- 35 bliait : il aímait Faustina, il la voulait pour lui avant sa mort. Abandonnant tout compagnon, Faustina allait parfois par monts ou par vaux, Un jour Ismail ľaborda. Faustina lisait un roman, Orlando, par Virginia Woolf. — Miss, lui dit-il, pardon, pardon, j'ai voulu vous voir. Tant pis pour moi si ľon m'a vu... Mais Faustina l'ignora, quoiqu'il la suppliát, Plus tard, tout fut hallucination : il crut ä l'in-toxication d'un champignon noir, ou alors il avait trop bu d'alcool; ou plutôt, il avait tant maigri qu'il avait tout ä fait disparu : la vision d'autrui transpassait son corps. Ou sinon, il n'avaít plus sa raison ; il avait un grain, il iolichonnait; il s'imaginait voir un casino, un yacht, un barbu, Faustina, alors qu'il vagissait toujours dans son marigot pourri. Oui, mais un jour il vit la scission, ou plutôt la duplication d'un baobab. Oui, mais huit jours plus tard, il vit, mot pour mot, trait pour trait, s'accomplir Taction qu'huít jours auparavant il avait vu s'accomplir : un bal non loin du bassin, Louis Armstrong jouant un fox-trot... Oui, mais Íl y avait pis (la, la fiction d'lsmail nourrissait son hallucination ä lui; la s'inaugurait ľinconsistant mais si subtil rapport, si troublant mais si dur ä parcourir jusqu'au bout, qui ľunis-sait au roman): parfois, quand il marchait 'dans un corridor, Ismail voyait s'ouvrir un battant: un groom sortait, portant un plat; il allait sur lui, ľignorant; d'instinct, Ismail faisait un bond. Puis disparaissait ľarbin posant, disons, un al-36 bum sur un bahut: Ismail allait au bahut, avan- yait la main sur l'album, croyait pouvoir ľouvrir : íl touchait un corps dur, poli, parfait: nul Titan, nul Goliath n'aurait pu ä ľinstant saisir l'album. On aurait dit qu'un Troll malin, un mauvais Kobold avait tout durci autour du casino, arro-sant tout d'un gaz volatil, un fixatif qui s'incrus-tait partout, allait au plus profond, s'incorporait aux noyaux, aux ions, ä tous corps, ä tous champs. Tout paraissait normal, il voyait, il croyait voir, un son faisait un bruit, un partum parfumait. II voyait Faustina s'alanguir sur un sofa, ployant sous son poids un gros coussin ä capitons. Puis Faustina sortait, laissant choir sur son coussin tin lourd bijou d'or garni d'un cabochon d'ada-mantin. Ismail bondissait, il voyait dans l'aban-don du bijou un signal: Faustina ľaimait mais n'osait s'ouvrir, car son mari, ou son amant, ou son ami la faisait pálir (car nul n'avait pouvoir pour faillir ä la Loi qui faisait d'lsmail un paria tabou : on n'y touchait pas ; il allait oú bon lui paraissait, mais on ľignorait, partout, toujours). Mais sa main n'affrontait coussin ou bijou qu'un court instant; il abandonnait aussitôt, abattu, transi, hagard : il touchait, non un coussin, mais un bloc dur, compact, un roc aussi dur qu'un diamant: tout paraissait pris dans un magma jointif : on aurait dit un champ clos, fini, un corps indivis au poli parfait, au grain mat: dans son champ, l'humain, ou l'inhumain, gar-dait un pouvoir positif; ainsi Faustina pouvait ouvrir un battant, s'alanguir sur un divan ; ainsi son compagnon pouvait-il lui offrir un whisky; ainsi pouvait-on ouir un fox-trot, voir surgir un yacht, choir un bijou d'or, sortir un larbin. Mais, hors du champ, or tout indiquait qu'ísmail y fut, il n'y avait plus qu'un continuum sans un pli, sans articulation, un corps compact plus compact qu'un stuc, qu'un staff, qu'un mastic, qu'un port-land ; ľimbrication sans jour, la lapidification, du plain, du plat, du massif, du mastoc : tout col-lait ä tout, sans solution, sans discontinu. Son poids n'affaissait aucun coussin : un roc aurait fait uň divan plus mou; son pas n'incli-nait aucun poil du tapis ; sa main n'ouvrait aücun bouton. II n'avait aucun pouvoir. Ismail comprit, plus tatd, trop tard, qu'il vivait dans un film : M., ľindividu barhrqui aurait tant voulu Faustina pour lui, ľavait pris, vingt ans auparavant, ä ľinsu du clan, au cours d'un tour qu'il avait fait dans ľílot huit jours durant. Tandis qu'un mal fatal s'attaquait aux baobabs, tandis qu'un humus grouillant d'animaux mal-faisants couvrait tout ľaquarium, tandis qu'un abandon croulant pourrissait la maison, il suffi-sait qu'ä l'horizon la mousson s'annoncát pour qu'aussitôt, sous Faction du flux montant qui, inondant l'attirail qu'Ismail avait vu au bord du littoral, agissant sur ľobscur circuit du sous-sol dont il n'avait pas d'abord compris la signification, faisait partir la dynamo, lui donnait son pouvoir, son signal, pour qu'aussitôt Fon voit raccourir, trait pour trait, mot pour mot, tant d'instants abolis s'immortalisant ä jamais, ä l'instar du dis-positif mis au point par un Martial Cantaral ä partir du Vitalium qui, dans un hangar frigori-fiant, autorisait tout individu mort ä accomplir ä jamais son instant crucial. Tout avait l'air normal, mais tout s'affirmait faux. Tout avait l'air normal, d'abord, puis sur-gissait l'inhumain, l'affolant. II aurait voulu savoir ou s'articulait l'associa-38 tion qui ľunissait au román : sur son tapis, assail- lant.ä tout, instant son imagination, ľintuition d'un tabou, la vision d'un mal obscur, d'un quoi vacant, d'un non-dit: la vision, l'avision d'un oubli commandant tout, ou s'abolissait la raison : tout avait Fair normal, mais... Mais quoi ? II y paumait son latin. (Si *\ v, %3. é> 3 Dont la fin abolit ľ immoral futur papal promts ä un avorton contrit Plus tardj voulant toujours y voir plus clair, il tint un journal. II prit un album. II inscrivit au haut du folio initial: LA DISPARITION puis, plus bas : II a disparu. Qui a disparu ? Quoi ? II y a (U y avait, il y await, U pourrait y avoir) un motif tapi dans mon tapis, mais, plus qu'un motif: un savoir, un pouvoir. Imago dans mon tapis. Ľ on dirait un Arcimboldo, parfois: un auto-portrait, ou plutôt ľahurissant portrait d'un Dorian Gray hagard, d'un albinos malsain, fait, non ďanimaux mdrins, d'abondants fruits, d'involu-tifs pistils s'imbriquant jusqu'ä Vapparition du front, du cou, du sourcil, mats d'un amas d'insi-nuants vibrions s'organisant suivant un art si subtil qu'on sait aussitot qu'un corps a suffi ä la constitution du portrait, sans qu'h aucun instant on ait pourtant Voccasion d'y saisir un signal dis-tinctif, tant il parait clair qu'il s'agissait, pour Vartisan, ďaboutir á un produit qui, montrant puis masquant, tour ä tour, sinon ä la fois, garan-tit la hi qui Vourdit sans jamais la trahir. D'abord on voit mal la modification. On croit qu'il ríy a qu'un fracas instinctif qui partout vous fait voir Vanormal, Vambigu, Vangoissant. Puis, soudain, Von sait, Von croit savoir qu'il y a, non loin, un Von sait trop quoi qui vous distrait, vous agit, vous transit. Alors tout pourrit. On s'ahurit, on s'avachit: la raison s'affaiblit. Un mal obsti-nant, lancinant vous fait souffrir. Vhallucination qui vous a pris vous abrutira jusqu'ä la fin. Von voudrait un mot, un nom ; Von voudrait rugir: voila la solution, voila d'ou naquit mon tracas. Von voudrait pouvoir bondir, sortir du sibyllin, du charabia confus, du mot ä mot gar-gouillis. Mais Von n'a plus aucun choix: il faut approfondir jusqu'au bout la vision. Von voudrait saisir un point initial: mats tout a Vair si flou, si lointain... II tint son journal durant cinq ou six mois. Au soir il y notait, non sans un soin tatillon, un tas d'insignifiants travaux : fini ma provision d'alcool, choisi un microsillon pour mon cousin Julot qui doit sortir du bahut a la fin du mois prochain, raccourci mon burnous, dít bonjour ä mon voisin quoiqu'Azor, son carlin, ait fait caca sur mon paillasson. Mais il parlait aussi d'un roman qu'il lisait, ďun ami qu'il avait vu, ou d'un mot, d'un fait qui ľavait ahuri (un avocat, au Palais, qui n'arrivait pas ä finir son discours; un voyou qui tirait ä blane sur la population ; un typo fou qui sabotait tout son attirail...)* Parfois, il imaginary son bic ä la main, il racon-42 tait, il s'autobiographiait, il s'analysait. Parfois, il discourait sur son hallucination, ou sur Mot ďlsmail. Un jour, il imagina tout un roman : il y aurait, dans un pays lointain, un garcon, un bambin au nom d'Aignan. II aurait cinq ans. II vivrait dans un palais ou tout irait ä ľabandon. Un jour, sa nounou lui disait: — Jadis, tu avais ici vingt-cinq cousins. Alors nous vivions dans la paix. Mais, un ä un, ils ont tous disparu, ľon n'a jamais su pourquoi. Au-jourd'hui, tu dois partir ä ton tour, sinon nous allons tous ä la mort. Alors Aignan fuyait. Suivant la tradition du plus pur Bildungsroman, la narration s'ouvrait par un court fabliau moral: au sortir d'un layon, un Sphinx asšaillait Aignan. ''-— Voilá, dit ľhallucinant animal, un parfait sandwich pour mon fricot; ca faisait un laps qu'on n'avait plus vu un gnard aussi dodu sous nos climats. — Holá, Sphinx, hola ! fit Aignan qui connais-sait Lacan mot ä mot, un instant voyons, tu dois d'abord accomplir ton fatum. —- Mon fatum, fit, surpris, l'animal, ä quoi bon ? Tu fais du chichi. Nul n'a jamais su la solution. II ajóuta, pris d'un soupcon subit: — La saurais-tu, par hasard ? — Qui sait ? dit Aignan, souríant d'un air coquin. — Tu as un air fanfaron qui nous plait tout ä fait, vilain avorton, poursmvit 1'insinuant Sphinx. Soyons done fair-play, ton ambition adoucíra ta mort; voicí mon oral ultimatum : II saisit un luth, prit son inspiration, puis, s'ac-compagnant, chanta: y a-t~il un animal Qui ait un corps fait ďun rond pas tout h fait dos Finissant par un trait plutôt droit ? — Moi! Moi! cria alors Aignan. L'animal biscornu prit un air assombri. — Tu crois ? — Mais oui, dit Aignan. — Alo^sjttjoisavoir raison, fit ľanimal d'un ton chagrin. ~ " ~ Un long instant, aucun n'ajouta .un mot. L'Aquilon souŕHait dans ľazur tarlatan. — J'avais toujours dit qu'un gamin m'allait un jour abasourdir, soupira, plaintif, ľanimal. II y avait un gros sanglot dans sa voix. — Allons, Sphinx, finissons, dit Aignan, bou-gon. Dans son for, il allait jusqu'a avoir compassion pour ľanimal. Mais il ajouta : si j'avais mal su, j'aurais fini dans ton jabot stomacal. J'ai su, j'ai vaincu ; suivant la Loi, tu dois mourir. II brandit un doigt intimidant. — Fais done un saut dans ľä-pic, vilain Sphinx. — Oh, murmura ľanimal, mais tu voudrais ma mort! — That's right! hurla tout ä coup Aignan sans trop savoir pourquoi il utilisait ľanglais. II prit un baton, il assomma l'animal qui, pau-mant son aplomb, disparut dans ľä-pic dans un tourbillon sans fin. Un cri horripilant, oü il y avait tout ä la fois un lion qui rugissait, un chat qui miaulait, un milan qui huissait, un humain qui souffrait, vibra dans Fair ambiant durant dix-huit jours... Au sortir d'un fabliau aussi clair, la fiction, ľaffabulation s'impósait ipso facto : Aignan par- courait son pays, allait par monts, mais aussi par vaux, gagnait, au soir, d'obscurs bourgs ; il proposal son bras aux charrons, aux paysans, aux sacristains. On lui donnait du lard, ou un quignon qu'il frottait d'ail. II avait faim. Il avait soif. II vivait. Au fur qu'il grandissait, Aignan s'adaptait, s'affinait, approfondissait son savoir, fortifiait sa vision, son Anschauung. U croisait d'intrigants individus. Chacuu participait ä sa transformation-, lui offrant tour ä tour du travail, un logis, un horizon. Un maquignon lui apprit son art. II rut macon, il construisit sa maison; il fut typo, il fonda un journal. Puis sa vocation s'amplifiait. Il lui arrivait alors tout un brouillamini d'obscurs avatars qui simu-lait, mot pour mot, trait pour trait, sauf dans sa conclusion, la Saga aux profonds chainons, ľamu-sant, mais pourtant moral, pourtant touchant román qui avait jadis nourri la Chanson d'un troubadour du nom d'Hartmann, puis qu'un Thomas Mann ä son tour avait suivi, y puisant par trois fois son inspiration. Or done Aignan apprit d'abord qu'il avait pour papa un grand Roi qui avait nom Willigis (dit Willo). Sibylla aimait Willigis d'un amour si soro-ral qu'il fink consanguin (nonobstant la mort d'un Danois qui hurlait au bas du lit). Huit mois vingt-huit jours plus tard naissait Aignan. Son forfait accompli, Willigis, dit Willo, s'alla punir, courant sus aux Sarrasins oü il trouva sans mal la mort qu'il voulait. Quant au Dauphin, Aignan, qui portait dans son sang un trop immoral plasma, sa maman, Sibylla, ľabandonna dans un canot qui flotta jus-qu'au nord du pays dans un coin pourri d'aga- gants marigots, d'avortons assassins mais par sur- "~ croit idiots (car la consommation d'alcool par habitant ayoisinait, dit-on, cinq mujds_par an), ": 1 d'animaux inconnus, mais ä coup súr mauvais: "i on parlait d'un dragon « qui s'aurait f arci tout un \ bataillon », ainsi qu'on disait dans un patois char- i mant ä ľassommoir local oü chacun, son boulot fini, allait au soir s'offrir un pot. N'ajoutons pas qu'il faisait toujours nuit, ni qu'il tombait sans fin "" un cracrnň~clru71póln^"^äč1al70n concoit sans-------^ mal qu'il fallut un hasard tout ä fait hors du com-mun (ďaucuns y ont vu aussitôt ľinfini doigt du Tout-Puissant: ä coup súr, ils n'ont pas tort, mais la Narration contraint ä offrk, au moins, ľillusion du pas tout ä fait fatal; sinon ä quoi bon discourir ?) tout ä fait hors du commun, done, pour qu'Aignan, sous un climat aussi cordial, soit toujours vivant dix-huit ans plus tard. Mais n'anti-cipons pas... Or, dix-huit ans plus tard, grosso modo, Sibylla, dans son palais brabangon ou flamand, n'oubliait toujours pas son si joli frangin, done fuyait tout convol. Un puissant Archiduc, un Bourguignon qui la trouvait ä son gout, la vou-lut pour son lit. Sibylla fit non. « Un avocat goujat qui fumait au zoo ». L'on va au zoo. Qu'y voit-on ? Un avocat fumant. Bon. Mais si ľavocat n'avait couru au zoo qu'afin d'y accomplir la sommation d'Anton, supposant qu'ainsi il pourrait, lut aussi, voir au moins un ami d'Anton ? ^- Ainsi, conclut Ottaviani, tout ca n'aurait trait qu'au pur hasard ? — Hasard ou machination, qui sait ? Mais nous saurons lundi ä Longchamp s'il y a du vrai dans l'allusion d'Anton aux dix bons whiskys. Mais auparavant, on pourrait approfondir un point moins capital mais pourtant fort important. Voilä : tu connais Karamazov ? — Cui <&& un frangin qu'on dit bath ? —. Non, son cousin, Arnaud Karamazov. II a un taxi ä Clígnancourt. II bricolait parfois pour Voyl ou pour moi. II faudrait savoir s'il a lui aussi appris la disparition d'Anton. Fais ca pour moi lundi matin, avant Longchamp. — O.K, boss, fit Ottaviani, qui somnolait sur son bock. II faisait un froid suffocant. Un canard n'aurait pas pu sortir, ni un loup. Pourtant Ottavio Ottaviani marchait d'un bon pas, supportant sans trop souffrir, paraissait-il, l'insinuant-brouillard. II ar-riva ä ľ Alma ; il prit un autobus qu'il abandonna au Quai d'Orsay. Il souffla un instant; puis il consulta son oignon : midi moins vingt; il avait un grand laps avant Longchamp. — Allons, dit-il ä mi-voix, il n'y a pas ä choi-sir : il f aut savoir pourquoi Voyl a muni sa Fiat d'un dispositif anti-vol. Non loin du quaí, ä trois pas du Consulat d'Iran, il y avait un snack-bar qu'Ottaviani con-naissaít pour s'y orTrir parfois un sandwich au jambon ou au saucisson á ľail. II s'y introduísit,. las, poussiŕ, fourbu. U y avait tout un tas ďindi-viius au bar. — Salut, dit-il. — Bonjour, fit Romuald, un barman actíf, mais toujours souriant, un froíc^gladalj^pasjvraL?— --------------^^ňh^£rla,'ítt Ottawám, brrr... — Pourtant, fit Romuald, il fait moins un ; on a connu plus froid. — Oui, mais il y a ľAquilon sífŕlant qui mu-git, fit Ottaviani, citant, á son insu, Saint-Marc Girardin, — On vous fait un sandwich ? proposa Romuald : jambon cru, jambon d'Yorfc, saucisson, bacon, boudin, chipolata, rôti froid, ]karo_t, can-tal, port-salut, gorgonzola, hot-dog ? — Non, dit Ottaviani, fais-moi plutôt un grog, II ajouta : j'ai pris froid. — Un grog, un ! hurla Romuald ä un marrni-ton qui s'affairait ä la cuisson du plat du jour : un osso bucco garni d'artichauts au romarin. — Vbila, voilá, ca bout! cria-t-on. La boisson arriva un instant plus tard. — Un bon grog bouiJlant, annonca Romuald, nul coryza n'y survivrait! Ottaviani goůta son grog. — Hmm, dit-il, parfait. — Du citron ? — Non, ca va tout ä fait ainsi. — Qa fait trois francs vingt, tout compris. — Voilá. — Thank you, fit Romuald, poli. 76 Ottaviani vít, au fond du bar, Aloysius Swann/ son patron, qui finissait un fruit. II prit son grog, s'avanga, non sans mal, dans ľafflux humain, s'assit, soufflant, vis-ä-vis d'Aloysius. — Salut, patron, dit-il. — Salut Ottaviani, fit Swann, ca va ? — Couci-couca. J'ai pris froid. •—• Un yoghourt ? — Non, j'ai pas faim du tout. —— Alors ?-----------------._________________ — Alors quoi ? — Amaury Conson ? — II a l'air súr qu'il s'agit d'un kidnapping. —. II doit avoir raison, murmura Swann. — Tu crois toi aussi, mais pourquoi ? Sans un mot, Swann tira d'un sac un pli qu'il fit voir ä son adjoint.' — Bon sang, jura Ottaviani mais ca sort tout droit du grand Q.G. ! Puis il lut: Rapport du Consul Alain Gu. rin au Royal g - p.r.c. (Diffusion Saclant - « cosmic » Nato - s AG - g/prc - 3.28.23) Il y a un mois, un rapport du Commandant du QG-NATO d'Orrouy joint ä un avis du hci d'An-dilly, qu'avait soustrait pour confirmation ľaspi-rant 3/6.26 du « straggling group » du Cap Horn, nous avisait du sprt promis ä Anton Voyl. Par Mission « nato- cosmic » 5/28-Z. 5, fut aussi-tôt mis ä jour un « K. Count» du mois. Anton Voyl n'y figurait pas. Aussi, par Mission « off days » 8/28-2. 5, instruction L 18, ainsi qu'avis « cosmic un bis », un plan anti-rapt fut-il trans- mís ä touš gcr, touš adjoints sr, touš assistants SM, tOUS HCl, tOUS ONI, tOUS CIC, tOUS « G. 3 », touš BND, touš s id, touš « Prima Bis », sauf Mi. 5, mais y compris impulsions aux Commandos hors Statuts. Sans vouloir amoindrir la cotation ďinforma-tions valant A. 3 ou B. 1, on dok voir qu'il y a dix-huit jours qu'on a mís nos dispositifs au point «3» pour un profit nul. La raison d'un aussi clair fiasco TT/uci d^Arlington dit la sa-voir : infiltrations čia ? mais aussi sis »dans nos « staffs » sous juridiction nato. Par surcroit,on croit savoir qu'un adjoint du SR albanais a com-promis un Barbu d'Ankara, contrôlant ainsi son organisation. Nous nous trouvons done dans la situation d'avoir ä choisir ou ľabandon d'Anton Voyl ä son sort ou un casus, sinon violations du moins damni: un cas aussi anormal doit, croyons-nous, n'avoir sa solution qu'au Palais. D'oü mon choix d'un rapport hors sr vous avisant non plus pour consultation mais pour avis global ainsi qu'ins-tructions. — Tout ca m'a ľair plutôt obscur, dit Swann. Qu'a dit Hassan Ibn Abbou ? ■> — II n'a pas voulu ľouvrir; mais nous l'al-Ions voir aujourďhui ä minuit: il pourrait y avoir du nanan. Quant ä Olga, allons-y mollo : la nana a plus d'un tour dans son sac ! — Tu crois ? — Súr. A propos, j'ai vu Karamazov. — Alors ? — II a vu Voyl trois fois il y a un mois : un soir il ľa conduit ä Aulnay-sous-Boís, dans un 78 bungalow qui paraissait ä ľabandon ; trois jours plus tard, ils ont fait un wHst au ClüBi ÄügüstE-Lippmann : Karamazov a battu Voyl d'au moins vingt points. Mais il y a plus important: il y a vingt jours, Karamazov a muni la Fiat d'Anton Voyl d'un dispositif anti-vol. — II a muni sa Fiat d'un dispositif anti-vol! — Oui. — faillit finir par un pugilat, mais Ottaviani parvint ä adoucir Aloysius qui, furibard mais soumis, sinon convaincu, paya son addition. ÁJoysius allait sortir quand, pris dans un fort couraní ďair, íl Janca un atchoum tonítruant: — A vos souhaits, fit Romuald, jovial, vous voilá puni: il vous a transmis son coryza ! Quittant Aloysius Swann qui allait ä la PJt, Ottavio Ottaviani gagna Longchamp oú, nonob-stant ľinamical climat, ľon courait ľimportant Grand Prix du Touring Club qui fínisjiait_Ja_sak_ -.-3 .4 80 _______..vwiwig ^jiuu 4U1 nmssait la sai- dotait d'un prix qu'on disaít mírobolant (on mur-murait qu'il offrait un million au gagnant). Aussi, Tout-Paris paradait-il au paddock. On pouvait voir Amanda Von Comodoro-Riva-davia, la star ä qui la Columbia avait garanti par contrat un milliard pour trois films. Aiianda portait — sancta simplkítas — un pantalon t>ou£. fant ďottoman incarnat, un ras du cou corail, un caraco purpurin, un obi colcotar, un foulard car-min? un vison nacarat; bas rubis; gants cramoi-sis, botillons minium ä Lauts talons zinzolin. Ur-bain d'Agostino, son soupirant du mois, ľaccom-pagnait: jabot au point du Puy, frac d'Ungaro ä col Mao, gibus, Grand Sautoir. On montrait du doigt Maharadjahs, PDG, Kronprinz, Paladins, Hospodars ; chacun avait son nom au Gotha ou, au moins, au Bottin Mondain. irgi.nd} couloir qui conduisait ä la mort, puits vacant, profond, lacunal, vous aspirant jusqu*ä Vhalluci-nation, jusqu'au tournis ! Huts blanc d'un Styx plus noir qu'aucun goudron, tourbilloh blafard du Malström í Moby Dick ! On ríy faisait allusion qu'ä mi-voix, Signons-nous, disait parfois un bosčo pälissant. Von voyait plus ďun marin murmurant tout bas un dominus vobiscum. Mors apparaissait Achab. Un sillon profond, d'un blanc blafard, tracait son cours parmi son poil gris, striait son front, zigzaguait, disparais-sait sous son col. Bancal, U s'appuyaif^sur un pilon ivoirin, moignon royal qu'on faqonna jadis dans ľos palatin d'un grand rorqual. II surgissait, tonnant, bagard, maudissant Vanimal qu'U pourchassait void dix-buit ans, il lui lanqait d'insultants jurons. Puis, au baut du grand mät, il plantait, il clouait un doublon d'or, ľoffrant ä qui šaurait voir avant tous I'animal. Nuit sur nuit, pur sur jour, ä Vavant du galion, transi, raidi dans son suroit, plus dur qu'un roc, plus droit qu'un mat, plus sourd qu'un pot, sans un mot, sans un clin, plus froid qu'un mort, mais bouillonnant dans son for d'un courroux surhu-ntain, volcan grondant ainsi qu'un bloc raidi chu d'un ouragan obscur, Achab scruta Vhorizon noir. La Croix du Sud brillait dans la nuit. Au haut du grand mát, ainsi qu'un point sur un i, I'halo gris baignait d'un clair-obscur pälissant Vor maudit du doublon. Trois ans dura la circumnavigation. Trois ans durant cingla Vhardi galion, louvoyant du nord au , sud, roulant, tanguant dans Vinout tohu-bohu du fusant, bourlinguant sous Vaoůt brůlant, sous Vavril facial. II vit Moby Dick avant tous, un matin. II faisait clair; nul courant, nul mouton; Vaplani flot paraissait un tapis, un miroir. Blanc sur Vhorizon lapis-lazuli, Moby Dick soufflait. Son dos faisait un mont nivial, hrouillard blanc qu'un vol d'albatros nimbait. Un court instant, tout parut s'adoucir. A dix furlongs du galion, Moby Dick glissait, animal divin, paix avant Vouragan final. U y avait dans Voir ambiant un parfum saisissant d'absolu, d'in-fini. Du flot cristallin sourdait, montant, un halo lustral qui donnait ä tout un air virginal. Nul bruit, nul courroux. Chacun s'immohilisait, contraignant son inspiration, saisi par la paix qui soudain rayonnait, s'irradiait, alangui par Vamour inou'i qui montait du flot calmi, du four blanchis-sant. O, instant amical, unisson parfait, absolution ! Avant la mort qui rôdait, Vhimalaya lilial du grand Cachalot blanc donnait ä tous son grand pardon, ä Starbuck, ä Pip, ä Ismail, ä Achab. Achab! Front brůlant, tordu, horrifiant, bossů. Un long instant, sans un mot, il fixa Vhorizon. Un profond sanglot agita son poitrail puissant. — Moby Dick, Moby Dick! hufla-t-il ä la Un, tonitruant. Allons, tons aux canots! Sur son jambart au cuir crisšant, Daggoo affůta son harpon au morfii plus aigu qu'un rasoir. Vassaut dura trois jours, trots purs A'affronts inouis, chocs obscurs, corps ä corps, vingt-six ma-rins unis dans un combat colossal, assaillant dix fois, vingtfois} ľinvaincuTjtanjÍMJBú^^b^4oisj-umgrjolš^un harpon plus tranchant qu'un bis-touri s'implanta jusqu'aux quillons, 'jusqu'aux croisillons dans Vanimal qui rugissait, bondissait, mais qui} nonobstant d'aigus barbillons labou-rant au plus pro fond sa chair, d'agrippants crocs tailladant, arrachant ä vif, tracant sur son dos blane d'avivants sillons sanglants, faisait front, s'attaquait aux canots qu'il culbutait, qu'il cou-lait, puis disparaissait tout ä coup au plus profond du flot. 'Puis, un soir, s'attaquant soudain au trois-mäts, Moby Dick Vouvrit ďun coup. Ľavant du gälion bascula. Dans un sursaut final, Achab lanca son harpon,. mais son fil tortilla. Moby Dick, tour-noyant, fonga sur lui. — ]usqu3au bout, firm voulant ta mort, hur-lait Achab, du fond du Styx f trat ťassaillir. Dans • Vabomination, f trat crachant sur toi! Sois mau-dit, Cachalot, sois maud.it ä jamais t II tomba, ravi par V harpon qui filait. Moby Dick, bondissant, cloua Achab sur son dos blane, puis piqua au fond du flot. ^~ Von vit un ravin blafard, canyon colossal, s'ou-vrir au mitan du flot, tourbillon blane dont la succion aspira un a un marins morts, harpons vains, canots fous, gälion maudit dont la damnation avait fait un corbillard flottant... Apocalypsis cum figuris : il y aura pourtant, il y aura toujours un survivant, Jonas qui dira qu'il a vu un jour sa damnation, sa mort, dans V iris blane d}un rorqual blane, blane, blane, blane jus-qu}au nul, jusqu'ä V omission ! Ah Moby Diek ! Ah maudit Bic ! Ľoň vit pas mal ďindividus compatir ä la mort d'Hassan Ibn Abbou. (k afflua autour du corbillard. Ca faisait quasi un cordon du quai Branly au Faubourg Saint-Martin. Tout-Paris accompa-gnait ľavocat ä son abri final. I/on montrait du doigt Amanda Von Comodoro-Rivadavia, ľArchi-duc Urbain d'Agostino. Olga sanglotait. Ottaviani avait son air bourru. Amaury Conson, qui Vat-taebait ä saisir la signification du « Moby Dick » d'Anton Voyl, avait un air tout abasourdi. L'pn inbumait Hassan Ibn Abbou dans un columbarium ä Antony. On lui avait construct un mastabas tout ä fait joli. Un quartz cornalin y jouxtait un onyx plus pur qu'un diamant du Transvaal; un bloc d'airain aux incrustations d'iridium portait rubans, croix, cordons ou grands sautoirs, par quoi plus d'un roi, plus d'un maha-radjab avait voulu garantir ľinfini prix qu'il atta-cbait ä ľavocat: la Croix du Combattant, la Victoria Cross, la Nicban Iftikhar, l'Ours royal du Labrador, la Grand'Croix du Pytbon Pontifical. L'on fit six discours. D'abord Francois-Armand d'Arsonval park au nom du Tribunal Administra-tif dont Hassan avait concu, ď A ä Z, ľorganisa-tion. Puis Victor, due d'Aiguillon, pour ľAnglo-Iranian Bank qu'il administrait: Ibn Abbou, plus qu'un factotum, fut, vingt ans durant, son plus loyal bras droit; puis ľlman d'Agadir qui dit ľamour qu'Hassan avait pour son pays natal; puis, dans un anglais choisi, Lord Gadsby V. Wright, dont Hassan fut ľassistant ä Oxford, puis dont il assura la nomination d'Auctor Honoris Causa, traca un brillant curriculum studio-rum du grand disparu. Puis Raymond Quinault ____quL_sjiuligna^i!incc^sJmiL-rnais—toujours positif rapport qui avait uni ľavocat ä ľOuvroir. A la fin parut Carcopino, II parlait au nom du Quai Conti. II y a six ans, dit-il, au cours ďun scrutin uninominal ä trois tours, qui fit alors grand bruit, par vingt-cinq voix sur vingt-six, ľlnstitut s'attachait Hassan Ibn Abbou qu'il nommait ä la sous-commission du Corpus patrimonial d'Inscriptions du Haut-Atlas Marocain, strapontin (sinon distinction) qu'avait valu í ľavocat son travail magistral sur un tumulus mal connu, mais surtout mal compris, ďun oppidum avium romanoYum qu'un savant munichois, juif qui fuyait ľ Anschluss, fouillait, non sans profit, ä Thugga (aujourďhuí Dougga). Jugurtha ľaurait assailli trois fois. Juba ľ Afrícain y aurait dormi (Titus Livius dixit); Trajan y aurait fait bátir un palais pour son fils adoptif, Adrianus. Pourtant Carcopino, s'appuyant sur Piganiol, affirma qu'il s'agissait ďun on-dit. Tout ca n'avait pas grand rapport ä la mort ďHassan Ibn Abbou. L'on vit pourtant ďaucuns applaudir. Car, quoiqu'il parlät ä mi-voix, Carcopino savait offrir ä son public un discours capti-vant. Puis, improvisant ä grands traits, Carcopino traca un vibrant portrait du compagnon, du sa- 90 vant dont la mort privait non solum ľlnstitut mais aussi la Nation ďun savoir capital, ďun acquis vital. Car nul, plus qu'Hassan Ibn Abbou, n'avait su saisir la signification du rapport ambi-gu qui unit la romantisation ä la barbarisation, constituant ainsi, instituant ainsi un savoir qui, pour vagissant qu'il fut aujourďhui, voit s'ouvrir ä lui, par ľimportant sinon capital saut qu'Hassan Ibn Abbou lui a fait franchir, voit s'ouvrir ä lui un futur saisissant. Ayons foi dans Tobscur grain "qu'lriassan ibn Abbou planta, la moisson qtrih" nous vaudra saura nous nourrir ä jamais, dit pour finir Carcopino d'un ton rompu par ľaffliction. L'on participa ä son chagrin, l'on £ut conquis, ľon n'osa applaudir, ľon sanglota parfois. Pourtant, Amaury Conson vit, ä trois pas, un individu qui souriait. II avait un air franc, plu-tôt jovial, disons sympa, qui lui plut aussitôt. Grand, pas mal báti, il portait un raglan copur-chic qui sortait ä coup súr ďun artisan anglais. Amaury s'approcha. — Dis-moi, lui-dít-il ä blanc-pourpoint, pour- quoi souris-tu ? — II y a, fit ľineonnu, dans son discours un oubli qui m'apparait fort significatif. — Un oubli ? chuchota Amaury maltrisant mal son agitation. — Voici grosso modo six mois, Hassan Ibn Abbou proposa, pour son doctorat ä la Commission ad hoc du cnrs, un rapport succinct mais plutôt pas mal foutu, du moins ä mon avis, trai-tant du jus latinům, du droit latin quoi, qu'il connaissait jusqu'au bi du bout du doigt. II dis-courait surtout sur un point jusqu'ici obscur qui avait fait pälir maints savants pourtant trapus : y avait-il ou non obligation pour un pagus ou pour un oppidum ďoffrir ä sa population (paysans ou parfois marchands) un statut ignorant la distinc- tíon qui faisait ipso facto du Romain un individu plus important qu'un habitant du Sahara ? Quoi-qu'insuffisant, surtout dans sa conclusion, son travail, confirmant ľintuition d'un Marc Bloch quant au rapport Donjon-Vassal, d'un Mauss sur ľunion Chaman-Tribu, d'un Chomsky sur la junction Insignifiant-Signifiant, prouvait qu'il n'y avait pas obligation (il s'agissait tout au plus d'un choix facultatif), montrant ainsi qu'on s'abusait quaiid on anaJyš^TTpaTHř^^uřTDroit soi-disant positif, un substratum d'ou l'on croyait saisir la Colonisation, la Romanisation ou la Barbarisa-tion. (Ja signifiait done qu'íl fallait ä tout prix fuir ľa" priori pour saisir, avant tout, l'infrastruc-tural. Tu vois la situation : Karl Marx ä l'Institut! On n'avait jamais vu ca. Pourtant la plupart du Jury fut d'accord, sauf Carcopino (dít Cocopi-nar), qui, dit-on, aurait rugi: « Idiot! Idiot! Idiot! » — Mais il a pourtant fait son oraison, mur-mura Amaury. — Oui, admit ľinconnu, ca m'a surpris ; j'au-rais cru qu'au moins il s'offrirait cinq ou six allusions. Mais non ! — Chut, fit Olga qui assistait ä la discussion, void ľinstant final. L'on ôta, qui son panama, qui son schako. Un amiral salua, bancal au claír. Furtif, Ottavío Otta-viani sortit son mouchoir blanc. Plus d'un lar-moyait. Un paparazzi mitraíllait Amanda Von Comodoro-Rivadavia qui fondait, ru lacrymal, sur ľacromion d'Urbain d'Agostino, son soupirant favori. L'on vit d'abord surgir un sacristain au camail citron agitant un goupillon d'or massif, puis trois ratkhons brandissant sous un baldaquin ä galons froufroutants un crucifix plutôt con, puis cinq 'borniols hissant un sapin d'acajou aux portants d'airain. L'un fit un faux pas : l'oblong sapin glis-sa, tomba, s'ouvrit: damnation ! Hassan Ibn Ab-bou avait disparu ! Pour un joli ramdan, <;a fit un joli ramdam ! Au Quay d'Orsay on accusa la P.J. ; ä la PJ. ľon accusa Matignon; ä Matignon la Maison Roblot qui accusa la Maison Borniol qui accusa — va savoir pourquoi — l'Hopital Foch qui accusa l'Institut qui accusa l'Anglo-Iranian Bank qui rac-cusa Pompidou qui compromit Giscard qui condanma Papon qui montra du doigt Foccard... — Ah non, fit Ottavio Ottaviani, il nous suf-fit d'un Ibn Barka par an ! Qa prit cinq ou six jours, mais, pour finir, ľon tint coi l'obscur fourbi. On ignorait la dispari-tion — si disparition il y avait — d'Anton Voyl; on ignora la disparition d'Hassan Ibn Abbou. Douglas Haig Clifford 9 Ou un barytón naif connatt un sort fulgurant Trois jours plus tard, suivi du quidam qu'il avait vu ä ľinhumation d'Hassan Ibn Abbou, Amaury Conson alia voir Olga qui, souffrant ďun coryza cramponnant assorti d'un lumbago brutal, avait fui dans son manoir campagnard, á Azincourt, non loin ď Arras. On prit un train. Jadis, dit ľinconnu sur un ton nostalgical, quand on voulait partir pour Dinard ou pour Por-nic, pour Arras ou pour Cambrai, on n'avait pas grand choix : on montait dans la mail-coach, un vrai guimbard. II fallait au moins trois jours, par-fois jusqu'á cinq. Tout au long du parcours, on causait au postilion, on offrait du vin, on lisait un journal, on disait son opinion sur la situation, on causait chiffons; on racontait un roman d'amour ; on parlait d'un assassinat qui avait fait courir tout un chacun au tribunal: tantôt on attaquait ľavocat, pourtant fort connu, qui, fai-sant fi du rapport ^instruction, niait ľaccusa-tion, d'un bloc, voulant ä tout prix noircir ľinsi-gnifiant potard qui aurait fourni du poison, du laudanum, ä ľassassin; tantôt on critiquait la composition du jury ; quant au substitut, il n*ap-paraissait pas non plus ä ľabri du soupgon. Plus tard, on ironísait sur ľadministration ; ľon prou- 97 vait la corruption d'un Du Paty du Clam, d'un 1 Cassagnac, d'un Drumont, d'un Mac-Mahon. Puis ] ľon chantait la Chanson du Tourlourou qu'un Paulin ou qu'un Bach immortalisait au Chat Noir, ä ľAmbigu ; ľon pámait d'adrniratlon pour Cyrano, pour Sarah jouant l'Aiglon; puis chacun y allait d'un propos grivois, ľon rigolait un bon j coup tandis qu'au trot la mail-coach courait jus- I _ qu'ä la fin du jour. A la nuit on dinait dans un j charmant caTwülc^~Önliväit pour "six francs un-------r bon vin d'Anjou, ou un Latour-Marcillac, un Mu-signy ou un Pommard qu'un poisson ou un ho-mard, un gigot ou un dindon accompagnait. On gogaillait, on ripaillait, on bombancait, on ribo-tait jusqu'ä plus soif ! Puis ľon faisait un grand tour : jardins publics aux gazons chagrins, aux ifs chafouins, aux boulingrins languissants, mail aux acacias maigrichons, aux pawlonias rabou-gris ; on allait s'offrir un curacao, un marasquin ou un bon vín chaud; on faisait un whist ou un pharaon ; on jouait parfois au biliard, on aplatis-sait.un champion du coin. Puis on allait au bobi-nard, on passait un instant au salon ; ľon offrait un chocolat au kirsch, un joli ruban, un mignon carafon d'Armagnac ; ľon suivait jusqu'au lit un jupon qui vous plaisait; puis ľon allait dormir, satisfait. — Oui, soupira Amaury, aujourd'hui nous avons la sncf, mais ga n'a plus aucun chic. L'inconnu opina. Puis il sortit d'un sac qu'il avait ä la main un carton au format original garni ďoblongs cigarillos. — Un brazza ? fit-il. — Non sans un vif plaisir, fit Amaury ; mais, ä propos, ľon voudrait savoir ton nom. — J'ai pour nom, fit l'inconnu,. Arthur Wil-98 burg Savorgnan. — Ah bon, fit Amaury surpris, qui ajouta aus-sitôt: quant a moi, Amaury -Conson. — Amaury Conson! N'avais-tu pas un fils qui... — J'avais six fils, coupa Amaury, ils sont tous morts sauf un. — Yvon ? - — Oui! clama Amaury, mais oů l'as-tu ap-pris ? -----------------------------------'--------- — Tu connaitras un jour mon roman, dit, souriant, Arthur Wilburg Savorgnan. J'avais, moi aussi, pour ami Anton Voyl; mais, anglais, vivant ä Oakwood, non loin d'Oxford, nous nous voyions au plus cinq ou six fois par an. II m'a pourtant fait part du mal dont Ü souffrait: il m'annonca, ainsi qu'a vous tous, qu'il courait ä la mort. Aucun parmi nous n'y a cru, ni Olga, ní Hassan, ni toi, ni moi. Hassan, pourtant, il y a huit jours, parvint ä m'avoir au bout du fil. Ľon convint d'avoir la discussion qui s'imposait. Mais quand j'arrivai ä Paris, j'appris sa mort... — Mais as-tu compris, toi, la signification du post-scriptum ? — Non, mais, ä mon avis, nous avions tort d'y vouloir voir un signal mot pour mot. « L'avo-cat goujat qui fumait au zoo » signifiait-il Hassan Ibn Abbou ? Non, pour au moins trois rai-sons: Voyl ignorait qu'Hassan fut avocat, la qualification d'avocat goujat allait mal ä Hassan, Hassan fumait tout au plus trois habanas par an. — II y a du vrai dans tout ga, d'autant plus, ajouta Amaury, qu'Hassan adorant la boukha faisait fi du whisky. — Oui. Par surcroit, il n'allait jamais au zoo ; il aimait trop son Jardin d'Acclimatation. — Mais alors, pourquoi son post-scriptum ? — J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un faux. Aujourd'hui, f ai ľintuition qu'Anton n'avait au« cun choix : il lui fallait un point final. S'il avait pu, u aurait fini sur un signal plus súr t mais ü n'avait pas plus clair ä sa disposition,.. — II n'y a pas plus obscur qu'un blanc, mut-mura Amaury. — Pourquoi dis-tu ca ? sursauta Arthur Wil-burg Savorgnan. ----------- J'ai lu-ga-dans-son-Joumaív-Q- fini par saisir qu'il ľavait toujours dit. Voilä pourquoi, ajouta-t-Ü au bout d'un court instant, nous allons a Azincourt voir Olga. L'on n'ajouta plus un mot jusqu'ä la fin du parcours. Savorgnan tirait sur son brazza. Amaury lisait un gros roman qui narrait la liquidation, ľinfamant krach, ľhypocrísif banco-rotto d'un tas d'importants BOF, ignorant qu'il y avait, la aussi, noir sur blanc, la solution du tracas qui l'ha-bitait, qui ľagitait... La loco allait bon train, suscitant ľoscillation du wagon d'ahiminium. L'on voyait fuir 1'ondu-lant panorama rural. Un paysan allait aux champs sur son McCormick rutilant. Puis la loco faiblit. L'on arrivait. L'on vit un faubourg pourri, puis un quai, cinq ä six hangars, un autobus, un rond-point. L'on prit un omnibus d'Arras ä Aubigny, un tortillard qui faisait du vingt tout au plus. Puis l'on marcha sur Azincourt (jadis Agincourt; l'An-glais nous y archibattk). Un charmant vallon, profond, ravissant, sou-riant d'un parfum tout automnal qui flattait l'odo-rat, parfums agacants, capricants du myosotís palustris, du bois mort, du champignon gris, du 100 pourrissant humus, cachait la maison, un joÜ manoir qu'avait fait bátir Francpis Daunou ä la fin du Consulat. Laissant aux macons couards l'inspi-ration du Grand Trianon d'Hardouin-Mansard qui constituait alors un parangon non plus ultra, Souf-flot, qui inaugurait ici un brillant futur, proposa ä Daunou, franchissant, non sans un aplomb har-di, non sans un sang-froid inouí, cinq ou six Rubicons, Soufflot, done, proposa un corps principal d'inspiration rococo — portail ä arcs-boutantSj-fronton ä la Tudor, balcons sans avant-corps, tym-pans ä mascarons — qu'il flanquait — la gisaít ľinnovation — d'un pavilion flamboyant ä parvis ogival, aux machicoulis ä modillons. Francois Daunou loucha trois jours durant sur ľoriginal lavis. — Hum, dit-il pour finir ä Soufflot, ca n'a pas ľair banal... Puis il lui flanqua son godillot au cul, lui garantissant pour un futur proximal ľincisif rasoir du grand Guillotin. Mais Soufflot, s'attifant du sarrau blanc d'un marmiton, parvint ä fuir ä Lyon. Daunou, abattu, consulta Chalgrin, Vignon, Potain, Hittorf. Chacun s'abstint. Pour finir, il tomba sur un Hollandais alors plutôt obscur, qui avait nom Francois Tilman Suys. II lui donna carta blanca, laissant ä sa disposition d'importants fonds. On sait qu'il n'y a pas plus filou qu'un Hollandais : quand Francois Tilman Suys finit sa construction, un pavilion colonial au toit rhomboidal dont ľarc d'appui s'incrustait d'ultramon-tains godrons sinon laids du moins tout ä fait triviaux, Daunou n'avait plus un sou vaillant; trois mois plus tard, il fourguait sa maison au plus offrant: un maquignon d'Audruicq l'acquit pour vingt picaillons ; il y monta d'abord un haras, puis, dans ľinou'i transport qui suivit Wagram, Íl y installa un Casino ou l'on vit jouant au boston ou au baccara McDonald, Soult, Duroc, Victor, 101 Caulaincourt, Savary, Junot, Oudinot. íl y gagna, dit-on, plus ďun million. Puis la maison tomba dans la main d'un flic Louis-Philippard qui y trai-tait son quatuor d'indics, dont ľun, sac a vin, ľassassina au surin au sortir d'un larigot oü cha-cun avait trop bu. II n'avait pas d'ayants droit: la maison tomba ä ľabandon. On la pilla, puis ľon y vit aboutir clochards, truands, vagabonds, ______voyous._________________ Un jour d'avril dix-huit, un commandant anglais, Augustus B. Clifford, qui passait par lä conduisant son bataillon au combat, y instalk son Q.G. pour la nuit. La maison lui plut. Huit ans plus tard, quand on lui confia ľad_nínÍstration du consulat du Canada ä Francfort, il fit d'Azin-court son logis familial, y habitant au minimum six mois par an. Son soin, s'ajoutant ä son bon gout, garantit ľorganisation du pavilion : on ra-vala ; on fit un toit, on lava partout, on substitua ľislandais mazout au salissant charbon, on cons-truisit un grand pare. Augustus B. Clifford avait un fils. II lui donna pour nom Douglas Haig, voulant atnsi offrir sa contribution ä ľimmortaLisation du Grand Soldat sous qui il avait combattu ä Douaumont. Bambin charmant, Douglas Haig, ou plutôt Haig tout court, car toujours aínsi ľinvoquait son papa, grandit ä Azincourt. La maison vibrait du cri plaisant qu'il poussait quand il jouait ä colin-maillard sur ľouatant gazon du pare, quand il grimpait ä ľacacia, quand il nourrissait ľinsi-nuant cyprin du bassin, un carpillon qu'il appri-voisa non sans mal, lui offrant du pain, un lom-102 brie, un taon, un bourdon ou parfois un crocus, mais qui surgissait quand il s'approchait du bassin murmurant ou sifflotant son nom : Jonas. Haig avait tout un tas d'amis, pour la plupart vivant au bourg. On faisait du sport; on jouait au football, au rugby. On organisait d'amusants tournois au tir a.l'arc. On randonnait tout autour du pays. Puis la nounou mijotait un bon choco-lat chaud, cuisait un kouglof ou un clafoutis aux fruits. Chacun savourait. La maison d'Augustus connaissait la paix. On y batifolait. On aurait dit un paradis. A dix-huit ans, Haig passa son bachot. Puis il trouva sa vocation : barytón. II chantait plutôt mal, mais Íl adorait ca. Par surcroit, Ü avait la voix qu'il fallait. II travailla dur, puis s'inscrivit ä la Schola Cantorum ou il apprit la composition, apprófondissant ainsi son savoir naissant. Puis Fricsay l'initia au plain-chant, Solti au canon, Von Karajan au tutti, Krips ä ľunisson. Sir Adrian Boult assista ä ľaudition qu'il donna, un an plus tard, ä Turin, au Carignano. Haig chanta d'abord « Unto us a Child is born », puis un madrigal d'Ottavio Rinuccinni, puis, pour finir, trois grands airs áyAida. L'approbation du grand Adrian Boult, tout ä fait convaincu, valut au barytón un mot d'introduction pour Karl Böhm qui montait II dissoluto punito ossia II Don Giovanni au Mai Musical d'Urbino. Karl Böhm convoqua Haig, trouva sa voix au point, quoiqu'il donnát parfois du flou dans son aigu ; il lui offrit la partition du Commandant, lui garantis-sant un protagon dans un futur plus ou moins lointain. Conduit par Karl Böhm d'un bras súr mais amical, Haig avanca ä grands pas. « Ton fortissimo parait plutôt languido », lui disait parfois 103 Karl Böhm, ou « Quand tu dis Altra brama quag-giu.mi guido, sois plus strict: parfois tu mugis, parfois tu rugis: 5a doit jaillir sans faiblir ». Mais, grosso modo, Böhm paraissait tout ä fait satisfait du barytón. Un jour qu'ií sortait du Palais ducal d'Urbino, ou, un matin sur trois, il vocalisait tout ä loisir ä ľinstar du grand Caruso, Haig croisa dans un cor- ______ridor Olga Mavrokhordatos, la soprano qui jouait . Donna Anna. II concut illico pour la Diva un amour fou ; on ľaima au moins tout autant: trois jours plus tard, ä San Marino, ou. Íl obtint sans mal ľautorisation du convol, Haig s'unissait ä Olga. Un adjoint municipal pronongaŕt, báillant, car on allait sur minuit, un discours nuptial qui n'avait aucun piquant. Mais — consolation — dans la nuit indigo, sur ľimposant parvis du rond-point principal, ľon put ou'ir jusqu'au matin I virtuosi di Roma offrant aux conjoints rigaudons ou madrigaux, arias, chansons, rondos ou sinfo-nias. O, instant ravissant! O, Paix ! Un violon chantait dans la nuit, plus pur qu'un rossignol, puis un alto, puis 1'incisif clairon d'un Wobisch ! Haig s'avángait, gardant dans sa main la main d'Olga. Oui, ami qui nous lis tu voudrais, toi aussi, qu'ici tout soit fini. Douglas Haig Clifford s'unit ä Olga Mavrokhordatos; ils connaítront ľamour, la paix, ľamical unisson. lis auront vingt-six bambins, tous survivront. Las, non ! souhait trop hardi! il n'y aura pas ďabsolution. Nul Tout-Puissant n'offrira son pardon ä Douglas Haig. La Damnation qui par-tout, qui toujours, parcourt ľobscur signal qu'ä ľinfini ma main voudrait approfondir, accomplira -104 id aussi son fatum. La mort qui, trois jours plus tard, faisait son irruption ä Urbino, annoncdt, vingt ans plus tard, la disparition d'Anton Voyl, la disparition d'Hassan Ibn Abbou... Statuŕiant ľoccis Commandant qui parait, Uo-mo di Sasso, Uomo bianco, ä la fin du Ľramma giocoso, Karl Böhm habilla, ou plutôt moula Haig dans tin stuc, carcan blanc, briliant, dur,- qui ľau-torJsaif tont an plus a accomplir ring ou six pa&-On y pratiqua un fort trou qui, sans tout ä fait ľassourdir, donnait ä la voix un ton profond qui plaisait ä Böhm : « Au vrai, disait-Ü, on croirait ouír la voix ďun mort nous maudissant du sous-sol ou il pourrit ». II avait raison. II ignorait qu'il avait trop raison. Car, pour un motif inconnu, quand on installa Haig dans son carcan, qu'on boucla, qu'on plátra, murant tout ä fait ľivoirin barytón, ľon vit qu'on avait omis tout jour pour la vision ou pour ľauditíon. L'on s'affola, mais trop tard. On arrívait ä ľinstant ou Don Giovanni contraint son larbin ä offrir un lunch au Commandant. On hissa Haig sur son support. £a n'alla pas trop mal. Mais plus tard s'acharna un mau-vais hasard. On connalt la filiation annoníant la fin du Don Juan: — ... Grido indiavolato..., hurla Giovanni. Alors son larbin: — Ah signor... L'uom di Sasso... L'uomo bianco... Ah padron... Tatata... On avait conclu qu'Haig partirait lä, s'avan-£ant d'au moins huit pas ; qu'il apparattrait alors qu'aux violons on introduit ľaccord final, qu'il dirait son si connu Ľon Giovanni... m'invitasti puis franchirait cinq ou six pas afin d'offrir ä tout son public ľimposant gabarit du Commandant. Mais Haig partit un instant trop tard. Quand il arriva sur Don Juan, ľarbin balbutiait: Ab Padron... Siam tutti morti... Haig s'affola. II appa-rut. On aurait dit qu'il n'avait plus sa raison. II allait au hasard, tournoyant, oscillant ä ľinstar ďun robot ou d'un mutant inhumain. Soudain il poussa un mi tonitruant. Puis sa voix cassa tout d'un coup, il cogna un portant, fit un faut pas, bas-cula, plus droit qu'un mát, ainsi qu'un baobab ^u!on_abat.™5>. 12 Ou un bijou ombilical suffit ä ľanglitisaiion ďun bátard La Squaw tomba ä plat, front au sol, bras rai-dis, puis, faisant un saut vif, tourbillonna par trois fois. — Voilä, dít Olga, la Squaw a fini son invocation. Son Grand Manitou lui a souri. Nous allons savoir la signification du Zahir. A Masulipatam, un jaguar fut Zahir; ä Java, un fakir albinos ďun hôpital ä Surakarta, qu'on lapida ; ä Shiraz, un octant qu'Ibnadir Shah lanca au fond du flot; dans la prison du Mahdi, un compas qu'on cacha dans ľhaillon d'un paria qu'Oswald Carl von Siatím toucha; dans ľAl-hambra d'Abdou Abdallah, ä Granada, suivant Zotanburg, un filon dans ľonyx d'un fronton; dans la Kasbah d'Hammam-Lif, ľobscur fond d'un puits ; ä Bahia Bianca, un coin d'un sou oů s'abima, dit-on, Borgías. Pour tout savoir du Zahir, il faut s'abolir dans un in-octavo colossal qu'Iulius Barlach publia ä Danzig, ä la fin du Kulturkampf d'Otto von Bismarck, y transcrivant tout un amas d'informa-tions s'appliquant au Zahir, y compris un manus-crit original du rapport d'Arthur Philip Taylor. La foi au Zahir naquit dans ľlslam ä la fin du conflit austro-ottoman. « Zahir », dans un patois arabisant, signifiait « clair », « positif » ; on dit aussi qu'il y a vingt-six noms pour anoblir Allah, dont « Zahir ». Un Zahir a d'abord un air normal, banal: il pourra s'agir d'un individu qui paraitrait plutôt falot, ou d'un produit commun: un cáillou, un doublon^-un-beu^e^v^^^ tous un pouvoir horrifiant: qui a vu un jour un Zahir, jamais plus n'y connaitra ľoubli, lors finira hagard, divaguant. Avant tous, un fakir d'Ispahan parla du Zahir. II raconta qu'un jour on trouva ä Shiraz, dans un fondouk, un octant d'airain « ainsi construit qu'il fascinait pour toujours qui ľavait vu ». Quant ä Arthur Philip Taylor, il nous dit dans son long rapport qu'il apprit ä Bhuj, dans un faubourg d'Haidarabad, un dicton confondant « Avoir vu un Jaguar », qui, parlant ďun individu, signifiait fou ou saint. On lui dit qu'on faisait ainsi allusion ä un Jaguar hallucinant qui frappait qui ľavait vu, car il continuait ä ľassaillir, ä jamais, jusqu'ä la mort. On lui dit aussi qu'il y a toujours un Zahir ; dans un jadis ignorant, il fut un talisman qu'on nommait Yauq, puis un Voyant d'Irraouaddi qui portait un sindon s'incrustant ďimpurs joyaux ou un loup fait d'un fin rubán d'or. Il dit aussi: nul jamais n'ira au fond ď Allah. A Azincourt, un chaton d'opalin corindon fut Zahir, un chaton ovoidal, pas plus grand qu'un lotus, comportant trois poincons distincts : au haut, on aurait dit la Main ä trois doigts d'un Astaroth ; au mitan, un huh horizontal ä coup súr signalant ľlnfini; au bas, un rond pas tout 140 ä fait clos finissant par un trait plutôt droit. L'apparition du Zahir s'accompagna d'un fait troublant. Un soir d'avril vingt-huit, un individu sonna au portail. J'allai ouvrir. II avait ľair ďun gars courtaud, lippu, un brin voyou. II portait un sarrau blanc, plutôt crado, qui constituait ä coup súr tout son saint-frusquin. — J'ai fait un long trimard, dit-Ü d'abord, j'ai f aim, j'ai soif. — Fous-moi ton camp, vagabond, j'y dis. II nous toisa un long instant. J'allais saisir un gourdin, quand, tout ä trac, il nous dit: — Non. J'ai un true pour Clifford. — Fais voir ! — Non, insista-t-il, pour lui, pas pour toi. — Allons, j'ai fait, suis-moi, nous allons voir. J'allai dans l'iving-room ou Augustus finissait sur un fruit sa collation du sok. — II y a lä ün smigard qui voudrait vous voir un instant. — II ťa dit son nom ? — Non, il n'-a pas voulu. Mais il dit qu'il a un true pour vous. — II a ľair d'un filou ? — Non, plutôt d'un vagabond. — II connait mon nom ? — Oui. — Bon. Alors, ouvrons-lui. L'individu apparut. II scruta Augustus d'un air plus surpris qu'impoli. — Augustus,B. Clifford? — Oui. Pourrait-on savoir ton nom ? — Nous n'avons aucun nom, n'ayant jamais connu fonts baptismaux. Mais j'ai un súrnom plai-sant quoiqu'incongm: Tryphiodorus. II vous plait? — Va pour Tryphiodorus, admit Augustus confondu. —■ Or, done, continua Tryphiodorus, il y a trois jours, ä Arras, un cardinal ä ľair contrit m'accosta: «Va illico; dit-il, voir Augustus B. Clifford ä Azincourt. Dis-lui qu'il a un fils qui vagit ä ľHôpital civil ». — Un fils ! glapit Augustus, tombant quasi sur son bas du dos (son cul, son popotin, son croupion, son nazin, son troufignon), mais, nom dlunLTqutoji_Lgul_donc lui donna jour ?________ — Las ! soupira Tryphiodorus, la maman trouva la mort alors qu'un fils lui naissait. L'on ignorait son nom. Mais on trouva dans son sac un visa notarial portant confirmation du commissariat local, affirmant la filiation Clifford du pou-pon, fruit d'un fugitif amour qui aurait uni un soir, huit mois plus tôt, ä Saint-Agil, Augustus B. Clifford ä la maman. — Quoi ? s'asphyxia Augustus, il n'y a pas un mot vrai dans tout ca ! — Motus ! fit Tryphiodorus, soudain intimi-dant: voici la procuration du substitut vous of-donnant, ipso facto, d'avoir soin du bambin. — Un bátard ! s'accabla Augustus. — Mais aussi un Anglais, ajouta Tryphiodorus. Augustus voulait ďabord voir son avocat. Mais Tryphiodorus insista tant qu'il finit par partir pour Arras, soumis sinon convaincu. II alia ä ľHôpital civil oú on lui confia un poupon qu'ha-billait un maillot blanc fait du plus fin linon, mais trop grand pour ltd. Alors, ignorant qu'il allait, vingt ans plus tard, accomplir un transport quasi kif-kif, sauf qu'il allait s'agir, non d'un poupard au maillot, mais d'un mort au drap blanc, il mit son fils dans son Hispano-Suiza grand Sport, puis, dans la nuit, gagna Azincourt. II sonna. J'accourus, j'ouvris. II portait 1'infant sous son bras. II paraissait furibard. Un rictus mauvais tordait son groin. Un tic convulsif ľagi-tait. , — I will kill him, I will kill him! hurlait-il d'un ton criard. II m'alarma. Mon sang glacait. — Suis-moi, dit-il. II passa dans un salon oú il y avait un grand biliard ; il y lanca ľinfant qui n'y pouvait mais ; il lui ôta son maillot, puis, saisissant un hachoir, il s'approcha, bras haut brandi. J'aurais voulu n'y plus voir. II allait accomplir son inhumain forfait quand, tout ä coup, il stoppa, l'air ahuri. — Oh! dit-il. M'approchant, j'ai vu ä mon tour : un bijou ovo'idal, pas plus gros qu'un chaton, portant trois inscriptions, s'incrustait au mitan du nombril du poupon. On aurait dit qu'on ľavait blotti dans un tortillon du cordon ombilical. Sourd aux sanglots nourris du marmot, Augustus arracha, non sans mal, ľovoídal joyau qu'il scruta, sans un mot, un long instant. Puis un pro-fond soupir, un vrai sanglot, un gargouillis lourd, suffocant, avachit son poitrail. — Soit, dit-il pour finir, j'abätardirai mon nom ; puisqu'il faut qu'il soit mon fils, ainsi soit-il. II aura pour nom Douglas Haig, immortalisant ainsi ä tout instant l'hardi Commandant sous qui j'ai combattu ä Douaumont. J'aurai pour lui un soin constant. Nous lui tairons qu'il fut bátard, qu'il fut champi. II aura pour moi un amour filial. Ainsi Augustus B. Clifford trouva-t-il son Zahir sur son fils. II fut pour son fiston un papa magistral, conciliant, subtil, clairvoyant. Quant au Zahir, il l'incrusta dans un fil d'or qu'Ü passa ä son doigt. Douglas Haig grandissait. La paix s'installa dans la maison. Six ans durant, ľon n'y connut qu'amicaux plaisirs. Aux frondaisons du pare, la coruscation d'un automnal purpurin, chatoyant, mordorait d'un brun chaud ľazur frissonnant sous ľinflux coulis du noroít... 13 Du pouvoir tnout qu'un choral ď Anton Dvorak parait avoir sur un biliard II raut, pour saisir la filiation du mauvais sort qui, plus tard, nous accabla tous, accomplir un important flash-back. A dix-huit ans, Augustus avait, pour un motif qu'il nous masqua toujours, connu ľagitation d'un aria moral qui alarma tant son cousin l'Ami-ral qu'il lui imposa, craignant qu'il suicidát dans un instant d'abandon, d'oubli ou d'illumination, un volontariat d'au moins un an sur son trois-máts l'Hollandais Volant ou il lui apprit ľart ingrat du moussaillon. Au sortir d'un si profond tracas qu'ä coup súr la circumnavigation n'avait pas tout ä fait aboli, Augustus subit la fascination d'un quasi-charla-tan, Othon Lippman, qui passait pour un yogi pourvu d'un pouvoir saisissant qui fanatisait tout un chacun. Ayant aussitôt convaincu Augustus qu'il con-naissait ľarcan du savoir qui conduit au Nirvana, au grand oubli blanc, ľadroit Othon Lippmann allait, sans languir, agir sur ľimagination sans aplomb du naif moussaillon qu'il poussa d'abord á ľabjuration, puis ä qui il imposa sa foi, salmi-gondis d'apostat qui adorait ä la fois Vichnou, 145 Brahma, Bouddha, Adona'í, mais dont ľinitiatíon contraignait ä approfondir au moins dix compilations, fatras brouillon, pot-pourri confondant qu'Othon avait pondu ä partir du Vasavadatta, du Mantic Uttair, du Kalpasoutra, du Gita-Go-vinda, du Tso-Tchouan, du Zohar, mais oü il citait aussi, ä tort ou ä raison, saint Marc, saint Justin, Montanus, Arius, Gottschalk, Valdo, William Booth, John Darby, la Haggada. un bon bout du Shulhan Azoukh, la Sunna, Ghôlan Ahmad, la Cruti, cinq Upanishads, trois Puranas, la Tao-tö-King, vingt-trois chants du grand Li-Po, la (Jatapathabráhmana. La foi d'Othon s'accompagnait surtout d'un Canon ä la Dracon, qui imposait ä qui la prati-quait tout un tas d'implorations, d'invocations, d'oraisons ou d'onctions. II y avait ainsi trois purifications par jour (au chant du coq, ä midi, ä minuit). La purification du matin s'ordonnait suivant un art tout ä fait original. II s'agissait d'un bain lustral, ou ľon utilisait ľaiguail qui s'accumulait durant la nuit dans vingt-cinq bacs lotis tout autour du pare, puis qu'un dispositif distinctif canalisait jusqu'a un tub profond fait d'un monobloc d'an-tico rosato, un quartz cristallin si dur qu'il ľavait fallu polir au diamant brut. Afin qu'Augustus n'ait pas ä souffrir d'un surplus d'irroration qui aurait pu avoir un pouvoir malfaisant sur sa constitution, on avait sounds ľadmission ďaiguail ä un circuit d'automatisa-tion qui contrôlait la fluctuation du couraní, agis-sant sur ľisolibration-du flot par un hydro-palan ä sas communicants dont ľoscillation provoquait, par l'adroit canal d'un piston ä volants s'articu-lant autour d'un point ďappui ä vis sans fin commandant 1'induction d'un tlroir ďiríput-out-put ä transistors, la constriction du dispositif. Ainsi, jour sur jour, Augustus trouvait-il au saut du lit un bain dont la disposition n'ampli-fiait ni n'amoindrissait jamais. Mais, pour accomplir suivant la loi son bain lustral, Augustus y ajoutait d'abord trois pro-duits qu'Othon Lippmann lui fournissait ä prix D'abord, du blane d'amidon, car, trop alcaiin, ľaiguail provoquait parfois l'obstruction du cra-paudin, d'oü l'obligation d'un ajout dulcifiant; puis six grains d'un soi-disant saphir radioactif, qu'Othon douait d'un fort pouvoir purifiant (il s'agissait, au vrai, d'un shampooing pour phtiria-sis mis au point par un stomato d'Avignon plutôt dadais qui l'imposa dans un grand hôpítal, mais dont on proscrivit l'utilisation quasi aussitôt, ayant appris qu'il comportait un trop fort soupcon d'aconit; on apprit ainsi qu'Othon, qui avait fait ľacquisition du surplus par un biais tout ä fait fripon qui compromit ľadministratíon du Comtat, dut, contumax, fuir ä Tirana, ou, s'abouchant ä un ramassis d'individus plus ou moins malandrins, il monta un florissant trafic d'opium); pour finir, Augustus ajoutait ä son bain vingt-cinq (aux jours pairs) ou vingt-six (aux jours impairs) carats d'un produit dont on ignora tou-jours la composition, mais qui constituait ä coup súr la raison a priori, l'actif principium du bain total. S'agissait-il d'un dormitif ? D'un halluci-nant ? D'un hypnotisant ? Nul n'a jamais su. Mais, ä coup sur, il provoquait sur Augustus un transport tout ä fait jouissif : quand, tout parais-sant au point, il s'introduisah, tout nu, dans son bain lustral pour y accomplir sa purification du matin, Augustus paraissait d'abord pris d'un grand frisson. II s'attachait autour du front un Iícou qui lui garantissait qu'il aurait toujours, au moins, son tarin hors du bain, sinon il aurait pu mourir d'asphyxiation au fond du tub ; alors, au bout d'un court instant, il s'avachissait, s'alour-dissait, s'assoupissait. Puis, quand, plus tard, Ü sortait, il faisait par- fojsjillu^ionjiu^^------ son, transport ravi, vision du grand Gourou, visitation du Tout-Puissant, introduction au Vrai Savoir, au plaisir divin du Grand Tout, fascination d'un absolu, Illumination. Tout gourd, tout abruti, mais, disait-il, infusant dans l'Oubli, baignant dans l'Absolu, jouissant dans ľlnfini. Jusqu'ä ľirruptíon d'Haig, done du Zahir, Augustus pratiqua sans faiblir, y trouvant au vrai un plaisir magistral, son bain lustral du matin. Mais quand Íl passa au doigt son Zahir, s'y atta-chant au point ďy assouvir ä tout instant sa vision, disant ä qui voulait Toui'r qu'il aimait plus la mort qu'un abandon, il constata qu'illico la juxtaposition du Zahir dans son bain provoquait un dam torturant, prurit lancinant, bobo fulgu-rant, mal cuisant, aigu, poignant, qu'il n'arrivait pas, nonobstant tout son vouloir, ä subir, y souf-frant, y agonisant au point d'y vomir, oubliant par surcroit la pämoison qui constituait pourtant ľalibí capital, vital, cardinal, ľabsolu motif, la raison du bain lustral du matin. Augustus imagina alors un dispositif qui, ä ľinstar du licou gardant á tout instant son tarin hors du bain, ľautorisait ä brandir, sans qu'il ait trop ä souffrir, son doígt pourvu du Zahir. II construisit ainsi un palan ä tambours muni ďun eric ä pignons qui contrôlait la culmination d'un appui-main flottant au ras du bain. Durant six ans, ľadoption du compromis sus-dit fonctionna sans accroc. Tout paraissait au point. Augustus puisait dans son bain lustral un appui roboratif aussi constant qu'abondant. Mais un jour, alors qu'il sortait du tub, alangui, pataud, balourd, stagnant dans son Nirvána mati-nal, il constata qu'il n'avait plus son Zahir au doigt. II poussa un cri inhumain. Un caillot sanguin, pas plus gros qu'un rubis coagulait sur son articulation, tout autour d'un stigma blafard, au contour ovoi'dal, marquant l'incrustation du Zahir. II tourna, ainsi qu'un fou, trois jours, trois nuits. II courait partout, hagard, ouvrant tous tiroirs, scrutant tous coins, sondant la maison du plafond aux murs, farfouillant du toít au sous-sol, fouillant communs, hangars, avant-cours, silos, ratissant ľaigu gravillon du pare. Alors, trois jours plus tard, soudain, un fait brutal survint qui nous catastropha : Othon Lipp-mann arriva ä Azincourt. II paraissait fourbu ; son raglan avait Pair d'un haillon ; il transpirait. II courut d'un trait sur Augustus, l'accablant d'avilissants jurons, l'in-sultant, lui lancant un flot d'incivils gros mots, allant jusqu'ä l'assaillir. — Bútor, ľapostrophait-il, goujat, grand ni-gaud, corniaud, dugland, trou du cul, connard, abruti, minus, primitlf! Puis il lui flanqua un horion qui fit mal. Quoiqu'il montrát un parfait sang-froid, Augustus, qu'agitait ou plutôt qu'agacait la fulmination d'Öthon, řiposta par un swing du droit qui mít Lippmann au tapis, groggy, knock-out. Loustic, Douglas Haig, il avait alors six ans, qui assistait au pugilat, compta jusqu'a dix, puis proclama son papa champion. Mais Othon Líppmann s'inanimait toujours. On s'alarma subito. — Mais qu'y a-t-il ? Mais qu'y a-t-il ? murmu-rait tout bas Augustus ďun air bourru. __JjuantJLDougla$4feÍgrigtte^^ couvait dans 1'air ambiant, il folatrait autour du corps avachi d'Othon, rigolant si fort qu'ahuri, trouvant qu'il abusait, Augustus ľŕnvita d'un ton cassant ä sortir. — Va voir la-bas si j'y suis! cría-t-il, si fort qu'Haig, qui n'avait jamais vu son papa dans un courroux si grand, rut pris d'un frisson convulsif, balbutia un pardon rougissant, puis fila, mouillant «son pantalon, sanglotant tout son saoul. Alors, tandis qu'Haig allait, consolation, s'oftrir son plaisir favori, ä savoir nourrir Jonas, son cyprin... — A propos, coupa Olga, n'oublions pas Jonas. Nous irons tantôt lui oŕTrír son grain... — Chut! Chut! fit-on partout, laissons la Squaw finir son fascinant, son passíonnant dis-cours! — Thank you, dit la Squaw. Done, disions-nous, tandis qu'Haig allait nour-rir son cyprin, ľon transporta Othon Lippmann dans un salon contigu, on ľaŕTala sur un lit. J'apportai un cordial. On lui ouvrít son raglan. On vit alors — O, Abomination dans l'Abomina-tion, vision qui nous paniqua, qui nous glaca nos sangs, qui nous raidit nos tifs, qui nous poula j la chair — on vít alors qu'Othon Lippmann j baignait dans son sang. On aurait dit qu'un vau-j tour colossal avait vingt fois bondi sur son poi-j trail, lui arrachant la chair, fouaillant son pou- j mon, labourant son thorax ä coups d'avillons. On j voyait ďhorrifiants animaux — taons, stomox, I, bourdons, lombrics, poux, sphinx — vrombir, J_____charognards. sur un magma sanglant, ghiant, fu- | mant, puant á vingt pas ! | — Fi! poussa Olga. } — Pouah ! fit Amaury. I — Oui, poursuivit la Squaw, Othon Lippmann I agonisa huit jours durant, tombant dans un pro- I fond coma dont Ü sortait parfois pour nous ago- 1 nir ďinjuriants propos, nous accusant, va savoir j pourquoi, ďavoir voulu sa mort, nous damnant i ä tout jamais. Nous lui prodiguions touš nos soins. I Tout au plus put-on adoucir sa fin. II mourut, | poussant ďhorrifiants jurons, hurlant, dans un ] sursaut final, un cri qui nous fit mal tant il nous \ parut inhumain. ] Augustus prononga son oraison. ! — Othon Lippmann, qui fut mon Gourou, ; va au paradis ou languit la Houri dont Allah, dans sa compassion, t'a fait don. Nous avons cru dans la foi qu'un jour tu nous apportas. Nous ľabjurons aujourďhui, pour toujours, ä jamais. Car, toi mort, ta foi s'abolit. Nous sortirons Minuit du bissac puis nous battrons l'amadou. Ľoraison finit ainsi sur un propos sibyllin qui, pour moi, s'illumina au soir quand Augustus, s'inspirant du Canon paroissial d'Othon Lipp-mann, amassa six fagots puis accomplit ľignition du corps. La combustion, qui dura tout un long jour, donna un fraisil blanc qu'un aquilon sifřlant charria dans l'azur noir... Aucun parmí vous n'aura jamais ľintuition du grand dam qui s'abattit alors. Tout ä son affliction, tout ä sa prostration, s'abandonnant, portant sa croix, gravissant son Golgotha, s'affaíssant sous ľattrístant faix d'un chagrin larmoyant, Augustus B. Clifford tomba dans un profond collapsus. 13 nous navrait. II trainait tout au long du jour, ahanant, assombri, abattu. Quoiqu'il rut, par goůt, par tradition, plutôt^ gourmand1__sipon glo^t^n,-------^~ ä~5*ävaít plus Tämaís faim. II n'arrivait plus ä | finir son fricot du midi. Pourtant -nous lui mijo- | tions, non sans amour, un plat qu'il adorait: un | aloyau aux oignons confits, un turbot au court- f bouillon, du quasi, du boudin au raifort, un sal- | picon. Mais il avalait tout au plus un anchois, du I cantal, un soupcon d'isard, un doigt d'amontil- | lado, un abricot ou un citron doux. II maigrissait. I II nous faisait du souci. § Parfois, il s'isolait dans son donjon, s'y cloitrait f cinq ou six jours, poussant par instants, dans la J nuit, d'angoissants cris, puis rapparaissaít, abruti, t suant, hagard. Son poil chatain blanchit dans ľan | qui suivit, lui dormant ľaír d'un barbon caduc. k I Dans un climat aussi contristant, Douglas Haig, | garcon plutôt maladif, blanchot, craintif, s'armait j; mal pour ľardu combat qu'un individu d'aujour- I d'hui doit pouvoir fournir ä ľoccasion. L'ayant | compris, Augustus s'improuva, honnissant sa tra- j hison, son mauvais soin, son faux-bond noncha- p lant, puis, s'objurguant, voulut au moins qu'Haíg | n'ait pas ä souířrir d'un forfaít qu'íl n'avait pas | commis, dont íl n'avait pas ä subir la damnation. \ — J'ai tout sali, m'annonca-t-il un soir, j'ai | tout tari, tout trahi, tout banni, tout moisí. J'irai I croupir, j'irai moisir, j'irai pourrir dans mon insi- \ gnifiant vacuum, dans mon chou blanc, mais qu'au moins mon fils, ľinfant qu'un mauvais hasard nous confia jadis, mais pour qui j'urai alors d'avoir un amour constant, qu'au moins mon fils soit garanti dans sa formation. A partir d'au-jourd'hui, nous pourvoirons ä son instruction. Par surcroit, ajouta-t-il, j'y vois pour moi ľoccasion d'un salut ardu mais non tout ä fait sans solution. Augustus s'-occupa done du savoir, alors-ftlutôt nul, du garcon. Sa scolarisation au cours communal d'Azincourt n'avait, constata-t-il d'abord, jus-qu'alors produit aucun fruit: Haig orthographiait mal, oubliait un mot sur trois ; il n'avait pas d'imagination ; il connaissait la soustraction, mais pas ľaddítion, la division mais pas la multiplication. II ignorait la loi d'Avogadro ou plutôt il ľassimilait ä un soi-disant postulát d'Arago qui n'avait aucun rapport. II paraissait savoir qu'on surnomma Louis X Hutin mais il ignorait pour-quoi. Quant au latin, quoiqu'il disposát d'un gros Gaffiot, ga n'allait pas plus loin qu'« Ani-mula vagula blandula », « Aquila non capit mus-cas », « Sic transit gloria ntundi» ou « O fortunatos nimium sua si bona norint agrkolas ». Augustus dut fournir un travail colossal pour qu'Haig s'inculquát d'un savoir plus satisfaisant. II s'y adonna, non sans application ; mais, tantôt pion, tantôt prof, il accablait l'ignorant garcon d'un discours fort trapu mais surtout fort obscur ou il n'y avait jamais lourd ä saisk. Haig avalaiť tout ca, soumis, souriant, sans aucun mauvais vouloir, mais il apparut, moins d'un mois plus tard, qu'ä coup súr s'il avait appris, il n'avait. pas compris : nul pour tout savoir touchant aux. maths, ä la philo, au latin, il avait cinq ou sixt 153 notions d'anglais, mais pas plus ; quant au fran-cais, íl s'y donnait plus ä fond : il avait, grosso modo, saisi la signification d'accords grammati-caux plus ou moins incongrus ; il distinguait, disons cinq fois sur huit, un son fricatif d'un son labial, un substantif d'un pronom, un nomfna-tif d'un accusatíf, un actí£ d'un passif ou d'un pronominal, un indicatif d'un optatif, un impar-fait d'un futur, un attribut d'apposition d'un par- —-------étíf-d%ttrifeutien7Tm4thos-dinrrpathosJ un chias- ma d'un anticlimax. Ayant compris qu'il divaguait quand il croyait concourir ä la formation d'un grand savant futur, Augustus s'agacait du pouvoir quasi nul qu'il paraissait avoir sur la vocation du garcon. Puis, modifiant son tir, il constata, surpris, mais aussi-tôt ravi, qu'Haig trouvait dans ľart musical un plaisir toujours vrai. On l'avait surpris cracho-tant dans un tuba dont il tira un son pas tout ä fait discordant, II harmonisait non sans intuition. II avait surtout pour la chanson un goůt distinctif. II n'oubliait aucun air pourvu qu'on lui jouát ou qu'on lui chantát trois fois. Augustus, qu'Iturbi jadis honora d'un cours, installa done aussitôt un piano crapaud (un Graf aux sons parfois nasillards, mais aux accords par-faits, construit pour Brahms qui y composa, dit-on, l'impromptu opus vingt-huit) dans un salon ou il y avait aussi un biliard (biliard sur quoi, on ľa appris jadis, il avait faílli raccourcír ä coup d'hachoir Haig alors tout bambin). La, jour sur jour, do mi fa sol, du matin au soir, sol fa mi do, il ínitia son fils au subtil art du chant, ľaccompagnant, ľinspirant. Abandon- nant tout ä fait son latin, son anglais, Douglas 154 Haig s'aussitôt lívra tout d'un bloc ä la passion du chant, trouvant dans Mozart, dans Bach, dans Schumann ou dans Frank moult satisfactions. Au vrai, plus Marsyas qu'Apollon, il sussurait trop fort, braillait trop doux, modulait mal, faisait couac sur couac, il chantait mal quoi, mais il y trouvait nonobstant un plaisir qui allait grandis-sant. On sait qu'á dix huit ans, Douglas Haig passa, non sans mal, son bachot, puis qu'il prit son parti. Son propos mürit. Un jour, il accosta Augustus lui disant: — Moi aussi, j'aboutirai ä la Scala. Barytón, voilä ma vocation ! — II y a loin ď Arras ä Milan, sourit Augustus. — Labor omnia vincit improbus, dit Haig, montrant qu'il s'acharnait. — Tu l'as dit, bouffi, riposta Augustus. — Mais Papa ! s'indigna Haig qui n'avait aucun humour. — Allons, fiston, ľapaisa Augustus. J'applau-dis ä ton obstination. Mais il faut auparavant four-nir un travail colossal, sortir triomphant d'un tas d'ardus concours! Ou irait-on si tout un chacun s'introduisait d'un coup ä la Scala ? — Mais j'irai pas ä pas, promit Haig. — Alors travaillons dur, conclut Augustus. Haig jusqu'au cou s'absorba dans son travail, vocalisant, filant, lourant, du chant du coq ä la fin du jour. Or, un soir, avril finissait, mai s'annoncait, Haig, qui souffrait jusqu'ä la pámoison sur un oratorio d'Haydn, s'accouda, las, fourbu, au bord du biliard qui croupissait dans un coin du salon, nul n'y jouant plus jamais. Augustus, dans un instant loisif, improvisait sur un choral ď Anton Dvorak. Soudain Haig constata qu'un bon quart du drap du biliard paraissait avoir moisi: tout un bord offrait un amas d'intrigants points blancs, hauts tout au plus d'un pica, cailloutis biscornus, anor-maux, flocons plus ou moins grands, plus ou moins ronds, plus ou moins constants, s'ornant parfois d'incrustatJons, d'ajouts, mais dont, sur-— tout, ľorganisation paraissait fonction d'un propos concu, d'un but aussi clair qu'admis : non pas un signal au hasard, mais, au plus fort du mot, un signal signifiant, ä ľinstar, sinon tout á fait d'un manuscrit, du moins d'un quipos (ruban nodal qu'utilisait pour la communication la civilisation inca). U y avait plus troublant. Haig crut voir qu'au fur qu'Augustus frappait sur son piano l'inscrip-tion allait grossissant, mais micron par micron, angström par angström. II compta : il trouva vingt-cinq points. Augustus joua jusqu'au soir; Haig n'abandonna pas un instant sa position; scrutant, fbcant sa vision sur la portion du drap, Ü constata qu'ä !a fin, quand Augustus, ä bout d'ins-piration, frappa un accord plutôt atonal, il y avait vingt-six points blancs : un point frais moulu avait fait son apparition, aura, puis soupcon, puis grains blanchissants. — Papa ! cria Haig. — Qu'y a-t-il, mon fils ? aska Augustus. — Vois! ici! L'inscription du Blanc sur un Bord du Billard ! — Par Un as noir si mou qu'omís rions ä nu ! jura Augustus, sursautant, un Blanc sur un Cor- 156 biliard ? — Non, un biliard, au bord du biliard, lá, ľinscription ! Augustus vint voir. Son front s'as-sombrit aussitôt. — Again ! Again ! Again! murmura-t-il par trois fois d'un ton sourd. — Qu'y a-t-il ? s'intrigua Haig qui s'alarmait, voyant son papa pálir. — Fuyons, mon fils, sortons d'ici illico ! 14 Oň ľ on va voir un cyprin faisani fi ď m halväh pourtant royal T S j Augustus prit son fils adoptif ä part. J'assistai j ä la discussion qui suivit. I — J'ai toujours tu ľobscur imbroglio qui ac- j compagna ton apparition. Si j'avais pu, j'aurais f dit aujourďhui la Damnation qui nous saisit. i Mais ma Loi punit la divulgation. Nul jamais n'ira trahir ľinconsistant fin mot, ľinconnu minimal, ľabsolu tabou qui, ab ovo, obscurcit tous nos propos, maudit nos vouloirs, pourrít nos actions. Chacun sait qu'un mal sans nom nous agit ä nos insus, chacun sak qu'ä nos grands : dams, nous barrant tout parcours, nous condam- nant sans fin aux circonlocutions, aux bafouillis, aux oublis, ä ľinsupport d'un faux savoir oü vont s'opacifiant, s'obscurcissant nos oris, nos voix, nos sanglots, nos soupirs, nos soubaits, un mur infrancbi nous forclot ä jamais. Plus nous irons loin dans ľapproximation du mot omis, plus nous voudrons saisir dans nos mains ľímmacu-lation sans contours, plus s'abattra sur nous un courroux malfaisant. Tu dois savoir, Haig, mon fils, qu'ä partir ď aujourďhui, ä ľinstar d'un jadis pas si lointaín, la mort raccourt id, rôdant tout autour. J'ai cru parfoís, poursuivit Augustus, qu'au moins tu n'aurais pas ä pátir du sort inhumain --------qui m'a jadis saisi. Mais nous n'ävons aucun pouvoir. Tu aurais tout ä fait tort, done j'aurais tort aussi, si jouant ton va-tout, tu ťinerustais ici. Tu partŕras avant la nuit! Mais Haig aussitôt infirma la proposition d'Augustus, lui opposant qu'il s'agissak du plus fallacial motif qui soit, qu'il voulait, au vrai, bannir son fils! — Quoi! mugissait-il, si touchant dans son ---------mauv^is-^rroir-quoi-!-Toi--aussi-raoti papa ! Tu voudrais ma mort, voilä, j'ai compris ! Moi qui suis si naif, moi qui croyais á toi, moi qui ťai-mais d'un amour si filial! Void qu'aujourd'hui tu ourdis un complot aussi brutal qu'idiot. Mais tu as cousu d'un fil blanc ton propos ! Sois franc au moins ! Si ton bon plaisir conclut ä mon abandon, maudis-moi, mais n'assortis pas ta vindication d'alibis aussi bourlons ! — Mon fils ! glapit Augustus bondissant sous ľinsultant discours. Mais sa voix cassa, un san-glot la brisant. U m'apprit plus tard qu'il avait voulu alors tout trahir, qu'il fut un instant au point d'affran-chir Haig sur sa condition d'Anglais bátard, qu'il faillit s'ouvrir ä lui, lui parlant du Zahir, d'Othon Lippmann, du vagabond au sarrau blanc qui avait nom Tryphiodorus, du bain lustral, and so, and so. Mais Íl n'osa pas. Un long instant passa, Douglas Haig, sans un mot, fixait Augustus. Puis soudain íl tourna talons, fuyant tout au long du bruyant corridor. Augustus s'immobilisait. J'ai voulu savoir s'il fallait courir sur Haig. — Non, m'a-t-il dit, laissons choir. S'il doit partir, il partira. Sinon, tant pis, nous mourrons 160 tous! _i....... ■ --------------- i . _í j Jusqu'au matin, ľon ouit Haig qui marchait j dans la maison. Puis, au point du jour, nous ] ľavons vu sortir. II portait un chandail ä col j montant, un gros blouson. II avait un sac ä la j main. j II alia jusqu'au bord du bassin, il s'accroupit; j il siffla, par trois fois f-----n— * j modulant un signal qui paraissait significatif puis- qu'aussitôt Jonas apparut. II tint ä son cyprin un long discours, lui lancant par instants du pudding qu'il roulait dans sa main ainsi qu'on í fait du grain pour avoir du couscous. i Puis, sans un gard ni pour moi, ni pour son ! papa, ni pour la maison ou il avait grandi, cla- j quant sur lui ľinamical portail, il dísparut... s Ľon ignorait oů Haíg avaít fuí, Augustus mor- I fondait. Jonas n'apparaissait plus quand on | approchait du bassin, murmurant son nom. Tout i allait ä vau-ľiau. ! Puis, six mois plus tard, un commis postal, sonnant au portail, nous apporta un pli. Augustus, l'ouvrant, voulut d'abord savoir qui signait, puis lut d'un trait. — Connaitrais-tu par hasard, dit-il pour finir, un individu du nom ď Anton Voyl ? — Ma foi non. — Moi non plus. Mais il a ľair d'avoir tout appris sur nous : lis plutôt: Milord, J'ai vu cinq ou six fois, au corns du mots ďavril, Douglas Haig Clifford. Ayant appris, tout ä fait par hasard, qu'il avait fui ďAzincourt, vous laissant sans indications sur son sort, fat cm bon, sautant sur Voccasion, vous fournir cinq ou six informations qui — voila mon souhait — concourront ä adoucir vos soucis ou vos chagrins. Arrivant a Paris, Douglas Haig s'y conduisit ďabord plutôt mal. II tratnait dans d'Mignants caboulots; U s'acoquina ä un trio d'individus issus du plus vil bas-fond, d'infamants sacripants, voyous'säňš'JoTnľtoí rompus aux plus noirs for-faits. Subissant la fascination du. mal, Douglas Haig participa aux larcins dont Vavilissant trio ti-rait tout son profit. Qa failltt mal finir pour lui: pris la main dans un sac, ľadroit filou qui com-mandait au gang alia moisir ä Maroni. Voltron sinon couard, mais craintif ä coup sůr, Douglas Haig s'tmagina aussitôt crouptssant ä Biribi. II n'aima pas ga. Quittant illico sa casbah d'argousins, d'oustachis, d'immoraux malan-drins, U loua au bouľmich' un garni studiantin pourvu d'un confort succinct mais süffisant. Nous ignorons d'oh U tirait Vimportant minimum vital qu'impliquait son train d'alors: il n'avait pas ď auto, mais il laissait tout un magot aux marchands d'habits: son polo blanc portant pour mascaron un portrait du grand Djougach-vili fut, sitot mis, connu, puis applaudi du quai Conti au Baizar, du pont Sully au Bar du Pont-Royal. Par surcrott, il s'attachait au gout du jour; il lui plaisait d'ou'ir Lacan ou Balibar, McLuhan Marshall ou Ninipotch, Tutti ou Quanti. II lisait « Communications », « Atoll », « Scilicať», « Trots Continantt». II allait au Studio Logos, divinisant Godard, louant Cour-not. Qa dura tout au plus un mots. II comprit, quand 162 il fut sans un rond, qu'il n'allait pas fort, qu'il bamhochait trop, qu'il tournait mal, qu'il rôtis-sait son balai, qu'il n'avait qu'instincts dissolus. II inaugura alors, non sans brio, un travail, aussi court qu'actif, visant a la transformation du cli-mat social, a Vabolition du Capital, a la dispari-tion du Profit. II milita done dans un Parti ultra-albanais qui, s'inspirant ric-a-rac d'un discours d'Hodja ä Shkodra {jadis Scutari) qui datait d'au moins trois ans, s'attaquait autant aux ramollis du PCť qu'aux soi-disant pro-Chinois. Mais I'ultra-albanais parti fut dissous huit jours plus tard. Douglas Haig s'abandonna au chagrin. Puis il lui souvint qu'un jour son papa — vous — lui avait dit : « Ľ adagio d'Albinoni nous fut d'un si grand concours ä la mort du cousin Gaston » qu'il comprit tout ä coup qu'il n'avait tant couru sus ä ďoriginaux frissons qu'afin d'assoupir son vrai but, sa vocation : la chanson ! Lors, il travailla dur. Un mois plus tard, il s'ins-crivait ä la Schola Cantorum. U y fut tout ä fait foudroyant. II vit aujourd'kui dans un studio faminard, au six, rond-point du Commandant Nobody. Ainsi, ayant un instant failli sortir du droit parcours, Douglas Haig a, pour finir, choisi sa conviction, muri sa vocation. Voilä qui suffira, croyons-nous, a assouvir la soif ou son abandon vous laissa. Yours Truly, Anton Voyl. Augustus posta aussitôt ä Haig un fort mandát qu'accompagnait un long mot — un vrai roman — ou il s'autojustifíait tout ä loisir. Mais nul n'honora son mandát. Voulant savoir pour-quoi, il alia ä ľadministration. On lui apprit qu'il n'y avait pas d'Haig ClirTord au six, rond-point 163 du Commandant Nobody. Pris d'un angoissant I soupcon, Jl sollicita la Schola Cantorum, s'infor- j mant s'il y avait, parmi tant d'inscrits, un Dou- i glas Haig Clifford. La, il fut plus chancard : on lui fit savoir qu'oui, ü y avait; mais, ajoutait-on, caciquant au concours d'unisson, on ľavait promu [ ä la Julliard School of Music, ä Manhattan, afin f qu'il s'y initiät ä la composition. 1 Un an passa. Tout paraíssait calmir. L'on lut j dans un journal qu'Haig Clifford • avait conquis I ľintimidant public du Carignano. Longchamp I park d'un « barytón promis aux plus grands pro- \ tagons », Gavoty d'un « futur Títo Gobbi », Ros- j tand d'un « Gigli qui aurait la voix d'un Kim | Borg, la passion d'un Ruffo, ľintuition d'un Sou- S zay». f Puis, un jour, alors qu'ayant pourvu aux pro- í visions du soir, j'arrivais du bourg suivi d'un j gamin qui, pour vingt sous, m'assistait, car j'avais j troís lourds cabas, j'ai vu, marchant ä pas non- [ chalants tout autour du bassin, un individu dont \ ľair m'ahurit tout ä fait, tant, un instant, il m'ap- | parut voir Douglas Haig. On aura compris qu'il [ s'agissait d'Anton Voyl. j On aurait dit qu'il avait tout au plus vingt ans. Grand, plus droit qu'un i, plus fin qu'un fil, [ il portait un caoutchouc mastic ä col raglan, un j stick, un panama. Il avait, a priori, ľair d'un gar- j £on tout ä fait charmant, mais un ľon sait trop [ quoi d'indistinct, d'inconsistant, m'indisposa aus-sitôt: sa carnation, qui donnait ä son front arron-di un air blafard, maladif, son port alangui, vacil-lant, son air fugitif, son sourcil blanc, son iris 164 d'un azur si clair qu'un instant j'ai cru voir un albinos, tout un autour craintif m'angoissa: on ľaurait dit portant ä son insu un faix accablant. J'approchai, l'haranguant suivant la tradition qu'on suivait dans ma tribu : — Salut, Minois pálot! La paix soít sur ton wigwam, inhumons nos martiaux tomahawks, fu-mons un long tuyau ! — Ahiyohu ! fit-il — touchant son front du doigt puis l'inclinant sur moi á ľinstar d'un vrai Mohican, montrant par la qu'il connaissait tout ä fait nos us — qu'un grand caribou soit tout rôti sur ton chaudron ! J'introduisis ľinconnu, lui offris un pouf, son-nai du gong, Augustus parut aussitôt. — Plalt-il ? fit-il. — Anton Voyl, dit ľinconnu s'inclinant. II y a un an, grosso modo... — Nous savons, coupa, bourru, Augustus, Ü y a un an tu nous racontas l'imbroglio confus qu'Haig mon fils connut avant d'assouvir ä tout jamais sa vocation. II m'a ľair aujourd'hui sorti d'un mauvais pas. On l'a applaudi void trois jours ä Turin. Nous ťaurions valu nos obligations si nous avions su ou tu habitais. Mais il n'y avait pas d'indication sur. la souscription du pli qui nous parvint. ■— Las, soupira Anton Voyl, j'avais omis, pardon. Mais, poursuivit-il, passant aujourd'hui par un hasard fortuit non loin d'Azincourt, j'ai cru bon vous offrir mon salut. — Par Adonai! voilä qui nous plait, jura Augustus, mais dis-donc, tutoyons-nous, ga aplanira ä coup súr la complication. — Tu as raison, admit Anton Voyl. — Assouviras-tu ta farm ä ma collation du soir ? proposa Augustus. — J'ai pas dit non, fit Anton Voyl. II posa son stick, ôta son panama, puis son caoutchouc. — Allons dans mon fumoir, dít Augustus. L'on quitta ľobscur hall, franchit un long corridor, monta trois pas. Augustus indiqua ä Voyl un club profond au cuir noir, ä l'acajou luisant, puis lui offrit un habána, un vrai, ďimportation. Voyl fuma, montrant sa satisfaction. — Un scotch ? Un bourbon ? Un whisky ? propc^a^AogustušTTnontrant tout un attirail pour barman. — Ouais, fit Voyl, pas convaincu. — Du gin ? Un cocktail ? Un bloody-mary ? Un bull-shot ? Un dry ? — N'aurais-tu pas plutôt un blanc-cassis ? — Un kir ? L'on but. Puis Voyl park ainsi: Tu voudras d'abord savoir ľoccasion qui m'a conduit ä Haig. Void : j'allai un jour ä ľaquaríum f du Jardín ďAcclimatatíon. Un garcon qu'habil- j lait un balandras noir, un garcon ä ľaír chagrin, I tristou, qui paraíssait mon frangin, vint s'alan- j guir non loin, au bord du bassin aux cyprins. II [ sortit ďun sac un produit poissard, qui parais- f sait soit du halvah, soit du rahat loukhoum, pro- í duit qu'íl triturait dans sa main puis langait aux j poissons, nonobstant ľadmonition d'un argus qui, par trois fois, s'approcha, glapissant, barbatif, lui montrant ďun doigt jauni par ľabus du caporal i- ľinscription proscrivant ďoffrir aux cyprins tout I apport nutritif. j On aurait dit qu'á chaqu'instant íl comptait I qu'un cyprin allait surgir du fond du bassin, puis j bondir hors du flot pour, ä ľinstar ďun dauphin, saisir au vol sa ration. Mais nul cyprin n'appa-raissait: ?a ľattristait, ca ľassombrissaít. J'allai ä lui, lui disant qu'íl paraissait avoir pour tout cyprin un amour touchant, mais plutôt ingrat. II m'avoua, ä blanc-pourpoint, qu'il avait, jadis, moult compagnons, mais nul ami vrai, hormis Jonas, son cyprin qui apparaissait quand on murmurait son nom ou quand on sifflait un signal distinctif. Aucun jour n'allait sur sa fin sans qu'il n'ait auparavant nourri Jonas. Quand il avait du chagrin/ if sYnivrait a Jnna^ qni^ tnn. jours, lui faisait un clin amical. Aujourd'hui, poursuivit-il, transi, purotin, jo-bard, moulu par ľaffliction, ayant un gros bourdon, il avait cru, naif, qu'un cyprin du Jardin d'Acclimatation lui oŕTríraít, pourquoi pas ? mi amical bonjour. II avait done pourvu son ultimal ducaton ä ľachat ďun kilog ďhalvah, concoction dont Jonas avait toujours paru au plus haut point friand, d'autant plus qu'il s'agissait ďhalvah du Shah ďlran, soit du plus fin qu'on put avoir dans un magasin frangais. Son souci m'attristant ä mon tour, j'offris un glass au garcon, puis ľinvitai dans un snack-bar. II avait faim. II mastiquait pianissimo, ainsi qu'un musulman au sortir ďun trop long ramadan. Quand on arriva au moka, Íl m'avait fait un rapport piquant sur lui, sur sa vocation, sur son travail, sur vous, pardon, sur toi, sur la Squaw... — Qu'a-t-il dit ? coupa Augustus, transpirant. Connaít-il ľobscur non-dít qui ľaccompagna quand il vint au jour ? — Oui: il ťa surpris, un matin, dans ľamol-lissant caldarium oů tu t'isolais pour accomplir ton bain lustral. II avait six ans. Tu basculais dans ton grand Nirvána. Tu murmuras alors, ä ton insu, un flot confus qui l'intrigua si fort qu'il s'approcha, collant son pavilion auditif sur la fixation du licou assurant ta position, fixation qui, va savoir pourquoí! paraissait avoir un fort pou-voir ďamplification... — Ah capisco ! capisco ! rauqua, pálissant, Augustus. — Oui, Augustus, tu as compris : tu lui avouas tout, ä ton insu. Tu lui parlas du Zahir qui s'incrustait dans son cordon ombilical. Alors, pris d'un chagrin fou, d'un courroux qui multipHait ______par dix son pouvoir, basculant tout a coup dans un trauma inoui, Ú t'arracha du doigt son Žahir ! — ... provoquant par la la damnation ou nous pátissons toujours, glapit Augustus. — Oui, poursuivit Anton Voyl, il avait tout au plus six ans, mais il comprit tout. II t'accabla dans son for, Ú s'acharna ä tout jamais sur toi, vindicatif, satisfait quand tu tombais, quand tu allais mal, souffrant la mort quand ton dam paraissait s'adoucir. II ťa hai ä tout instant! — My God, my God! sanglotait, convulsif, Augustus, crispant dans sa main un blanc mou-choir. — La damnation du Fils^ tout bátard qu'il soit, pour anglais qu'il füt, ťa poursuivi jusqu'au-jourd'hui. Tout, y compris sa vocation, appar-tint aux complots qu'il ourdit pour ťabolír! — Sa vocation ? murmura Augustus qui n'avait pas compris. — Voici la raison qui m'a fait accourir, dit Anton Voyl d'un ton glacial. II sortit d'un sac, qu'un chagrin noir gainait, un croquis au crayon figurant, non sans art, VUo-mo di Sasso qui punk Don Juan pour, ľayant oc-cis, avoir voulu jusqu'ä, mauvais plaisant, lui offrir un lunch. Pris dans un plastron ovoidal fait d'un stuc blafard, on aurait dit un colossal Hump-ty Dumpty. 168 Au dos du croquis, la main d'Haig avait inscrit un troublant pronostk : « II pátira quand j'appa-raltrai ainsi, car mon sang ľa honni ä jamais ! » — Voici, circonstancia Anton Voyl, ľavis qu'il laissa ä mon club il y a aujourd'hui trois jours, II y avait adjoint un mot m'annon?ant qu'il vivait ä Urbino, qu'il chantait dans Don Juan la partition du Commandant, qu'il s'unissait pour toujours ä Olga Mavrokhordatos... Augustus bondit; on l'aurait cru mordu par un aspic : — Non ! Non ! U court ä la mort! hurla-t-il... IV Olga MavYol(hordatos i i i 15 Oů} dissipant vingt ans ďarcbifaux faux-fuyants, ľ on va savoir pourquoi coula ľ imposant Titanic — Non ! Non ! II court á la mort! hurla Augustus. — Abyssus abyssum invocat ! conclut, assom-bri, Anton Voyl. Mais Olga s'accablant, sanglotant, faiblissant, Arthur Wilburg Savorgnan coupa court ä ľinsi-nuant fil dont la Squaw tissait son abondant dis-cours. — L'oubli, dit-il, n'a pas fini ďadoucir nos chagrins. Douglas Haig, il y a vingt ans, Anton Voyl il y a un mois, Augustus aujourd'hui, sont morts, ont dísparu, battus par un mal sournois qui va toujours rôdant, un mal qui frappa aussi, pourquoi pas, qui salt ? Hassan Ibn Abbou, Othon Lippmann, la maman qui, incognito, mit Haig au jour... — Tous nos fils, sauf Yvon, soupira Amaury Conson. — Mais, poursuivit Arthur Wilburg Savorgnan, n'approchons-nous pourtant pas du but ? N'avons-nous pas saisí nos princípaux jalons ? Dans la Saga dont la Squaw nous fait aujourd'hui la narration, sans avoir omis un mot, un fait, n'avons-nous pas, noir sur blanc, ľoccasion d'ap- 173 profondir la solution du mal qui nous poursuit ? — Mais il ignorait ma filiation ! cria tout ä coup Olga. — Haig ľignorait, oui, tu ľignorais aussi, dit la Squaw continuant son long rapport. Mais Augustus savait. II comprit aussitôt: Clan natif ďlstanboul, habitant un palais d'oü fon-^oyait^utant-^an&togr^^^^^ Grand Lac Noir, qu'Ailippopolis, sur la Marmara, la tribu Mavrokhordatos (on orthographiait parfois Mavrocordato ou Maurocordata ; ga sígni-fiait, disait-on, dans un patois balkanais si mal connu qu'on lui attribuait un pouvoir logogri-phiant, « qui a un poitrail noir » ou « qui a un mauvais pouvoir») la tribu Mavrokhordatos, done, fournit d'abord au Sultan moult icoglans: Stanislas rasa Soliman ; Constantin soigna Ibrahim ; Nicolas fut tardjouman (on dirait aujour-d'hui drogman), puis amassa pour son patron Abdul-Aziz plus d'un million ďin-quarto (la plupart d'occasion) glorifiant tous ľlslam■; son fils, Nicolas junior, fut fait Hospodár du Banat; on disait qu'Abd-ul-Hamid lui confiait tout car il avait au plus haut point ľart ďobseurcir, faisant d'un dis-cours anodin, un charabia qu'aucun n'arrivait jamais ä saisir quoíqu'il donnät ä tout instant maints signaux montrant qu'il chiffrait ou tradui-sait suivant un canon pourtant primitif. Nicolas prit pour blason un Sphinx brůlant; grand Favori du Sultan, Ü croyait qu'il finirait Vizir ou Mamamouchi. Mais, trois ans plus tard, Mahmoud III, jaloux du pouvoir qu'avait pris l'Hospodar, craignant qu'il n'imposát sa loi jus-qu'ä Stamboul, ľassassina, puis condamna au pal la plupart du clan. La tribu Mavrokhordatos parvint ä fuir, non sans mal. Augustín, grand-päpa ď01prläš~du Diwan, gagna Durazzo, ou il s'instafla avocat. Plus tard, il fonda un journal qui prônait ľin-soumission vis-ä-vis du Sultan. « Albanais », pro-clama-t-il un jour, « un jour triumphant va s'ou-vrir ! Sus aux tyrans, brandissons un fanion san-glant! Marchons, marchons ! D'un sang impur ir-riguons nos sillons ! » L'agitation chambarda Durazzo. On trucida cinq ou six oustachis. On cria partout « Mort-au Turc ! » ou « Sus ä ľlslam ! » On choisit pour pavilion un gonfalon d'organdi blanc s'ornant au canton du Sphinx brúlant qu'avait pour blason Nicolas. Un grand parti national, d'inspiration whig, mais ä vocation anar, mobilisa ľopinion. Un individu du nom ďArthur Gordon, qu'on disait cousin lointain du grand Byron, bossu ä son instar, mais tout aussi fils ď Albion, galvanisa ľopposition, lui off rant un Chant National qu'aus-sitôt tout un chacun sifflota ä tout instant, brávaní l'yatagan du timariot. Trois ans plus tard, l'Ottoman fut contraint ä fuir. On signa la paix ä Corfou : l'invaincu populo albanais voyait garanti son autonomat. Victoria aussitôt, disputant ä Cavour Installation d'un pouvoir quasi tutorial sur la nation qui naissait, nommait consul ä Tirana lord Vanish, brillant major d'Oxford dont Richard Vassall-Fox third lord Holland, avait fait son favori, ľintroduisant ä la Cour, puis donnant tout son appui ä sa nomination. Augustín Mavrokhordatos, qui n'avait qu'admiration pour Victoria, fut convaincu par ľadroit Llord Vanish qu'un statut colonial ou mi-colonial s'appliquait tout ä fait aux Albanais, ava-chis par la domination du Turc, pas murs du tout pour ľautomancipation, qu'il fallait, done, four-nir aux Anglais ľoccasion d'accourir, offrant d'abord un concours aux fractions qu'alarmait ľinstauration d'un pouvoir qu'on dirait dictatorial, puis, par un biais subtil, faisant du pays un dominion. Mais il faüait agir fissah, sinon, ä coup súr, ľAbyssin, ľAustro-hongrois ou ľimaginatíf Rital saisirait ľoccasion. Conquis, Augustin mit au point aussitôt un complot pas trop mal ourdi. Uor anglais coulait ä flot. On noyauta. On mit un -gars súr partout oú il fallait. On fignola un dispo-sitif dont la sophistication (pour promouvoir íci un mot qui appartint plus tard au corpus fran-glais) parut tout ä fait hors pair. Mais, ä trois jours du coup, alors qu'un bataillon d'hussards anglicans, stationnant ä Brindísi, languissait ä ľaf-f üt du signal ľinvitant ä ľinvasion, manu militari, du sol national albanais, la conspiration transpira. Faux pas ? Impair d'un partisan ? Abandon d'un apostat ou trahison d'un Judas livrant son rhodo-pot ä un plus-ofírant ? Qui sait ? Mais, ä coup sur, ca fit un fichu boucan. II n'y a pas plus Chauvin qu'un Albanais, On condamna ä mort dix-huit magistrats qu'on accusait, ä tort ou ä raison, d'avoir pris parti pour la machination. Quant ä Augustin, ca finit mal pour lui: d'abord on lui donna du knout; puis on ľattacha au pilori; la population y accourut, lui lancant lazzis narquois, trognons ou fruits pourris. On lui appliqua un carcan autour du cou ; on lui rom-pit pas mal d'os ; on lui f ourra un bäiílon jusqu'au fond du larynx; on ľasphyxia, on l'immola, on l'arrosa d'alcool, puis on l'alluma. Sa constitution hors du commun fit qu'Ü mit plus d'un mois ä mourir. Alors on lanca son corps ä un carlin qui n'y toucha pas, tant il puait. La smalah Mavrokhordatos ä Durazzo, qui comptait vingt-six individus, connut un sort aussi dur. L'Albanais la pourchassa partout, pilla par trois fois la maison du clan, violant ľä"gíánd-ma-man, trucidant d'implorants bambins. Un an plus tard, il n'y avait qu'un survivant, mais il importait tant aux Albanais qu'on conti-nuait ä lui courir sus, allant jusqu'ä offrir un million d'hrivnas pour son corps, mort ou vif. Car il s'agissait du vrai sang ď Augustin : son fils, qui avait nom Albín. (Augustin avait voulu, quand il naquit, qu'il portát un nom patriotard !) Albin, done, putiuir, gagnant un profonoVma-quis ou, huit ans durant, il stagna, survivant, mi-moribond, fortifiant son abomination pour l'Al-banais qui avait occis tout son clan, mais aussi, mais surtout, pour l'Anglais qu'il accusait, non sans raison, d'avoir compromis son papa. Un jour, dans un marabout oú nul n'habŕtait plus, sinon, parfois, un pátour qui gardait trois moutons, il trouva un fort magot: doublons d'or, joyaux, lingots. Lors, ä ľinstar d'un Mathias Sandorf, il consa-cra son avoir colossal ä assouvir sa vindication. II attira ä luiun gang d'hors-la-loi qu'il payait gros, donnant ä chacun fifty-fifty, mais dont il voulait la foi. II choisit pour abri principal un bordj crou-lant qu'on nommait « Bordj du Pillard » car y avait parfois dormi Fra Diavolo, un bandit jadis franciscain qui s'attaquait aux troikas ou aux mail-coachs. Quand il choisissait pour son gang un compa-gnon, Albin lui donnait d'abord convocation dans son bordj. Chacun buvait, coup sur coup, cinq slivowitz. Puis l'hardi compagnon jurait sur la croix qu'il offrírait jusqu'ä la mort son loyal concours. Alors, Albin lui tatouait sur son avant-bras droit, s'aidant d'un poincon scarifíant d'or qui laissait sur la chair un sillon blanc ultrafin, 177 pas profond mats si súr qu'aucun abrasif n'abouti- \ rait jamais ä sa disparition, un signal distinctif qu'un flic albanais parvint ä voir un jour, mais "i dont il fit un croquis qu'on trouva insatisfaisant: il s'agissait, dit-il, d'un rond portant au mitan un trait droit, soit, si ľon voulait, d'un signal s'assimilant ä Vindication formulant la prohibition d'un parcours. ________On mit parfois,j^hasard, la main sur un com- pagnon d'Albin. Nonobstant ľindistinction du t croquis qu'avait fait l'albanais flic, on savait, ä son signal blanc fait au Bordj du Pillard, qu'il s'agissait ä coup sur d'un vassal du bandit. Mais, sur huit ans, tout au plus attrapa-t-on trois compagnons, alors qu'Albin avait ä sa disposition un gang d'au moins vingt individus ! Il s'attaquait surtout aux Anglais. La maison du Consul ä Tirana sauta trois fois. Tout yacht battant pavilion britannial qui mouillait ä Duraz-20 risquait fort ďy pourrir ä jamais. Quant au Titanic, s'il coula, ou plutôt s'il sombra, il faut y voir, non ľaccablant produit d'un choc glacial, mais, pour súr, la main du mal-faisant malandrin, car il y avait ä bord, discutant d'un accord sur la construction d'un important laminoir, tout un consortium anglo-albanais dont la Barclay's avait fourni l'initial capital. La collision d'un train abordant un autocar, ä Quintinshill, non loin d'Hamilton, ä mi-parcours d'Huntingdon ä Oakham, dans la nuit du cinq au six aoüt dix-huit, montra ä Scotland Yard, qui s'affola aussitôt, qu'Albin savait, ä l'occasion, assaillir son rival jusqu'au mitan du sol natal. Mais ľon sut plus tard qu'Albin n'avait agi ainsi qu'au nom d'un pur plaisir, ou plutôt, ainsi qu'il l'affirma, « during his holidays », car, tout ban-178 dit qu'il tut, il chômait un mois par an, allant voir ľ Albion qu'il honnissait tant, mais dont il aimait ľhumidifiant climat. Son action ayant fait partir l'Anglais du sol albanais, Albin, un an plus tard, s'attacha aux autochtons. Il fit cinq ou six razzias ; mais, dans un pays ou l'industrialisation n'avait pas fait son apparition, il n'avait grosso modo pour butin qu'ovins maigrichons ou croquants sans rancon. Or, son magot tirant sur sa fin, il lui fallait ! agrandir son capital. i II y avait, non loin du Bordj du Pillard, un val- lon ou poussait ä foison du pavot blanc. Saisis-! sant illico, non sans raison, qu'il y avait la un filon | d'un profit colossal, Albin apprit d'un potard la j fabrication du laudanum puis, par fumigation, , obtint un opium tout ä fait satisfaisant. | Mais, chacun sait ca, l'opium n'a jamais valu | un sou tant qu'on n'a pas garanti sa distribution. Or, s'il y avait un circuit qui, partant d'Ankara aboutissait aux Balkans d'ou il diffusait, via Ko-tor, Doubrovnik ou Split (jadis Spalato) sur Rimini d'ou il gagnait Milan, noyau mondial d'un trafic tout ä fait florissant, un « syndicat » multi-ou plutôt supra-national (qui groupait dix-huit gros ca'íds mandatant la Maffia, la Cosa Nostra, Lucky Luciano, Jack « Dancing Kid » Diamond, Big Italy, la « Chicago-Loop Corporation », Bunny « Gunfight » Salvatori, plus cinq ou six organisations ayant moins d'acabit) l'avait dans sa main. Pas idiot du tout, Albin comprit qu'il risquait gros s'il s'immiscait dans un circuit aussi clos. Plus subtil, mais surtout fort hardi, il s'ha-sarda au dumping : contactant ä Milan un mar-chand forain qu'il savait maillon du circuit, il lui proposa son opium au rabais. Plus tard, son trafic ayant grossi, il voulut avoir 179 - ä Durazzo un commis qui aurait soin du transit, car ľopium arrivait du Bordj du Pillard par auto, gagnait Chiogga par canot, puis Milan sur un chaland du Po. Ainsi Albin contacta-t-il, ä Tirana, un individu dont on lui avait dit qu'il avait tout du fripon, mais qu'il paraissait sür, intuitif, fin, saisissant ä mi-mot, ayant du tact, imaginatif. Il s'agissait — -quLuoiisJit_doit ľavoir compris, ou sinon il nous a mal lu — il s'agissait, cttsions-nous, d'Othon Lippmann! Ainsi — Augustus l'avait compris aussitôt — Olga, qu'aimait plus qu'un fou Douglas Haig, avait pour papa un ami du plus grand rival qu'ait jamais connu Augustus, ami qui, par surcroit, abhorrait jusqu'ä l'abomination l'Anglais ! — Mais, voulut alors savoir Anton Voyl, qui done fut la maman d'Olga ? 16 Qui fournit un appui probatif ä la post-Hon du dollar ($) Tout arriva un an plus tard, raconta Augustus poursuivant sa narration. Son trafic d'opium mar-chant ä souhait, Albin amassait sans mal un gros tas ďor. A ľinstar d'un pacha, il bambochait dans son bordj. Mais il apprit un jour qu'Anastasia, la star d'Hollywood, tournait un film non loin. Or, Albin, qui n'avait plus ľoccasion d'assaillir son rival anglais, continuait nonobstant ä hair tout Anglo-saxon, y compris un Ricain. II organisa done aussitôt un raid punitif sur la circonvalla-tion oů la production avait assis son camp principal. Fulminant, il prit son fusil, un bazooka, du fulmicoton, du napalm, du plastic, puis, conduit par un mastiff quoaillant, suivi par cinq compa-gnons dont il aimait ľhardi sang-froid, il partit assouvir son courroux furibond. La nuit tombait quand il arriva. Juin flam-boyait. Il avait fait chaud ; il jfaisait doux, mais la nuit s'annoncait d'un froid glacial. Albin vit qu'on avait construit trois studios sur l'ubac d'un mont, mais qu'on bívouaquait au bord du lac. La distribution dormait dans cinq grands caravanings, dont un qu'Anastasia, la star monopolisait. Voyant qu'aux studios la produc- 181 tion s'affairait, tournant un raccord tracassant qui chagrinait tout un chacun, la script, la sono, ľas-sistant, la photo, car, quoi qu'on fit, la dolly n'ar-rivait jamais ä avoir dans son champ qu'un figurant sur trois, Albin y lanca son gang, stipulant qu'on brulát tout, qu'on massacrát au maximum, qu'on disloquát tout son saoul, puis, ä catimini, il s'approcha du bungalow roulant oú somnolait __ la star.__________ _______ II s'introduisit dans un boudoir succinct, mais ou tout invitait aux plaisirs d'un galant amour : il y avait ä profusion divans profonds, lourds tapis, miroirs qu'on avait plus ou moins matis, plus par sophistication qu'au nom d'un pudibond sur-saut. L'air s'irisait d'un parfum lascif. Un falot donnait un mi-jour amollissant. Albin tourna dans l'adonisant boudoir ; puis, guindant un lourd baldaquin fait d'un brocard ä gros grains, il s'y dissimula. Un court instant passa. II s'imbibait jusqu'ä faillir du nard fragrant qui flottait tout autour. Puis Anastasia parut. Abandonnant son kimono ďorgandi blane ä pois noirs, ôtant son collant tarlatan qui la moulait du nombril au talon, la star, n'ayant plus qu'un lourd bijou d'or garni d'un cabochon d'adamantin, s'affala sur un sopha d'ottoman, poussant un soupir satisfait, murmu-rant un ronron cálin. Un long instant, Albin s'immobilisa, tout au divin panorama qu'offrait la star. L'horizon s'incurvait suivant l'ondulation qu'im-primait ä son corps sinuant son inspiration sans a-coups. Son corps sculptural s'offrait, nu, assoupi, dans ľabandon ďun clair-obscur troublant qui ombrait 182 d'azur son flanc alangui. Sa chair montrait ľincarnat d'un grain parfait ä la fois mat, poli, luisant. Albin bondit, ľiris brillant. II avait tout du Grand Pan. — O, Anastasia, balbutía-t-il, brůlant d'amour, Cupidon n'a plus un dard dans son carquois ! Saisi par l'inspiration, il composa illico un lai, qui, suivant la tradition du Canticum Canticorum Salomonis, magnifiait ľilluminant corps d'Anas-tasia : Ton corps, un grand gallon ou j'irai au long-cours, un sloop, un brigantin tanguant sous mon roulis, Ton front, un fort dont j'irai ä ľassaut, un bastion, un glacis qui fondra sous l'aquilon du transport qui m'agit, Ton pavilion auditif, un cardium, un naissain, un circinal volubilis dont j'irai suivant la circon-volution, Ton cil, la vibration d'un clin, la nictation d'un instant, Ton sourcil, l'arc triomphal sous qui j'irai m'abymant au plus profond du puits dans ton cristallin noir, Ton palais, madrigal balbutiant, atoll, corail purpurin pour qui j'irai m'asphyxiant au fond du flot, Ton cou, donjon lilial, Kasbah du talc, paran-gon du tribart, carcan pour ma strangulation, Ton bras, pavois, palan, jalon d'amour, airain poignant, torsion du garrot ou s'assouvira ma pulsion, Ta main, animal aux cinq doigts, sampan, skiff, doris, ponton, louvoyant, bourlinguant, drossant au hasard sur nos corps alanguis, Ton dos, littoral, alluvions, marais salants, lit aplani, vallon bombant, arc s'incurvant sous l'aiguillon du plaisir, Ta chair, O, ta chair, galuchat blanc du cachalot fatal, chagrin dont la disparition garantira ma mort, cuir oú, jusqu'a la fin, j'irai gravant ton nom, Ton flanc, ru fluvial, maillon vacillant, bord oů d'abord j'irai accostant, port initial du brůlot qui m'assouvit, Ton nombril, kaolin disjoint ä jamais, hanap ä jamais s'offrant aux libations, Ton giron, blason d'un armorial inconnu, om-bilic obscur, huis dont j'ouvrirai l'ajourant touril-lon, Ton cul, fruit dont j'irai gaulant ľincapsulant noyau, pignon charnu, grapiUon côtissant, Ta toison, Toison d'or pour qui, ä ľinstar d'un Jason, j'allai, vingt ans durant, bravant ľouragan, ta toison, divin pubis, sourcils d'amour, rachis, tuyaux, canons, poils, plumial ä qui j'offrirai un calmar, marabout, paradis d'un amour conquis, Ton sillon, ton sillon lotus, ton sillon oubli, oů tout disparaít, ou tout s'abolit, ton sillon Nirvána, ton sillon ou ä jamais mordra ma mort, oů j'irai ä jamais naissant, ä jamais mourant, agoni-sant d'un trop humain plaisir, Ton bouton, ou tout va mourir, ton bouton, bastion final ou j'irai m'annulant, ou j'irai m'ab-sorbant, m'abolissant dans un amour toujours ä accomplir, dans ľabsolu sursaut oú nous vivrons un jour, confondus ä jamais, dans la passion ou dans ľoubli, dans la nuit oú tout disparalt, dans ľinfini instant ou nous n'aurons qu'un corps! Ainsi chanta Albin. Puis s'anudissant, s'inhabil-184 lant, il bondit, glouton, s'afíamant sur la star. — Quoi ! s'offusqua Anton Voyl, un viol! (On sait qu'il n'avait pas vingt ans ; par surcroit, il avait grandi dans un climat puritain, avait fait sa communion, puis sa confirmation, avait failli finir capucin.) — Oh non, sourit Augustus, pas un viol, car la star, ouvrant un cil, aussitôt s'amouracha du forban, s'ouvrit ä lui, murmurant, alors qu'il s'in-troduisait ad limina apostolorum :__________ — J'avais f aim dun brigand, d'un bandit, d'un hors-la-loi! L'argousin ťa-t-il poursuivi jusqu'aujour-d'hui ? — Pour súr, fit Albin. — Offrirait-on un bon prix pour ton rapt ? — Oh la la, fit Albin. — How much ? tint ä savoir Anastasia. — Un million d'hrivnas. — How much is that in dollars ($) ? insísta Anastasia. Un dollar valant vingt-huit hrivnas, Albin fit, tambour battant, un calcul approximator, puis contrôla dans un journal du soir la fluctuation du cours. — Thirty-six thousand, dit-il, plutôt faraud. — That is a lot, admira Anastasia. Puis, s'abandonnant, lui lan^ant un din co-quin, sinon tout ä fait polisson, la star murmura, tout ä sa pámoison : — Sois mon Don Juan, mon Casanova, mon Valmont, mon Divin Marquis ! On aurait dit Virginia Mayo s'offrant ä Richard Widmark, ou Joan Crawford ä Frank Sinatra, Rita Hayworth ä Kirk Douglas, Kim Novak ä Cary Grant, Anna Magnani ä Randolph Scott, Gina Lollobrigida ä Mario Brando, Liz Taylor í Richard Burton, Ingrid Thulin ä Omar Chariff. Mais s'agissait-il d'un script jadis appris, ou y avait-il du vrai dans la voix ď Anastasia ? Au vrai, il n'importait pas. S'abimant dans un ravissant chatouillis, mignardant, baisotant, one vit-on tournoi plus lascif, duo plus galant, combat plus libidinal. Mais, tandis qu'ä ľinstar d'Apollon captivant _____Iris-wdl_A_donis__amadouant Calypso. d'Antinoüs ravissant Aurora, Albin s'unissait ä Anastasia dans un capouan plaisir, son gang, ainsi qu'il 1? avait vou-lu, s'attaquait aux studios qu'il rabougrit au plas-tic. La conflagration illumina la nuit, faisant un bruit assourdissant. On aurait dit la Nuit du Wal-purgis. Surpris, qui dans un travail absorbant, qui dans un loisir somnolant, chacun courut au ha-sard, piaillant, burlant. La plupart mourut sur Pinstant, assailli par un tison brulant, par un tour-billon soufflant, par un roc bouillant qu'arrachait du sol la conflagration, par un brandon qui fusait, criblant la cbair ainsi qu'un aiguillon, par un bru-lot calcinant qui paraissait sortir d'un volcan vo-missant. Mais, nonobstant l'important sinon colossal tohu-bohu qu'il suscita, Pinfamant forfait n'as-saillit pourtant pas nos amants, s'absorbant pour l'instant dans un transport tout aussi brulant, mais moins homicidal. Ainsi, alors qu'ayant suivi jusqu'au bout l'in-jonction d'Albin, la maffia d'hors-la-loi, portant dans son for la satisfaction du travail accompli, gagnait son bordj, Albin continuait son galant vís-ä-vis, marivaudant, roucoulant, faisant sa cour, filant un parfait amour. Qa dura trois jours. Puis Anastasia, s'arrachant aux bisous, aux gouzis-gouzis d'Albin, souvint 186 qu'il lui fallait, pour garantir son contrat, offrir ä la production qui la payait ä prix d'or son magistral concours. 1 Las ! La conclusion, alors, aussitôt s'imposa. II ] n'y avait pas un survivant, ni dans la production, ! ni dans la distribution. Quant ä ľattirail : foutu ! \ plus un Nagra ! plus un chariot! la Paillard, un I ramassis ; la sono, un tas d'ahurissants rogatons, | gravats tordus, chassis noircis, fils fondus ; la I " Dolly avait Pair d'un Hajdu qui, pour voir, aurait 1 pris son inspiration á un N ahum (jabo, puis" un Baldaccini. Anastasia fut done sans travail. Ca la chagrina I si fort qu'Albin, n'arrivant plus ä lui offrir conso- lation, finit par partir, la plantant la, la laissant dans son caravaning. Mais, auparavant, il lui dít, j sur un ton intimidant: j — Si jamais un bambin vous naissait (il la | vouvoya car il s'agissait d'un instant crucial), fruit du transport inoui qui nous tint unis trois jours durant, il faudra qu'il ait mon nom car sinon, e ajouta-t-il, ä ma mort, il n'y aurait plus un Mavro- [ khordatos, lors irait ä Pabandon ma Damnation ! 17 Ok Von va savoir V opinion qu'avait d'Hollywood Vladimir Bitch Albin partit done. II apprít plus tard, par un mot succinct qui aŕriva au bordj, qu'Anastasia avait fini par aboutir au consulat ricain ä Cattaro. Mais la star avait pris froid durant son long par-cours. Un mois plus tard, il y avait fluxion au poumon droit. Un toubib lui ordonna ľabandon d'Hollywood. Anastasia sanglotant capitula. Au vrai, nonobstant son air « actor's studio » on la disait sans futur vis-ä-vis du film parlant qui faisait alors son apparition (tout ga arrivait aux abords d'aout vingt-huit: il avait suffi d'un film d'A. Crossland pour qu'a la Columbia, ä la Rank, on optát pour la mutation). Ainsi, la vamp qui avait fait maigrir Farouk, grossir Baudoin, la vamp pour qui soupira Taft, puis Woodrow Wilson, pour qui sanglota J. Ramsay Mac Donald, la vamp ä qui Sir Winston Churchill offrit un quintal d'habanas> la vamp dont Vladimir Hitch Oulianov avait dit qu'il n'y avait pas plus nocif opium, tirait, sans point final, un trait au bas d'un curriculum si brillant qu'on n'imaginait pas qu'il put fink ainsi: dix-huit Oscars, six Lions d'or ! Sic transit Gloria Mundil L'on vit moult fans s'abimant dans un chagrin 189 sans fond. Tout un club d'Iron Mountain, aux confins du Wisconsin, non loin du Michigan, sui-cida d'un bloc. Un Japonais fit harakiri. Un marin jama'icain sauta du haut du Radio-City Building, ä Manhattan. Anastasia s'alla tapír dans un sanatorium, ä Davos. Thomas Mann, ľy voyant un jour, aurait dit, paraít-il: « Si j'avaís vu plus tôt Anastasia, Hans Castorp"rľäumF~}ämais connu Clawdía Chauchat. » Six mois plus tard, Anastasia accouchait mais, tubar, mourait quasi aussitôt. On trouva dans son sac un avis qui ordonnait qu'on donnát pour nom au poupon Olga Mavrokhordatos, puis qui ľinstaurait ayant-droit principal d'un droit patrimonial fort important, donation dont l'usufruit irait ä ľadministration du sanatorium qui, pour sa part, jurait d'avoir soin du poupon jusqu'ä son majorat. Ainsi, Olga grandit ä Davos, dans un sanatorium ultra-chic ou ľon soignait l'haut gratin du Gotha, ignorant tout d'Albin... — Mais qu'advint-il d'Albin ? coupa Voyl. — II apprit, trois ans plus tard, qu'Olga vi-vait ä Davos. II voulut la voir. II partit, suivi d'Othon Lippmann, dont il avait fait son bras droit. Albin conduisait sa Bugatti tambour bat-tant, nonobstant d'ardus tournants alpins. Mais il n'arriva jamais ä Davos... — Pourquoi ? fit, surpris, Anton Voyl. — Othon Lippmann, plus tard, m'affkma qu'aux trois quarts du parcours, non loin d'lnns-briick, Albin lui laissa la Bugatti, lui disant qu'il avait un gars ä voir pas loin. Othon vit Albin qui s'introddisait dans un hangar qui avait ľair ä 190 ľabandon. II poirota. Au soir, il alia ä l'hangar, ľouvtit. Mais il n'y trouva nul occupant, hor-mis Albin qui baignait dans son sang, archimort. — Qa m'a Pair gros, sourit Anton Voyl. — Oui, il parait plus súr qu'Othon ľassas-sina pour lui ravir son magot. — Mais Othon alla-t-il ä Davos voir Olga ? — II y alia. A coup súr mijotait-il un kidnapping. Mais s'il contacta ľadministration du sana-torium, il n'arriva pas ä voir Olga. On lui dit qu'il n'avait aucun droit. On alia jusqu'ä lui garantir la prison s'il insistak. — Ainsi, conclut Voyl, Olga ignora toujours pourquoi on la nommait Mavrokhordatos ? — Oui, soupira Augustus, mais surtout cha-cun ignorait la damnation qui s'attachait ä son nom. Olga n'a jamais su ľinfamant, ľhorrifíant pouvoir qui la marquak ä jamais. A la mort d'Othon Lippmann, instruit par lui du Talion qui planait sur nos noms, maudit par lui au nom du Zahir disparu, j'allai, par trois fois, ä Davos, voulant voir Olga mourir par ma main avant qu'il sok trop tard. Mais Olga n'habi-tait plus au sanatorium. Un indie m'apprit son apparition ä Locarno. J'y courus. Trop tard ! On m'affirma qu'Olga s'installait á London ; j'y bon-dis. J'arrivai ä Victoria Station au strict instant oü Olga la quittait, partant pour Francfort. J'aus-sitot lancai un sans-fil ä mon commis du Consu-lat, lui ordonnant d'avoir soin d'Olga jusqu'ä mon irruption. Mais, fatal coup du sort, mon commis, un idiot on n'a jamais vu plus obtus qu'illico j'invitai ä voir du pays, lui donna un visa pour Stockholm oü, ä bout, j'abandonnai. Voilä, conclut Augustus, pourquoi j'ai dít qu'Haig n'avait pas compris. II croit, m'ayant maudit, concourir ä ma mort. Mais, s'unissant ä Olga Mavrokhordatos, il va, lui, mourir, pas moi. II choit ä son insu dans la machination qu'on our-dit tout autour ! Quand doit-on ľapplaudír ? — Mardi soir, dit Anton Voyl, consultant son almanach. — Dans trois jours, fit, dubitatif, Augustus, mon Hispano-Suiza grand Sport saura accomplir un-jparcQurs_a.ussLlong dans un laps aussi court. Mais il £aut partir ä ľinstant: volons ä Urbino ! Arrachons mon fils ä la mort qui grandit ä l'hori-zon ! Allons, courons ! Marchons ! Partons ! An-diamo ! 18 Dont ďaucuns diront} ä coup sur, qu'il fournit moult apports capitaux — Soit, dit Anton, d'un ton convaincu, allons á Urbino, nous conduirons aussi la nuit, nous nous saisirons tour ä tour du volant, mais nous parti-rons plus tard, car il nous faut ďabord, ä tout prix, savoir la signification qu'a ľinscription du blane sur un bord du biliard. — Mais pourquoi ? Qu'a ä voir dans tout $a ľinscription du biliard ? fit Augustus qui bouÜ-lait. — Ainsí naquít la Damnation qui frappait ton fils. Car il y a un point qu'il n'avoua jamais : on sait qu'il t'arracha ton Zahir, mais on n'a jamais su ou il ľavait mis ! — Mais alors... ľinscription..., pálit Augustus. — Ľinscription nous díra — il s'agít lä d'un souhait, non d'un savoir — pourquoi la Damnation s'attacha au Zahir. — Mais qui saura saisir sa signification ? —■ Moi, dit Anton Voyl d'un ton sur. Haig m'a jadis fait un croquis approximatif qu'a loisir j'ai pu approfondir, consultant parfois un savant á l'Institut ou au CNRS. J'ai, aujourd'hui, sinon un vrai savoir, du moins cinq ou six notions qui, ä coup sur, nous fourniront la solution ou, au moins, aplaniront nos complications. On passa done au biliard. Voyl s'approcha, passant sa main sur l'inscription. Puis, s'aidant d'un miroir grossissant, il scruta, un ä un, ľamas d'intrigants points blancs. — Oui, murmura-t-il pour finir, j'avais raison, il s'agit d'un Katoun. — Un Katoun ? — Katoun, ou Katun, nom masculin indi-qu^nljan^hantOlon graffitial qu'utilisa la civilisation Maya, surtouTau^TučitäňTTl s:agit~~čťun— modus significandi plutôt limitatif,, valant sur-tout pour la transcription d'un dicton, d'un fabliau, d'un almanach, d'un ordo ou d'un factum au bas d'un bloc colossal ou d'un arc triomphal. II s'agit, pour la plupart, dedications, por-tant toujours sur un comput approchant vingt ans, ayant trait aux mois, aux lunaisons, aux Saisons, aux filiations du roi, aux migrations, aux points cardinaux, mais l'on a parfois vu, sinon un roman, du moins, disons, un fait narratif sortant du pur transitif pour aboutir ä ľart pour l'art... — Mais, sacbant qu'il s'agit d'un Katoun, tu as done illico saisi sa signification ? fit Augustus qui aurait voulu tout savoir au plus tot. — Oh non ! sourit Anton Voyl, nous avons du travail pour au moins jusqu'au matin (on allait alors sur minuit): la signification n'appa-raítra qu'ä la fin, quand nous aurons garanti ľarticulation du parcours qui nous conduira d'un subscrit (l'inscription qu'on voit hie & nunc) ä un transcrit, puis ä un traduit. Mais il nous faudra auparavant avoir compris l'axiomatisation qui fonda la transcription. Car, vois-tu, poursuivit Voyl, la complication nait sur-tout du fait qu'on n'a aucun corpus global. On n'a compris, aujourd'hui, au maximum, qu'un quart du total. Disons, grosso modo, qu'ä la fin tu n'auras ä ta disposition qu'un mot sur trois. — Mais alors, crois-tu qu'on saura, nonobs-tant un inconnu aussi grand, saisir la signification du signal ? — Pourquoi pas ? D'aucuns 1'ont fait avant nous : Champollion, mais aussi Laranda, Arago, I Alcala, Riga, Riccoboni, Von Schönthan, "Wright. I_______Au vraj, h signifir dormir tout son saoul, un sup- port, fait d'un bristol ultra-blanc collant ä la paroi par un scotch brillant, support qui offrait ä la vision vingt-cinq ou vingt-six photos d'indivi-dus, photos qu'on aurait, pour la plupart, vu sor-tir d'un journal ä trois sous, d'un Paris-Jour ou d'un Daily Mirror, d'un História ou d'un Radar. Sortant du cagibi, la Squaw attira Aloysius qui fouillait un placard. — O Aloysius, cria la Squaw, accours ! II y a ici vingt-cinq vingt-six photos qui pourront~a coup sur nous fournir pas mal d'indications ! Toujours ä ľaffút, Aloysius Swann s'approcha. Un long instant, il scruta l'intrigant support. — Mais dis-moi, la Squaw, voulut-il savoir d'abord, qui nous dit qu'il s'agit la d'un carton d'Amaury ? — Nul n'a jamais vu ga ici auparavant, affir-ma la Squaw. II y a cinq jours, quand j'ai pourvu ä Installation du duo qu'Olga voulait voir ac-courir ä Azincourt, j'ai sorti du cagibi six draps, trois polochons, un plaid, moult torchons. Or, crois-moi, il n'y avait sur la paroi ni carton, ni photos. — II y a la, murmura Aloysius, pas mal d'in-dividus qu'on connalt plutôt pas mal, mais il y a aussi cinq ou six quidams tout ä fait inconnus pour moi, dont un, au moins, dont on voudrait savoir plus. II montra du doigt un portrait qui paraissait ľahurir. II s'agissait d'un individu aux traits plutôt lourdauds, pourvu d'un poil chátain trop abondant, touffu, ondulant, plutôt cotonnant, portant favoris, barbu, mais point moustachu. Un fin sillon blafard balafrait son pli labial. Un sar-rau d'Oxford sans col apparaissait sous un tricot raglan marron ä trois boutons fait du plus fin w&pcord. Qsl lui donnait un air un brin folklo- 237 rain. On ľaurait pris pour un zingaro, pour un gitan, pour un forain ou pour un paysan kal-mouk, mais on aurait pu tout autant y voir (par soumission aux goüts du jour) un hippy grattant son banjo ou sa balalaika dans un boxon ä Chinatown ou ä Big Sur. Aloysius Swann apostropha Ottaviani qui fouillait au hasard non loin. On disait, ä la P.J., qu'Ottaviani, robot abruti mais loyal, n'oubliait jamais un iňdívídu s'iľTavait vu un instant. — Ottaviani, lui dit-il, lui montrant. la photo, n'aurais-tu pas jadis vu un poilu aussi distinc-tif? — Ma £oi non, fit aussitôt Ottaviani, par sur-crolt, la photo a au moins vingt-cinq ans! — Tu as raison, admit Aloysius, allons done voir Arthur Wilburg Savorgnan, puisqu'on fait chou blanc par id. D'un doigt prompt, il arracha la photo qu'un kraft autocollant fixait au bristol, puis, suivant la Squaw, suivi d'Ottaviani, Aloysius Swann gagna ľhuis du boudoir ou Arthur Wilburg Savorgnan s'obstinait ä dormir, puis s'y introduisit, tapinois, murmurant: — Chut, chut! II dort toujours ä ľinstar d'un loir ou d'un castor. Laissons-lui finir sa nuit; faisons plutôt du chocolat; offrons-nous un fruit, un toast, du bacon, car nous avons tous un fichu travail ä accomplir ďici tantôt. La Squaw fit du chocolat. L'on but. Ottaviani tartinait son croissant. Aloysius noyait dans son bol fumant un oblong pain au lait tout croustil-lant. La nuit tirait sur sa fin. Un jour blanchissant pointait, qui donnait au salon un air blafard, 238 attristant. (Ja puait ľamas du tabac froid. — Bon sang ! On court tout droit al'asphyxia-tion ici, jura Ottavio Ottaviani. — Donnons un brin d'air frais, proposa la Squaw, ouvrant tout grand un vitrail. Chacun sursauta, saisi par ľincisif mais vivi-fiant froid du matin. Arthur Wilburg Savorgnan frissonna, puis bondit du divan ou il avait dor-mi, bouffi, brouillon, tifs confus, habits tout chiffonnants, ľak toujours ahuri. On lui donna du chocolat, mais il ínsista pour avoir d'abord son tub matinal. On ľaccompagna au lavabo, ďoů il rapparut, un instant plus tard, minois souriant. Il avait pris un bain, il avait mis un pantalon frais, un polo, un fouloir ä pois qui lui donnait ľair d'un sportsman. Tout ä son tracas, Aloysius Swann ľassaillit illico : — As-tu vu, lui intima-t-il, Amaury Conson ? — II n'y a plus, dit Arthur Wilburg Savorgnan, d'Amaury Conson ! j 22 ; Oň un us familial contraint un gamin ima- ginatif ä finir son Gradus ad Pamassum j par six assassinats — II n'y a plus d'Amaury Conson, dit Arthur Wilburg Savorgnan, II git au sous-sol, au fond du bassin ä mazout. — Tu ľy as done vu ? fit Aloysius, pantois. — Nous ľy aurions vu choir, oui, si un court-circuit n'avait fait partout la nuit, mais un long instant son cri nous parvint, qu'amplifiait la parol du silo, jusqu'au plouf final qui nous apprit sa fin! — Mais quand ? Ou surtout, mais pourquoi bascula-t-il ? L'y poussas-tu ? — Nous ľaurions fait s'il ľavait fallu, admit Arthur Wilburg Savorgnan, masquant mal son chagrin, mais, voulant bondir sur moi, il fit, croyons-nous, un faux pas, cogna un bord du bassin, tituba, vacilla, puis, glissant, tomba dans ľä-pic ; on aurait dit qu'un aimant surpuissant ľy attirait! — Mais pourquoi voulait-il ainsi bondir sur toi? Arthur Wilburg Savorgnan soupira, mais n'a-jouta pas un mot. II avait ľair grognon. Aloysius Swann sortit la photo du Barbu, puis, la montrant ä Savorgnan, lui dit, sur un ton inti-midant: — Voilä la raison ! Voilä la photo qui provo-qua son courroux ! Tu la lui as fait voir, non ? — Non, dít, tout bas, Arthur Wilburg Savor-gnan, il la trouva par hasard, dans mon placard. II avait fait un grand tour dans la nuit, s'y four-voyant, marchant ä tátons jusqu'ä la maison. La Squaw dormait. Moi aussi. Tout paraissait noir. Amaury s'affala sur un divan. II avait mal au front. II dut dormir un court instant, puis sou-dain, il sursauta, suffoquant, paniquant sans sa-voir pourquoi. Il souffrait. II crut qu'on avait voulu sa mort, qu'on avait mis du poison dans sa boisson. Il lui souvint alors qu'ü pouvait y avoir dans mon boudoir un anti-poison qui ľas-sainirait. Il monta, ä tátons, jusqu'au cagibi qui jouxtait mon boudoir ; il y farfouilla, il tomba sur la photo. Alors, oubliant soudain son mal, mais poussant un cri tonitruant, il m'assaillit, m'arrachant ä mon profond sopor. — La photo du Barbu ! rugit-il. Puis soudain, il sortit, bafouillant, grognant. II gagna son salon, puis couraní, rapparut au bout d'un instant. Il avait ä la main un bristol portant vingt-six divisions, vingt-six cantons, tous pour-vus d'un portrait, sauf un. — Mon bristol jadis n'offrait aucun blanc, dit-il. La photo du Barbu s'appliquait lä ou E y a aujourd'hui un canton vacant. On la vola, voici au moins vingt-huit ans, un soir d'avril. Un larcin si banal m'attrista, m'offusqua, mais m'apparut d'abord insignifiant. Mais, trois jours plus tard, mon plus grand fils, Aignan, mourait ä Oxford ! Sa voix cassa dans un sanglot sourd. J'ai dit: — Non, Amaury, la photo qu'ä ľinstant tu trouvas dans mon cagibi m'appartint toujours, 242 crois-moi. — II s'agirait d'un quiproquo ? dit Amaury, surpris. — Pas tout ä fait, car ton barbu, mon barbu n'ont jamais fait qu'Un individu ! — Tu avais toi aussi sa photo ? — Oui. — Mais pourquoi ? — Par trois fois, au moins, j'ai fait allusion ä ľassimilation qui marquait nos curricula. Nous sortons d'un tronc commun. Nos sorts, trait pour trait, sont plus qu'analogaux, ils sont kif-kif ! — Point n'ai fait ľoubli du corps d'allusions qu'alors tu nous lan^as, coupa Amaury. Cinq ou six fois, j'ai voulu ťavoir ä part, comptant sur toi pour approfondir mon savoir touchant nos rapports ou ayant trait ä ľobscur imbroglio dont fut fait mon jadis dont nous ignorons quasi tout. Mais la discussion durait tant qu'ä aucun instant n'apparut l'occasion. Quoiqu'il soit fort tard, il m'apparalt qu'il faudrait la saisir sans mollir... J'ai dit mon accord, ajoutant pourtant aussi-tôt: — Soit. Mais pas ici; il y fait trop noir, Íl y fait trop froid. Allons plutôt dans ľimpartial fu-moir d'Augustus oú, au vrai, un bon alcool nous ragaillardira. — All right, dit Amaury. Va au fumoir. J'y accourrai dans un instant. Puis il sortit d'un pas hátif, sa main s'agrip-pant sur son bristol ä photos. J'allai done au fumoir. J'y poirautai un long laps, buvant pour mon confort un grand bol d'akvavit. Soudain j Wis un grand bruit qui montait du sous-sol. J'accourus, pronto, mais ä tätons, car on n'y voyait toujours pas clair. J'arrivai, sans 243 trop souffrir, au sous-sol oü, dans ľirradíant clair-obscur qui sourdait du four, j'avísaí Amaury qui finissait d'offrir ä la combustion du mazout un manuscrit fort important, tout au moins pár son poids. J'hurlai, pris d'un soupcon subit : — Qu'as-tu voulu abolir ainsi ? II n'a pas voulu m'affranchir. Lair furibard, il scrutait ľalbum qui noircissaJt, blanchissaJt, puis racornissait. Puis il m'indiqua dans un coin un banc, s'assit sur un pliant: — (Ja, ľami, causons, dit-il, m'invitant ä dis-courir. — Ici ? j'ai dit, plutôt, surpris, n'avions-nous pas dit qu'on iraít au fumoir ? ! —"Non, dit-il s'obstinant, causons ici. j -— Mais pourquoi ? j — Disons qu'il y fait plus clair, qu'il y fait i plus chaud, qu'il... Il m'avisaga sans finir. ; J'insistai: i — Quoi ? Qu'y a-t-il ? _ ' I — Nothing, dit-il, allons, installons-nous, puis ....__.; causons, sinon... í — Sinon quoi ? | — Sinon, nous n'aurons plus jamais l'occa-sion... i i II m'intriguait, mais quoiqu'ahuri par son obs-tination, j'opinai. J'avisai ľoblong banc, m'y as-sis, allumai un cigarillo, puis j'attaquai aussitôt: J'ai promis qu'un jour tu connaltrais ma Saga : \ la voilä. Tu sauras aussitôt qu'il s'agít d'un román j quí vaut aussi pour toi. La Damnation qui ťas- | saillit m'assaillit itou. Un mauvais hasard nous ':/i faconna ä ľinstar. Car nous avons du sang com- ■■----1 244 mun, car ton Papa fut mon Papa ! j — Quoi! strangula Amaury, nous : frangins ! — Oui, frangins ! Frangins unis dans ľafflic-tion, dans la mort! — Mais ou ľas-tu appris ? dit brůlant Amaury. Qui ťa fait don d'un savoir qu'on m'a tou-jours tu ? —- Oh ! II m'a fallu vingt ans, vingt ans au moins, pour, n'ayant qu'un brin d'intuition, sa-chant tout au plus qu'il y avait, planant sur moi, un fait qu'on disait~öbscur, un fait dont nul n'öP" sait discourir, un fait qu'au vrai tout un chacun ignorait, il m'a fallu vingt ans pour approfon-dir mon savoir, Mtissant suppositions sur suppositions, chafaudant d'idiots synopsis, proposant d'instinctifs aboutissants, supputant, imaginant, comblant poco ä poco ľoubli profond, ľintimi-dant tabou qui nous masquait la divulgation. Vingt ans durant, j'allai multipliant d'intri-gants contacts, payai d'oisifs indies, consultai partout moult sous-bibs m'ouvrant d'importants stocks archiviaux m'informant sur ma filiation, m'acharnai sur d'immoraux magistrats, Substituts, avocats, commis, plumitifs, calicots, factotums corrompus ä qui il fallait offrir gros pour savoir pas lourd. Puis j'ai du choisir dans un colossal amas d'informations ou tout voisinait, ľinouí, ľinconsistant, ľanormal, ľinsignifiant. Puis il m'a fallu, pour bondir d'un fait au fait suivant, saisir, au prix d'harassants brain-stor-mings, un point ď articulation qui, quasi toujours, manquait. Mais j'ai appris, j'ai su, j'ai vaincu, j'ai com-pris. J'ai franchi l'imbroglio. J'ai acquis sur mon antan, sur mon jadis, un savoir global! II is a story told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing. Un román long, confus, parfois vain, parfois mirobolant; la narration ďun Talion, qui ä tout instant ťa. poursuivi, m'a poursuivi. Ľindividu qui 1'ourdit s'y appliqua vingt ans durant, sans jamais s'adoudr. II ignorait la compassion; il s'opposait ä tout pardon; il n'a jamais connu qu'un but: assouvir sa vindication, accomplir son talion dans la mort, dans ľaigri courroux du Sang jaillissant. Un ä un, il a commis sur nos Jťils d'horrtťiants assassinats ! — Lui! Lui! murmura Amaury, hagard. — Oui, lui! Ľindividu dont tu gardais ľin-trigant portrait, mais dont tu ignorais tout! L'intrigant Barbu ä favoris, au poil brun trop touffu ! Lui! Ton Papa ! Mon Papa ! — Mon Papa ! hurla Amaury, tordu par un chagrin infíni. Mais j'ignorais done tout! Pour-quoi nous fallait-il avoir un Papa si mauvais ? — Sois moins vif, Amaury, sois plus froid, fais-y toi; tu vas tout savoir : Ton Papa, mon papa (nous ignorons son nom, ou plutôt sa prononciation) naquit ä Ankara. Son clan comptait pármi ľimportant gratin du canton. On disait colossal ľavoir familial, qu'on comparait parfois au magot du Roi Midas. Mais sa transmission suscitait toujours moult complications car, la Tribu comptant au moins vingt-six individus ayant pour la plupart cinq ou six gnards, ca faisait, pour finir, tant d'ayants-droit qu'on craignait, non sans raison, qu'allát s'amin-cissant jusqu'ä la consumption ľinitial magot, nonobstant la fructification qu'apportait la Capitalisation. La tradition voulait done qu'on favorisát au 246 maximum son plus grand fils. On laissait aux suivants d'insufEisants rogatons. On donnait tout au Dauphin, au Favori : Palais, maisons, champs, bois, actions, obligations, or, diamants, bijoux. On lui proscrivait tout travail, alors qu'on impo-sait aux suivants un ahan harassant. L'on concoit sans mal ä quoi pouvait aboutir un choix si discriminant : on n'otlrait qu'au Dauphin ľAmour familial, tandis qu'on abhorrait, qu'on bafouait sa frangination. Ainsi, quoiqu'ä coup súr on justifiät la discrimination par ľoBlr gation d'accomplir la continuation du pouvoir du clan (pouvoir qu'il fallait garantir par un avoir toujours plus important, done sans dilapidation ni passation aux ayants-droit trop lointains), ľus familial, par un instinctif biais culpabilisant, la fondait, non sur un Sint ut sunt aut non sint, mais sur un soi-disant droit moral qui, classant ľindividu suivant son rang, donnait tout aux Initiaux qu'il disait purs, bons, blancs, ôtait tout aux ultimaux qu'il noircissait tout ä loisir. Il y avait pis : chacun paraissait subir la Loi du Clan sans trop s'aigrir. Nul n'affirma jamais Summutn Jus, summa Injuria; chacun, qu'il soit favori ou mal loti, vivait l'indivision du magot patrimonial ä ľinstar d'un statut normal, sinon normatif, sans voir qu'il s'agissait d'un abus flagrant, partial, qui frustrait la plupart au profit d'un individu. Au vrai, Ü n'y avait pour un mal loti qu'un hasard — la mort du Dauphin ä qui ľon substi-tuait alors son proximal suivant — pour adoucir son sort. On voyait done, quasi ä tout instant, frangins sans un sou, cousins purotins, tontons faminards, unis dans ľimploration, priant pour la dispari-tion du favori primonatif. Allah, dans sa compassion, s'inclinait parfois: un typhus malin, un faux 247 croup supprimait alors ľayant-droit putatif. Las ! la contradiction subsistait; tout au plus avait-on raccourci, mais pas du tout aboli, son champ d'ap-plication. On concoit aussitôt qu'il fallut, un jour, abou-tir ä un statu quo moins rassurant, mais aussi moins accablant. Disons qu'on passa du « Un pour Tous, Tous pour Un » dont s'honorait jadís ľ Armorial du Clan, ä un soldats ou sous offsy-Jan-tassins ou dragons, hussards ou spahis, ä fuir la garnison. Mais six bataillons faisant un cordon tout autour du Canton, nul n'aurait pu sortir sans qu'aussitôt U fůt surpris. Aussi Glupf croyait-il qu'on s'obs-tinait á lui tapir son tas d'hussards dans l'assommoir oů Rosa officiait. Mais ou ? Un jour, sous un motif in-consistant, il fit ouvrir la canalisation d'un puisard dans la cour du bístrot; puis il visita son lit ä baldaquin, il sonda son mur, il ausculta son toit Mais tout fut vain. Alors Glupf convoqua Rosa au Tribunal. — Oú sont nos soldats disparus ? atta-qua aussitôt ľavocat du Commandant. Oú sont Ibrahim, Gribaldi, Worms, qu'on a tous vus ä ton bar ? Qu'as-tu fait la mut oú ils ont f ui ? Mais Rosa niait tout. — Worms ? Gribaldi ? Ibrahim ? Par mon Saint Patron ! Jamais vu! Connais pas ! disait la barmaid sans foi ni loi. — Tu fais la putain ! cria Glupf, on nous ľa dit! — Moi ? Pas du tout! J'ai un arnant, un dragon, jaloux, brutal! — Son nom! Dis-nous son nom ! - Opposition ! tonna un avocat 293 On ínculpa Rosa d'incitation ä ľassassi-nat, ä la trahison. Mais, dans son discours, ľavocat qui plaidait pour Rosa montra au jury sur un ton stria, convaincant, qu'on s'appuyait sur un on-dit gratuit, qu'ü n'y avait dans ľaccusatíon aucun fait concluant, aucun point probant, mais qiťon voulait ä tout prix noircir son plaignant On acquitta Rosa sous ľacclamation du public qui, par moult bravos bruyants, montra son approbation. Glupf .s'avoua vaincu, mais jura qu'ü aurait son tour, qu'un jour on allait voir qui commandait, qu'il vous foutrait tout ca ä Auschwitz shot qu'il aurait ľoccasion. II sortit du Tribunal sifflotant un air martial. Huit jours plus tard, un commando attaquait au bazooka ľamical caboulot L'on compta six morts, dont Rosa, mais Gribaldi n'y f igurait pas, pas plus qu'Ibra-him, ni qu'aucun conscrit disparu... — Voilä qui m'apparak fort clair, dít Aloysius Swann, finissant ľambigu rapport. — Mais pas du tout, argua Arthur, qu'Yorick ait disparu, soit, mais d'oü conclut-on qu'il soit mort ? — Oui, ďoů conclut-on qu'il soit mort ? ra-bácha, ä ľinstar ďun ara balourd, Ottavio Otta-viani ^ui croyait avoir ľair finaud s'il imitait son popa. — Quand on s'attaqua aux gravats jonchant la maison dont plus un mur n'avait d'aplomb, on y trouva un oignon, un joli bijou rococo portant sur son cadran un tortil ä baron s'incrustant d'ara- 294 bisants guirlands d'or, oignon dont on sait qu'Yo- rick Gribaldi avait fait ľacquisition un mois au-paravant. — Mais pourquoi n'aurait-il pas pu ľoffrir á Rosa ? — Soit, ľoignon paraít insuffisant pour garan-tir la mort d'Yorick, admit Aloysius Swann. Mais j'ai plus convaincant. Voici, ab absurdo, ma conglobation ; Supposons qu'Yorick soit mort; il suffit alors qu'Uttavio Ottaviani, alias Ulrich Savorgnan, soit aboli, pour qu'aussitot, suivant la Loi du Barbu, Arthur Wilburg Savorgnan, n'ayant plus aucun infant, soit soumis ä la vindication qui s'acharna sur son Clan! — Subtil! gloussa la Squaw. — Inhumain ! brama Arthur. — Nazi! jura Ottavio. — Nous allons voir s'il y a du vrai dans ma solution: d'abord, tuons Ottavio Ottaviani, on ľa trop vu! — Mais pourquoi ? implora ľargousin obtus, J am too young I — Allons, Ottaviani, tais-toí, lui intima son patron. N'as-tu pas compris qu'a grands pas ap-prochait la fin ? — Mais il n'y a aucun rapport.,., sanglotait Ottaviani. — Shut up you stupid \ gronda Aloysius Swann lui flanquant un coup sur ľocciput. Li-sons plutôt la communication qu'on nous donna tantôt: II ouvrit son sac, d'oü il sortit un pli manus-crit qu'il donna ä Ottaviani. — Pourquoi lit-il ? voulut savoir la Squaw qui, aurait-on dit, n'avait pas compris. — Tu saisiras dans un instant, lui dit, ä mi-voix, Aloysius, souriant d'un air narquois. Ottavio Ottaviani, ajustant son lorgnon, ra-dant son pharynx, s'adoudt la voix, prit son inspiration, puis lut, sur un ton plutôt froid : Ondoyons un poupon, dit Orgon, fíls ďUbu. Bouffons choux, bijoux, poux, puis du mou, du confít; buvons, non point un grog: un punch. II but du vin itou, du rhum, du whisky, du coco, puis U dormit -cmuiq_r-QŕyT,'i"fí"i bmif *\v rn conv"* Sfffl son. Nous irons sous un pont oü nous pourrons promouvoir un dodo, dodo du poupon du fils d'Orgon fils dTJbu. Un condor prit son vol. Un lion riqui-qui sortit pour voir un dingo. Un loup fuit. Un opossum court. Oü vont-ils ? Lours rompit son cou. II souffrit. Un lis croit sur un mur : void qu'il couvrit oril-lons ou goulots du cruchon ou du pot pur stuc. Ubu pond son poids d'or. — Hum, dit Savorgnan, cachant mal son im-bitation. •— Quoi! scandalisa Aloysius, n'as-tu pas vu qu'il y avait ici un ľon sait quoi tout ä fait fas- cinant ? — Ma foi non, avoua Savorgnan. — Mais voyons, Savorgnan, il n'y a pas un « a » dans tout ga ! — Nom ďun Toutou, mais tu dis vrai! fit Savorgnan, arrachant ľadroit manuscrit ä Otta- viani. — Mirobolant, dit la Squaw. — Fascinant, tout ä fait fascinant, confirma Savorgnan. —- Par surcrott, ajouta Aloysius, il n'y a qu'un « y » : dans « Whisky » ! 296 — Confondant! Saisissant! Inoui! Ottaviani voulut ravoir la communication. Savorgnan la lui donna. II la lut, pour lui, ä mi-voix. On aurait dit qu'il n'avait pas compris quand il avait lu d'abord. — Alors, Ottaviani, ironisa Swann, dis-nous si tu saisis ? Ottaviani paraissait souffrir. Il s'agitait sur son pouf. II suait. II transpirait, ahanant. — Quoi ? insista Aloysius Swann. S'affaissant, Ottavio Ottaviani murmura d'un ton mourant: — Mais il n'y a pas non plus ď 26 Donty ä coup súr, ôn avait auparavant compris qu'il finirait la narration — Pardon ? fit tout un chacun, n'arrivant pas, aurait-on dit, ä saisir l'Omis qu'Ottavio Otta-viani paraissait, lui, avoir vu. Ľon ouit un bruit concis, fugitif, un « plof » ou plutôt un « ploc », un brin crissant, un brín agacant, mais si fin qu'on ľoublia aussitôt. Soudain la Squaw poussa un cri plaintif. — Qu'y a-t-il ? clama-t-on partout. — Ottaviani! Ottaviani! criait la Squaw d'un ton suraigu. Cramoísi, rubicond, Ottaviani gonflait. Royal, dodu, ä ľinstar d'un Buck Mulligan paraissant au haut du limacon psalmodiant un « Introibo », il avait ľair d'un ballon qu'on fournít aux bambíns du jardin du Palais-Royal ou du pare Montsouris. Puis, tout ä coup, ainsi qu'un baudruchon lá-chant son gaz sous Taction d'un dard ľincisant, Ottavio Ottaviani conflagra, dans un fracas plus assourdissant qu'un avion Dassault franchissant ä Mach III son mur du son dans un Bang-Bang dont pátit plus d'un miroir au sol. Puis, quand tout rut řini, on vit qu'Ottavío Ottaviani avait disparu : pas un os, pas un bou-ton, mais un tas rabougri, pas plus gros qu'un 299 involutif charbon produit par la combustion d'un cigarillo, qu'on aurait pris pour du talc, tant il apparaissait blanc. Arthur Wilburg Savorgnan s'accablait, statu-fiant. La mort, coup sur coup, du duo filial qu'il avait d'abord cru disparu ä jamais, puis, qu'ayant su vivant il avait vu s'abolir, paraissait ľavoir _----surpris^Jl_sanglQtait; tout ä son tragas. Pujs^ ä la fin, il dit: — Si f ai compris, tu agissais au profit du Bar-bu? — Disons qu'on fut toujours son loyal bras droit, son commis, son proconsul... — J'ignorais... — Tu ľaurais pu saisir : mon nom n'a-t-il pas pour signification « un blanc cygnal » ? — Mais, poursuivit Savorgnan, puisqu'ainsi voici sonnant pour moi ľinstant final, pourrait-on au moins savoir la f aeon dont s'ourdira ma mott ? Car, ä coup súr, ton imagination ťa fourni maints biais subtÜs ! — Oh lä lä, fit, riant, Aloysius, ľon connalt au moins cinq actions ayant pour fin ta mort: L'on pourrait ainsi, d'abord, profitant d'un instant oü tu irais t'absorbant dans un Zola, dans un Rougon-Macquart (mais pas I'Assommoir; disons plutôt Nana), ľon pourrait done ťoffrir un fruit dissimulant un obus : un citron, un cantaloup, ou plutôt un ananas, fruit assassin qu'un Lyndon B. Johnson jour sur jour, nuit sur nuit, fait choir sur Hanoi, faisant fi du droit supranational, ainsi qu'un symposium dauphinois ľafHrma sans faux-fuyant. Un dispositif subtil agirait ä ľinstant oü, ayant soif, tu ouvrirais ľananas, pro-300 voquant ainsi ta disparition. Ľon pourrait aussi, s'aidant d'un cordon nodal, accompllr sur ton corps ľamputation, la mutilation, ľincision, ľablation, la castration, ľabscis-sion, la scission, ľomission ou la division d'un constituant vital: ton attribut viril, pour súr, ou, par un tour plus symbolisant, ton tarin, action qui aurait pour conclusion ta mort au bout d'un an au plus.___________ Ou, par un biais plus divagant, il pourrait y avoir dans un bois oü tu irais flánant par pur plaisir, tapi dans un if ou dans un sapin, un nid dont on aurait soumis ľoisillon s'y nichant ä ľac-tion d'un produit radioactif (un noyau d'uranium produisant par fission un fort rayon gamma). L'on aurait, par surcroit, mis au sol un gros bonbon ä ľanis, dont on sait ton gout pour. Ainsi, batifolant, tu vas au hasard, máchonnant paturins ou myosotis, quand, soudain, tu vois l'attirant bonbon. Tu y bondis, gourmand, tu t'aplatis au sol pour gloutir tout son saoul, mais, audit instant, choit du haut du sapin, sur ton sinciput, ľactif nid qui illico ťassoupit ä jamais, ťirracfiant dans la proportion maxima. Ou alors, on pourrait agir ainsi: tu irais ä un gala nippon. II y aurait pour ton grand plaisir, car on sait ton gout pour ľart subtÜ du Go, un naif affron-tant dans un match amical un champion, un « Kan Shu », sinon un « Kudan » : Kaku Takagawa, mais disposant, pour adoucir la disproportion, d'un fort handicap, non d'un « furin » mais d'un «Naka yotsu ». Kaku Takagawa ouvrirait par un « Moku hadzushi» ; son opposant s'absor-bant dans un « Ji dori Go » aussi maladroit qu'improductif, alors qu'il aurait dů accomplir un « Takamoku Kakari », il poursuivrait par un « Ozaru » (ou Coup du Grand Babouin), puis, au bout d'un subtÜ « Oi Otoshi», il vaincrait par « Naka oshi gatchi» sous ľacclamation du public conquis. Mais, ä la fin du match, on poursuivrait par un No, aussi long qu'ardu ä saisir. Tu voudrais d'abord partir, mais, poli, tu suivrais un instant, ťobstinant, ťaidant d'un flou synopsis, ä saisir, par-ci, par-lä, un mot, un clin, un bruit, ľindica-tion d'un courroux, ďun chagrin, d'un fol amour, qui saurait t'affranchir quant ä la signification du fait qui s'accomplit, pour toi, non loin du strapontin qu'on ťalloua, mais sans jamais aboutir ä un savoir satisfaisant, ä ľinstar d'un individu qui, lisant un román, croirait ä tout instant qu'on va lui fournir la solution dont il souhaitait la confirmation, ä partir du maudit instant ou il s'attaqua au susdit bouquin, alors qu'il n'y a, au fur qu'il poursuit, qu'ambigus faux-fuyants laissant tou-jours dans un troublant clair-obscur ľambition qui animait la main du scribouillard. Aussi, ä la fin, ťassoupirais-tu, las d'avoír trop voulu saisir, ä ľinstar du toutou qui, soumis par Pavlov ä un stimulus salivant non suivi d'un brimborion nutritif, finit par s'offrir un bon rou-pillon, inhibant au maximum ľinsínuant circuit cortico-subcortico-cortical qui contrôlait son activation, son « arousal ». Lors pourrions-nous t'a-bolir sans mal. Ou, pour finir, puisqu'il y a un instant, j'ai dit qu'il y avait cinq facons pour nous ďaboutir ä nos fins, nous pourrions t'assaillir alors qu'oisif, tu vas dans un jardin admirant maints nus magís- 302 traux, qu'un Girardon ou un Coustou, un Gimond ou surtout un Rodin jadis sculpta. II nous surfi-rait alors d'avoir sous la main un eric pour qu'ä un instant opportun, la radiation du boulon don-nant au bloc colossal son aplomb provoquát ton annulation. — Nul n'a jamais dit qu'Arthur Wilburg Savorgnan n'avait pas d'humour, dit aussitôt Arthur Wilburg Savorgnan. J'applaudis done ä ton final sursaut d'imagination. Mais au cas ou tu voüdrüs mon avis, j'irais ťavouant mal voir la facon dont tu pourrais, ici, ä ľinstant, hic & nunc, m'obscur-cir. Car, soyons stricts: il n'y a ici ni ananas confla-grant, ni cordon nodal, ni oisillon radioactif, ni gala japonais, ni Rodin basculant! — Nous goůtons fort ton subtil distinguo, dit, glacial, Aloysius Swann. Mais j'ai sur moi un ou-til qui vaudra tout ca ! II sortit son Smith-Corona. D'un trait, il raya Arthur Wilburg Savorgnan qui s'afEaíssa, mort. — Voilä, dit la Squaw, ils sont tous morts. L'on n'aurait pas cru. A la fin, ?a vous avait un air Much ado about nothing plutôt irritant, ou du moins attristant. — Qui va piano va sano, sourit Aloysius Swann. Ils sont tous morts. Donnons ä tous ľab-solution. Prions pour qu'ä son tour chacun ici-bas soit blanchi. Car, s'ils ont tous commis maints forfaits, au moins chacun nous a-t-il fourni sa collaboration. L'on connait plus d'un protagon ä qui l'on n'aurait pas ainsi imparti un canon si contrai-gnant. Or chacun ľa subi jusqu'au bout... — Tais-toi, murmura la Squaw, you talk too much... Aloysius Swann rough. — Aínsi done, dit la Squaw, void sonnant ľinstant du Finis Coronat Opus ? Void la fin du roman ? Void son point final ? Oui, affirma Aloysius Swann, void parcouru jusqu'au bout, jusqu'au fin mot, ľínsinuant circuit labyrinthal oů nous marchions d'un pas som-nambulant. Chacun, parmi nous, ofErit sa contribution, sa participation. Chacun, s'avangant plus loin dans ľobscur du non-dit, a ourdi jusqu'á sa saturation, la configuration d'un discours qui, au fur qu'il grandissait, n'abolissait l'hasard du jadis qu'au prix d'un futur apparaissant sans solution, ä ľinstar d'un fanal n'illuminant qu'un trop court instant la portion d'un parcours, lors n'orTrant au fuyard qu'un jalon minimal, fil d'Aria-na toujours rompu, n'autorisant qu'un pas ä la fois. Franz Kafka ľa dit avant nous : ilyaun but, mais il n'y a aucun parcours ; nous nommons parcours nos dubitations. Nous avancions pourtant, nous nous rappro-chions ä tout instant du point final, car il fallait qu'il y ait un point final. Parfois, nous avons cru savoir : il y avait toujours un « 5a » pour garantir un « Quoi ? », un «jadis », un « aujourd'hui », un « toujours », justifiant un « Quand ? », un « car » dormant la raison d'un « Pourquoi ? ». Mais sous nos solutions transparaissait toujours l'illusion d'un savoir total qui n'appartint jamais ä aucun parmi nous, ni aux protagons, ni au scrivain, ni ä moi qui fus son loyal proconsul, nous condamnant ainsi ä discourir sans fin, nour-rissant la narration, ourdissant son fil Idiot, gros-sissant son vain charabia, sans jamais aboutir ä ľinsultant point cardinal, ľhorizon, ľinfini oü tout paraissait s'unir, ou paraissait s'offrir la solu-304 tion, mais nous approchant, d'un pas, d'un micron, d'un angström, du fatal instant, oů, n'ayant plus pour nous ľambigu concours d'un discours qui, tout ä la fois, nous unissait, nous constituait, nous trahissait, la mort, la mort aux doigts d'airain, la mort aux doigts gourds, la mort ou va s'abímant ľinscrjption. ___ la mort qui, ä jamais, garantit ľimmaculation d'un Album qu'un histrion un jour a cru pouvoir noir- cir, la mort nous a dit la fin du roman. Post-scriptum Sur V ambition qui, tout au long du fati-gant roman qu'on a, souhaitons-nous, lu sans trop ď'omissions, sur ľ ambition} done, qui guida la main du scrivain L'ambition du « Scriptor », son propos, disons son souci, son souci constant, fut d'abord d'aboutir ä un pro-duit aussi original qu'instructif, ä un produit qui aurait, qui pourrait avoir un pouvoir stimulant sur la construction, la narration, ľaffabulation, Taction, disons, d'un mot, sur la facpn du roman ďaujourďhui. Alors qu'il avait surtout, jusqu'alors, discouru sur sa situation, son moi, son autour social, son adaptation ou son inadaptation, son gout pour la consummation allant, avait-on dit, jusqu'a la chosification, il voulut, s'inspirant ďun support doctrinal au gout du jour qui affirmait ľabsolu primát du signifiant, approfondir ľoutil qu'il avait ä sa disposition, outil qu'il utilisait jusqu'alors sans trop souffir, non pas tant qu'il voulut amoindrir la contradiction frappant la seription, ni qu'il ľignorát tout ä £ait, mais plutôt qu'il croyait pouvoir s'accomplir au mitan d'un acquis nor-matif admis par la plupart, acquis qui, pour lui, constituait alors, non un poids mort, non un carcan inhibant, mais, grosso modo, un support stimulant. D'ou vint ľobligation d'approfon-dir ? Plus ďun £ait, ä coup súr, la mo-tiva, mais signalons surtout qu'il s'agit d'un hasard, car, au fait, tout partit, tout sortit d'un pari, d'un a priori dont on doutait fort qu'il put un jour s'ou-vrir sur un travail positif. Puis son propos lui parut amüsant, sans plus ; il continua. II y trouva alors tant d'abords fascinants qu'il s'y absor-ba jusqu'au fond, abandonnant tout ä fait moult travaux parfois pas loin d'a-boutir. Ainsi naquit, mot ä mot, noir sur blanc, surgissant d'un canon d'autant plus ardu qu'il apparait d'abord insi-gnifiant pour qui lit sans savoir la solution, un roman qui, pour biscornu qu'il fut, illico lui parut plutôt satisfai-sant: D'abord, lui qui n'avait pas pour un carat d'inspiration (Ü n'y croyait pas, par surcrolt, ä ľinspiration!) il s'y montrait au moins aussi imaginatif qu'un Ponson ou qu'un Paulhan ; puis, surtout, Íl y assouvissait, jusqu'ä plus soif, un instinct aussi constant qu'in-fantin (ou qu'infantil): son gout, son amour, sa passion pour ľaccumulation, pour la saturation, pour 1'imitation, pour la citation, pour la traduction, pour l'automatisation. Puis, plus tard, s'assurant dans son propos, H donna ä sa narration un tour symbolisant qui, suivant d'abord pas ä pas la filiation du roman puis pour fink la constituant, divulguait, sans jamais la trahir tout ä fait, la Loi qui l'inspirait, Loi dont il tirait, parfois non sans friction, parfois non sans mauvais gout, mais parfois aussi non sans humour, non sans brio, un filon fort pro-ductif, stimulant au plus haut point ľinnovation. II comprit alors qu'ä ľinstar d'un Frank Lloyd Wright construisant sa maison, il faconnait, mutatis mutandis, un produit prototypal qui, s'affranchis-sant du parangon trop admis qui com-mandait l'articulation, l'organisation, ľimagination du roman frangais d'au-jourd'hui, abandonnant ä tout jamais la psychologisation qui s'alliant ä la moralisation constituait pour la plu-part ľarc-boutant du bon goüt national, ouvrait sur un pouvoir mal connu, un pouvoir dont on avait fait fi, mais qui, pour lui, mimait, simulait, hono-rait la traditioh qui avait fait un Gar-gantua, un Tristram Shandy, un Mathias Sandorf, un Locus Solus, ou — pourquoi pas ? — un Bifur ou un Fourbis, bouquins pour qui il avait toujours rugi son admiration, sans pouvoir nourrir 1'iUusion d'aboutir un jour ä un produit s'y approchant par la jubilation, par ľhumour biscornu, par ľin- 311 cisif plaisir du bon mot, par ľattrait du narquois, du paradoxal, du strava-gant, par ľaffabulation allant toujours trop loin. Ainsi, son travail, pour confus qu'il soit dans son abord initial, lui parut-il pourvoir ä moult obligations : d'abord, ü produisait un « vrai» roman, mais aussi il s'amusait (Ramun Quayno, dont il s'affirmait ľobscur famulus, n'avait-il pas dit jadis : « L'on n'inscrit pas pour assombrir la population » ?), mais, sur-tout, ravivant ľinsinuant rapport fondant la signification, il participait, Ü collaborait, ä la formation ďun puissant courant abrasif qui, critiquant ab ovo ľimproductif substratum bon pour un Troyat, un Mauriac, un Blondin ou un Cau, disons pour un godillot du Quai Conti, du Figaro ou du Pavillon Massa, pourrait, dans un procbain futur, rouvrir au román ľinspirant savoir, ľinnovant pouvoir d'un attiraÜ nar-ratif qu'on croyait aboli! Metagraphes (citations) « La voyelle inconnue ». J'ai étudié les phonemes de toutes langues du monde, passées et présentes, Principa-lement intéressé par les voyelles qui okjxil \.\jííuiĽG žes cicniciita puis, ic3'~Cci-" lules primitives du langage, fai suivi les sons vocaliques daňs leurs voyages séculaires, j'ai écouté* ä travers les äges le rugissement de ľA, le sífflement de ľl, le bélement de ľE, le hululement de ľU, les ronflements de ľO. Les innom-brables maríages que les voyelles ont contractés avec ďautres sons n'ont pour moi plus de secrets. Et cependant, pres-que au terme de ma tarriěre, je m'aper-coís que j'attends toujours, que je pres-sens toujours la Voyelle inconnue, la Voyelle des Voyelles qui les contiendra toutes, qui dénouera touš les proglě-mes, la Voyelle qui est ä la fois le commencement et la fin, et se prononcera avec tout le souffle de ľhomme, par une distension géante des máchoires, corame si eile coulait réunír en un seul cri le bäillement de ľennui, le hurle-ment de la f aim, le gémissemení de ľamour, le rále de la mort. Quand je ľaurai trouvée, la creation s'enblou-tira elle-méme et il ne restera plus rien, — rien que la noyelle inconnue ! Jean Tardieu Un mot pour un autre 313 Valphabet magique, ľhiéroglyphe mystériem, ne nous arrivent qu'incomplets et faussés, sott par le temps, sott Dar ceux-lä mémes aut ont inté-rét a notre ignorance ; retrouvons la lettre perdue ou le signe efface, recomposons la gamme dissonante et nous prendrons force dans le monde des esprits. Gerard de Nerval {cite par Paul Eluard, Poesie invo-lontaire et poesie intentionnelle) 314 E SERVEM LEX EST, LEGEMQVE TENERE NE-CESSE EST ? SPES CERTE NEC MENS, ME REFERENTE, DEEST ; SED LEGE, ET ECCE EVEN NENTEMVE GRE-GEMVE TENENTEM. PERLEGE, NEC ME RES EDERE RERE LEVES, Lord Holland Eve's Legend Si ľon avaíí un dicíionnaire des ían-gues sauvages, on y trouverait des Testes évidents ďune langue antérieure parlée par un peuple éclairé, et quand méme nous ne les trouverions pas, il en résulterait seulement que la degradation est arrívée au point ďeffacer ces derniers restes. ^____________De Maistre Les soirées de Saint-Vétersbourg (cite par Flaubert: Brouillons de Bou-vard ; cite par Geneviěve Bollěme) Chez les Papous, le langage est trěs pauvre ; chaque tribu a sa langue, et son vocabulaire s'appauvrit sans cesse parce qu'apres chaque décěs on suppri-me quelques mots en signe de deuil. E. Baron Geographie (cite par Roland Barthes : Critique et Veríte) Ce n'est que dans ľinstant du silence des lois qu'éclatent les grandes actions. Sade Even for a word, we will not waste a vowel. Proverbe anglo-indien 316 TABLE avant-propos : Oú ľon saura plus tard qu'ici s'inaugurait la Damnation .. L ANTON VOYL .................. 1 Qui d'abord a ľair d'un roman jadis fait ou il s'agissait d'un individu qui dormait tout son saoul.......... 2 Oü un sort inhumain s'abat sur un Ro- binson soupirant .............. 3 Dont la fin abolit ľimmoral futur papal promis á un avorton contrit...... 4 Ou nonobstant un « Vol du Bourdon »■ il n'y a pas d'allusion ä Nicolas Rim-sky-Korsakov.................. 6 Qui au sortir d'un Corpus compliant nous conduira tout droit au zoo----- 7 Oů ľon parait vouloir du mal aux avo- cats marocaíns ................ 8 Ou ľon dira trois mots d'un tumulus ou Trajan s'Ülustra ............ Ill, DOUGLAS HAIG CLIFFORD........ 9 Oů un barytón na'tf connaitra un sort fulgurant .................... 97 10 Qui, souhaitons-nous, plaira aux fanas píndarisants .................. 109 11 Dont la fin aura pour fonction d'amol- iir un Grand Manitou .......... 127 12 Ou un bijou ombilical suffit á ľanglici- sation ďun Bátard.............. 139 13 Du pouvoir inou'i qu'un choral ď Anton Dvorak parait avoir sur un biliard. .*. 145 14 Oü ľon va voir un cyprin faisant f i d'un halvah pourtant royal............ 159 IV. OLGA MAVROKHORDATOS.......... 15 Ou, dissipant vingt ans d'archifaux faux-fuyants, ľon va savoir pourquoi coula ľimposant Titanic.......... 173 16 Qui fournit un appui probatif ä la posi- tion du dollar ................ 181 17 Oú ľon saura ľopinion qu'avait d'Hol- lywood Vladimir Hitch.......... 189 18 Dont d'aucuns diront ä coup sur qu'il fournit maints apports capitaux .... 193 19 Du tracas qu'on court ä vouloir un pois- son farci...................... 203 20 Qui, nonobstant inspiration du duo initial, n'aboutit qu'a un climat ma-ladif ........................ 214 V. AMAURY CONSON ................ 21 Qui, au sortir d'un raccourci succinct, nous dira la mort d'un individu dont on parla jadis.................. 225 318 22 Oü un us familial contraint un gamin imaginatif ä finir son Gradus ad Par-nassum par six assassinats........ 241 23 Du plus ou moins bon parti qu'un fran- gin s'angoissant tira du magot qu'un tambour lui laissait ............ 259 24 Qui s'ouvrant sur un mari morfondu. finit sur un frangin furibard...... 277 VI. ARTHUR WILBURG SAVORGNAN...... 25 Qui finit sur un blanc trop signifkatif 291 26 Dont ä coup sur on avait auparavant compris qu'il finirait la narration .. 301 POST-SCRIPTUM : Sur ľambition qui guida la main du scrivain.............. 311 METAGRAPHES .................... 315 TABLE .......................... 317 Au Moulin d'Andé 1968 319